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Date : 20050310

 

Dossier : IMM-7464-03

 

Référence : 2005 CF 350

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), ce 10e jour de mars 2005

 

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

  LASZLO BANCSOK

et

AGNES ILONA FARAGO

 

demandeurs

et

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] M. Bancsok est un ressortissant hongrois d’origine rome âgé de 27 ans. Il allègue une crainte fondée de persécution et prétend être une personne à protéger en raison des traitements que la police et son beau-père lui font subir, et parce qu’il ne peut compter sur l’État pour assurer efficacement sa protection. Sa femme n’est pas d’origine rome. Sa demande repose sur celle de son époux.

 

 


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

  • [2] La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la Commission ») a conclu qu’il n’y avait ni une crainte objective ni une crainte subjective fondée de persécution dans ce cas. La Commission a conclu que M. Bancsok n’était pas facilement reconnu comme étant d’origine rome, et que, en tout cas, il était très bien intégré dans la société hongroise en raison du quartier où il vivait, de son éducation et de son expérience de travail. La Commission a conclu que, bien qu’il puisse souffrir d’une certaine discrimination, cela n’équivaut pas à de la persécution.

  • [3] La Commission a conclu que le témoignage de M. Bancsok sur ses démêlés avec la police était vague, incohérent et ne concordait pas avec son Formulaire de renseignements personnels (« FRP »). Elle a estimé qu’il exagérait l’ampleur de l’implication de la police.

  • [4] La Commission a conclu que les témoignages relatifs à la disponibilité de la protection de la police contre son beau-père a fait ressurgir d’importantes omissions concernant la réaction de la police à l’égard des plaintes de persécution de son grand-père, de l’information qui n’a pas été incluse dans le FRP.

  • [5] La Commission a conclu que le fait que M. Bancsok n’ait pas demandé l’asile en Allemagne et se soit de nouveau réclamé de la protection de la Hongrie a miné ses allégations de crainte subjective.

  • [6] La Commission a également conclu que la preuve documentaire indiquait que la Hongrie fait des efforts et connaît des améliorations progressives en ce qui a trait à la question sur les Roms, et qu’en tant que pays démocratique, la Hongrie est présumée être en mesure d’assurer la protection de ses ressortissants.

 

 

 

 

 

QUESTIONS À TRANCHER

 

  • [7] Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.  Le commissaire a-t-il fait preuve de biais ou a-t-il tiré une conclusion abusive à l’égard de l’apparence du demandeur?

2.  La Commission a-t-elle tiré des conclusions arbitraires en matière de crédibilité?

3.   La Commission a-t-elle erré dans ses conclusions relatives à la protection de l’État?

4.  La Commission a-t-elle commis une erreur dans son application de l’article 97?

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

 

1.  Le biais et l’apparence rome

 


  • [8] M. Bancsok soutient que le comportement du commissaire à l’audience et la conclusion selon laquelle il n’était pas physiquement reconnaissable comme un Rom soulèvent une crainte raisonnable de partialité et qu’il a en conséquence été privé d’une audience équitable : Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie [1978] 1 R.C.S. 369; R c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484; Siloch c. Canada (1993), 151 N.R. 76 (C.A.).

  • [9] La conclusion voulant que M. Bancsok n’ait pas l’air d’un Rom touche au cœur même des autres conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance, en particulier en ce qui concerne l’arrestation par la police. Se fonder sur des observations concernant l’apparence physique en l’absence de preuve d’expert est fondamentalement dangereux : Mitac c. Canada (1999), 175 F.T.R. 155 (1re inst.); Pluhar c. Canada (1999), 174 F.T.R. 153 (1re inst.)

  • [10] Le défendeur soutient que la Commission a examiné l’apparence physique du demandeur, mais a néanmoins conclu qu’il était Rom. La jurisprudence invoquée par le demandeur met en cause des gens qu’on ne croyait pas être des Roms en raison de leur apparence. Des observations ne sont pas une preuve de partialité si elles n’ont aucune incidence sur l’établissement de l’identité. Même s’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans la conclusion de la Commission, c’était sans importance pour l’issue de l’affaire : Mobil Oil Canada Ltd. c. Canada- Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

  • [11] Dans Negoita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 770, aux paragraphes 27 et 28, le juge Teitelbaum a fait remarquer ceci :

 

 

 

La Commission s’est fondée à tort en l’espèce sur son observation de la couleur de la peau de la demanderesse pour conclure qu’elle ne serait pas perçue comme une Rom. Comme l’a fait remarquer le juge Evans, cela ne constitue pas un fondement suffisamment sûr pour permettre à la Commission de déterminer comment la demanderesse serait perçue par les gens dans son pays natal.

 


Toutefois, ces conclusions de la Commission ne mènent pas nécessairement à la conclusion que cette demande devrait être accueillie. Dans Pluhar, précité, une mauvaise évaluation par la Commission des caractéristiques physiques de la demanderesse a constitué le fondement du rejet de sa demande d’asile. Dans le cas présent, le rejet de la demande présentée par le demandeur n’était pas fondé sur ce facteur, mais sur le fait que la Commission n’a pas estimé le témoignage du demandeur crédible, à bien des égards, et n’était pas convaincue que le demandeur avait une crainte subjective pour sa sécurité personnelle en Roumanie.

 

Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

 

  • [12] Les commentaires concernant l’apparence de M. Bancsok ont mené à la conclusion qu’il ne ferait probablement pas l’objet de persécution. Ils ont été faits dans le contexte de la constatation que M. Bancsok semblait être bien intégré à la société rome, et par conséquent avait moins de risques de subir de la discrimination. La preuve documentaire étayait une telle conclusion.

  • [13] Les commentaires concernant l’apparence de M. Bancsok sont discutables, en ce que la Commission n’a pas fait appel à une personne ayant une expertise dans l’apparence des Roms hongrois. Cependant, je ne trouve pas – étant donné les autres conclusions concernant la persécution des Roms en général – que l’erreur, s’il y en avait une, a eu quelque incidence particulière sur l’issue de la décision.

 

 

3.  Crédibilité

 


  • [14] M. Bancsok soutient que la Commission a conclu qu’il était vague, mais n’a pas donné les motifs ou des précisions expliquant son évaluation. La Commission se trouve dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité : Hilo c. Canada (1991), 130 N.R. 236 (C.A.); Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 101 N.R. 372 (C.A.). La Commission n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve pour en arriver à ses conclusions relatives à la crédibilité : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.).

  • [15] Le demandeur fait valoir qu’il n’avait pas à démontrer qu’il avait été persécuté ou serait probablement persécuté, mais seulement la crainte qu’avait suscitée les faits répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis contre les membres d’un groupe auquel il appartenait. La Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que les Roms font l’objet de persécution : Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.); Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680.

  • [16] Le défendeur fait remarquer que la Commission a soigneusement évalué à la fois la crainte subjective et la crainte objective de persécution et que le demandeur n’a pas démontré que le tribunal avait commis une erreur : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 73 F.T.R. 280. Le défendeur fait remarquer que le demandeur ne s’est pas rendu à la police et n’a pas cherché à obtenir l’aide d’autres organismes : Orban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 559; Ozvald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1250.

  • [17] J’estime que la Commission a donné des motifs clairs et explicites de douter de la crédibilité de M. Bancsok et de sa crainte subjective. La Commission a souligné les divergences entre le FRP et les dépositions orales, l’imprécision et les incohérences des dépositions orales – en particulier celles liées à ses démêlés avec la police – et l’omission dans le FRP des problèmes de son grand-père avec la police. Ces conclusions n’étaient pas manifestement déraisonnables.

  • [18] Bien que la persécution de personnes en situation semblable soit une considération pertinente, dans le cas dont notre Cour est saisie, la Commission a conclu que M. Bancsok était bien intégré, et a cité la preuve documentaire indiquant que « les Roms bien intégrés, à la peau claire ou non, subissent beaucoup moins de discrimination que les Roms moins intégrés ou plus facilement identifiables comme Roms ». La Commission a raisonnablement conclu que la preuve de persécution de personnes ne se trouvant pas dans une situation analogue n’est d’aucun secours à M. Bancsok.

 

 

 


 

 

4.  Protection de l’État

 


  • [19] M. Bancsok soutient que la Commission a commis une erreur en ce qui a trait au critère auquel est assujettie la protection efficace de l’État : Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689. La Commission n’a pas expressément conclu que l’État assurait la protection de ses ressortissants. Elle a ignoré la preuve documentaire : 1999 U.S.D.S. Rapport pour 1998; HR Watch Report 1998 et 1999, CISR RIR No HUN 298261998; Sarkosi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 649; Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration 2001 CFPI 398; Piel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 562 Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 626; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 339.

  • [20] Le défendeur soutient qu’il n’y a pas de défaut apparent : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280 (1re inst.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; Chamberlain c. Surrey School District No 36, [2002] 4 R.C.S. 710. Les documents invoqués par le demandeur sont tous périmés. La Commission a utilisé une preuve documentaire plus récente, et ne devrait pas être blâmée pour avoir ignoré la documentation datant de 1998 et de 1999.

  • [21] La Commission a conclu que la Hongrie est un État démocratique et est présumée être en mesure d’assurer la protection de ses ressortissants. Elle a également conclu que M. Bancsok n’avait pas fait de réels efforts pour obtenir la protection de l’État hongrois, surtout du fait que selon la preuve documentaire, il aurait raisonnablement pu s’attendre à l’obtenir. Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion.

  • [22] Je ne crois pas que la Commission a commis une erreur en ignorant la preuve documentaire déposée par l’agent de protection des réfugiés (l’APR) quand des documents plus récents étaient disponibles. Par conséquent, je ne trouve pas que la Commission a ignoré des éléments de preuve documentaire pertinents pour arriver à sa conclusion.

 

 

 

 

5.  Article 97


 

  • [23] M. Bancsok soutient que la Commission a appliqué le mauvais critère juridique relativement à l’article 97 parce qu’elle n’a pas donné les motifs pour lesquels la discrimination subie par les Roms ne constitue pas un traitement ou une peine inusités, même si ce n’est pas de la persécution : U.S.A. c. Johnson (2003) 62 O.R. (3d) 327 (Ont. C.A.).

  • [24] Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne donnant pas les motifs pour lesquels les demandeurs n’avaient pas la qualité de personnes à protéger en vertu de l’article 97. La crédibilité était déterminante en vertu de l’article 96 et aurait également été déterminante en vertu de l’article 97 : Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 245 F.T.R. 52 (C.); Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2003] A.C.F. no 1540 (C. F.).

  • [25] La Commission a conclu que l’État assurait une protection adéquate en Hongrie, et que des problèmes de risque pour la vie ou de traitements ou peines cruels ou inusités ne se posent pas. Aucune preuve n’a été présentée démontrant un risque de torture pour des raisons sérieuses.

  • [26] Je ne crois pas que la Commission a commis une erreur en omettant de faire une vaste analyse au sens de l’article 97. Une conclusion indiquait déjà que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État dans le cadre d’une demande d’asile. Les préoccupations légitimes de crédibilité à l’égard du témoignage du demandeur indiquent également que la Commission n’était pas tenue d’aller au-delà d’une analyse au sens de l’article 96.

  • [27] Le demandeur a proposé deux questions à certifier dans la présente affaire.

 

 

 


 

1. Des attaques ou menaces physiques liées à un motif prévu par la Convention ne peuvent-elles jamais constituer de la discrimination plutôt que de la persécution?

2. Des motifs distincts sont-ils requis en vertu de l’article 97 lorsque la crainte est fondée sur un motif prévu par la Convention, ou que des personnes dans la même situation subissent de la persécution pour que la Commission puisse satisfaire à ses obligations légales de fournir des motifs en vertu de l’alinéa 169b) de la LIPR?

 

  • [28] Le défendeur soutient que la première de ces questions a déjà été tranchée : les attaques physiques tracent toujours la ligne entre la discrimination et la persécution. Aucune jurisprudence n’a cependant été citée pour étayer cette proposition. En effet, bien qu’il existe une jurisprudence indiquant qu’un préjudice physique n’est pas nécessaire pour démontrer l’existence de persécution, aucun énoncé clair n’indique que toutes les attaques physiques ou menaces de préjudice infligées en raison d’un motif prévu par la Convention constituent nécessairement de la persécution. En tout cas, je refuse de certifier cette question parce qu’elle ne serait pas déterminante du présent appel. La question de savoir si une seule attaque est ou n’est pas de la persécution n’est pas pertinente si l’État assure une protection adéquate.

  • [29] Le défendeur soutient que la deuxième question a également été tranchée dans Bouanouie et Kilic. Cependant, il y a une autre raison de ne pas certifier cette question. Eu égard à la conclusion de la Commission selon laquelle les « personnes se trouvant dans une situation analogue » en question n’étaient pas, en fait, dans la même situation, cette question ne serait pas déterminante d’un appel.

  • [30] La présente demande est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 


 

 

 

 

 

  ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

    « Richard G. Mosley »

 Juge de la Cour fédérale


  COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :  IMM-7464-03

 

INTITULÉ :  LASZLO BANCSOK et

AGNES ILONA FARAGO et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :    Le 25 novembre 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :    Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :  Le 10 mars 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Sherazee  POUR LES DEMANDEURS

 

Martin Anderson  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amina Sherazee  POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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