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Date : 20040206

Dossier : IMM-6279-02

Référence : 2004 CF 200

Ottawa (Ontario), le 6 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

ENTRE :

                                                 THIERNO MAMADOU TIDI DIALLO,

(alias THERON MAMADOU TIDIANE DIALLO),

(alias OUSMANE FOFANA),

(alias M. UNTEL)

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                 et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection de réfugiés, L.C. 2001, ch. 21 (LIPR). La demanderesse conteste la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Dans cette décision, il a été déterminé que le demandeur était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une _ personne à protéger _ aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

Historique

[2]                 Le demandeur est un Guinéen de 29 ans qui prétend craindre avec raison d'être persécuté par l'armée et le gouvernement guinéens du fait de ses opinions politiques. Il prétend également être une personne à protéger parce qu'il risque d'être exposé en Guinée à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

[3]                 Le demandeur prétend être recherché par les autorités militaires de la Guinée parce qu'il aurait collaboré avec un groupe de rebelles armés qui ont pris possession de la ville de Guekedou en septembre 2000.

[4]                 En bref, le demandeur a déclaré avoir été forcé à aider les rebelles, leur avoir échappé, être déménagé de sa maison à Guekedou vers une autre ville jusqu'à ce qu'il arrive dans la capitale, Conakry. Quand il a appris que l'armée avait pris contrôle de Guekedou et que les militaires étaient à la recherche des collaborateurs, il a quitté la Guinée.


[5]                 Le demandeur a réussi à se rendre au Mali, puis à Paris, avant d'arriver à Toronto le 19 février 2001. Il a été détenu parce que ses papiers d'identité ne semblaient pas en règle et quatre jours plus tard, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[6]                 Selon toute probabilité, le demandeur est entré au Canada en faisant une fausse déclaration quant à son identité et à la raison pour laquelle il était ici.

[7]                 Le demandeur a présenté sa revendication du statut de réfugié le 2 mars 2001 et le nom qui apparaît sur cette demande est celui de Theron Mamadou Tidiane Diallo et la date de naissance est le 11 décembre 1973 (non souligné dans l'original).

[8]                 Le 20 avril 2001, le demandeur a signé son Formulaire de renseignements personnels (FRP), lequel indique que son nom est Thierno Mamadou Tidiane Diallo et que sa date de naissance est le 3 avril 1973 (non souligné dans l'original).

[9]                 Il est important de se rappeler que le demandeur est pratiquement illettré et que tous les renseignements ont été mis par écrit par un agent d'immigration et non par le demandeur.

[10]            Le demandeur a expliqué que le délai de quatre jours pour présenter sa revendication du statut de réfugié était dû au fait qu'après sa détention, il n'avait trouvé personne avant le 23 février 2001 avec qui il pouvait parler français.


[11]            Quand il a été _traduction_ _ confronté _ (terme utilisé par la CISR) au fait que l'agent d'immigration l'avait interviewé en français à son arrivée, il a expliqué que ce qu'il voulait dire est qu'il n'avait trouvé personne à qui parler français pendant ses quatre jours de détention. De toute évidence, la CISR n'a pas accepté cette explication, pour des raisons qui ne sont pas claires.

[12]            La CISR a soutenu que le demandeur n'était pas crédible et elle a donc rejeté sa demande. Avant d'analyser la question au coeur du litige, soit les événements entourant Guekedou et le lieu de résidence du demandeur, la CISR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité générale du demandeur, et ce sur quatre points :

i)           son nom; la différence entre Theron et Thierno;

ii)          sa date de naissance; le 11 décembre par rapport au 3 avril 1973;

iii)          son lieu de résidence; un document indique que son lieu de résidence est Conakry alors qu'il prétend qu'il résidait à Guekedou;

iv)         les raisons invoquées pour venir au Canada; à son arrivée, il a affirmé être ici par affaires, et plus tard, il a revendiqué le statut de réfugié.

[13]            Dans le cadre de l'analyse de sa revendication du statut de réfugié et de sa qualité de personne à protéger, les conclusions négatives quant à l'ensemble de sa crédibilité ont eu une influence apparente sur l'issue de l'affaire.


Décision

[14]            Il est bien connu que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la CISR font l'objet d'un haut degré de retenue judiciaire et que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour ne doit pas et ne peut pas substituer ses vues à celles de la CISR et elle doit faire preuve d'une prudence extrême quand les conclusions de la CISR en rapport avec la crédibilité sont contestées.

[15]            Cependant, la Cour a quand même un rôle à jouer et elle ne peut se contenter d'approuver machinalement les conclusions tirées par la CISR sur le plan de la crédibilité. Elle peut et elle doit examiner comment la CISR a abordé son travail, comment elle s'est acquittée de ses fonctions, voir si les principes juridiques adéquats ont été appliqués et si la méthode d'analyse était bien fondée.

[16]            La Cour a établi que la CISR ne devait pas s'acharner sur des détails ou procéder à un examen microscopique des réponses d'un demandeur quand cela n'était pas justifié (voir la décision Ratheeskumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no 1697).


[17]            En plus du principe juridique énoncé par la juge Layden Stevenson dans la décision Ratheeskumar, précitée, les faits sont similaires parce que les deux affaires portent sur des explications relatives à des documents manquants, sur des événements entourant une zone conflictuelle ainsi que sur des conclusions en matière de crédibilité.

[18]            Apparemment, la CISR n'a pas tenu compte du fait que le demandeur était illettré et que les formulaires avaient été remplis par un agent d'immigration. La faute d'orthographe dans le nom du demandeur s'explique logiquement comme étant une erreur commise par l'agent. La CISR n'a donné aucune raison justifiant pourquoi le demandeur aurait mal épelé son nom. Dans les circonstances, il est difficile de voir quelle pourrait être la pertinence de cette erreur. La conclusion de la CISR sur cette question est manifestement déraisonnable.

[19]            Quant aux différences entre les dates de naissance, le demandeur a expliqué que dans son pays, les musulmans ne soulignent pas les anniversaires de naissance et qu'il avait dû donner une date approximative de sa naissance. Des éléments de preuve appuient l'allégation que dans certains pays musulmans, les anniversaires de naissance ne sont pas fêtés.

[20]            La CISR a rejeté cette explication et elle a tiré des conclusions défavorables, mais elle n'a pas expliqué la pertinence de cette déclaration inexacte ou pourquoi le demandeur aurait menti. Là encore, la conclusion sur ce point est manifestement déraisonnable.


[21]            Pour ce qui est de son lieu de résidence, il y avait une certaine confusion dans les documents et la CISR était la mieux placée pour effectuer le type d'analyse et de pondération qu'elle a effectuées.

[22]            Quant aux motifs qui ont poussé le demandeur à venir au Canada, la CISR a conclu qu'il avait fait une fausse représentation à ce sujet au moment de son entrée et qu'il avait tardé à faire une revendication du statut de réfugié sans fournir d'explication crédible. Selon le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, les réfugiés mentent souvent sur les raisons qui les ont poussés à s'enfuir, parce que leur ignorance de la procédure utilisée dans le nouveau pays leur inspire de la crainte. De plus, le demandeur a expliqué que la raison pour laquelle il a attendu quatre jours est que personne ne parlait français dans son secteur de détention. La CISR est libre de tirer ses propres conclusions, cependant, le risque est qu'elle était tellement influencée par ses autres conclusions en matière de crédibilité qu'il lui était impossible d'analyser cette question avec le degré de circonspection requis.

[23]            En bout de ligne, la CISR a conclu que le demandeur n'avait pas établi son identité en conformité avec l'article 106 de la LIPR et qu'il n'avait pas prouvé qu'il était à Guekedou en septembre 2000. Puisque la CISR avait tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur, elle a conclu qu'il ne courait aucun risque de persécution et qu'il n'était pas une personne à protéger.


[24]            Puisqu'au moins deux des éléments de la conclusion défavorable quant à la crédibilité sont manifestement déraisonnables, je suis d'avis d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Il est fort possible que ces deux éléments de la question n'aient pas eu un effet déterminant sur la décision finale, mais il est impossible de tirer cette conclusion à partir des motifs invoqués dans la décision de la CISR.

[25]            Les deux parties conviennent qu'il n'y a aucune question grave de portée générale et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la CISR soit annulée. La revendication du statut de réfugié et de personne à protéger est renvoyée à la CISR pour décision par un tribunal différemment constitué.

                                                                                                                                    _ Michael L. Phelan _                   

       Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 février 2004

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM 6279 02

INTITULÉ :                                                        THIERNO MAMADOU TIDI DIALLO,

(alias THERON MAMADOU TIDIANE DIALLO),

(alias OUSMANE FOFANA), (alias M. UNTEL)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 6 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE PHELAN

DATE :                                                                LE VENDREDI 6 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell                                                    POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous procureur général du Canada


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