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Date : 19981130


Dossier : IMM-5332-97

Entre :

     EBER ISAAC GARCIA ESPINA

     EBER VINICIO GARCIA MARTINEZ

     CRISTIAN ESTUAR GARCIA MARTINEZ

     CAROLIA PATRICIA MARTINEZ MOTTA DEGARCIA

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue le 27 novembre 1997 par Kofi Sordzi et Jean Prévost, membres de la Section du statut de réfugié, dans les dossiers M97-01119, M97-01121, M97-01122, M97-01124 suivant l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration.

LES FAITS

[2]      Le demandeur principal, monsieur Eber Isaac Garcia Espina, allègue avoir une crainte bien fondée de persécution dans son pays en raison de ses opinions politiques imputées et de son appartenance à un groupe social: celui des gens qui sont victimes d"extorsion et/ou de chantage. L"épouse et ses deux enfants basent leur demande sur celle du demandeur principal en tant que membres de la famille.

[3]      Le demandeur principal a été désigné représentant de son fils Cristian Estuar.

[4]      Les demandeurs sont citoyens du Guatémala et essentiellement le demandeur a allégué avoir été victime d"extorsion auprès des membres de l"organisation révolutionnaire du peuple armé ou (RPA) un groupe de guérillas.

[5]      La Section du statut, après avoir examiné la preuve présentée par les demandeurs et la preuve documentaire, a conclu que le témoignage du demandeur n"était pas crédible et qu"en plus, ces prétendus problèmes d"extorsion n"était pas liés à ses opinions politiques ou à son appartenance à un groupe social.

[6]      En conséquence, la Section du statut a rejeté la revendication des demandeurs et a conclu à l"absence de minimum de fondement conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l"immigration.

[7]      Il apparaît important de prendre connaissance des motifs précisés par le tribunal:

             Selon le tribunal, le demandeur n"a pas établi qu"il existe un lien quelconque entre l"extorsion dont lui-même, son père et son parrain auraient été victimes et le motif d"appartenance à un groupe social. Le demandeur a été victime d"extorsion parce que, selon son témoignage, il était fortuné. Il possédait des autobus et une ferme. Il a été victime d"extorsion à cause de l"argent que lui rapportaient ses affaires. Le tribunal conclut également que le demandeur n"a nullement été extorqué à cause des ses opinions politiques mais plutôt à cause de sa réussite financière.1             

[8]      Le tribunal dans sa décision a fait une analyse détaillée des faits qui lui ont été présentés par les demandeurs et en arrive à la conclusion suivante:

             En l"espèce, les témoignages des demandeurs sont truffés de contradictions et d"éléments qui font que le tribunal ne peut pas conclure qu"ils sont des témoins crédibles.2             

[9]      Comme le tribunal conclut que les demandeurs n"ont pas établi un lien quelconque entre l"extorsion et le motif d"appartenance à un groupe social, ayant pour ce faire, consulté les trois catégories de groupes sociaux énumérés par la Cour suprême dans l"arrêt Ward ; le tribunal conclut que les revendications n"ont pas de minimum de fondement.

[10]      Le procureur des demandeurs a argumenté à l"effet que bien que la Commission conclut que "En l"espèce les témoignages des demandeurs sont truffés de contradictions et d"éléments qui font que le tribunal ne peut pas conclure qu"ils sont des témoins crédibles", la Commission n"explique pas en quoi consiste les contradictions et quels étaient les éléments sur lesquels repose leur conclusion de non crédibilité des revendications.

[11]      Le procureur des demandeurs ajoute que pendant l"audition les commissaires ont eu des préjugés face au témoignage des revendicateurs et qu"ils ont fait des erreurs flagrantes dans l"appréciation de la preuve présentée devant eux, notamment la preuve documentaire déposée par l"agent d"audition, notamment le "Country Reports on Human Rights Practices 1996 et le rapport d"Amnesty International pour 1997".

[12]      Plus loin, le procureur des demandeurs cite la décision Ahortor c. Canada (Min. of Employment & Immigration)3. Dans cette décision la Cour fédérale a statué que "le tribunal a le devoir d"énoncer de façon claire et non ambiguë les raisons pour lesquelles il en vient à douter de la crédibilité d"un demandeur. De plus, le tribunal agit de façon arbitraire s"il décide de ne pas croire le témoignage d"un demandeur lorsqu"il n"existe aucune bonne raison de mettre ce témoignage en doute".

[13]      Finalement, le procureur des demandeurs allègue que les commissaires ont mal statué sur les motifs d"extorsion et, à cet effet, le procureur réfère aux allégations du revendicateur à l"effet qu"il était extorqué par la guérilla "pour continuer la lutte" ajoutant "qu"il est bien connu que la guérilla est formée par des groupes militaires avec programme politique, leur but étant de conquérir le pouvoir d"État. En général, leur orientation politique est de gauche. Le fait d"Y [sic] s"opposer équivaut a une opinion politique".

[14]      Quant au procureur du défendeur, il soutient d"entrée de jeu que plusieurs éléments dans la preuve appuient la conclusion du tribunal à l"effet que les demandeurs n"étaient pas crédibles.

[15]      Le procureur du défendeur allègue d"abord que les demandeurs ont séjourné aux États-Unis pendant huit jours et bien que ce pays soit signataire du "Protocole 1967 relatif au statut des réfugiés", les demandeurs n"y ont pas revendiqué le statut de réfugié.

[16]      Plus loin, le procureur du défendeur reprend plusieurs éléments de la preuve présentée par les demandeurs et la preuve documentaire et en fait une analyse pour démontrer que la Section du statut n"a pas fait d"erreur dans l"appréciation de la preuve qui lui était présentée et que la Section du statut était bien fondée de conclure qu"il y avait plusieurs contradictions.

[17]      C"est en fait la Section du statut qui a le privilège d"apprécier la preuve présentée devant elle; le procureur du défendeur réfère à l"arrêt Owusu4 et le commentaire de l"honorable juge Wetston, à la page 2 de sa décision:

While the applicant argues that the Board misconstrued documentary evidence, erred in fact, and erred by requiring that the applicant"s testimony be corroborated by documentary evidence, I am of the opinion that there is no basis which warrants this court"s intervention. The Board is entitled to assess and weigh the evidence before them. While an applicant"s sworn viva voce testimony gives rise to a presumption of validity, in the appropriate case, that presumption can be rebutted. Given the nature and timing of the applicant"s political activity and subsequent detention, and given the nature of the documentary evidence, in this instance, the Board was of the opinion that it was reasonable to expect that corroborating reports might be available to substantiate the applicant"s allegations. While the board did not make explicit findings regarding implausibility or contradictory statements regarding the applicant"s evidence, the board did find that the applicant"s testimony was not consistent with the documentary evidence that it relied upon in making its decision. Despite the fact that the board could have been clearer from the perspective of assessing the change in country conditions as they relate to a well-founded fear of persecution, the court is of the opinion that no reviewable error was committed by the Board.

[18]      Le procureur du défendeur conclut sur cet aspect que l"intervention de la Cour n"est pas justifiée quant à la crédibilité des témoins puisque le demandeur ne s"est pas acquitté d"après lui du lourd fardeau qui lui incombait de démontrer que les conclusions de la Section sont soit perverses, soit capricieuses et rendues sans considération de la preuve telle qu"établie par la jurisprudence.5

[19]      Quant à l"absence de lien avec la Convention, le procureur du défendeur soutient que la Section du statut était bien fondée de considérer que les problèmes du demandeur n"étaient pas liés à ses opinions politiques ou à son appartenance à un groupe social et que le demandeur avait été victime d"extorsion en raison du fait qu"il était fortuné.

[20]      Le procureur du défendeur soumet que suivant la jurisprudence, les victimes d"extorsion ne constituent pas en soit un groupe social et que, par exemple, dans l"affaire Soberanis6, le juge Tremblay-Lamer a conclu que les propriétaires de petites entreprises victimes d"extorsion au Guatémala ne forment pas un groupe social.

[21]      Plus loin, le procureur du défendeur nous réfère au commentaire du juge LaForest dans l"arrêt Ward7. Dans cette décision de la Cour suprême du Canada, l"honorable juge LaForest cite une décision rendue par la Cour suprême des États Unis qui s"avère être très pertinente en l"espèce puisqu"il s"agit également d"un citoyen du Guatémala qui craignait d"être persécuté par les guérilleros antigouvernementaux.

             L"opportunité d"appliquer ce motif aux faits de l"espèce est confirmée lorsqu"on met cette affaire en contraste avec un arrêt récent de la Cour suprême des États-Unis portant sur un point similaire. Dans INS c. Elias-Zacarias , 112 S.Ct 812 (1992), un demandeur guatémaltèque avait demandé l"asile parce qu"il craignait d"être persécuté par les guérilleros antigouvernementaux à la suite de son refus de joindre leurs rangs. Le juge Scalia, qui s"est exprimé au nom de la majorité, n"était pas convaincu que le motif du demandeur, ou celui que les guérilleros lui attribuaient, avait un fondement politique. Il déclare ceci, aux pp. 815 et 816:             

[TRADUCTION] Même une personne qui appuie un mouvement de guérilla pourrait refuser d"être recrutée pour diverses raisons -- la peur de se battre, le désir de demeurer avec sa famille et ses amis, le désir de mieux gagner sa vie dans la vie civile, pour n"en mentionner que quelques-unes. En l"espèce, non seulement le dossier ne faisait pas état d"un motif politique de la part d"Elias-Zacarias, mais encore il indiquait plutôt le contraire. Elias-Zacarias a témoigné qu"il refusait de se joindre aux guérilleros parce qu"il craignait que le gouvernement n"exerce des représailles contre sa famille et lui-même s"il le faisait. Il n"y a pas non plus d"indication (à supposer, aux fins de la discussion, que cela suffise) que les guérilleros croyaient à tort que le refus d"Elias-Zacarias avait un fondement politique. [En italique dans l"original.]

[22]      Finalement, le procureur du défendeur en arrive à la conclusion que si la Section du statut considère que les demandeurs n"étaient pas crédibles, elle pouvait conclure à l"absence du minimum de fondement de leur revendication. Le procureur réfère à la décision Sheikh et à la décision Mathiyabaranam.8

[23]      De plus, le procureur du défendeur ajoute que même si la preuve des demandeurs avait été crédible, il n"y a aucun lien entre leur crainte et les motifs prévus à la Convention.

[24]      Après la révision de la preuve présentée tant testimoniale que documentaire devant la Section du statut, les conclusions auxquelles en sont arrivés les membres de la Section du statut n"étaient pas à mon avis déraisonnable.

[25]      En cela je réfère à l"honorable juge Robert Décary dans la cause Kumar ,9

Il appartenait au tribunal de tirer ses propres conclusions quant aux contradictions décelées dans le témoignage, tout comme il appartenait d"apprécier la plausibilité du récit. Il l"a fait d"une manière qui ne justifie pas l"intervention de cette Cour.

[26]      Quant aux motifs reliés à la Convention, il m"apparaît très clair que les problèmes du demandeur n"étaient pas liés à ses opinions politiques ou à son appartenance à un groupe social et que le demandeur a été victime d"extorsion en raison du fait qu"il était fortuné.

[27]      Il est important d"ajouter que je dois rejeter également l"allégation du procureur du demandeur à l"effet que lorsqu"un individu refuse d"obtempérer à une demande d"extorsion de la part de membres de la guérillas, le fait pour ces personnes de s"opposer à des gens qui poursuivent un objectif politique équivaut à une opinion politique. Quant à moi, cette prétention doit être rejetée.

[28]      Il m"apparaît important, à ce stade-ci, de citer l"honorable juge Jerome dans le dossier Karpounin10 à la page 221:

I am not prepared to set aside the Board"s decision. It was reasonably open to the Board to find that the applicant was subject to extortion resulting from his financial success and that this was not related to political opinion or membership in a particular social group.

[29]      Il est intéressant de noter les commentaires du juge Reed dans le dossier Valerrama11:

His claim for such status is based on membership in the social group of "successful businessmen opposed to corruption and unwilling to pay bribes". He claims he was persecuted and will face persecution in Venezuela because of his political opinion, which opinion is that he believes in the rule of law and opposes corruption.

[...]

I do not read that decision in the same way that counsel for the applicant does. In my view, there is a fundamental error in counsel"s argument when he describes the group to which the applicant belongs as "successful business men who also oppose corruption". The facts disclose that it is "successful businessmen" who are being subjected to persecution (extortion). The group targeted for extortion includes not only those opposed but also those not opposed to corruption (or those who pay even though they may be opposed). The persecutory acts (extortion) are not directed solely or primarily at those opposed to corruption. There is simply no nexus between the class that is the subject of the extortion and a Convention social group. The Board understood that this was the case and that was the essence of its decision.

I turn then to the argument based on persecution as a result of a political opinion. That argument falls on the same ground as that based on being a member of a social group. The evidenciary basis of the claim does not support the argument that the persecution arises because of opposition to corruption. Extortion is visited on all those successful business people who are targeted. One can frame this differently, as counsel for the respondent has done, and say that it was made clear in Ward that the relevant consideration is the perception of the alleged persecutor, not the fact that the applicant considers his stand against violence and corruption to be political. The alleged persecutor is not targeting the applicant because he is opposed to corruption but because he is a successful businessman who has money.

[30]      Cette analyse par l"honorable juge Reed s"applique bien au présent dossier et j"en arrive aux mêmes conclusions.

[31]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[32]      Aucun des deux procureurs n"ayant suggéré une question pour certification, aucune question ne sera certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 30 novembre 1998

__________________

1      Décision du tribunal, page 3.

2      Décision du tribunal, page 3.

3      (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 39, 65 F.T.R. 137 (C.F., 1ère instance).

4      Owusu c. M.C.I., IMM-2422-94, 4 mai 1995, (C.F.).

5      Aguebor c. M.E.I., (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.);          Ismaeli c. M.C.I., IMM-2008-94, 11 avril 1995, (C.F.).

6      Soberanis c. M.C.I., IMM-401-96, 8 octobre 1996, (C.F.).

7      Canada (P.G.) C. Ward, [1883] 2 R.C.S. 689, p. 749.

8      Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238, (C.A.F.);          M.E.I. c. Mathiyabaranam, A-223-95, 5 décembre 1997.

9      Kumar c. M.E.I., A-1294-91, 4 mars 1993, (C.A.F.).

10      Karpounin c. M.E.I., (1995), 92 F.T.R. 219, (C.F.).

11      Valderrama c. M.C.I., IMM-444-98, 5 août 1998, (C.F.).

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