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Date : 20011126

Dossier : IMM-1335-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1293

ENTRE :

                                                                 SIU MING LEUNG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 9 février 2000 par laquelle l'agent des visas a rejeté sa demande de résidence permanente liée à la catégorie des travailleurs autonomes.

[2]                 La question en litige est celle de savoir si l'agent des visas a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas les compétences requises pour mettre sur pied une entreprise au Canada.


[3]                 Le demandeur soutient que l'agent des visas ne pouvait raisonnablement, sur le fondement de la preuve, en venir à la conclusion qui a été la sienne.

[4]                 L'agent des visas a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

Je conclus que vous ne satisfaites pas à la définition d'un travailleur autonome. Plus particulièrement, vous ne m'avez pas convaincu que vous êtes en mesure de mettre sur pied ou d'acquérir au Canada une entreprise qui vous permettrait de disposer d'un emploi et qui apporterait une importante contribution à l'économie ou à la vie culturelle ou artistique du Canada.

[5]                 Le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur en mettant indûment l'accent sur son expérience en matière de travail autonome plutôt que sur ses capacités.

[6]                 L'agent des visas a précisé ses motifs dans son affidavit, déclarant ce qui suit au paragraphe 6 :

[TRADUCTION]

J'ai ensuite examiné quels étaient les projets de M. Leung au Canada. Celui-ci a déclaré qu'il comptait y établir un centre de tutorat où serait dispensé de l'enseignement dans toutes les matières du niveau primaire. [Je note qu'en fait M. Leung était censé fournir de l'enseignement aux niveaux primaire et secondaire. Il a mentionné qu'il dispenserait des services de tutorat pour des matière telles que les mathématiques, le chinois et les sciences ainsi que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Le demandeur a en outre déclaré qu'il comptait offrir des services spéciaux pour élèves lents.]


Je note que M. Leung est déjà venu deux fois au Canada et que, lors de son dernier voyage, il a assisté à un séminaire sur l'immigration des gens d'affaires organisé par le gouvernement provincial. M. Leung a démontré qu'il a procédé à des recherches et à de la planification dignes de mention pour son projet d'entreprise, ayant examiné les exigences en matière de permis, les questions fiscales et les coûts de location et autres requis pour faire affaire au Canada et ayant étudié le marché pour de tels services au Canada, notamment par la visite de certains centres du type de celui qu'il comptait établir. J'ai ensuite interrogé M. Leung sur sa connaissance des programmes et méthodes d'enseignement du Canada. Il a répondu qu'il comptait s'occuper principalement de récents immigrants au Canada auxquels il dispenserait des services de tutorat dans leur langue. Il a également déclaré avoir rapidement parcouru du matériel pédagogique canadien. Lorsque je lui ai demandé comment il allait susciter l'intérêt de clients pour son centre, M. Leung a déclaré qu'il se fiait sur des amis au Canada qui lui avaient promis de lui envoyer leurs enfants ainsi que sur le bouche à oreille. M. Leung a déclaré qu'il demanderait 12 $ (CAN) de l'heure pour les étudiants du niveau primaire et 25 $ (CAN) de l'heure pour ceux du secondaire, soit un rabais de 30% par rapport au prix courant du marché. M. Leung a estimé qu'avec ces prix, il lui faudrait 15 étudiants par jour pour atteindre le seuil de rentabilité.

L'agent des visas note ensuite que M. Leung a expliqué ne pas avoir mis sur pied un centre de tutorat à Hong Kong en raison des exigences réglementaires et des loyers élevés. L'agent des visas a ajouté ce qui suit, au paragraphe 8 :

[TRADUCTION]

À ce stade de l'entretien, j'ai signalé à M. Leung ce que sa demande soulevait comme problèmes. J'ai souligné qu'il n'avait aucune expérience en gestion d'entreprise et qu'il n'avait jamais été travailleur autonome à Hong Kong. Bien que l'expérience acquise en affaires ne constitue pas une exigence pour la catégorie des travailleurs autonomes, elle peut être un indice important de la capacité et de l'aptitude à travailler à son compte à l'avenir. J'ai relevé que Leung n'avait aucune expérience dans la promotion de ses services, comme il n'avait jamais lui-même recruté d'étudiants ni fait de publicité à cette fin. Il avait toujours travaillé au sein du système public d'enseignement ou dans des centres privés de tutorat où il ne s'occupait ni de recrutement ni de publicité. J'ai signalé à M. Leung que, même s'il avait fait des recherches sur les coûts et les exigences liés à la mise sur pied d'une entreprise au Canada, il n'avait aucune expérience dans des domaines comme la négociation de loyers, l'aménagement d'installations et l'établissement de frais de scolarité. Ce qui était particulièrement préoccupant quant à la capacité de M. Leung de s'engager dans l'activité qu'il entendait exercer au Canada, c'était sa méconnaissance des programmes et méthodes d'enseignement y ayant cours. Je m'inquiétais de la possibilité de transférer en contexte canadien les connaissances et l'expérience de M. Leung, compte tenu des différences qui existent entre les systèmes d'enseignement et les méthodes pédagogiques de Hong Kong et du Canada. D'importantes différences existent, en effet, dans les normes et pratiques d'enseignement.

M. Leung a également expliqué n'avoir jamais pu observer un service de tutorat offert aux élèves lents.

[7]                 L'agent des visas a de nouveau fait part au demandeur de ses inquiétudes quant à la capacité de ce dernier de mettre sur pied ou d'acquérir une entreprise comme celle envisagée et à sa capacité de s'engager dans l'activité qu'il entendait exercer au Canada. Le demandeur a alors informé l'agent qu'il avait suivi certains cours de gestion des affaires, qu'il savait comment promouvoir ses services, au moyen de dépliants, d'annonces publicitaires et de sites Web, en vue d'inciter les étudiants des niveaux secondaire et universitaire à apprendre le chinois et que son domaine de compétence était l'éducation spécialisée. L'agent des visas a jugé de nouveau que le demandeur n'avait pas réussi à contrer ses inquiétudes et il a rejeté sa demande.


[8]                 L'agent des visas a fait erreur, selon moi, en s'inquiétant que le demandeur n'ait pas acquis d'expérience en négociation d'un bail commercial, en aménagement d'installations et en établissement de frais de scolarité. Il est très improbable que la plupart des travailleurs autonomes aient de l'expérience en négociation d'un bail commercial. On peut s'interroger, par ailleurs, quant à l'absence d'expérience du demandeur en matière d'aménagement d'installations. L'agent a dit s'inquiéter, lors de son contre-interrogatoire, au sujet de l'achat de fournitures ou de l'acquisition de tout ce qui peut être requis pour l'exploitation d'un centre de tutorat, comme des ordinateurs de bureau, des pupitres, des chaises et des tableaux. Or, le demandeur a aidé à administrer une école et l'agent lui-même admet qu'il a dû à ce titre accomplir certaines de ces tâches. C'est toutefois au demandeur qu'incombe le fardeau de démontrer qu'il en est ainsi, et il ne peut se fier sur le fait que l'agent le déduira. Je ne partage pas le point de vue de l'agent relativement à l'inexpérience du demandeur dans l'établissement de frais de scolarité, alors que celui-ci a manifestement consenti des efforts pour savoir quels prix étaient pratiqués au Canada et a précisé qu'il prévoyait offrir un rabais de 30 pour cent pour se faire une clientèle. L'agent ne dit pas s'il estime raisonnable ou non ce rabais de 30 pour cent. Il dit tout simplement que le demandeur n'a pas d'expérience en matière d'établissement de frais de scolarité. Pour ce qui est des programmes et méthodes d'enseignement du Canada, il était raisonnable pour l'agent de conclure que le demandeur ne les connaissait pas.

[9]                 Quoique ma décision dans cette affaire aurait été différente de celle de l'agent des visas, tel n'est cependant pas le critère applicable. Ce critère est énoncé par M. le juge Pinard dans Goebel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 9 (1re inst.), au paragraphe 6 :

Vu les circonstances de cette affaire, même si j'étais porté à une conclusion différente de celle qu'a retenue l'agente des visas, il ne m'appartiendrait pas de revenir sur sa décision. Dans l'arrêt Chiu Chee To c. M.E.I. (23 mai 1996), A-172-93, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'en matière d'examen judiciaire des décisions discrétionnaires d'agents des visas concernant les demandes d'immigration, le critère à appliquer est celui qu'a énoncé la Cour suprême du Canada dans son arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 2 R.C.S. 1, dans lequel le juge McIntyre s'est prononcé en ces termes aux pages 7 et 8 :

[...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision [...]


[10]            Dans Ho c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), (1989) 27 F.T.R. 241, le juge en chef adjoint Jerome a déclaré que c'était une erreur que de trop mettre l'accent sur l'absence d'expérience du demandeur comme enseignant à son compte et qu'il s'agissait là d'un manquement à l'obligation d'agir équitablement à son endroit.

[11]            À mon avis, l'agent a bel et bien trop mis l'accent sur l'inexpérience du demandeur et il n'a pas tenu compte de son expérience en enseignement, pour ce qui est notamment du tutorat privé. Le demandeur a procédé à une étude de marché au Canada, a rencontré des comptables, a cherché un local commercial et a élaboré un plan relativement aux frais de scolarité et à la publicité. Le demandeur a également suivi des cours de formation commerciale. Il était déraisonnable pour l'agent de conclure que ces facteurs étaient éclipsés par l'absence d'expérience du demandeur comme travailleur autonome. Même si celui-ci n'a jamais négocié un bail commercial ou établi de barème de frais de scolarité auparavant, la preuve semble clairement démontrer qu'il a effectué des recherches et une planification suffisantes pour accomplir ces tâches.

[12]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il rende une nouvelle décision. La décision datée du 9 février 2000 de l'agent des visas est annulée. L'affaire doit être tranchée conformément à la Loi sur l'immigration et son règlement actuels et non en fonction de la nouvelle Loi.

    « W. P. McKeown »

                                                                                   Juge                              

TORONTO (ONTARIO)

Le 26 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1335-00

INTITULÉ :

SIU MING LEUNG

                                                              demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :

LE MARDI 13 NOVEMBRE 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE McKEOWN

DATE DE L'ORDONNANCE :

LE LUNDI 26 NOVEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. Cecil Rotenberg, c.r.

POUR LE DEMANDEUR

M. Marcel Larouche

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

United Centre

808-255, chemin Duncan Mill

North York (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 Date : 20011126

                                                                                  Dossier : IMM-1335-00

Entre :

SIU MING LEUNG

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION                

                                                                                                                         défendeur

                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                            


Date : 20011126

Dossier : IMM-1335-00

TORONTO (ONTARIO), LE 26 NOVEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. P. McKEOWN

ENTRE :

                                                  SIU MING LEUNG

                                                                                                                     demandeur

                                                                - et -

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                        défendeur

                                                    ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il rende une nouvelle décision. La décision datée du 9 février 2000 de l'agent des visas est annulée. L'affaire doit être tranchée conformément à la Loi sur l'immigration et son règlement actuels et non en fonction de la nouvelle Loi.

    « W. P. McKeown »

                                                                                                                                  Juge                                     

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

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