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Date : 20020402

Dossier : T-2009-00

Référence neutre : 2002 CFPI 339

ENTRE :

                                                               FINANSBANKEN ASA

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                  et

                                                             THE VESSEL "GTS KATIE"

                                       THE OWNERS AND ALL OTHERS INTERESTED IN

                                                             THE VESSEL "GTS KATIE"

                              THIRD OCEAN MARINE NAVIGATION COMPANY L.L.C.

                                                                                   

                                                                                                                                               Défendeurs

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une requête visant à renverser une ordonnance du protonotaire Me Richard Morneau, datée du 22 janvier 2002. Ladite ordonnance rejetait la réclamation de Clipper Inc.


FAITS PERTINENTS

[2]                 Suite à un voyage épique à travers l'océan Atlantique, et après avoir été arraisonné par des membres des Forces canadiennes, le bâtiment "GTS Katie" est finalement arrivé à Montréal, au cours de l'été de l'an 2000.

[3]                 Ultérieurement, le bateau fut mis en vente et plusieurs ordonnances de la Cour ont prévu à la fois les conditions de la vente et également comment les créanciers qui avaient des réclamations à l'encontre du dit bâtiment "GTS Katie", puissent faire valoir leurs droits.

[4]                 Tant le demandeur Finansbanken ASA que Clipper Inc. ont fait valoir leurs droits en déposant des réclamations.


[5]                 Le demandeur a fait valoir ses droits de créancier hypothécaire de premier rang, alors que Clipper Inc., de son côté, a déposé une réclamation à l'effet qu'au moment où le bateau avait été saisi en novembre 2000, une entente était intervenue entre les propriétaires du bateau (Third Ocean Marine Navigation Company L.L.C.) et Clipper Inc. à l'effet que Clipper Inc. s'engageait à fournir un certain nombre de biens, notamment de la nourriture pour l'équipage et de l'antigel et qu'en contrepartie, les propriétaires du bateau avaient transféré la propriété et la possession de certains biens soit entr'autres, quarante boîtes de documents relatifs au navire, soit des plans, des dessins et des manuels d'opérations, des équipements de sauvetage, certains appareils respiratoires.

[6]                 Lesdits biens, mentionnés précédemment, ont été localisés la veille de la vente du bâtiment et, suivant une entente entre les parties, ont également été remis au shérif afin qu'il puisse procéder à la vente.

[7]                 Le procureur de Clipper Inc. a informé la Cour que son client n'avait pas cru bon s'opposer à la réclamation de la banque puisqu'il reconnaissait la validité de son hypothèque de premier rang.

[8]                 Par ailleurs, la banque, elle, s'est opposée à la réclamation de Clipper Inc., à la fois lors du dépôt d'une notice of contestation et par la suite, lors du dépôt de ses représentations écrites à l'encontre de la réclamation de Clipper Inc.

[9]                 Il semble que les biens fournis par Clipper Inc. au navire "GTS Katie" représentent une valeur approximative de $6,000 alors que les biens donnés en garantie avaient une valeur de plus de $40,000.

[10]            Il appert du dossier que le propriétaire du navire était déjà endetté pour une somme de plus de $36,000 envers Clipper Inc. et que les biens donnés en garantie devaient couvrir non seulement la valeur des biens remis par Clipper Inc. au bateau, soit la nourriture, mais en plus, devaient couvrir la valeur des dettes antérieures dues par le propriétaire du navire à Clipper Inc.

[11]            Dans une décision rendue le 22 janvier 2002, le protonotaire Me Richard Morneau rejetait les prétentions de Clipper Inc. quant à toute demande de protection, priorité ou distraction, lui permettant de se voir payer en priorité à la banque et à Lloyd qui sont les deux créanciers hypothécaires dans ce dossier.

ANALYSE

[12]            La Cour d'appel fédérale par la voix de l'honorable juge MacGuigan a déjà précisé les paramètres quant à l'intervention de la Cour lorsqu'un juge est saisi d'un appel à l'encontre d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire. À cet effet, l'honorable juge MacGuigan écrivait dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462-463:


Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal15.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis un erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

                                              

15 Il y a lieu de noter que la formulation employée par lord Wright, « the final issue of the case » n'a pas du tout le même sens que « the final issue in the case » . Il a voulu dire par là « influence déterminante sur l'issue du principal » et non « influence déterminante sur le litige principal selon le mérite de la cause » .

Quant à la question de savoir à l'avis de quel juge il faut se ranger dans l'affaire Evans v. Bartlam, il est vrai que la conclusion tirée par lord Atkin à la p. 478 pourrait signifier que dans tous les cas, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire: [TRADUCTION] « Selon l'esprit des règles, il exerce son propre pouvoir discrétionnaire pour statuer sur les droits des parties, et il a le droit de l'exercer comme si l'affaire lui avait été soumise en premier lieu. Il prendra naturellement en considération, comme il convient, la décision antérieure du protonotaire, mais il n'est nullement lié par cette décision » . Mais même si on donne l'interprétation la plus libérale à ces mots, par contraste avec la conclusion de lord Wright, il n'est pas du tout évident qu'il a rallié la majorité de la Chambre des lords sur ce point. Seul lord Thankerton a souscrit à cette conclusion. Lord Russel of Killowen ne s'est pas prononcé directement sur la question, et lord Roche, qui ne reconnaissait manifestement pas les nuances entre les vues exprimées, était d'accord avec tout le monde. Quoi qu'il en soit, ce que l'appelante avait besoin d'établir, c'était le point de vue opposé à celui dont elle soutient qu'il était celui de lord Atkin, à savoir que la décision discrétionnaire du protonotaire prévaut dans tous les cas, mais en fait elle soutient une version modifiée de la règle définie par lord Wright et n'a pas été en mesure de la faire valoir.


[13]            Je dois reconnaître que l'ordonnance rendue par le protonotaire Morneau porte sur des questions qui ont une influence déterminante sur l'issue du principal. La décision du protonotaire ayant pour effet de rejeter purement et simplement la réclamation de Clipper Inc., je n'ai aucune hésitation à conclure que l'intervention du juge est néanmoins justifiée dans les circonstances.

[14]            Cependant, me référant à la note mentionnée dans la décision du juge MacGuigan, même si le juge a le droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire comme si l'affaire avait été soumise à un juge de la Cour fédérale en premier lieu, il est dans l'ordre que la Cour prenne en considération la décision rendue par le protonotaire. Bien que je ne me sente pas lié par ladite décision, cette dernière doit être examinée avec beaucoup de déférence.

[15]            Il semble que le propriétaire du navire se soit retrouvé dans une situation difficile voire délicate à son arrivée à Montréal. Il a peut-être été quelque peu contraint de céder la propriété de certains biens sur le navire afin de s'assurer que Clipper Inc. fournisse certains biens soit entr'autres de la nourriture. Cependant, cela ne peut justifier que l'on fasse fi des droits légitimes des créanciers hypothécaires.

[16]            Si l'on peut comprendre l'intérêt de fournir des garanties pour la fourniture de biens sur une base urgente, la valeur desquelles s'élevait à environ $6,000, on doit s'étonner qu'en échange de la fourniture de ces biens, les propriétaires du bateau se soient engagés à fournir une garantie qui apparaisse huit fois supérieure à la valeur des biens fournis et couvre des dettes antérieures du navire au même fournisseur de biens. Lesdits biens donnés en garantie appartenaient à la banque, il est souvent plus facile d'être généreux avec des biens appartenant à d'autres.

[17]            Ce genre de transaction de dernière minute visant à accorder des garanties sur des biens qui ne peuvent en aucun cas être justifiées, sont des transactions annulables dans la plupart des cas, puisque faites sans considération ou pour une considération dépassant largement la valeur des biens en cause.

[18]            Qui plus est, la banque demanderesse avait exposé ses droits hypothécaires à la première occasion et Clipper Inc. avait choisi de ne pas les contester.


[19]            Le procureur de Clipper Inc. n'a pas réussi à me convaincre que la banque ait jamais consenti à cette transaction verbale de dernière minute et le fait qu'on ait cherché lesdits biens jusqu'à la dernière minute et que c'est finalement seulement la veille de la vente du navire que le shérif a pu récupérer les biens qui étaient l'objet de la transaction afin de procéder à la vente, démontre l'absence à la fois de consentement et de connaissance de la part de la banque de ladite transaction.

[20]            Le procureur de Clipper Inc. suggère que le contre-interrogatoire de M. Margan, représentant de Third Ocean, démontre que la banque était au courant de ladite transaction.

[21]            Le procureur de Clipper Inc. soutient qu'il aurait été dans l'ordre que si la banque souhaitait contredire ces affirmations, elle aurait dû déposer une preuve soit par un affidavit d'un représentant de la banque ou autrement et que ladite preuve suivant le témoignage de M. Margan demeure une preuve non contredite équivalant à consentement au transfert des dits biens.


[22]            J'ai examiné avec attention de quelle façon le protonotaire a examiné cette question et je n'ai pu trouver nulle part quelque erreur que se soit tant au niveau de l'évaluation de la preuve que dans la décision rendue suite à l'analyse. Si le procureur de Clipper Inc. considère que les prétentions de la banque à l'encontre de sa réclamation basée sur son hypothèque sont quelque peu tardives, on peut facilement lui retourner le reproche quant à sa décision de ne pas avoir contesté sinon la validité du droit hypothécaire de la banque, du moins ses prétentions à l'effet que les biens obtenus en garantie n'étaient pas couverts par ladite hypothèque.

[23]            Le procureur de Clipper Inc. n'a pas réussi à me convaincre non plus que les diverses boîtes de documents incluant les plans et devis du bateau, les manuels de fonctionnement ainsi qu'un certain nombre de pièces d'équipements nécessaires à la navigation n'étaient pas couvertes par la clause pertinente de l'hypothèque, laquelle est examinée au paragraphe 16 de la décision du protonotaire:

the whole of the vessels TOGETHER with all of the boilers, engines, machinery, masts, boats, anchors, cables, chains, tackles, apparel, furniture, fittings, equipment, fuel, consumable, stores and all other appurtenances to the vessel appertaining or belonging whether now owned or hereafter acquired whether on board or not and all additions, improvements and replacements here and after made in or to the vessel or any part thereof or in or to the equipment and appurtenances aforesaid.

[24]            Le protonotaire Morneau a fait une analyse approfondie des arguments à la fois de la banque et à la fois de Clipper Inc. incluant l'analyse de la correspondance échangée.


[25]            L'argument à l'effet que le protonotaire n'aurait pas dû considérer ou examiner les termes de l'hypothèque détenue par la banque, puisqu'elle n'apparaissait seulement qu'en annexe à la preuve présentée au support de sa propre réclamation, m'apparaît tout à fait dénué de fondement et doit être rejeté du revers de la main. L'hypothèque détenue par la banque est la base même de sa réclamation, Clipper Inc. ne pouvait l'ignorer et encore moins le protonotaire. Malgré les efforts louables et souvent convaincants du procureur de Clipper Inc. au soutien de ses prétentions, et malgré la sympathie évidente de la Cour à l'égard d'un fournisseur de biens et services de dernier recours pour un navire qui, bien que n'étant pas en perdition semblait avoir un besoin pressant de fournitures notamment de denrées alimentaires, il ne s'agit pas d'une situation s'apparentant à un naufrage ou à une situation désespérée, et la Cour ne peut manifestement pas aller à l'encontre du droit et, comme je l'ai dit précédemment, faire fi des droits légitimes du créancier hypothécaire de premier rang dans ce dossier.

[26]            Suivant le raisonnement adopté par la Cour d'appel et suivant les faits qui ont amené le protonotaire à rendre sa décision, le requérant ne m'a pas convaincu que l'ordonnance rendue par le protonotaire Morneau était entachée d'erreurs flagrantes à savoir qu'il avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[27]            Pour toutes ces raisons, la demande visant à renverser la décision du protonotaire Morneau est rejetée avec dépens.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 2 avril 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: T-2009-00

INTITULÉ

FINANSBANKEN ASA

et

THE VESSEL "GTS KATIE" THE OWNERS AND ALL OTHERS INTERESTED IN THE VESSEL "GTS KATIE" THIRD OCEAN MARINE NAVIGATION COMPANY L.L.C.

LIEU DE L'AUDIENCE: Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE: Le 21 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS: Le 2 avril 2002

COMPARUTIONS

Me Guy Vaillancourt POUR CLIPPER INC.

Me Mireille Tabib POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Guy Vaillancourt POUR CLIPPER INC. Québec (Québec)

Stikeman Elliot POUR LA DEMANDERESSE Montréal (Québec)

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