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                                                                                                                                 Date : 20051221

 

                                                                                                                             Dossier : T-138-05

 

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1719

 

 

ENTRE :

 

                                                               KURT HIEBERT

 

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

 

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]        Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du commissaire du Service correctionnel du Canada (le SCC) de confirmer la décision antérieure visant à transférer le demandeur de l’établissement de Warkworth (Warkworth), un pénitencier à sécurité moyenne, au pénitencier de Kingston (Kingston), un établissement à sécurité maximale.

 

Les faits

[2]        Kurt Hiebert (le demandeur), qui se trouve actuellement au pénitencier de Kingston, est un détenu sous responsabilité fédérale qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité.

 


[3]        Le 30 octobre 2003, le demandeur, qui se trouvait à Warkworth, a été mis en isolement en raison de son rôle présumé dans la sous-culture de la drogue au sein de l’établissement. On affirmait aussi que le demandeur était en possession d’un couteau artisanal dans l’établissement et qu’il menaçait les détenus.

 

[4]        L’agent de renseignements de sécurité (ARS) Simpson et l’agent de libération conditionnelle Kerr ont rencontré le demandeur dans son aire d’isolement, et le demandeur a reconnu avoir un problème de drogue et faire usage de morphine. Le demandeur voulait que son statut de détenu à sécurité moyenne soit maintenu et que l’on procède à son transfèrement vers les établissements à sécurité moyenne de Matsqui ou de Mountain, dans la région du Pacifique. Le demandeur a aussi indiqué qu’il souhaitait être admis au Programme de traitement d’entretien à la méthadone (Programme TEM). Le demandeur voulait rester en isolement jusqu’à son admission au Programme TEM ou jusqu’à son transfèrement dans la région du Pacifique.

 

[5]        L’agent de libération conditionnelle du demandeur, l’ARS Simpson et le demandeur se sont entendus pour que le demandeur reste en isolement à l’établissement de Warkworth et conserve son statut de détenu à sécurité moyenne en attendant son transfèrement vers un autre établissement à sécurité moyenne de la région du Pacifique et/ou son admission au Programme TEM. Il fut convenu que l’agent de libération conditionnelle du demandeur rédigerait un contrat de comportement pour la signature du demandeur avant sa réintégration dans la population carcérale de Warkworth.

 

[6]        Le 6 novembre 2003, le directeur de l’établissement entérinait la décision modifiant de « non sollicité » à « sollicité » l’isolement du demandeur.

 


[7]        Le 1er décembre, le directeur de l’établissement examinait la requête du demandeur, qui souhaitait être réintégré dans la population carcérale générale, et concluait qu’un contrat de comportement n’était pas une option viable pour le demandeur. Le directeur a jugé que les renseignements passés et actuels suffisaient à justifier un transfèrement dans un établissement à sécurité plus élevée. L’isolement du demandeur fut changé de « sollicité » à « non sollicité ».

 

[8]        Une évaluation en vue d’une décision fut effectuée le 17 décembre 2003, dans laquelle on concluait que la classification de sécurité du demandeur était la sécurité maximale.

 

[9]        Par suite du changement de la classification de sécurité du demandeur, le demandeur n’était plus appuyé pour un transfèrement vers les établissements à sécurité moyenne de Matsqui ou de Mountain. Le demandeur reçut plutôt un avis de transfèrement non sollicité à Kingston.

 

[10]      Le 15 janvier 2004, on procédait au transfèrement non sollicité du demandeur à Kingston.

 

[11]      Le 3 février 2004, le demandeur présentait au coordonnateur des griefs des détenus du pénitencier de Kingston un grief de second niveau pour protester contre son transfèrement à Kingston. Le grief fut reçu par l’administration régionale le 5 mai 2004.

 

[12]      Le 12 mai 2004, Louis Beausoleil, agent régional de transfèrement, recommandait que le transfèrement non sollicité du demandeur soit jugé contraire à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLSC), au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement), ou aux Instructions permanentes. M. Beausoleil a qualifié l’avis de générique et n’a trouvé aucune référence à des Rapports de renseignements protégés (RIP), à des Rapports sur les   renseignements de sécurité (RRS) ou à des rapports d’observation, mais il a exprimé l’avis que        [traduction]_« l’essentiel de cette information a été communiqué au détenu lorsque l’avis lui a été signifié ». Il a toutefois recommandé que le grief du demandeur soit admis et que le demandeur soit renvoyé à Warkworth.

 


[13]      Dans la réponse au grief de second niveau, réponse datée du 8 juillet 2004, le grief du demandeur fut admis en partie (la copie de cette décision qui a été remise au demandeur était cependant illisible). On pouvait lire dans la décision que le transfèrement n’était pas conforme à l’article 13 du Règlement (l’avis était générique et ne communiquait pas au demandeur une information suffisante sur les éléments avancés contre lui). Toutefois, la décision mentionnait qu’un avis modifié pouvait être signifié au demandeur.

 

[14]      Le 25 août 2004, le SCC signifiait au demandeur un avis modifié de transfèrement non sollicité, ainsi qu’une évaluation en vue d’une décision renvoyant aux RIP, aux RRS et aux numéros d’incidents se rapportant aux allégations dont il était l’objet.

 

[15]      Le 30 août 2004, on remettait au demandeur une copie lisible de la réponse à son grief de second niveau.

 

[16]      Le 6 septembre 2004, le demandeur décidait de présenter un grief de troisième niveau.

 

[17]      Le 29 décembre 2004, le demandeur recevait de Madeline Lévesque (représentant le commissaire) une réponse à son grief de troisième niveau, réponse qui, pour l’essentiel, rejetait le grief, bien qu’il fût relevé que l’évaluation en vue d’une décision datée du 12 décembre 2003 nécessitait quelques rectificatifs à titre d’éclaircissements.

 

[18]      La réponse confirmait la décision de fond d’élever la classification de sécurité du demandeur et de transférer le demandeur. Elle confirmait aussi la décision rendue à propos du grief de second niveau, selon laquelle les vices du premier avis de transfèrement pouvaient être corrigés par la signification d’un avis modifié renfermant les renseignements qui manquaient dans le premier avis. Sur ce point, Mme Lévesque notait :

[traduction]


Dans la réponse à votre grief de second niveau, les autorités régionales (Ontario) demandaient que l’avis de transfèrement non sollicité de l’établissement de Warkworth au pénitencier de Kingston vous soit signifié à nouveau.

 

Nous avons confirmé qu’une évaluation en vue d’une décision en la matière a été effectuée le 17 août 2004. Nous avons aussi confirmé que le Comité de gestion de l’unité a de nouveau examiné votre dossier le 20 août 2004.

 

Le même jour, le directeur Kelly approuvait votre transfèrement au pénitencier de Kingston et indiquait qu’il avait examiné l’avis de transfèrement non sollicité et pris note que vous aviez été informé de votre droit de recourir aux services d’un avocat et de votre droit de présenter une opposition au transfèrement non sollicité.

 

Nous avons confirmé cette information. Nous avons aussi relevé que vous n’avez pas présenté d’opposition à ce transfèrement et que vous avez refusé d’accepter une copie de l’évaluation en vue d’une décision datée du 17 août 2004 et de signer ledit document.

 

_Non souligné dans l’original._

 

 

 

[19]      La décision reconnaît aussi le fondement de la décision initiale de procéder au transfèrement non sollicité du demandeur à Kingston, fondement qui était le suivant :

-           le niveau de sécurité du demandeur était passé de moyen à maximum;

-           plusieurs sources dignes de foi avaient indiqué qu’il était mêlé à la sous-culture de la drogue (c’est-à-dire usage de drogue, trafic de drogue et circulation d’argent lié à la drogue);

-           il avait avoué que sa toxicomanie n’était plus maîtrisable;

-           ses antécédents; et

-           une information digne de foi indiquant qu’il avait menacé d’user de violences contre d’autres détenus tout en brandissant un couteau artisanal.

 

Points litigieux

1.         La décision de fond du commissaire de confirmer la décision antérieure de transfèrement du demandeur à Kingston était-elle manifestement déraisonnable?

 

2.         Le Service correctionnel du Canada a-t-il porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale?

 


Analyse

Dispositions légales applicables

[20]      Les dispositions applicables de la LSCMLSC sont les suivantes :

  4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

  4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

 

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

 

 

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

 

b) l’exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment des motifs et recommandations donnés par le juge qui l’a prononcée, des renseignements obtenus au cours du procès ou dans la détermination de la peine ou fournis par les victimes et les délinquants, ainsi que des directives ou observations de la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui touche la libération;

 

 

 

(b) that the sentence be carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, other information from the trial or sentencing process, the release policies of, and any comments from, the National Parole Board, and information obtained from victims and offenders;

 

c) il accroît son efficacité et sa transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d’orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu’au grand public;

 

 

 

(c) that the Service enhance its effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system, and through communication about its correctional policies and programs to offenders, victims and the public;

 

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

 

 

 

(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

 

[...]

 

 

 

. . .

 

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

 

 

 

 

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

 

   28. Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

 

 

  28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

                        (i) the safety of the public,

                        (ii) the safety of that person and other  persons in the penitentiary, and

                        (iii) the security of the penitentiary;

(b) accessibility to

                        (i) the person’s home community and family,

                        (ii) a compatible cultural environ-ment; and

(iii) a compatible linguistic environment; and

(c) the availability of appropriate programs and services and the person’s willingness to participate in those programs.

 

  29. Le commissaire peut autoriser le transfèrement d’une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l’alinéa 96d), mais sous réserve de l’article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.

 

 

  29. The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred or committed to a penitentiary to

(a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

(b) a provincial correctional facility or hospital in accordance with an agreement entered into under paragraph 16(1)(a) and any applicable regulations.

 

  30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.6).

 

 

  30. (1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).

 

  (2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’assignation d’une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

 

 

  (2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.

 

  90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

 

 

  90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

 

Question préliminaire

[21]      Selon le demandeur, l’affidavit de Brian Trainor est hors de propos dans la présente demande puisque M. Trainor n’est pas intervenu dans la décision de le transférer à Kingston.

 

[22]      Puisque cet affidavit se réfère à une preuve que n’avaient pas devant eux ceux qui ont pris la décision de transférer le demandeur à Kingston, il ne sera pas utilisé par la Cour dans la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

Décision de fond

[23]      La décision de fond de transférer un détenu ou d’accroître sa classification de sécurité  fait intervenir une question de fait concernant le risque que pose le demandeur  pour  la      sécurité  et concernant le placement pénitentiaire approprié, et telle décision doit donc être             contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir l’arrêt Sweet c. Procureur général, 2005 CAF 51, [2005] A.C.F. n° 216 (C.A.) (QL), aux paragraphes 14 et 17, où la Cour d’appel cite en les approuvant les principes établis dans la décision Tehrankari c. Service correctionnel du Canada (2000), 188 F.T.R. 206, au paragraphe 44).


[24]      En général, les tribunaux hésitent à modifier les décisions administratives des autorités pénitentiaires portant sur le transfèrement de détenus d’un établissement à un autre ou d’un niveau de sécurité à un autre. « Tant qu’il n’est pas possible de démontrer que ces décisions sont inéquitables, il faut les laisser à ceux qui ont la lourde responsabilité de préserver le bon ordre et la discipline parmi les détenus » (Hay c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 21 C.C.C. (3d) 408, page 415).

 

[25]      Le demandeur conteste un élément fondamental de la décision en faisant valoir que les allégations qui lui imputent un rôle dans le trafic de drogue et dans la violence ne peuvent être jugées crédibles puisque les autorités carcérales ne demandaient pas mieux au départ que de maintenir son statut de détenu à sécurité moyenne.

 

[26]      Je ne crois pas qu’il ait été manifestement déraisonnable pour le commissaire, au troisième niveau du grief, de confirmer les conclusions de fait des décideurs antérieurs. Une preuve étoffée montrait que le demandeur était mêlé à la drogue et à la violence, et les décideurs antérieurs étaient fondés à tirer lesdites conclusions de fait.

 

Équité procédurale

[27]      La question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité doit être examinée selon la  norme de la décision correcte (voir l’arrêt Coscia c. Procureur général, 2005 CAF 132, [2005]      A.C.F. n° 607 (C.A.) (QL), au paragraphe 33).

 

[28]      Selon le demandeur, ni la décision de le transférer à Kingston, ni la décision de lui signifier à nouveau, après l’admission de son grief de second niveau, l’avis de transfèrement non sollicité n’étaient claires et équitables ainsi que le requiert l’alinéa 4g) de la LSCMLSC.

 


[29]      Le demandeur dit que le fait de hausser sa classification de sécurité simplement parce qu’il a demandé qu’il soit mis fin à son isolement est injuste et arbitraire car aucun nouveau renseignement n’a été signalé contre lui après le 30 octobre 2003.

 

[30]      Aucun nouveau renseignement n’a été signalé après le 30 octobre 2003, mais des renseignements substantiels indiquaient que le demandeur était mêlé à la drogue et à la violence, et c’est sur la foi de ces renseignements que la décision initiale de le transférer a été prise. Puisque la décision de hausser le niveau de sécurité du demandeur et de le transférer vers un établissement plus approprié s’appuyait sur la croyance raisonnable des autorités carcérales dans la nécessité administrative d’un tel transfèrement, on ne saurait dire que la détention était arbitraire.

 

[31]      Le demandeur soutient qu’il avait le droit de savoir ce qu’on lui reprochait et que, puisqu’on ne lui a pas communiqué de renseignements utiles dans l’avis initial de transfèrement non sollicité, alors l’équité procédurale lui a été refusée.

 

[32]      Il est vrai que, puisque le transfèrement d’un détenu d’un établissement à sécurité moindre vers un établissement à sécurité supérieure constitue une punition (Collin c. Lussier, [1983] 1 C.F. 218, à la page 229), il était impératif qu’il soit suffisamment informé pour savoir ce qu’on lui reprochait. Il suffit qu’il reçoive un résumé raisonnablement détaillé des motifs du transfèrement et qu’on lui indique les grandes lignes du rapport qui a été présenté aux autorités et qui a motivé la décision des autorités (Gaudet c. Marchand, [1994] A.Q. n° 375 (C.A.) (QL)).

 

[33]      Il est vrai aussi que la décision relative au grief de second niveau disait que le demandeur n’avait pas reçu toute l’information qu’il aurait dû recevoir en application de l’article 13 du Règlement.

 


[34]      Je suis toutefois d’avis que le demandeur a tort d’affirmer qu’il n’a pas eu droit à l’équité procédurale. On lui a communiqué les détails lorsque l’avis de transfèrement et l’évaluation en vue d’une décision lui ont été signifiés à nouveau en août 2004, et il a été par la suite informé de son droit de consulter un avocat et de son droit de s’opposer à l’avis qui lui avait été à nouveau signifié de son transfèrement non sollicité à Kingston. Le demandeur a donc eu l’occasion de présenter des observations utiles en réponse à la décision proposée de le transférer à Kingston.

 

[35]      Le demandeur prétend aussi que, une fois admis son grief de second niveau, la justice fondamentale exigeait qu’il soit retourné à Warkworth, et il ajoute que le fait de laisser les autorités modifier simplement l’avis de transfèrement non sollicité et lui signifier à nouveau cet avis revient à enlever au processus de règlement des griefs toute signification dans le contexte d’un transfèrement non sollicité.

 

[36]      Comme je l’ai expliqué plus haut cependant, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à la justice fondamentale à l’égard du demandeur. Aucune réparation ne s’impose donc. Le processus de règlement des griefs est un aspect qui n’a rien à voir avec la justice fondamentale, et je ne vois rien d’injuste dans le fait que le résultat du processus soit la signification au demandeur d’un avis modifié de transfèrement non sollicité, avec les renseignements auxquels il avait droit en vertu de la LSCMLSC.

 

[37]      Même si l’on concluait qu’il y a eu manquement à la justice fondamentale dans le cas présent, le droit d’un détenu à la liberté est sensiblement amoindri et, en fait, ce droit doit être apprécié par rapport aux besoins de l’établissement en matière de sécurité (voir par exemple l’arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, aux pages 151-154).

 

[38]      Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 630 :


_..._ Il faut souligner que les cours n’interviendront pas dans tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. [...] Il ne s’agit pas de savoir s’il y a eu une violation des règles carcérales, mais plutôt s’il y a eu une violation de l’obligation d’agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour répondre à cette question : elles révèlent le degré de protection procédurale dont doivent jouir les détenus, de l’avis des autorités carcérales.

 

 

 

[39]      Le demandeur fait valoir que l’un des principes de la LSCMLSC est « l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles » et que la Directive 081 du commissaire (« Plaintes et griefs des délinquants ») donne au SCC un délai de 25 jours ouvrables pour répondre à un grief après l’avoir reçu. Le demandeur ne dit pas que le délai constitue en soi un déni de justice fondamentale, mais que, dans la présente affaire, où il a fallu sept mois avant qu’il reçoive réponse à son grief, le fait de simplement lui signifier à nouveau l’avis de transfèrement non sollicité revient à ne lui accorder aucune réparation, ce qui est injuste. Toutefois, comme je l’ai souligné précédemment, il n’y a pas eu ici manquement à la justice fondamentale.

 

Arguments fondés sur la Charte

[40]      Le droit du demandeur à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, droit garanti par l’article 7 de la Charte, est mis en cause par son transfèrement vers un établissement à sécurité plus élevée, mais il n’a pas été porté atteinte à ce droit puisque le demandeur a bénéficié de toute l’équité procédurale et de toute la justice fondamentale qui était requise pour justifier le transfèrement. Au surplus, le fait que le demandeur ait été en désaccord avec les renseignements sur lesquels était fondé le transfèrement n’équivaut pas, et ne saurait équivaloir, à une violation des principes de justice naturelle.

 

[41]      Puisque la décision du commissaire de hausser le niveau de sécurité du demandeur et de transférer le demandeur vers un établissement plus approprié est fondée sur une croyance raisonnable dans la nécessité administrative d’un tel transfèrement, il n’y a pas de détention arbitraire. Par conséquent, l’article 7 de la Charte n’est pas en cause.

 


Dispositif

[42]      Je ne crois pas que la décision du commissaire de confirmer la décision antérieure de transférer le demandeur à Kingston était manifestement déraisonnable. Je ne crois pas non plus qu’il a été porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

 

 

                                                                                                                                   _ Yvon Pinard _                          

                                                                                                                                                     Juge                                   

 

Ottawa (Ontario)

Le 21 décembre 2005

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-138-05

 

 

INTITULÉ :                                       KURT HIEBERT

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 NOVEMBRE 2005

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE PINARD

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 DÉCEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :                        

 

John Dillon                                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Jeff Anderson                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Dillon                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Kingston (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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