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                                                                                                                                           Date : 20010418

                                                                                                                             Dossier : IMM-1701-01

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 336

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2001

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                 PAWEL EDWARD SKLARZYK, BEATA SKLARZYK,

                                   et MATEUSZ SKLARZYK, DOMINIK SKLARZYK,

                                      JEREMY SKLARZYK, MATYLDA SKLARZYK,

                   représentés par leur tuteur à l'instance PAWEL EDWARD SKLARZYK

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Les demandeurs qui vivent au Canada depuis 1994 sans statut ont déposé la présente requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi; cette mesure prévoit leur renvoi en Pologne le 21 avril 2001.

[2]                 Les demandeurs adultes sont citoyens de la Pologne et d'aucun autre pays. Deux des enfants, Mateusz et Dominik, sont citoyens de la Pologne. Les deux derniers enfants, Jeremy et Matylda, sont nés au Canada et sont citoyens canadiens.


[3]                 Les demandeurs ont vécu ensemble en tant que famille avec les parents de la demanderesse adulte Beata Sklarzyk (ci-après les grands-parents). Les grands-parents en question faisaient partie de la famille et aidaient à l'éducation des enfants

[4]                 Les deux enfants plus âgés vont à l'école au Canada. Mateusz est en 6e année et Dominik est en 9e année. Les deux enfants réussissent bien à l'école et se sont bien adaptés à la vie au Canada.

[5]                 Le demandeur, Pawel Edward Sklarzyk, a créé une entreprise en 1995. Il fait du calfeutrage et du nettoyage de fenêtres. Son entreprise est prospère. Il est le seul propriétaire et n'a aucun employé; en outre, il a réussi à obtenir un certain nombre de contrats de services.

[6]                 Il y a des éléments de preuve à l'appui de l'argument des demandeurs selon lequel leur avocat a essayé de régulariser leur statut au Canada en déposant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en leur nom le 12 avril 2000.

[7]                 Immigration Canada n'a jamais accusé réception de la demande et les demandeurs ont été informés qu'aucune preuve de cette demande n'existait au moment de leur détention en mars 2001.

[8]                 Une deuxième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été déposée le 20 mars 2001.


[9]                 Le demandeur qui sollicite un sursis d'exécution doit démontrer que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une question sérieuse, qu'un préjudice irréparable sera subi si la réparation demandée n'est pas accordée et, enfin, que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[10]            Accueillir la présente requête reviendrait en fait à accorder la réparation demandée dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente des demandeurs (i.e. le sursis du renvoi). Dans de tels cas, j'accepte que la Cour doit procéder à un examen plus approfondi du fond de l'affaire. Puis, au moment de l'application des deuxième et troisième étapes de l'analyse, il faut tenir compte des résultats prévus quant au fond[1].

[11]            La Cour s'est souvent penchée sur la question de la portée du pouvoir discrétionnaire d'un agent de renvoi. Il est généralement accepté qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en instance n'est pas suffisante en soi pour qu'un agent d'exécution exerce son pouvoir discrétionnaire de surseoir à une mesure de renvoi. Le juge Pelletier a examiné minutieusement la question dans Wang[2] et a conclu ce qui suit :


[...] Le report dont le seul objectif est de retarder l'échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l'économie de la Loi est de réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu'un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d'un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d'un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.

[12]            La Loi prévoit que l'agent de renvoi doit exécuter la mesure de renvoi quand « les circonstances le permettent » . Suivant son sens ordinaire, ce pouvoir discrétionnaire limité porterait sur des questions inhérentes au processus de renvoi. En outre, on a jugé que ce pouvoir discrétionnaire visait à s'assurer que le risque que l'intéressé subisse un préjudice grave soit évalué convenablement avant que l'intéressé ne soit renvoyé et ne s'expose à ce risque. En conséquence, il ne conviendrait pas d'accorder un sursis de façon à ce qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire puisse être traitée lorsqu'il n'y a pas de risque de préjudice en cause.

[13]            En ce qui a trait au contrôle judiciaire de la décision de l'agent de renvoi de ne pas surseoir au renvoi, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour l'agent de renvoi de refuser de surseoir au renvoi compte tenu des faits de l'espèce.

[14]            La preuve n'indique pas l'existence d'un risque de préjudice personnel grave; elle fait plutôt ressortir les circonstances regrettables qui résultent de l'expulsion en tant que telle.

[15]            À mon avis, la conduite de l'agente ne révèle aucune erreur susceptible de contrôle et, pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. En conséquence, la demande sous-jacente ne soulève selon moi aucune question sérieuse.


[16]            Dans la mesure où je suis obligé d'examiner la question du préjudice irréparable, je ne trouve aucune preuve de préjudice irréparable à part la souffrance indéniable associée à la dislocation de la famille et à la séparation de l'intéressé de son environnement familier.

[17]            Je fais miens les propos formulés par le juge Pelletier dans la décision Melo[3] :

[...] pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés.

[18]            Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de sursis.   

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.         La demande des demandeurs visant l'obtention d'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi selon laquelle ils seront renvoyés en Pologne le 21 avril 2001 est rejetée.

« Edmond P. Blanchard »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                                                    IMM-1701-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                                 Pawel Edward Sklarzyk et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                                    Le 9 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :                          Le 18 avril 2001

ONT COMPARU:

Ronald Poulton                                                                               pour les demandeurs

Marcel Larouche                                                                                         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ronald Poulton                                                                               pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]           RJR Macdonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.

[2]           Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 295 (Q.L.) au paragraphe 48.

[3]           Melo c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 403 aux paragraphes 20 et 21 (C.F. 1re inst.).

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