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Date : 20040604

Dossier : IMM-2338-03

Référence : 2004 CF 799

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                     KHAN CHOUDHARY FATEH

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 10 mars 2003, dans laquelle la Commission a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


QUESTION EN LITIGE

[2]                La Commission a-t-elle agi de façon manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je réponds par la négative et je rejetterai donc la demande.

HISTORIQUE

[4]                La Commission a résumé les faits comme suit. Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 52 ans qui allègue une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

[5]                Le demandeur est membre de la faction restée fidèle à l'ancien premier ministre Nawaz Sherif de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) depuis 1980. Il a participé activement à la campagne de 1997, comme à l'organisation d'un rassemblement dans la ville de Jhelum. Il a reçu des menaces à quelques reprises pendant la campagne de 1997. Le demandeur a été vice-président intérimaire de l'unité Jhelum du PML-N de décembre 1997 à avril 1998. Par la suite, il a été élu vice-président le 10 avril 1998, un poste qu'il a conservé jusqu'en janvier 2002.


[6]                Le 23 mars 2001, l'Alliance pour le rétablissement de la démocratie (ARD) a organisé un congrès à Lahore. Le PML-N s'étant affilié à l'Alliance, le demandeur a participé activement à la préparation de ce congrès. Il a été sommé de se présenter au poste de police local où on a menacé de l'arrêter et de porter des accusations contre lui s'il ne cessait pas ses activités. Au cours de l'élection locale de juillet 2001, le demandeur a travaillé pour le candidat du PML-N de son quartier. Trois jours avant la tenue de l'élection, il a personnellement fait l'objet de menaces de la part de membres d'une nouvelle faction pro-gouvernementale du PML, à savoir le PML Quaid-e-Azam (PML-Q), au moment où il revenait de ses activités de sollicitation de porte en porte.

[7]                Le 22 janvier 2002, le demandeur a organisé une réunion des membres du PML-N à son domicile de Jhelum. La réunion visait à dénoncer le coup d'État militaire et à réclamer le rétablissement de la démocratie. Ce soir-là, la police a effectué une descente dans sa maison pendant qu'il se trouvait à sa ferme. Sa femme l'ayant informé de la descente et du fait que la police le recherchait, il a décidé de chercher refuge à Lahore.

[8]                Le 23 janvier 2002, il a communiqué avec un avocat et a appris que de fausses accusations avaient été portées contre lui pour avoir dénoncé le gouvernement militaire et pour avoir tenu une réunion à son domicile.

[9]                Le 24 janvier 2002, le demandeur a pris la décision de quitter le Pakistan. Il a rencontré un agent le 26 janvier 2002 et est arrivé au Canada le 8 mars 2002. Il a présenté une demande d'asile le 13 mars 2002. Depuis son arrivée au Canada, il a appris qu'un mandat d'arrestation avait été décerné contre lui et que la police avait effectué trois descentes à son domicile.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            La Commission a décidé qu'il y avait des invraisemblances dans la demande de protection du demandeur. Elle a conclu que l'allégation du demandeur selon laquelle une réunion tenue en privé de membres du PML-N (comptant environ 30 personnes dont seulement 10 n'étaient pas des membres) ayant comme objectif d'exercer des pressions sur le gouvernement constituait une déclaration contradictoire. La crédibilité du demandeur a également été minée aux yeux de la Commission par le fait qu'il a ajouté à son témoignage que le but de la réunion était également de critiquer la police, un renseignement qu'il n'avait inclus ni dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ni dans sa réponse à son avocat. La Commission a également dit que puisqu'il s'agissait d'une réunion tenue en privé, elle n'était pas illégale selon la preuve documentaire. Par conséquent, rien ne justifiait que la police enregistre un premier rapport d'information contre le demandeur. Enfin, la Commission a dit que le comportement du demandeur était incompatible avec sa crainte subjective alléguée. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur puisse envisager d'utiliser son propre passeport pour quitter le Pakistan si des accusations avaient été portées contre lui. De plus, puisque le premier rapport d'information a été enregistré le 24 janvier 2002, le demandeur aurait quitté le pays avant le mois de mars 2002 s'il avait eu des craintes réelles concernant sa sécurité au Pakistan.


ANALYSE

[11]            Suivant un principe bien établi, la Cour ne peut modifier les conclusions de fait de la Commission, soit la crédibilité dans la présente affaire, à moins qu'il ne soit établi que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[12]            La Commission fonde ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur sur les contradictions et les invraisemblances qui ressortent de son témoignage. La Commission a énoncé clairement ces contradictions et invraisemblances.


[13]            Premièrement, la Commission n'a pas cru que la réunion du 22 janvier 2002 avait été tenue dans le but d'exercer des pressions sur le régime militaire. Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que la tenue de réunions en privé dans le but d'attirer de nouveaux membres à son parti politique afin de regrouper un nombre assez important de gens pour influencer le gouvernement au pouvoir était probablement l'une des seules options qui s'offraient à lui, même s'il s'agissait là d'une manière détournée d'arriver à son but. Le gouvernement militaire avait interdit les rassemblements politiques publics et avait donc éliminé la possibilité de manifester et de protester publiquement. Cependant, la Cour ne peut substituer son opinion à celle de la Commission; il doit y avoir une erreur manifestement déraisonnable pour justifier une intervention. Je suis convaincu que tous les autres motifs donnés pas la Commission démontrent que, dans l'ensemble, l'appréciation qui a été faite de la crédibilité n'était pas manifestement déraisonnable. Sur la question de la réunion tenue le 22 janvier 2002, la Commission a également confronté le demandeur au fait qu'il avait omis de mentionner, dans son FRP et dans ses réponses à son avocat, les commentaires critiques qu'il avait faits à l'endroit de la police lors de la réunion, mais le demandeur n'a pas fourni une explication satisfaisante.

[14]            Deuxièmement, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que si la réunion tenue le 22 janvier 2002 était une réunion privée, il n'y avait aucune raison d'enregistrer un premier rapport d'information contre le demandeur puisque, selon la preuve documentaire, seulement les rassemblements publics sont illégaux. Le demandeur se fonde sur les rapports sur le monde préparés par Human Rights Watch pour 2001 et 2002, qui avaient été fournis à la Commission, pour plaider que ce ne sont pas seulement les rassemblements politiques publics qui font l'objet de descentes par la police, mais que quiconque assume un rôle visible et se prononce contre le régime militaire peut être ciblé par les autorités. La Commission a examiné toute la preuve documentaire qui lui a été soumise et elle pouvait à bon droit tirer sa propre conclusion à la lumière de cette preuve.


[15]            Troisièmement, la Commission a examiné la preuve documentaire et a conclu que le profil du demandeur ne correspondait pas au profil de personnes qui peuvent être harcelées par le gouvernement, puisqu'il n'est pas un haut dirigeant dans son parti. Bien que je serais peut-être arrivé à une conclusion différente sur cette question, je n'interviendrai pas parce que cette décision n'est pas abusive ou arbitraire (Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, (1re inst.) (QL), au paragraphe 14.

[16]            Enfin, la Commission a mis en doute la crainte subjective du demandeur sur la base de son témoignage selon lequel il avait d'abord eu l'intention de tenter de quitter le Pakistan en utilisant son propre passeport. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur ait songé à agir ainsi si la police avait enregistré un premier rapport d'information contre lui et cherchait à l'arrêter. En effet, le fait que le demandeur ait demandé l'aide d'un agent pour organiser sa sortie de l'aéroport joue en sa faveur, mais ça ne change pas le fait qu'avoir songé à utiliser son propre passeport dans les circonstances alléguées (c'est-à dire alors qu'un premier rapport d'information avait été enregistré contre lui) était extrêmement risqué. Enfin, le fait que le demandeur n'ait pas quitté le pays plus tôt qu'il ne l'a fait milite en faveur d'une absence de crainte subjective de persécution.

[17]            En conclusion, pour citer le juge MacKay dans la décision Akinlolu, précitée, au paragraphe 14, dans le cas même où la Cour « pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n'interviendra pas à moins que le requérant n'arrive àprouver que la décision de la formation de jugement n'est fondée sur aucune preuve » .

[18]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]            Ni l'un ni l'autre des avocats n'a recommandé la certification d'une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                               « Michel Beaudry »          

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2338-03

INTITULÉ :                                                    KHAN CHOUDHARY FATEH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1ER JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Andrea Shahin               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)                                           

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                            POUR LE DÉFENDEUR

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