Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                               Date : 20021113

                                                                                                                   Dossier : IMM-6058-99

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2002

En présence de Monsieur le juge Pinard

ENTRE :

                                                              DIRK DE JONG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agent des visas J.W. André Valotaire, de l'ambassade du Canada, à Bonn, en Allemagne, a refusé, le 17 novembre 1999, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est rejetée.

La question suivante est certifiée :

La richesse d'un demandeur est-elle une considération pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si l'admission du demandeur au Canada entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada?

                        « Yvon Pinard »                                                                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                               Date : 20021113

                                                                                                                   Dossier : IMM-6058-99

                                                                                                Référence neutre : 2002 CFPI 1165

ENTRE :

                                                              DIRK DE JONG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise le 17 novembre 1999 par l'agent des visas J.W. André Valotaire (l'agent), de l'ambassade du Canada, à Bonn, en Allemagne. L'agent a refusé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi), parce que sa fille, qui est à sa charge, souffre d'un retard de développement ou d'une déficience mentale légère.

        Le demandeur et sa famille sont citoyens des Pays-Bas. La demande de résidence permanente présentée par le demandeur à titre de membre de la catégorie des « travailleurs autonomes » , avec sa conjointe et six enfants en tant que personnes à sa charge, a été reçue par l'ambassade du Canada, à Bonn, en Allemagne, le 25 octobre 1996.


        Le demandeur a reçu une « lettre fondée sur l'équité » en date du 17 octobre 1997, lui donnant la possibilité de répondre dans un délai de trente jours à une évaluation médicale de sa fille, Dirkje De Jong (Dirkje), née le 28 septembre 1988, par le docteur J. Beltran, à défaut de quoi la demande serait automatiquement refusée. L'évaluation médicale comprenait les commentaires suivants :

[TRADUCTION] Des tests psychologiques formels ont révélé que la demanderesse souffre d'un retard de développement (QI de 59). La demanderesse fait preuve d'une bonne pensée concrète; pour ce qui est de la pensée abstraite et de la mémoire à court terme, ses habilités sont restreintes. À l'heure actuelle, elle reçoit une éducation individualisée dans un milieu éducatif spécialisé. Si elle obtient le droit d'établissement, elle continuera à avoir besoin de services éducatifs spécialisés afin d'acquérir des connaissances théoriques suffisantes susceptibles de lui permettre d'acquérir des compétences utilisables sur le marché du travail, quoique pour des activités de nature simple et répétitive. Cette exigence, en ce qui concerne une éducation spécialisée, excède les besoins du groupe de pairs et représente donc un fardeau excessif pour les services sociaux. La demanderesse n'est donc pas admissible en vertu de l'alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

        Le demandeur a répondu à la lettre fondée sur l'équité en soumettant des renseignements médicaux additionnels le 8 janvier 1998. Il a tardé à répondre parce qu'il avait eu de la difficulté à communiquer avec son médecin.

        La demande a été rejetée par une lettre en date du 30 juillet 1998, dans laquelle l'agente des visas Eliane Wassler a indiqué [TRADUCTION] qu' « aucun nouveau renseignement médical permettant de considérer votre fille, Dirkje, comme admissible n'a été fourni » .

        Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire du refus, l'autorisation y afférente ayant été accordée par Madame le juge Reed le 29 avril 1999. Le juge a renvoyé l'affaire pour nouvel examen et nouvelle décision à certaines conditions, notamment que le nouvel examen soit effectué sur la base de la preuve médicale existante et qu'il soit uniquement tenu compte de la possibilité d'un « fardeau excessif » .


        Conformément aux dispositions de l'ordonnance, l'agent a informé le demandeur par une lettre en date du 28 juin 1999 qu'il attendrait quarante-cinq jours pour recevoir des documents additionnels pertinents du demandeur avant de prendre une nouvelle décision au sujet de la demande.

        Le docteur Sylvain Bertrand a fait part au demandeur du résultat de la nouvelle évaluation dans une lettre fort détaillée en date du 13 août 1999, laquelle était ainsi libellée :

[TRADUCTION] En plus d'environ onze autres années d'éducation spécialisée, ce qui, comme je le remarque, a récemment été confirmé par la Cour d'appel fédérale comme constituant un « service social » au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, cette enfant bénéficierait de séances de consultation psychologique, d'évaluations multidisciplinaires et d'une instruction individualisée ou en petit groupe destinée à lui permettre d'acquérir des connaissances de base ainsi que des connaissances sur le plan de la santé et de la sécurité. De plus, dans quelques années, elle aura besoin d'une évaluation et d'une formation professionnelles en vue de pouvoir un jour travailler dans un atelier protégé ou peut-être même d'acquérir les compétences et habilités ainsi que la confiance nécessaires pour travailler par exemple comme domestique, [...]

        Le demandeur a reçu la deuxième « lettre fondée sur l'équité » en date du 7 septembre 1999 lui accordant un délai de soixante jours pour répondre à la nouvelle évaluation de sa fille. L'avocat du demandeur a répondu au docteur Bertrand le 8 septembre 1999, en contestant l'évaluation médicale et en cherchant à obtenir un plus grand nombre de renseignements.

      Le docteur Bertrand a répondu aux demandes du demandeur dans une lettre en date du 10 novembre 1999, mais il n'a pas changé d'idée au sujet de l'inadmissibilité de la fille du demandeur.

      Après avoir de nouveau traité le cas, l'agent a refusé la demande de résidence permanente par une lettre en date du 17 novembre 1999.


      Le demandeur a ensuite déposé et signifié un avis de requête devant le juge Reed, en vue d'obtenir une ordonnance portant que le refus allait à l'encontre de l'ordonnance qu'elle avait rendue. Le juge Reed a rejeté la requête; elle a statué que l'affaire devait faire l'objet d'un contrôle judiciaire, la demande y afférente étant déjà en cours.

      Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi est ainsi libellé :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

[. . .]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes :

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

[. . .]

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;


      J'ai d'abord l'intention d'examiner l'argument du demandeur selon lequel la conduite du défendeur constitue un abus de la procédure de la Cour. J'ai examiné la preuve, et notamment l'ordonnance rendue par le juge Reed le 29 avril 1999, les lettres de l'avocat du demandeur en date du 11 juin 1999 (dossier médical, pages 89 à 105) et du 8 septembre 1999 (dossier médical, pages 22 et 23), les lettres du docteur Bertrand en date du 13 août 1999 (dossier médical, pages 38 à 80) et du 10 novembre 1999 (dossier médical, pages 8 à 12) et la notification médicale du médecin en date du 10 novembre 1999 (dossier médical, page 6) et je suis convaincu que le cas a de nouveau été traité avec soin et diligence de façon à respecter pleinement l'ordonnance rendue par le juge Reed le 29 avril 1999 et qu'une communication adéquate a été faite au demandeur. Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que le fait que le demandeur ne veut pas reconnaître la validité ou l'exactitude de ce qui lui a été divulgué n'influe pas sur l'équité ou sur le caractère adéquat de la procédure de communication.

      Le demandeur soutient fondamentalement que l'admission de Dirkje, eu égard à la situation unique en son genre dans laquelle celle-ci se trouve, ne causerait pas un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada parce que la richesse est un facteur à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'apprécier le fardeau excessif pour les services sociaux, étant donné la distinction entre les services de santé et les services sociaux. À l'appui de cet argument, le demandeur invoque les deux décisions suivantes rendues par la Section de première instance, la deuxième décision étant fondée sur la première : Wong c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (31 mai 2002), IMM-6060-99, 2002 CFPI 625 et Hilewitz c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (8 août 2002), IMM-5340-00, 2002 CFPI 844.

      Cet argument est rejeté compte tenu de la remarque suivante que la Cour d'appel fédérale a faite dans une décision rendue après que la décision Wong, précitée, eut été rendue, à savoir Deol c. Canada (M.C.I.), 2002 CAF 271, [2002] A.C.F. no 949 (QL), au paragraphe 46 :

[...] Ainsi qu'il a déjà été jugé dans plusieurs décisions, il n'est pas possible de faire respecter un engagement personnel de payer les services de santé qui peuvent être nécessaires après que l'intéressé a été admis au Canada en tant que résident permanent si les services peuvent être obtenus sans obligation de paiement. Le ministre n'a pas la faculté d'assujettir l'admission d'une personne au Canada à titre de résident permanent à la condition que cette personne ne demande pas de remboursement du régime d'assurance-maladie de la province ou qu'elle promette de rembourser le coût de tout service utilisé (voir, par exemple, les jugements Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 98 F.T.R. 308 au paragraphe 30; Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 296, au paragraphe 8; et Poon, précité, [Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56] aux paragraphes 18-19.

(Non souligné dans l'original.)


      Premièrement, la Cour d'appel fédérale fait mention du remboursement de « tout service utilisé » , ce qui, à mon avis, doit inclure les services sociaux ainsi que les services de santé. En outre, il est clair selon moi que la Cour d'appel fédérale, en indiquant comme elle l'a fait les paragraphes des trois décisions mentionnées dans le passage précité, ne considère pas la distinction entre les services de santé et les services sociaux comme pertinente pour l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi parce que ces paragraphes précis traitent tous, quoique pas toujours exclusivement, des services sociaux. Au paragraphe 30 de la décision Choi c. Canada (M.C.I.), précitée, il est dit ce qui suit :

Que le requérant soit considéré comme une personne fortunée et, si sa fille a besoin de soins spéciaux, qu'il puisse très bien en supporter les frais, cela est de peu de conséquence. Je conviens avec l'intimé que, comme condition d'admission, ce dernier ne peut imposer la condition que le requérant et sa famille acceptent de renoncer à tous les droits aux services sociaux au Canada pour la fille à charge Pui Shi Choi (voir art. 23.1 du Règlement sur l'immigration).

Dans la décision Cabaldon c. Canada (M.C.I.), précitée, il est dit ce qui suit au paragraphe 8 :

De plus, ni les médecins agréés ni l'agent des visas n'ont eu tort d'avoir méconnu la preuve que les parents résidant au Canada avaient promis de subvenir aux besoins de la famille du requérant. Aux fins d'exprimer un avis médical sur l'admissibilité de l'enfant sur le plan médical, peu importe si le requérant présente des lettres de soutien provenant de parents qui sont déjà des résidents du Canada. En tant que résidente permanente, l'enfant aurait droit aux services sociaux dont elle a besoin, droit auquel on ne saurait renoncer du fait du soutien financier promis par des parents : Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 98 F.T.R. 308; 29 Imm. L.R. (2d) 85 (1re inst.), aux pages 93 et 94 et Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 86 (C.F. 1re inst.), à la page 91.

Et dans la décision Poon, précitée, voici ce qui est dit aux paragraphes 18 et 19 :

Pour résumer :

1)              Le fardeau excessif comprend, sans s'y limiter, la situation dans laquelle l'utilisation des services sociaux ou de santé par l'intéressé peut vraisemblablement empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.

2)              Il s'agit d'une erreur pour les médecins de tirer une conclusion sur la question du fardeau excessif sans d'abord examiner la disponibilité du service en question au Canada; Ma c. Canada, précitée [(1998), 140 F.T.R. 311].

3)              La Cour ne peut remettre en cause le diagnostic des médecins; Ma c. Canada, précitée.


4)              La capacité d'une personne à supporter les frais liés aux services sociaux ou de santé requis par un membre de sa famille est sans pertinence, car ces frais ne peuvent être réclamés ni auprès de cette personne, ni auprès de ce membre de la famille; Choi c. Canada, précitée [(1995), 98 F.T.R. 308].

5)              En l'espèce, je ne peux faire droit à l'argument avancé par le demandeur selon lequel il n'a pas été tenu compte de la capacité de la famille à défrayer les coûts, car on a conclu dans l'affaire Choi, précitée, que ce facteur n'était pas pertinent. Même sans cette jurisprudence, j'en serais venu à la même conclusion. L'accès aux services sociaux et de santé au Canada est un droit dont peuvent jouir les citoyens canadiens et les résidents permanents. Une fois que Tat Chi obtiendra le statut de résident permanent, il lui sera loisible de se prévaloir de tels services financés à même les fonds publics selon ses besoins, et toute entente à l'effet contraire ne pourra lui être opposée.

[18]       Quant au reste, je conclus que l'appréciation des faits par l'agent, y compris le fait que le cas de la fille du demandeur est [TRADUCTION] « unique en son genre » , est fondée sur des éléments de preuve pertinents et qu'elle est raisonnable. À cet égard, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que l'agent a commis une erreur susceptible de révision.

[19]       Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]       Je souscris à l'argument du défendeur selon lequel la question ci-après énoncée est l'unique question qui se pose vraiment eu égard aux faits de la présente espèce, qui est de portée générale et qui pourrait régler un appel de sorte qu'il convient de la certifier :

La richesse d'un demandeur est-elle une considération pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si l'admission du demandeur au Canada entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada?

                          « Yvon Pinard »                       

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 13 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6058-99

INTITULÉ :                                                        DIRK DE JONG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 17 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                     le 13 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Cecil L. Rotenberg, c.r.                                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Marie-Louise Wcislo                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Cecil Rotenberg, c.r.                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Don Mills (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POU LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.