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Date: 20051108

Dossier : T-1302-05

Référence : 2005 CF 1516

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 8 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER                                 

ENTRE :

                                                               RICHARD CHIU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                                                     (intimé dans la présente requête)

                                                                             et

           LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                                                                                       (requérante)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente requête, formée par la défenderesse - la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) - dans le cadre du dossier de la Cour T-1302-05, vise à faire rejeter par procédure sommaire, sur la seule base de prétentions écrites, soit sous le régime de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Le dossier de la demande et le dossier de la défenderesse ont déjà été déposés. Pour ce qui concerne la présente requête, chacune des parties a déposé un dossier de requête, et la CNLC a déposé une réponse. J'ai examiné, aux fins de l'instruction de ladite requête, toutes les pièces déposées jusqu'à maintenant.


[2]                Le demandeur, M. Richard Chiu, a obtenu une libération conditionnelle totale le 4 juillet 2003. Par la suite, cependant, sa liberté conditionnelle a été révoquée. Il conteste cette révocation et, apparemment en vue de bénéficier à nouveau d'une libération conditionnelle totale, il a déposé une demande de contrôle judiciaire d'une lettre en date du 4 juillet 2005, portant la signature de S. Réhel, fonctionnaire de la Division d'appel à la CNLC.

[3]                La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avant la tenue d'une audience, au motif qu'elle n'a aucune chance d'être accueillie ou qu'elle est devenue sans objet du fait des événements qui ont suivi son dépôt. Pour les motifs dont l'exposé suit, j'ai conclu que la CNLC était fondée en sa requête.

[4]                Voici la suite des événements importants relatifs à la révocation de la liberté conditionnelle du demandeur :

1.          En février ou mars 2005, le demandeur, qui bénéficiait d'une liberté conditionnelle totale depuis le 4 juillet 2003, a été remis en détention.

2.          Le 23 mars 2005, l'agent de libération conditionnelle a déféré le dossier du demandeur à la CNLC, avec une « Évaluation en vue d'une décision » datée du 22 mars 2003.


3.          Après un ajournement sollicité par le demandeur et le rejet d'une autre demande d'ajournement, la CNLC a tenu une audience postsuspension le 8 juin 2005, en l'absence du demandeur, qui a refusé de s'y présenter.

4.          Le 10 juin 2005, la CNLC a confirmé la révocation de la liberté conditionnelle du demandeur (la décision de révocation du 10 juin).

5.          Le 23 juin 2005, le demandeur a interjeté appel de la décision de révocation du 10 juin auprès de la Division d'appel, sous le régime de l'article 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC).

6.          Le 30 juin 2005, l'avocat a adressé à la Division d'appel une lettre lui demandant quand elle prévoyait de rendre une décision.

7.          Le 4 juillet 2005, S. Réhel, commis à la Division d'appel, a répondu à la lettre du 30 juin dans les termes suivants :

[TRADUCTION] Je désire vous informer que le cas de M. Chiu est encore à l'étude, son audience étant prévue pour le 7 juillet 2005. Je me vois donc, à mon grand regret, dans l'impossibilité de vous donner la date précise à laquelle une décision sera rendue. Nous administrons les dossiers suivant l'ordre chronologique de la réception des demandes. Je peux seulement vous assurer encore une fois que le cas de M. Chiu fera l'objet d'une décision aussitôt que possible compte tenu de la charge de travail actuelle de la Division d'appel.

8.          À la clôture de l'audience postrévocation, tenue le 7 juillet 2005, la CNLC a confirmé la décision de révoquer la libération conditionnelle totale du demandeur (la décision postrévocation du 7 juillet).


9.          Le 30 septembre 2005, la Division d'appel a rejeté l'appel de la décision de révocation du 10 juin interjeté par le demandeur (la décision de la Division d'appel).

[5]                La défenderesse fonde la présente requête en rejet par procédure sommaire sur la thèse que la « décision » du 4 juillet 2005 n'est pas une décision proprement dite, susceptible de contrôle judiciaire.

[6]                En général, la Cour est peu disposée à radier un avis de demande de contrôle judiciaire. Elle s'estime cependant fondée à le faire dans les cas où la demande est « manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] » : Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, au paragraphe 15. De même, la Cour peut rejeter sommairement la demande de contrôle judiciaire si elle est devenue sans objet : Fogal et al. c. Canada et al. (1999), 167 F.T.R. 266 (C.F. 1re inst.), conf. par (2000), 258 N.R. 97 (C.A.F.), autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. refusée (2001), 273 N.R. 400n.


[7]                L'examen du dossier du demandeur et du dossier de requête me convainc que la demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie. Contrairement à ce que le demandeur affirme dans le dossier de requête, la lettre du 4 juillet 2004 n'était pas une décision selon laquelle la CNLC avait compétence pour tenir une « audience postrévocation » . Cette lettre est sensiblement différente de celles que la Cour a examinées dans Larry Holdings Ltd. (exploitant une entreprise du nom de Quickie Convenience Stores) c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 541 (C.F. 1re inst.), où il s'agissait d'une « directive » du défendeur sommant le demandeur de cesser des activités déterminées sous peine de sanctions, ou dans Markevich c. Canada (1re inst.), [1999] 3 C.F. 28 (C.F. 1re inst.), où il s'agissait d'une lettre par laquelle un fonctionnaire de Revenu Canada, habilité à le faire par la Loi de l'impôt sur le revenu, informait le demandeur qu'il devait 770 583,42 $ à l'État en impôts impayés.

[8]                Le demandeur définit la lettre du 4 juillet comme une « décision » selon laquelle la CNLC avait compétence pour tenir l'audience du 10 juin, pour rendre la décision de révocation du 10 juin et pour tenir l'audience postrévocation du 7 juillet 2005 - tout cela dans le cadre de la thèse de l'incompétence pour tenir l'audience du 10 juin. Cette définition est de toute évidence erronée. Premièrement, le commis en question ne serait pas habilité par la législation applicable à trancher de telles questions. En outre, considérée dans son ensemble, cette lettre n'est manifestement rien de plus qu'une simple réponse à la demande de renseignements de l'avocat sur l'état d'avancement de la procédure d'appel. Elle répond à la définition de la lettre de courtoisie qu'a donnée la juge Reed dans Kourtchenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 146 F.T.R. 19 (C.F. 1re inst.), et ne constitue donc pas une « décision » qui pourrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire.


[9]                En outre, même si cette lettre pouvait être interprétée comme une « décision » , toute question qui en découle est maintenant sans objet, puisque la Division d'appel, dans ce que nous avons désigné « la décision de la Division d'appel » , a instruit et rejeté l'appel de la décision de révocation du 10 juin.

[10]            Si, comme le demandeur l'affirme, la Division d'appel a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par la lettre du 4 juillet, la marche à suivre serait de demander à la Cour le contrôle judiciaire de la décision de la Division d'appel. Il était prématuré de contester la lettre du 4 juillet avant que la Division d'appel n'eût rendu une décision. Autre preuve de l'absence de fondement de l'argumentation du demandeur : la Division d'appel a noté dans sa décision du 30 septembre 2005 que l'audience postrévocation du 7 juillet outrepassait les dispositions de la LSCMLC. Autrement dit, la Division d'appel a reconnu que, conformément à la thèse du demandeur, la CNLC n'avait pas compétence pour tenir l'audience du 7 juillet. Cette conclusion particulière de la Division d'appel non seulement tranche les questions que met en litige la demande dont la Cour est saisie, mais constitue aussi une preuve irrésistible que la lettre du 4 juillet n'était pas une décision, mais une simple réponse de courtoisie.

[11]            La présente demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie, au motif que la lettre du 4 juillet n'est pas une « décision » susceptible de contrôle judiciaire. Subsidiairement, la décision de la Division d'appel a rendu cette demande sans objet. En conséquence, la requête sera accueillie, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, et les dépens seront adjugés à la CNLC.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête de la défenderesse est accueillie.

2.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.          Les dépens sont adjugés à la défenderesse du début à la fin.

         « Judith A. Snider »       

         Juge                     

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1302-05

INTITULÉ :               RICHARD CHIU

et

LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                               LE 8 NOVEMBRE 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Donna M. Turko                                               POUR LE DEMANDEUR

Esta Resnick                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donna M. Turko                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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