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Date : 20050914

Dossier : IMM-508-05

Référence : 2005 CF 1250

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                               SINDAR SHAHIB, Mohamed Hilmy

MOHAMED HILMY Anosha Banu

MOHAMED HILMY, Dilras Banu

MOHAMED HILMY, Ahmed Shazne

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 novembre 2004 par Farid Osmane, agent de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle il a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au sens respectivement des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).


LES QUESTIONS EN LITIGE :

[2]                Les demandeurs ont-ils bénéficié d'une audience équitable?

[3]                Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?

CONCLUSION

[4]                Pour les motifs suivants, la Cour est d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

LE CONTEXTE

[5]                Les demandeurs sont des musulmans de langue tamoule originaires de Negombo (Sri Lanka). Mohamed Hilmy Sindar Shahib (le demandeur principal) a été désigné comme le représentant de ses enfants.


[6]                En novembre 2001, le demandeur principal a vu une voiture conduite par des membres de l'Alliance populaire (l'AP) frapper une foule de membres du Parti national uni (le PNU) près de son magasin. Afin d'obliger M. Shahib à témoigner au tribunal au sujet de cet incident, la police l'a arrêté en janvier 2002 et en juillet 2002. Des membres de l'AP, qui ne voulaient pas que M. Shahib témoigne, l'ont enlevé ainsi que sa famille et ils ont proféré des menaces de mort en janvier 2002. Des membres de l'AP ont aussi mis le feu à son magasin en juillet lorsqu'ils n'ont pas pu le trouver. Les demandeurs se sont alors cachés et ils ont quitté le Sri Lanka pour le Canada en novembre 2002.

LES OBSERVATIONS DES PARTIES

A. Les demandeurs ont-ils bénéficié d'une audience équitable?

Les demandeurs

[7]                Les demandeurs ont d'abord soutenu que le commissaire avait pressé l'agent de protection des réfugiés (l'APR) à entamer l'interrogatoire du demandeur principal et que cela constitue une atteinte aux principes de justice naturelle. Cet argument n'a pas été plaidé à l'audience.

[8]                Les demandeurs ont persisté à invoquer l'atteinte aux principes de justice naturelle en raison des nombreuses interventions des commissaires au cours de l'audience. Selon les demandeurs, ces interventions, considérées dans leur ensemble, ont porté atteinte aux principes de justice naturelle. En outre, les demandeurs ont soutenu qu'ils n'ont pas bénéficié d'une audience équitable.

Le défendeur

[9]                Le défendeur soutient que le paragraphe 162(2) de la LIPR oblige la Commission à diriger toutes les instances dont elle est saisie de manière aussi informelle et rapide que les circonstances et le respect de l'équité et des principes de justice naturelle le permettent. En outre, selon l'alinéa 170g) de la LIPR, la Commission « n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve » . Autrement dit, le défendeur est d'avis que la Commission est libre, dans les limites du raisonnable, de fixer sa propre procédure administrative : Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, au paragraphe 16. L'avocat du défendeur a aussi attiré l'attention de la Cour sur l'article 165 de la LIPR, qui prévoit que les commissaires de la SPR sont investis des pouvoirs d'un commissaire nommé aux termes de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11 (voir l'article 4).

[10]            En outre, l'avocat du défendeur soutient que les commissaires de la SPR ne jouent pas le rôle d'un juge et que leur participation au processus peut varier selon les circonstances. En l'espèce, le commissaire est intervenu afin d'obtenir des éclaircissements, et poliment, selon le défendeur. Le commissaire a participé aux débats, mais ses interventions ont bien montré qu'il était intéressé à entendre la déposition des demandeurs et qu'il essayait de comprendre leur récit.

B. Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?

Le demandeur

[11]            Les demandeurs signalent que le commissaire, pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité, s'est fondé sur des omissions dans les notes prises au point d'entrée et dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP); par exemple :

-           L'épouse de M. Shahib n'a pas mentionné dans son FRP qu'elle craignait que la police ne se comporte de manière indécente avec elle;

-           M. Shahib n'a pas mentionné dans son FRP que la police avait déjà injurié son épouse lorsqu'il était en détention;

-           M. Shahib n'avait pas mentionné, dans un formulaire d'immigration qu'il avait rempli, qu'il craignait les voyous de l'AP;


-           M. Shahib n'a pas modifié son FRP afin d'y préciser que la police et les voyous de l'AP étaient allés le chercher au lieu de résidence de sa belle-famille et avaient menacé de le tuer;

-           M. Shahib n'a pas précisé dans son FRP que le conducteur de la voiture impliquée dans l'accident s'était rendu à la police.          

[12]            Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve. M. Shahib a expliqué qu'on lui avait dit à son entrevue avec des agents d'immigration qu'il n'était pas nécessaire d'exposer plus en détail ses prétentions parce qu'il aurait l'occasion de le faire à l'audience. Les demandeurs soutiennent que la Commission a été déraisonnable lorsqu'elle a rejeté son explication.


[13]            La Commission a examiné les déclarations de M. Shahib selon lesquelles entre 75 et 80 personnes avaient assisté à la réunion du PNU; selon elle, elles étaient contredites par un article du Sunday Leader qui estimait qu'il y avait eu de 1500 à 1600 personnes présentes. Les demandeurs ont bel et bien convenu que cette conclusion quant à la crédibilité pouvait être qualifiée de raisonnable. Dans l'intérêt de la transparence, l'avocat des demandeurs a aussi convenu que deux autres conclusions quant à la crédibilité pouvait être considérées raisonnables. Premièrement, ils ont reconnu qu'il y avait contradiction entre la déclaration du demandeur principal selon laquelle il se cachait et son autre témoignage qu'il exploitait alors son magasin. Deuxièmement, ils ont accepté l'explication donnée relativement au temps écoulé entre les prétendus actes de persécution et le départ des demandeurs du Sri Lanka.

[14]            La Commission a aussi constaté que les preuves étaient contradictoires en ce qui concerne le lieu où le meeting a eu lieu. Dans sa déposition, M. Shahib a déclaré qu'il a eu lieu en face de son magasin, près d'un poste d'essence. Cependant, la Commission a signalé que, dans la preuve documentaire fournie par M. Shahib, il était dit que la réunion devait avoir lieu dans un centre commercial et non pas « en bordure d'un poste d'essence situé devant son magasin » . Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve confirmant que le magasin de M. Shahib était situé dans le centre commercial. Donc, selon eux, il n'y avait pas contradiction entre le témoignage de M. Shahib et la preuve documentaire.

Le défendeur

[15]       Le défendeur soutient que c'est à bon droit que la Commission a conclu que, dans l'ensemble, M. Shahib et son épouse n'avaient en général aucune crédibilité; cette conclusion est étayée par la preuve et fondée sur des considérations sérieuses et pertinentes. La Commission a le droit de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité en se fondant sur les omissions et les contradictions dans les notes prises au point d'entrée, dans le FRP du demandeur et dans son témoignage.

[16]            Le défendeur est d'avis que toutes les conclusions tirées quant à la crédibilité sont justifiées au regard de la preuve et qu'elles ont été bien expliquées.

[17]            En outre, le défendeur soutient que les allégations et les arguments exposés par les demandeurs ne sont pas suffisants pour établir que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité des demandeurs ou de la preuve produite à l'audience.

ANALYSE

La norme de contrôle


[18]            L'application, par la Commission, des principes de justice naturelle et d'équité procédurale et, plus précisément, le comportement d'un commissaire qui fait de nombreuses interventions peuvent éventuellement donner lieu à une crainte raisonnable de partialité aux personnes informées qui voient les choses de façon réaliste et pratique. Dans un tel cas, la Cour doit intervenir (voir l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres. c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 (C.S.C.), et la décision Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] CF 870). En ce qui concerne les questions de ce genre, la norme de contrôle est la décision correcte : voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, [2005] A.C.F. no 544 (C.A.) (QL). Il peut aussi arriver que le comportement du commissaire ait empêché les demandeurs d'exposer leur récit au complet. Par conséquent, s'il y a apparence de partialité chez le commissaire en raison d'un grand nombre d'interventions ou si ces interventions ont empêché la tenue d'une audience équitable, la Cour doit intervenir.

[19]            La norme de contrôle des décisions de la Commission relatives à la crédibilité et de celles qui portent essentiellement sur des questions de fait est la décision manifestement déraisonnable : Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 173, au paragraphe 42. Voir aussi l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4, où la Cour d'appel a dit que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage : « Qui, en effet, mieux qu'elle, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? » .

Les nombreuses interventions des commissaires

[20]            Mon examen de la transcription de l'audience révèle que le commissaire a activement participé aux débats. Il est intervenu à 25 reprises au moins. Dans la plupart des cas, son but était d'obtenir des éclaircissements et des précisions. À quelques reprises, le commissaire a cherché à aider les demandeurs à témoigner. À part une intervention (à la page 743 du dossier du tribunal), je conclus que toutes les interventions étaient justifiées. Cette seule exception ne justifie pas l'intervention de la Cour.


[21]            Le commissaire est intervenu de manière polie et courtoise. Il a manifesté une bonne connaissance du dossier et sa volonté de comprendre les questions en jeu. Le commissaire a traité de manière professionnelle les objections qui ont été soulevées. La Cour considère que les commissaires de la SPR ne sont pas des juges. Ils doivent assumer la charge de présider une enquête qui comprend une mission de recherche des faits. Ils peuvent donc intervenir activement dans le processus qui vise à clarifier les questions en jeu. En l'espèce, c'est ce que le commissaire en cause a fait, et son travail ne donne pas lieu à une crainte de partialité.

[22]            L'examen du dossier révèle qu'il y avait des omissions et des contradictions importantes dans le témoignage des demandeurs. J'ai cerné 10 conclusions relatives à la crédibilité qu'a tirées le commissaire. Elles sont toutes motivées. Je ne vois aucune raison d'intervenir. En outre, la Commission pouvait à bon droit conclure que le fait que les demandeurs ont tardé à quitter le Sri Lanka reflétait une absence de crainte subjective de leur part. Par conséquent, je ne vois aucun motif d'infirmer la décision de la Commission.

[23]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24]            J'ai demandé aux parties si elles voulaient demander que soit certifiée une question, et elles ne l'ont pas fait.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

­                      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                                     « Simon Noël »                           

                                                                                                                                                     Juge                                   

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-508-05

INTITULÉ :                                        MOHAMED HILMY SINDAR SHAHIB et AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli                                           POUR LES DEMANDEURS

Lisa Maziade                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pia Zambelli                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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