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Date : 20040922

Dossier : T-2117-03

Référence : 2004 CF 1304

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2004

en présence de Monsieur le juge James Russell                         

                                                                             

ENTRE :

                                                             THOMAS POWELL

                                                                             

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur les alinéas 18(1)a), 18.1(3)a) et b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7, de la décision (la décision) de la commissaire du Service correctionnel du Canada (la commissaire), empêchant M. Powell, le demandeur incarcéré, de recevoir une prescription médicale de clonazépam (le clonazépam), médicament dont il a besoin, prétend-il, pour traiter efficacement ses troubles anxieux et panique.


LES FAITS

Généralités

[2]                Le demandeur, détenu fédéral depuis le mois de mai 2001, purge une peine d'emprisonnement de 9,5 ans pour diverses infractions. Il est actuellement détenu à l'établissement de Bath, établissement à sécurité minimale situé à Bath (Ontario), qui relève de l'autorité de la commissaire.

[3]                Le demandeur prie la Cour d'obliger le Service correctionnel du Canada (SCC) à autoriser la prescription d'un certain sédatif. À son avis, le SCC a l'obligation légale de lui prescrire le médicament clonazépam (ou Rivotril) et il a commis une erreur en adoptant des politiques qui interdisent à ses médecins d'en prescrire.

[4]                Le demandeur souffre d'anxiété aiguë et de trouble panique depuis le 4 avril 1987 : il était alors âgé de 29 ans. La première fois qu'il a perdu connaissance remonte à cette époque. Il présente notamment des épisodes d'agoraphobie, de panique, d'anxiété, d'hyperventilation, d'insomnie et de palpitations. Il souffre encore à ce jour de ce trouble débilitant.


[5]                Entre 1987 et mai 2001, plusieurs médecins et psychiatres ont traité le demandeur pour sa maladie mentale. Il allègue que le médicament de choix de ces quelque neuf différents médecins pour traiter son trouble consistait en l'une des classes de benzodiazépines dans laquelle figure le clonazépam.

[6]                Il indique que même si le clonazépam lui avait été prescrit pendant plus de treize ans pour traiter sa maladie, ce médicament lui a été refusé dès le début de son incarcération en établissement fédéral en mai 2001 à l'établissement Millhaven, ce qui l'a poussé à faire une tentative de suicide en juillet 2001.

[7]                Le demandeur dit que les médecins ont prescrit le clonazépam pour ses problèmes en dépit des effets indésirables et des risques pouvant être associés à une consommation prolongée. Selon lui, l'emploi prolongé du médicament peut être indiqué pour certaines personnes. Des médecins du SCC et d'autres médecins indépendants l'ont informé, dit-il, qu'il était l'une de ces personnes.

[8]                Le demandeur indique que la décision d'interrompre tout traitement par clonazépam chez les détenus fédéraux a été prise en vertu d'une règle énoncée dans un « formulaire » de SCC. Ce formulaire prévoit, [traduction] « le sevrage progressif [...] lorsque l'emploi prolongé des benzodiazépines n'est pas indiqué » . Il recommande également aux cliniciens de s'en tenir aux plus faibles doses thérapeutiques de benzodiazépine et aux traitements les plus brefs, en fonction de l'état clinique du patient.


Historique de l'incarcération

[9]                Le 5 juin 2000, le demandeur a commis les infractions d'enlèvement perpétré avec une arme à feu, d'agression sexuelle armée (perpétrée avec une arme à feu), de séquestration, d'avoir proféré des menaces de mort (deux chefs), d'avoir fait usage d'une arme à feu lors de la perpétration d'une infraction, d'avoir braqué une arme à feu sur une autre personne (deux chefs) et de possession d'une arme à feu interdite.

[10]            La journée même de son inculpation pour les infractions énumérées précédemment, il a été arrêté et placé en détention à la prison de Whitby, établissement administré par la province d'Ontario.

[11]            Le 29 juin 2000, il a été admis à l'unité d'évaluation médico-légale du Centre de santé mentale de Whitby en vue d'une évaluation de son aptitude et de sa responsabilité criminelle. Il a été évalué par le Dr Jonathan Rootenberg et Mme Gina Turco, travailleuse sociale. Le Dr Rootenberg a conclu que le demandeur était apte à subir son procès et criminellement responsable des infractions qui lui étaient reprochées.

[12]            On l'a renvoyé à la prison de Whitby le 28 juillet 2000. Il y a été détenu jusqu'à la tenue de son procès en mai 2001.

[13]            Le 9 mai 2001, le demandeur a été reconnu coupable des neuf accusations énumérées précédemment et condamné à une peine d'emprisonnement nette de sept ans et huit mois.

[14]            À la suite de sa condamnation, il est devenu un détenu fédéral et a été transféré à l'établissement Millhaven. Il y est demeuré jusqu'en décembre 2001.

[15]            Le demandeur a été transféré à l'établissement Joyceville en décembre 2001, où il est demeuré jusqu'à son départ vers l'établissement de Bath en mai 2003.

Rivotril, clonazépam et benzodiazépines

[16]            Avant son incarcération, le demandeur prenait du clonazépam (Rivotril) depuis plusieurs années. Rivotril est le nom commercial du médicament connu sous le nom scientifique de « clonazépam » . Le clonazépam appartient à une classe de médicaments psychothérapeutiques, anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques appelés benzodiazépines.

[17]            Selon le Dr Oliver, psychiatre au centre régional de traitement situé à Kingston (Ontario) et employé du SCC, les benzodiazépines peuvent avoir de nombreux effets indésirables, notamment :

a)              effet sédatif généralisé, par ex. fatigue ou somnolence;

b)             dysfonctionnement comportemental caractérisé par une irritabilité et une impulsivité; agitation paradoxale - insomnie, hallucinations, cauchemars, euphorie, rage et comportement violent; ces problèmes risquent davantage de survenir chez les patients ayant des antécédents de comportement violent ou d'instabilité affective, p. ex. personnalité limite (borderline);


c)              confusion et désorientation, particulièrement si elles sont associées à d'autres médicaments;

d)             dépression;

e)              amplification des effets de l'alcool et d'autres drogues;

f)              mort, lorsqu'elles sont associées à d'autres drogues ou médicaments, comme l'alcool et les barbituriques.

[18]            Selon le Dr Oliver, les benzodiazépines sont généralement contre-indiquées chez les personnes détenues en établissement pénitentiaire et peuvent être préjudiciables aux détenus qui ont des antécédents de comportement violent, de consommation abusive de drogues et d'alcool, de pharmacodépendance ou des antécédents d'automédication.

[19]            La consommation chronique de benzodiazépines peut entraîner des effets indésirables comme des problèmes de concentration, des troubles de la mémoire, des déficits cognitifs et une dépendance.

Consommation de clonazépam avant l'incarcération en établissement fédéral

[20]            Avant son incarcération, le demandeur était traité par un certain nombre de médecins, dont plusieurs lui ont prescrit du clonazépam.

[21]            Dans son affidavit, le demandeur allègue que le clonazépam a beaucoup soulagé ses symptômes et lui a permis de mener une vie plus normale, en l'absence d'effets indésirables graves. Toutefois, le dossier révèle que le demandeur se plaignait constamment d'accès d'anxiété au cours de la période pendant laquelle il était traité par clonazépam. Il a même indiqué à plusieurs reprises que le clonazépam ne le soulageait pas. La preuve démontre également, comme nous le verrons plus loin, que le demandeur faisait une consommation abusive de clonazépam.

[22]            Au moment où il a été admis à l'établissement provincial de Whitby en 2001, le demandeur a dit à Mme Turco qu'il avait été le patient du Dr Sagi de l'hôpital général d'Oshawa [traduction] « pendant trois ans sans qu'aucun changement se produise, mon état s'est dégradé » . Le Dr Sagi lui avait prescrit du clonazépam.

[23]            En mai 2000, le demandeur a consulté un certain Dr Rajendra à Whitby et lui a dit qu'il prenait un milligramme de clonazépam trois fois par jour mais qu'à son avis, cela [traduction] « ne réglait rien » . Pendant cette période, le demandeur a signalé qu'il avait quotidiennement de nombreuses crises de panique au cours desquelles il souffrait d'étourdissements, d'hyperventilation, de palpitations et de gêne thoracique. Il a dit qu'il prenait entre six et huit milligrammes de clonazépam par jour auparavant.

[24]            Le demandeur a dit à Mme Turco qu' [traduction] « ils avaient déjà tenté un sevrage du Rivotril [clonazépam] » . Comme nous le verrons plus loin, il lui a également dit qu'il avait recommencé à boire à cause des accès d'anxiété.

[25]            Les renseignements concernant son traitement à l'établissement de Whitby qui figurent dans le dossier médical démontrent que le 18 août 2000, le demandeur s'est plaint d'étourdissements et d'anxiété, et s'est dit mécontent de prendre le même médicament depuis treize ans. Le médicament [traduction] « n'apportait aucun soulagement et il voulait autre chose » . Le 24 août 2000, toujours traité par clonazépam, il s'est plaint d'anxiété, d'insomnie, et il a dit que [traduction] « rien ne le soulageait » . Le 19 septembre, il s'est plaint encore une fois d'éprouver beaucoup d'anxiété.

Consommation abusive d'alcool et de drogues

[26]            Le demandeur a de longs antécédents de consommation abusive d'alcool et de drogues, y compris les benzodiazépines. Il a fait l'objet de diagnostics d'alcoolisme, de toxicomanie et de troubles de dépendance à maintes reprises.

[27]            En mars 1987, il a été reconnu coupable d'avoir conduit alors que son alcoolémie était supérieure à quatre-vingts milligrammes.

[28]            Au moment où il a été admis à l'unité d'évaluation médico-légale du Centre de santé mentale de Whitby le 29 juin 2000, le demandeur a indiqué au Dr Jonathan Rootenberg que, trois ou quatre semaines auparavant, il avait pris plus de comprimés qu'il n'aurait dû. Il a également dit au Dr Rootenberg qu'il avait rédigé lui-même ses ordonnances de clonazépam. Il a également affirmé à Gina Turco, travailleuse sociale, qu'il avait déjà fait une tentative de suicide en absorbant une surdose de médicaments de prescription.

[29]            Par ailleurs, le demandeur a indiqué au Dr Rootenberg qu'il buvait [traduction] « presque tous les jours, du moins depuis les derniers mois » . Il a dit la même chose à Mme Turco, ajoutant qu'il [traduction] « ne pouvait plus contrôler » sa consommation d'alcool et ne savait pas exactement quelle quantité il consommait. Il a indiqué qu'il avait bu dans la matinée précédant les événements qui l'ont mené à un verdict de culpabilité. Il a dit au Dr Rootenberg et à Mme Turco qu'il avait recommencé à boire à cause des accès d'anxiété. Il était traité par clonazépam au cours de cette période.

[30]            Le Dr Rootenberg a obtenu des renseignements du Dr Sagi, lequel avait traité le demandeur de mars 1990 à janvier 1991. Selon ce dernier, la dernière fois que le demandeur l'a consulté en 1991, il a minimisé sa consommation d'alcool. Le Dr Sagi a discuté avec le demandeur de la nécessité de limiter sa consommation d'alcool pour enrayer plus efficacement les symptômes d'anxiété. Le Dr Sagi était également d'avis que le demandeur adoptait un comportement compulsif de « recherche de médicaments » .


[31]            Le Dr Rajendra a rapporté au Dr Rootenberg les propos du demandeur concernant sa consommation excessive d'alcool dans le passé.

[32]            Le Dr Rootenberg a diagnostiqué chez le demandeur une consommation abusive d'alcool, une dépendance aux benzodiazépines et un trouble panique avec agoraphobie.

[33]            Lors d'une entrevue avec un psychologue du SCC en novembre 2001 ou vers cette date, le demandeur a admis qu'en 1987, par suite de son trouble anxieux, il a commencé à boire et a emprunté à des amis des sommes d'argent importantes pour acheter de l'alcool. Il a également admis qu'il a développé une forte dépendance à l'alcool lorsque les crises de panique ont commencé. Il avait passé de nombreuses heures dans les bars, conduit en état d'ébriété et été mêlé à des bagarres.

[34]            Le psychologue a administré deux tests de dépistage, le premier relativement à l'abus de drogue, et le second, à l'abus d'alcool. Les résultats indiquaient un problème dans les deux cas.

[35]            Une infirmière psychiatrique autorisée a interrogé le demandeur au moment où il a été admis au centre régional de traitement de Kingston en juillet 2001. Selon les notes de l'infirmière, il a dit qu'il souffrait depuis longtemps de trouble panique/anxieux, traité à l'aide de benzodiazépines, et qu'il consommait de l'alcool à titre d' « automédication » . Selon les notes, il a admis consommer les deux substances de façon abusive.


[36]            En contre-interrogatoire, le demandeur a nié avoir fait ces déclarations.

[37]            Dix jours plus tard, après son admission au centre régional de traitement fédéral (CRT), le demandeur a été examiné par un médecin à la clinique du CRT de Kingston et a admis qu'il consommait de l'alcool en grande quantité avant son incarcération.

[38]            Le 12 août 2001, le demandeur a admis à une infirmière psychiatrique autorisée du CRT qu'il avait eu une [traduction] « dépendance à la benzo impossible à maîtriser à l'extérieur » .

[39]            Le 28 octobre 2002, le Dr Oliver a diagnostiqué chez le demandeur un [traduction] « trouble anxieux généralisé avec panique » et des « antécédents de dépendance/d'abus à l'égard de médicaments de prescription (benzodiazépine) » .

[40]            Le 31 décembre 2002, au cours de sa troisième visite au CRT, le demandeur a demandé une consultation avec la Dre Michelle Boyd. D'après les notes de cette dernière, le demandeur lui aurait dit qu'il souffrait depuis longtemps de trouble panique et d'anxiété généralisée, problèmes qu'il tentait d'atténuer en consommant de l'alcool et des médicaments de prescription de façon abusive.

[41]            La Dre Boyd a diagnostiqué chez le demandeur un trouble d'anxiété généralisée et une dépendance à plusieurs substances (alcool et benzodiazépines).


Traitement médical en établissement fédéral

[42]            Pendant son incarcération en établissement fédéral, le demandeur a séjourné au centre régional de traitement du SCC à trois reprises :

a)          du 20 juillet 2001 au 31 octobre 2001;

b)          du 11 février 2002 au 25 mars 2002;

c)          du 13 novembre 2002 au 28 mai 2003.

[43]            Le demandeur a initialement été admis au CRT le 20 juillet 2002 à cause de son anxiété et d'éventuelles idées suicidaires. Au moment de son admission, il a nié toute intention ou pensée suicidaire.

[44]            Le demandeur s'est plaint d'anxiété et de panique de façon épisodique et irrégulière. Il a été placé par le personnel du CRT sous surveillance du sommeil et sous surveillance préventive. Il disait souffrir constamment d'anxiété et d'insomnie irrépressibles et débilitantes, symptômes toutefois incompatibles avec son comportement manifeste et son niveau de fonctionnement dans l'unité de soins. Selon les observations inscrites dans les notes d'évolution, le demandeur dormait bien et avait de bons rapports avec ses pairs.

[45]            Au cours du premier séjour du demandeur, un traitement par Effexor XR et une petite dose de Nozinan, un somnifère, au coucher, s'est avéré efficace. Effexor fait partie d'une classe d'antidépresseurs relativement nouveaux, les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). Ce médicament semble avoir efficacement atténué la panique ressentie par le demandeur puisqu'il n'a signalé aucune autre crise de panique pendant le traitement à des doses thérapeutiques.

[46]            Le demandeur a admis qu'il se sentait mieux lorsqu'il prenait Effexor, qu'il se sentait beaucoup moins anxieux et de meilleure humeur, et qu'il avait de bons rapports avec ses pairs et le personnel. Le personnel infirmier a également observé ces améliorations.

[47]            Le demandeur a reçu son congé du CRT le 31 octobre 2001, et on lui a prescrit Effexor pour une période de longue durée. Malgré l'amélioration de son état, le demandeur a cessé de prendre Effexor.

[48]            Se plaignant de tension nerveuse, le demandeur a été admis de nouveau au CRT le 11 février 2002.


[49]            Cette fois encore, les notes d'évolution révèlent que le demandeur s'est plaint d'anxiété et de panique de façon épisodique et irrégulière. Selon le Dr Oliver, un épisode de panique alléguée n'était pas accompagné des symptômes normalement associés à la panique, comme l'augmentation de la fréquence cardiaque et la diaphorèse. Les problèmes d'anxiété et d'insomnie irrépressibles et débilitantes dont se plaignait le demandeur n'étaient pas compatibles avec son comportement manifeste et son niveau de fonctionnement.

[50]            Au cours de son deuxième séjour au CRT, on a administré au demandeur Remeron, un autre inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS). Comme il se plaignait d'effets indésirables, on a remplacé ce médicament par de la doxépine, ce qui lui a semblé acceptable. Le demandeur était généralement détendu et il s'est bien adapté à l'unité. Il a reçu son congé le 25 mars 2002.

[51]            Le demandeur a été admis pour une troisième fois au CRT le 13 novembre 2002. On a entrepris un nouveau traitement par Remeron, ce qui a permis de soulager son trouble anxieux. L'anxiété et l'insomnie constantes, irrépressibles et débilitantes dont il se plaignait étaient, cette fois encore, incompatibles avec son comportement manifeste et son degré de fonctionnement dans l'unité de soin.

[52]            Il a obtenu son congé du CRT le 28 mai 2003.

[53]            Pendant le séjour du demandeur au CRT, Effexor et Remeron ont tous deux permis d'atténuer la panique ressentie par ce dernier. Toutefois, le demandeur refusait ces médicaments ou en exigeait d'autres, le clonazépam (Rivotril) plus précisément. Les médicaments Effexor et Remeron ne produisent pas l'effet sédatif associé aux benzodiazépines.


Politique du SCC relative aux benzodiazépines

[54]            Les benzodiazépines sont inscrites sur le formulaire du SCC et peuvent être prescrites par les médecins et les psychiatres du SCC.

[55]            Le formulaire est préparé sous la gouverne du comité régional de pharmacologie et de thérapeutique. Il est destiné à guider les médecins dans le choix des médicaments nécessaires pour traiter les patients détenus dans les établissements du SCC en Ontario. Le formulaire est censé être conforme au jugement clinique actuel des médecins et des psychiatres en établissements.

[56]            Cependant, pour les raisons mentionnées précédemment, les benzodiazépines ne sont généralement pas recommandées dans le traitement au long cours de l'anxiété/la panique chez les patients. Le formulaire du SCC prévoit un sevrage progressif dans le cas des détenus qui arrivent du système pénitentiaire provincial lorsque l'emploi prolongé de benzodiazépines n'est pas indiqué.

[57]            Le formulaire n'interdit pas aux médecins de prescrire les benzodiazépines. Ces médicaments sont parfois prescrits pour une courte période, selon les besoins et les antécédents du détenu. Les médecins sont libres de les prescrire si, d'après leur jugement professionnel, ils estiment que ces médicaments sont cliniquement indiqués.

[58]            Le formulaire incite les médecins dont les patients prennent d'autres sortes de benzodiazépines à les remplacer par du clonazépam. Les médecins sont ensuite censés réduire graduellement la posologie de clonazépam conformément à un calendrier de sevrage, à moins qu'ils aient des motifs cliniques de ne pas le faire.

Diminution du clonazépam (Rivotril)

[59]            Au moment où il a été admis à l'établissement Millhaven en mai 2001, le demandeur prenait toujours du clonazépam. Les notes d'observations cliniques provenant de Millhaven révèlent que le 25 mai 2001, D. Heurder, infirmière autorisée, a expliqué au demandeur la politique du SCC visant à réduire peu à peu la posologie de benzodiazépines.

[60]            Le Dr Oliver a indiqué dans son témoignage que le Dr Jonathan Standley ou un autre médecin du SCC avait probablement effectué le suivi du sevrage progressif.

[61]            Le demandeur a fait savoir qu'il appréhendait la diminution du clonazépam, et la politique lui a été expliquée de nouveau le 29 mai et le 4 juin 2001. On a demandé au Dr Oliver d'évaluer la médication du demandeur.

[62]            Le 7 juin 2001, le Dr Oliver a fait le point sur la situation du demandeur. Il a noté que celui-ci prenait uniquement des benzodiazépines et Sinequan, un sédatif, pour dormir. Il a noté par écrit que le demandeur [traduction] « devait prendre un ISRS » .

[63]            Au cours de ses trois séjours au CRT, le demandeur a cherché à obtenir un traitement par benzodiazépines, plus précisément clonazépam. À la lumière de ses évaluations cliniques du demandeur et des renseignements contenus dans le dossier médical de ce dernier, le Dr Oliver a jugé que les benzodiazépines n'étaient pas indiquées.

[64]            D'après les évaluations cliniques et les documents figurant dans le dossier, l'interprétation du Dr Oliver est la suivante :

[traduction]

a)              le demandeur a de longs antécédents d'abus d'alcool ou d'autres drogues, d'accoutumance et de dépendance, et il présente un comportement compulsif de recherche de médicaments;

b)              il a des antécédents de consommation de Rivotril plus élevée à l'extérieur des établissements de détention, soit entre six et huit mg par jour, médicament pour lequel il rédigeait lui-même les ordonnances, tout en consommant de l'alcool;

c)              il a commis des infractions en état d'ébriété et d'intoxication par les benzodiazépines;

d)              le demandeur a cherché à obtenir Rivotril ainsi que d'autres drogues et médicaments, comme l'olanzépine et Benadryl, pour leurs propriétés sédatives.

[65]            Sur le plan médical, le désir du demandeur d'être sous sédation et de se couper de la réalité était alarmant selon le Dr Oliver.


[66]            Les médecins du SCC ont administré des IRSN au demandeur, traitement qui a permis d'atténuer ses symptômes d'anxiété.

Fonctionnement actuel

[67]            Les dossiers indiquent que le demandeur a réussi plusieurs cours pendant son incarcération à l'établissement de Joyceville.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[68]            Les principaux critères législatifs pertinents en l'espèce se trouvent aux articles 85 à 87 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et décrivent l'obligation légale non discrétionnaire à laquelle la commissaire est tenue envers le demandeur :



85. Les définitions qui suivent s'appliquent aux articles 86 et 87.

« soins de santé » Soins médicaux, dentaires et de santé mentale dispensés par des professionnels de la santé agréés.

« soins de santé mentale » Traitement des troubles de la pensée, de l'humeur, de la perception, de l'orientation ou de la mémoire qui altèrent considérablement le jugement, le comportement, le sens de la réalité ou l'aptitude à faire face aux exigences normales de la vie.

86. (1) Le Service veille à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu'il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter sa réadaptation et sa réinsertion sociale.

(2) La prestation des soins de santé doit satisfaire aux normes professionnelles reconnues.

87. Les décisions concernant un délinquant, notamment en ce qui touche son placement, son transfèrement, son isolement préventif ou toute question disciplinaire, ainsi que les mesures préparatoires à sa mise en liberté et sa surveillance durant celle-ci, doivent tenir compte de son état de santé et des soins qu'il requiert.

                               

85. In sections 86 and 87,

"health care" means medical care, dental care and mental health care, provided by registered health care professionals;

"mental health care" means the care of a disorder of thought, mood, perception, orientation or memory that significantly impairs judgment, behaviour, the capacity to recognize reality or the ability to meet the ordinary demands of life;

"treatment" means health care treatment.

86. (1) The Service shall provide every inmate with

(a) essential health care; and

(b) reasonable access to non-essential mental health care that will contribute to the inmate's rehabilitation and successful reintegration into the community.

(2) The provision of health care under subsection (1) shall conform to professionally accepted standards.

87. The Service shall take into consideration an offender's state of health and health care needs

(a) in all decisions affecting the offender, including decisions relating to placement, transfer, administrative segregation and disciplinary matters; and

(b) in the preparation of the offender for release and the supervision of the offender.


[69]            Cette obligation légale élémentaire est exposée plus en détail dans la Directive du commissaire no 800, laquelle dispose que les détenus reçoivent des soins de santé essentiels, notamment des soins « donnés en réponse aux troubles de la pensée, de l'humeur, de la perception, de l'orientation ou de la mémoire qui altèrent considérablement le jugement, le comportement, le sens de la réalité ou l'aptitude à faire face aux exigences normales de la vie. Cette définition vise les services actifs et prolongés de soins de santé mentale » .

[70]            L'article 25 de la Directive du commissaire no 805 régit la prescription de médicaments :

Les médicaments doivent uniquement être prescrits lorsqu'ils sont cliniquement indiqués et jamais pour des motifs de discipline ou de contrôle. Le clinicien ne prescrit des somnifères ou des sédatifs que lorsqu'on établit que le détenu éprouve des problèmes de sommeil, et ce, seulement dans des circonstances exceptionnelles.


QUESTIONS EN LITIGE

[71]            Le demandeur indique que la principale question en l'espèce est de savoir si la politique de la commissaire, appliquée sans distinction, qui interdit de prescrire du clonazépam (Rivotril) au demandeur, comme le démontrent le Formulaire DC 805 et d'autres documents produits au soutien de la demande, porte atteinte aux droits garantis au demandeur par les articles 7 et 12 de la Charte et donne lieu à un déni de justice naturelle, faisant ainsi en sorte que la commissaire s'est trouvée dépourvue de compétence dans l'affaire.

[72]            Plus particulièrement, le demandeur soutient dans sa demande qu'il conteste la décision de la commissaire pour les motifs suivants :

a)          elle porte atteinte à l'obligation qu'impose la common law d'agir équitablement;

b)          elle contrevient au droit garanti par l'article 7 de la Charte des droits et libertés à ce qu'il ne soit porté atteinte à la sécurité du demandeur qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale;

c)          elle porte atteinte à la protection que l'article 12 de la Charte des droits et libertés garantit au demandeur contre les traitements ou peines cruels et inusités;

d)          elle est contraire aux dispositions expresses de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992 ch. 20, articles 85 à 87; de la Directive du commissaire no 800, articles 1, 2 et 13; de la Directive du commissaire no805, article 25; et de la Directive du commissaire no 850, articles 6 à 8;


e)          elle est dénuée de fondement et de justification en droit;

f)          elle a donné lieu à un déni constant de justice naturelle, faisant en sorte que la commissaire s'est trouvée dépourvue de compétence dans l'affaire.

[73]            Le défendeur soulève les questions suivantes :

a)          Est-ce qu'il convient de constituer les fonctionnaires du SCC défendeurs dans la présente demande?

b)          Est-ce qu'il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire parce que le demandeur conteste sans droit une multiplicité de décisions?

c)          Est-ce qu'il y a lieu de rejeter la demande parce qu'elle n'a pas été présentée dans les délais prescrits?

d)          Est-ce que les politiques du SCC interdisent de prescrire des benzodiazépines aux détenus ou contreviennent aux dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

e)          Est-ce qu'il appartient à la Cour de dire si les benzodiazépines sont médicalement indiquées dans le cas du demandeur et, dans l'affirmative, notre Cour peut-elle ordonner qu'une telle prescription soit établie?

LES ARGUMENTS

Le demandeur

Généralités


[74]            Selon le demandeur, le Dr R.N. Oliver l'a traité pour la première fois à l'établissement Millhaven le 7 juin 2001. À cette date, le personnel infirmier avait informé le demandeur, avant toute évaluation psychiatrique, qu'on arrêterait graduellement de lui administrer du clonazépam.

[75]            Le Dr Oliver n'avait pas encore examiné les éléments inscrits au dossier médical du demandeur entre le 25 mai et le 7 juin 2001 lorsqu'il a décidé de confirmer l'interruption du traitement par clonazépam.

[76]            Selon le demandeur, il faut déterminer si la commissaire, relativement à la formulation et la mise en oeuvre de la politique contre la prescription de clonazépam :

a)          a agi sans compétence ou l'a outrepassée;

b)          n'a pas observé un principe de justice naturelle ou toute autre obligation qu'elle était légalement tenue de respecter;

c)          a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier.


[77]            Le demandeur conteste le fait que la politique entraînant la réduction de sa prescription de clonazépam pendant son incarcération à l'établissement Millhaven en 2001 a été appliquée à l'instigation du personnel infirmier, avant qu'il consulte un psychiatre. Le demandeur souligne que le Dr Oliver n'a pas examiné son dossier médical du SCC avant de confirmer la diminution et l'élimination rapide du clonazépam dans le traitement de la maladie du demandeur.

[78]            Selon le demandeur, le Dr Oliver mentionne à tort dans son témoignage que le demandeur [traduction] « a systématiquement refusé » de prendre d'autres médicaments. Depuis juillet 2001, le demandeur a essayé de nombreux médicaments même s'il a arrêté d'en prendre plusieurs à cause des effets indésirables ou parce qu'ils ne soulageaient pas efficacement les symptômes de sa maladie.

[79]            Le demandeur conteste les raisons qui motivent le Dr Oliver à ne pas lui prescrire de clonazépam. Il fait remarquer que différentes explications lui ont été fournies par autant de médecins du SCC et membres du personnel médical pour décrire la politique contestée. Parmi celles-ci, on a indiqué que le clonazépam est susceptible d'extorsion, que certains détenus en vendent et en consomment illégalement. Le demandeur dit que trois médecins du SCC l'ont informé qu'on devrait lui en prescrire et qu'il pourrait certainement s'en procurer auprès de médecins indépendants du SCC lorsqu'il sera remis en liberté.

[80]            Le demandeur signale que les Drs Oliver et Dallal conviennent que la politique, telle qu'énoncée dans le formulaire relatif au clonazépam, est une règle normative qui impose des [traduction] « restrictions qui ne permettent aucune souplesse » .

[81]            Le demandeur a accepté d'essayer plusieurs médicaments, notamment Effexor, Paxil, la buspirone, l'olanzapine, Benadryl, Remeron, Nozinan, Celexa, Elavil, le propranolol et Seroquel. Cependant, aucun de ces médicaments n'a soulagé ses symptômes épisodiques d'anxiété intolérables, de crises de panique, de palpitations, d'insomnie et de peur viscérale.

[82]            La décision de la commissaire d'interdire l'usage du clonazépam a eu, et continue d'avoir pour effet de rendre le demandeur incapable de participer aux programmes ou aux cours prévus à son plan correctionnel (puisqu'ils nécessitent des échanges avec d'autres détenus), ou même de prendre la file au comptoir des repas. Il dit qu'il évite dans la mesure du possible d'entrer en contact avec d'autres détenus et qu'il dort rarement plus de deux heures pendant la nuit.

Norme de contrôle

[83]            Selon le demandeur, la décision ou la politique de la commissaire ne satisfait pas à la norme de contrôle de la décision correcte. La commissaire a adopté le formulaire d'application systématique en contravention de l'article 86 de la LSCLMC, selon lequel chaque personne détenue dans les établissement du SCC « reçoi[t] les soins de santé essentiels » .


[84]            La Directive du commissaire no 805, à laquelle le Dr Oliver estime être lié, dispose clairement que « [l]es médicaments doivent uniquement être prescrits lorsqu'ils sont cliniquement indiqués et jamais pour des motifs de discipline ou de contrôle. Le clinicien ne prescrit des somnifères ou des sédatifs que lorsqu'on établit que le détenu éprouve des problèmes de sommeil, et ce, SEULEMENT dans des circonstances exceptionnelles » . Aucun cas d'exception n'est prévu dans cette politique générale appliquée sans distinction.

[85]            Selon le demandeur, le clonazépam lui a été prescrit pendant plus de 13 ans et lui était nécessaire pour soulager les épisodes de troubles anxieux et panique caractérisés en partie par de l'agoraphobie et des troubles du sommeil. Le demandeur indique que neuf médecins lui ont dit que l'usage prolongé de benzodiazépines était indiqué dans son cas.

[86]            Le demandeur indique également que la décision contestée prise par la commissaire a fait en sorte que pendant près de trois ans il a souffert de panique, d'anxiété, de troubles du sommeil et d'autres symptômes débilitants qui l'ont empêché de s'investir dans sa réadaptation de manière productive.

[87]            C'est pourquoi le demandeur dit que la décision de la commissaire a porté atteinte au droit à la sécurité de sa personne que lui garantit l'article 7 de la Charte.

[88]            Il indique également que la décision de la commissaire constitue un traitement ou une peine cruels et inusités au sens de l'article 12 de la Charte.

[89]            Le demandeur a maintes fois demandé au personnel médical de lui prescrire du clonazépam et il a présenté des griefs en ce sens. Ces autres recours ne lui ont pas permis d'avoir gain de cause.

[90]            Selon le demandeur, la décision de la commissaire donne lieu à un déni de justice naturelle, en ce sens qu'on n'a aucunement tenu compte de ses besoins médicaux particuliers en accordant toute la considération à un formulaire arbitraire que le personnel médical du SCC suit à la lettre. Ce déni a fait en sorte que la commissaire s'est trouvée dépourvue de compétence dans l'affaire.

Les défendeurs

Les parties

[91]            Selon le défendeur, le demandeura erronément constitué défendeurs trois décideurs. Il y aurait lieu de radier leurs noms.

[92]            Il est inexact de constituer défendeurs en l'espèce la commissaire du Service correctionnel du Canada, la directrice de l'établissement de Bath et le directeur du Centre régional de traitement (Ontario).


[93]            Les défendeurs signalent que la contestation du demandeur porte sur une décision ou plusieurs décisions prises par ces trois directeurs. Il est bien établi en droit qu'il ne convient pas de constituer défendeur l'office fédéral dont les actions ou recommandations font l'objet d'une demande de contrôle judiciaire (Yeager c. Canada ( Service correctionnel)(2000), 189 F.T.R. 196 (C.F. 1re inst.)).

[94]            Dans son avis de demande, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire [traduction] « du refus opposé par la commissaire du Service correctionnel du Canada (SCC) et par différents membres du personnel du SCC, notamment le personnel des services de santé et le personnel médical employé à contrat au Centre régional de traitement (Ontario), de fournir au demandeur les services de santé qui lui sont nécessaires » .

[95]            Le demandeur dit qu'il a présenté sa demande en vue d'annuler la décision de la commissaire du Service correctionnel du Canada puisqu'elle l'empêche de recevoir une prescription médicale pour le clonazépam.

[96]            Il est donc manifeste que le demandeur a désigné ces fonctionnaires comme défendeurs parce qu'ils ont pris des décisions ayant une incidence sur son traitement médical.

[97]          Par conséquent, le défendeur sollicite une ordonnance radiant de l'intitulé le nom de tous les défendeurs autres que le procureur général du Canada.


Le demandeur conteste plus d'une décision

[98]            Selon les défendeurs, le demandeur conteste sans droit une multiplicité de décisions de politique générale et de traitement prises par plusieurs fonctionnaires. La demande est source de confusion et de préjudice et devrait, pour ce seul motif, être rejetée.

[99]            Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée (article 302, Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106).

[100]        Le demandeur ne précise pas quelle est l'ordonnance pour laquelle il demande une réparation. Il renvoie à plusieurs décisions. Il est impossible de savoir laquelle est en cause.

[101]        Dans son avis de demande, le demandeur mentionne que la commissaire et plusieurs membres du personnel du SCC ont refusé de lui fournir les services de santé qui lui étaient nécessaires. Il ne précise pas le moment ni les circonstances dans lesquelles la commissaire a refusé de fournir les services de santé. Il ne précise pas non plus quelles sont les décisions prises par les autres membres du personnel de SCC.

[102]        Dans le premier paragraphe de son mémoire des faits et du droit, le demandeur renvoie sans autre précision à « la décision » de la commissaire qui l'aurait empêché de recevoir une prescription médicale de clonazépam.

[103]        Au par. 5 de son mémoire, le demandeur allègue que la politique de la Commission a compromis la santé et le bien-être du demandeur, que cette politique n'a aucun fondement ni aucune justification en droit, et qu'elle se situe au-delà des pouvoirs que la loi confère à la commissaire.

[104]        Au par. 11 de son mémoire, le demandeur renvoie à la décision prise par un membre du personnel médical du SCC (dont l'identité n'est pas précisée), prise conformément à la politique adoptée par la commissaire, de ne plus [traduction] « permettre aux détenus fédéraux de prendre des benzodiazépines » conformément aux instructions du formulaire.

[105]        Une fois de plus, aux par. 15 et 16 de son mémoire, le demandeur semble attaquer une ou des décisions en matière de traitement prises en mai 2001 par le Dr Oliver.

[106]        Au par. 19, le demandeur renvoie à la décision prise par la commissaire d'interdire l'usage du clonazépam sans toutefois préciser le moment ni les circonstances dans lesquelles cette décision a été prise.

[107]        Il ressort nettement de la comparaison des par. 22 et 23 du mémoire du demandeur que celui-ci tente de contester sans droit au moins deux décisions.

[108]        Au par. 22, le demandeur soutient que la question en litige est de savoir si la commissaire a commis plusieurs erreurs de droit et de compétence en formulant et en mettant en oeuvre la politique qui interdit de prescrire le clonazépam.

[109]        Au par. 23, le demandeur conteste deux autres « décisions » , à savoir la décision de diminuer progressivement le clonazépam prise par le personnel infirmier avant que le demandeur soit vu par un psychiatre et la décision confirmant cette diminution prise par le Dr Oliver avant qu'il examine le dossier médical du demandeur.

[110]        Aux par. 24 et 25, le demandeur semble contester plusieurs décisions que différents médecins du SCC ont prises en matière de traitement.

[111]        Au par. 26, le demandeur affirme que la [traduction] « décision ou politique » de la commissaire ne satisfait pas à la norme de la décision correcte.


[112]        Les défendeurs concluent que la demande est source de confusion et de préjudice. Il est impossible de savoir quelle décision est visée par le contrôle judiciaire, de déterminer s'il y a prescription du contrôle judiciaire des décisions visées et de s'assurer que la Cour possède un dossier de preuve complet pour chacune des décisions.

[113]        On ne saurait dire si la contestation faite par le demandeur porte sur l'adoption d'une politique, la portée d'une politique, l'application d'une politique ou des décisions cliniques précises. Il est impossible de savoir qui est l'auteur de ces décisions et à quel moment elles ont été prises.

[114]        La confusion au sujet de la décision ou des décisions visées par le contrôle judiciaire cause d'autres problèmes. Premièrement, se pose la question des délais. La demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours de la décision ou de l'ordonnance rendue. Il est impossible de déterminer si ce délai a été respecté et le contrôle judiciaire paraît prescrit. Deuxièmement, se pose la question de la preuve. De nombreux éléments de preuve ont été fournis par les défendeurs concernant le traitement médical du demandeur et les questions médicales relatives aux benzodiazépines, mais la preuve est nécessairement de nature générale. Le dossier qui contient les décisions cliniques précises peut être très différent de celui qui contient les décisions en matière de politique. Il est impossible d'avoir la certitude que la Cour est saisie de tous les éléments de preuve pertinents.


[115]        Pour ces motifs, affirment les défendeurs, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de permettre au demandeur de contester plus d'une décision. En fait, il serait opportun de rejeter la demande telle que formulée puisqu'elle est source de confusion et de préjudice.

[116]        Les décisions que le demandeur cherche à contester ne peuvent être envisagées comme « l'objet de la demande » et faire l'objet d'un contrôle judiciaire sur ce fondement. Le demandeur conteste des décisions de politique et des décisions cliniques distinctes prises par différentes personnes pour des motifs différents. Contrairement à l'arrêt Krause, nous ne sommes pas en présence d'une décision générale dominante ni d'une suite ininterrompue de décisions uniformes (Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.)).

[117]        Cela ne veut pas dire que le demandeur est privé de recours. S'il désire contester l'application des politiques du SCC, son seul recours est de demander le contrôle judiciaire de la décision de traitement qui, selon le demandeur, a été imposé en application des politiques. Le demandeur n'a pas satisfait à cette exigence. Même s'il avait réussi, chacune des décisions à laquelle il renvoie a été prise bien avant qu'expire le délai de présentation applicable au contrôle judiciaire.

La politique du SCC n'interdit pas la prescription de clonazépam


[118]        La thèse qu'invoque le demandeur semble se fonder sur le principe que la commissaire du SCC a adopté des politiques qui interdisent aux médecins et psychiatres du SCC de prescrire du clonazépam au demandeur. C'est pourquoi, selon le demandeur, les politiques contreviennent à l'obligation que la loi impose au SCC de fournir des services de santé essentiels aux détenus et portent atteinte au droit constitutionnel à la sécurité de sa personne et à la protection contre les peines cruelles et inusitées.

[119]        Les défendeurs prétendent que le fondement sur lequel repose la thèse du demandeur est erroné. Les politiques du SCC n'interdisent pas la prescription de clonazépam. Les médecins et psychiatres du SCC peuvent en prescrire aux détenus. Ils ne l'ont pas fait pour le demandeur parce que le médicament est contre-indiqué dans son cas et que d'autres traitements plus efficaces sont possibles. Il s'agit d'une décision médicale qui n'est pas susceptible de contrôle judiciaire. Il n'existe aucun motif qui permettrait à la Cour de rendre des ordonnances de la nature d'un mandamus ou d'une interdiction.

[120]        La preuve n'étaye pas la prétention du demandeur selon laquelle les médecins du SCC ont interrompu son traitement par clonazépam au motif qu'une politique du SCC leur interdit de prescrire ce médicament.

[121]        Le formulaire de médicaments constitue un guide, et non une directive, pour le choix des médicaments nécessaires au traitement des patients détenus dans les établissements du SCC. On en recommande fortement l'emploi, mais on ne l'exige pas.

[122]        Le clonazépam étant inscrit dans le formulaire, son usage est donc reconnu dans les établissements du SCC. Les cliniciens d'établissement du SCC peuvent prescrire le clonazépam lorsque ce médicament est indiqué en fonction des besoins cliniques du détenu. Ces médicaments sont parfois prescrits pour une courte période, selon les besoins et les antécédents du détenu.

[123]        Le formulaire prévoit un sevrage progressif dans le cas des détenus qui arrivent des pénitenciers provinciaux lorsque l'emploi prolongé de benzodiazépines n'est pas indiqué. Ce qui emporte comme corollaire que ces médicaments peuvent être prescrits lorsqu'ils sont indiqués.

[124]        Ce sevrage progressif est conforme aux bonnes pratiques médicales. Les risques associés à l'usage prolongé de benzodiazépines sont décrits dans les recommandations des associations professionnelles de psychiatres et dans la documentation scientifique.

[125]        On peut compter parmi les risques des problèmes de concentration, des troubles de la mémoire et des déficits cognitifs; une dépendance, une tolérance au médicament et une désinhibition comportementale entraînant des comportements impulsifs et violents.


[126]        Se fondant sur des recherches qu'ils avaient réalisées en 2000, le Dr Dallal et ses collègues de l'établissement Archambault ont recommandé que les cliniciens s'en tiennent aux plus faibles doses thérapeutiques de benzodiazépines et aux traitements les plus brefs. Ils ont également recommandé que les cliniciens évitent de prescrire des benzodiazépines à un patient qui a déjà présenté ou qui présente actuellement un problème d'abus d'alcool et d'autres drogues et de dépendance.

[127]        La Directive du commissaire no 805 n'interdit pas, non plus, la prescription de clonazépam. La directive, je le répète, reconnaît l'importance de l'opinion médicale professionnelle lorsqu'elle précise que les médicaments doivent uniquement être prescrits lorsqu'ils sont cliniquement indiqués. Là encore, aucune preuve n'établit en l'espèce que le médicament réclamé par le demandeur est cliniquement indiqué.

[128]        N'est d'aucun secours au demandeur, l'exigence de la directive applicable à la prescription de somnifères ou de sédatifs uniquement dans le cas où il est établi que le détenu éprouve des problèmes de sommeil. Si le demandeur a réellement éprouvé des problèmes de sommeil constants - c'est ce qu'il allègue mais aucune preuve ne l'établit au dossier - alors les médecins pourraient lui prescrire des benzodiazépines si celles-ci étaient cliniquement indiquées.

La LSCMLC n'exige pas de prescrire le clonazépam

[129]        Le paragraphe 86(1) de la LSCMLC établit seulement que le SCC a l'obligation de veiller à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels. Il n'oblige pas la commissaire ni un médecin du SCC en particulier à prescrire le clonazépam.

[130]        Les soins de santé fournis par le SCC conformément à ce paragraphe doivent satisfaire aux normes professionnelles reconnues. En d'autres termes, les médecins doivent exercer leur jugement professionnel clinique.

[131]        Selon les défendeurs, il n'y a tout simplement aucune preuve au dossier qui établit que le jugement du Dr Oliver ou d'un autre médecin du SCC ne satisfait pas aux normes professionnelles reconnues.

[132]        Quoi qu'il en soit, l'exercice du jugement professionnel du médecin n'est pas susceptible de contrôle judiciaire au titre du par. 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales. Notre Cour est appelée à se prononcer sur l'erreur juridique et non sur le jugement clinique.

Le clonazépam n'est pas cliniquement indiqué

[133]        Les médecins du SCC qui ont traité le demandeur ne lui ont pas prescrit de clonazépam parce qu'en tant que professionnels habilités à porter un jugement médical, ils ne croient pas que ce traitement soit nécessaire ou adapté à son état.


[134]        Le Dr Oliver a jugé que le clonazépam était contre-indiqué pour le demandeur et que, si ce dernier en prenait, l'effet pourrait être désastreux. Il est arrivé à cette conclusion en se fondant sur les évaluations cliniques, les longs antécédents d'abus d'alcool ou d'autres drogues du demandeur, ses antécédents d'abus de clonazépam et d'alcool, le fait que les infractions pour lesquelles il purge sa peine d'emprisonnement ont été commises alors qu'il prenait du clonazépam, et son désir d'être sous sédation.

[135]        En contre-interrogatoire, le Dr Oliver n'était pas d'accord pour dire qu'un traitement prolongé par clonazépam était opportun pour le demandeur.

[136]        Selon le Dr Oliver, le demandeur pouvait être traité de manière plus efficace par Effexor et Remeron, des IRSN.

[137]        Rien au dossier n'établit que cette opinion médicale est inexacte, déraisonnable ou qu'elle n'est pas conforme aux normes reconnues de la pratique médicale. Plus particulièrement, aucune preuve n'indique qu'un médecin, employé du SCC ou exerçant exclusivement en pratique privée, prescrirait aujourd'hui du clonazépam au demandeur.

[138]        Le fondement médical est insuffisant pour permettre au demandeur d'affirmer que seules les benzodiazépines soulagent efficacement ses symptômes. Les plaintes qu'il a lui-même formulées contredisent cette affirmation. Il a des antécédents d'abus de drogue et d'alcool et il a présenté un comportement compulsif de recherche de drogues et le désir d'être sous sédation. Un diagnostic de dépendance à une substance a été posé.

[139]        Les traitements par benzodiazépines que le demandeur a reçus pendant treize ans ne constituent pas une justification sérieuse pour renouveler leur prescription.

[140]        Le dossier révèle, premièrement, que les benzodiazépines n'ont pas soulagé les symptômes du demandeur et, deuxièmement, que d'autres traitements, encore inconnus à l'époque où il a suivi son premier traitement, ont une efficacité égale ou supérieure.

[141]        La preuve indique qu'un ou plusieurs médecins ont tenté de prescrire d'autres médicaments au demandeur. Aucun élément n'établit que ces médecins étaient informés de la dépendance du demandeur et qu'ils auraient continué de lui prescrire du clonazépam s'ils l'avaient été.

[142]        La preuve n'étaye pas les allégations du demandeur quant à son état constant de panique, d'anxiété, de troubles de sommeil et d'incapacité à fonctionner. Dans son témoignage, le Dr Oliver indique qu'on a observé de bonnes habitudes de sommeil chez le demandeur sans aucun trouble important. Ses crises d'anxiété ne correspondaient pas à de véritables crises de panique.

[143]        Lorsque ces symptômes étaient sporadiques, ils ont été soulagés efficacement par les nouveaux antidépresseurs que le demandeur a décidé de ne plus prendre.

[144]        Il y a consensus médical sur le fait que l'ordonnance prolongée de benzodiazépines exposera le demandeur à des risques injustifiés. Les risques ne sont pas justifiés parce que plusieurs possibilités de traitement s'offrent au demandeur.

[145]       Pour ces motifs, une ordonnance enjoignant au SCC de traiter le demandeur par benzodiazépines n'est pas justifiée en droit.

Il n'y a pas eu violation de la Charte

[146]        Selon le défendeur, la commissaire n'a pas contrevenu à l'article 7 de laCharte canadiennedes droits et libertés. Plus particulièrement, elle n'a pas contrevenu à la Charte en instaurant une politique concernant l'emploi de médicaments de prescription dans les pénitenciers fédéraux.

[147]        Il n'a pas été porté atteinte au droit du demandeur à la sécurité de sa personne. Nulle personne, qu'elle soit détenue ou nondans un établissement fédéral, n'a droit à la prescription d'un médicament précis. La prescription de médicaments doit toujours être fondée sur le jugement professionnel du médecin.


[148]        Ne peut constituer une violation de la Charte, le refus du SCC ou de ses médecins de prescrire un médicament qui n'est pas cliniquement indiqué pour le demandeur et qui peut avoir de graves effets indésirables pour lui ou pour autrui - surtout lorsque d'autres médicaments peuvent efficacement soulager, sans danger, les problèmes dont se plaint le demandeur.

[149]        De même, aucun traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte n'a été établi en l'espèce. Le demandeur a un traitement efficace à sa disposition. Rien dans la preuve n'indique que le demandeur a été privé de soins nécessaires ou convenables (Kelly c. Canada, [1996] A.C.F. no 880 (C.F. 1re inst.)).

ANALYSE

L'intitulé

[150]        Lorsque la présente affaire a été instruite à Kingston le 1er juin 2004, le demandeur a souscrit à la thèse du défendeur concernant l'intitulé, et il a présenté une demande de modification formelle pour que tous les défendeurs, sauf le procureur général du Canada, soient radiés de l'intitulé. La Cour a adhéré à cette thèse et autoriséla modification.

Le fond


[151]        Le demandeur croit que le clonazépam lui est nécessaire pour atténuer ses problèmes de santé, physique et mentale. Selon lui, le médicament ne lui est pas prescrit à cause d'une interdiction ou d'une politique générale appliquée indistinctement qui en interdit l'usage dans le système carcéral fédéral. Il dit que la politique empêche les personnes ayant la responsabilité de lui fournir les soins nécessaires à sa santé d'évaluer pleinement ses besoins en matière de médicaments et de lui prescrire le clonazépam, que des médecins lui avaient prescrit dans le passé.

[152]        Selon le demandeur, la preuve de cette interdiction ou politique interdisant aux détenus de faire usage de clonazépam se dégage du formulaire du SCC et de la Directive du commissaire no 805.

[153]        La difficulté que pose cette thèse est qu'il ressort clairement de la Directive du commissaire qu'il n'y a aucune interdiction générale, et la preuve versée au dossier (hormis les allégations non corroborées que le demandeur soulève lui-même dans son affidavit) indique très clairement que ses besoins médicaux ont été évalués à maintes reprises en tenant compte de ses antécédents médicaux, de son état de santé actuel, des dangers de l'usage prolongéde benzodiazépines, de l'efficacité d'autres médicaments et des dangers particuliers que la prescription de clonazépam présente pour lui, et ce, indépendamment de toute politique ou interdiction.

[154]        Le fait que du clonazépam a pu lui être prescrit dans le passé ne signifie pas qu'il y a automatiquement droit maintenant. Aucun médecin, connaissant parfaitement les antécédents du demandeur, ne lui en a prescrit récemment. Les renseignements médicaux contenus au dossier indiquent très clairement les raisons pour lesquelles le SCC ne privilégie pas le clonazépam et celles pour lesquelles il ne serait pas indiqué d'en prescrire au demandeur dans son état actuel.


[155]        L'avocat du demandeur a précisé à l'audience que la présente demande de contrôle se rapporte à l'interdiction ou à la politique interdisant la prescription de clonazépam aux détenus fédéraux.

[156]        Après examen du dossier, force m'est de conclure qu'il n'existe aucune interdiction générale et, s'agissant du clonazépam, que les médecins ont évalué les besoins médicaux du demandeur en toute liberté et en exerçant leur jugement professionnel clinique.

[157]        Aucune preuve valable n'étaye les allégations du demandeur ni les réparations demandées.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          L'intitulé est modifié de manière à ce que tous les défendeurs, sauf le procureur général du Canada, soient radiés.

2.          La demande est rejetée.

3.          Le défendeur a droit aux dépens de la demande.

« James Russell »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2117-03

INTITULÉ :               THOMAS POWELL

                                                                      

- et -

                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              KINGSTON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            1er JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :Le juge Russell

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Philip Casey                                                      POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                         POUR LE DÉFENDEUR

Alexis Hanna                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Philip Casey                                                      POUR LE DEMANDEUR

avocat

11, rue Princess, bureau 203

Kingston (Ontario)

K7L 1A1

Ministère de la Justice du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

Édifice commémoratif de l'Est

234, rue Wellington

Ottawa (Ontario) K1A 0H8


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