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                                                                                                                                            Date : 20020301

                                                                                                                                  Dossier : IMM-906-01

                                                                                                               Référence neutre : 2002 CFPI 209

Entre :

                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                    Demandeur

                                                               - et -

                                              JASSEM ABDEL HUSSAIN

                                                                                                                     Défendeur

                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 10 janvier 2001 par la Section du statut de réfugié statuant que le défendeur est un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la « Loi » ) et qu'il n'est pas une personne soustraite à l'application de celle-ci en vertu de son alinéa 1Fa).

[2]         La définition du réfugié au sens de la Convention que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi exclut les personnes soustraites à l'application de la Convention par l'alinéa 1Fa) de celle-ci, soit celles dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre l'humanité.


[3]         Il est de jurisprudence constante que la simple appartenance à un groupe qui commet des crimes de nature internationale ne permet pas à elle seule de conclure que le revendicateur était complice de ces infractions (voir l'arrêt Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306, à la page 317). Le point de départ de la complicité d'un crime contre l'humanité est la « participation personnelle et consciente » . Pour reprendre les mots du juge MacGuigan dans l'arrêt Ramirez, précité, à la page 318 :

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. . . .

Dans ce même arrêt, aux pages 327 et 328, le juge MacGuigan a aussi précisé les critères à respecter pour conclure à l'application d'une défense de contrainte, en semblable matière :

. . . À propos de la contrainte, Hathaway (précité), résumant le projet de Code des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité sur lequel la Commission du droit international travaille depuis 1947, écrit (à la page 218) :

[TRADUCTION] Deuxièmement, il est possible d'invoquer la coercition, l'état de nécessité ou la force majeure [en défense]. Cette exception reconnaît essentiellement que, lorsqu'une personne agit dans le but d'éviter un péril grave et imminent, il n'y a pas d'intention. Il faut que le danger soit de nature « à inspirer à un homme raisonnable la crainte d'un péril corporel imminent tel qu'il se trouve privé de sa liberté de choisir ce qui est juste ou de s'abstenir de ce qui est illicite » . Le danger ne doit pas non plus résulter du fait de la personne qui se prévaut de l'exception ou découler de sa volonté. Plus important encore, les torts causés ne doivent pas excéder ceux que cette personne aurait subis. [Les renvois ont été omis.]

En supposant que l'auteur ait exprimé l'état actuel du droit international, comme le soutient l'appelant, il serait possible de considérer que la contrainte exercée sur l'appelant était suffisante pour justifier des infractions moins graves. Mais il me faut conclure, en l'occurrence, que le danger auquel il se serait exposé en affichant sa dissidence ou en refusant de participer était nettement moins important que le mal effectivement infligé aux victimes. . . .

[4]         La complicité du fait de l'appartenance à un groupe, tout comme la contrainte, sont des questions de fait qui doivent être considérées et déterminées dans chaque cas particulier.

[5]         En l'espèce, le tribunal, dans une décision laconique, ne se pose qu'une seule question en rapport à l'application de l'alinéa 1Fa) de la Convention. Il importe de reproduire le texte entier de la décision sur cette question :


Concernant l'applicabilité de la clause d'exclusion, il est clair que le revendicateur s'est trouvé impliqué dans l'exécution extra-judiciaire d'un déserteur.

En premier lieu, dans les circonstances particulières de ce dossier, je ne vois pas l'élément de « mens kea » (sic) requis. Mes deux autres points de référence principaux sont « James C. Hathaway » dans « The Law of Refugee Status » et sa réflexion sur la notion de contrainte, « duress » en anglais, ma deuxième référence étant la jurisprudence et particulièrement Ramirez [renvoi omis].

Pour ce qui est de la réflexion de James C. Hathaway [renvoi omis], ce dernier dit en page 218 :

« It is possible to invoke coercision (sic) state of necessity or force majeure, essentially (sic) exception recognizes the absence of intent were (sic) an individual is motivated to perpetrate the act in question only in order to avoid grave and imminent peril. The danger must be such that « a reasonable man who (sic) would apprehends (sic) that he was in such eminent (sic) physical peril as to deprive him of freedom to choose the right and refrain from the wrong » . C'est une citation que tire Hathaway de « High Command Case » « The American Military Tribunals » , relativement aux fameux procès de Nuremberg.

En ce qui concerne Ramirez, l'Honorable Juge MacGuigan de la Cour Fédérale écrit :

« Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêléà un conflit en situation de guerre » .... Et il ajoute, « Bien que la loi puisse obliger ceux qui reçoivent l'ordre de commettre des crimes internationaux à faire un choix et ne requiert pas des gens se trouvant sur des lieux d'un tel crime qu'ils se portent immédiatement au secours des victimes à leur propre risque, la Loi n'a pas habituellement pour effet d'ériger l'héroï sme en norme » .

Pour tous ces motifs, je détermine que monsieur Jassem ABDEL HUSSEIN, est un réfugié tel que défni (sic) à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration.

[6]         Or, le dossier est farci d'éléments de preuve faisant état de la connaissance du défendeur de crimes contre l'humanité commis par l'armée irakienne alors qu'il en faisait partie :

-           l'utilisation d'armes chimiques qui ont fait quelque 150 000 morts;

-           le rasage de villages et de villes;

-           l'empoisonnement de l'eau dans une région du pays;

-           la pendaison répétée de déserteurs;

-           la pratique courante de la torture durant les interrogatoires; et

-           l'assassinat d'une femme enceinte (dont le défendeur a été témoin alors qu'il était en permission).


[7]         La preuve révèle en outre que le défendeur était affecté à l'entretien de véhicules militaires utilisés pour le transport de petits canons.

[8]         Dans ce contexte particulier, je dois conclure qu'il n'était pas suffisant pour le tribunal de ne se poser qu'une seule question ayant trait à la participation directe du défendeur dans l'exécution extra-judiciaire d'un déserteur. La Loi, telle que confirmée par la jurisprudence ci-dessus, l'obligeait en outre à se poser les questions relatives à la complicité du défendeur et à sa défense de contrainte. L'erreur de droit commise réside donc dans l'omission par le tribunal de se poser toutes les questions pertinentes requises et d'en disposer expressément. Il n'est certes pas du devoir de cette Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, d'assumer ces responsabilités.

[9]         Dans les circonstances, donc, je suis d'avis qu'il y a lieu de maintenir la demande de contrôle judiciaire et de retourner l'affaire devant la Section du statut de réfugié différemment constituée pour nouvelle considération.

                                                                         

      JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er mars 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: IMM-906-01

INTITULÉ: MCI c. JASSEM ABDEL HUSSAIN

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC DATE DE L'AUDIENCE: 5 FÉVRIER 2002 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 1 MARS 2002

COMPARUTIONS

Me DANIEL LATULIPPE POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me STYLIANI MARKAKI POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. MORRIS ROSENBERG POUR LA PARTIE DEMANDERESSE SOUS PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Me STYLIANI MARKAKI POUR LA PARTIE DEMANDERESSE MONTRÉAL, QUÉBEC

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