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Date : 20060504

Dossier : T‑1505‑05

Référence : 2006 CF 568

ENTRE :

BRENDA GILLIS

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE HUGHES

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 juillet 2005 par un arbitre nommé conformément à une demande d’intervention présentée en vertu des dispositions des Consignes du commissaire (règlement des différends en matière de promotions et d’exigences de postes). L’intervention avait été demandée en vertu des paragraphes 21(2) et 31(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (2e suppl.), ch. 8 (la Loi sur la GRC). L’arbitre a rejeté la demande d’intervention présentée par la demanderesse à propos du prétendu retrait de sa promotion à un poste de surveillance.

 

[2]               La demanderesse est un membre civil de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) nommée en vertu de l’alinéa 7(1)a) de la Loi sur la GRC. Les parties reconnaissent que le grief en cause doit donc être réglé selon cette loi et selon les Consignes établies sous son autorité. La présente instance concerne les démarches faites par la demanderesse pour obtenir et conserver une promotion qui, selon ce qu’elle croyait, lui avait été attribuée, mais qui fut par la suite annulée par les autorités compétentes de la GRC. L’affaire donna lieu à un grief, plus précisément à une demande d’intervention. Selon cette procédure, un arbitre, qui était membre de la GRC, et nommé à cette fin, a passé en revue les pièces du dossier. L’arbitre a refusé d’intervenir dans l’annulation de la promotion. La demanderesse prie la Cour d’annuler la décision de l’arbitre et de rétablir sa promotion. Pour les motifs qui suivent, c’est ce que j’ai décidé de faire.

 

Les faits

[3]               En janvier 2003, la GRC affichait un bulletin sollicitant des candidatures au poste de Membre civil – Station des transmissions opérationnelles, IC‑LES T0‑03 (un poste T0‑03). À l’époque, la demanderesse travaillait pour la GRC depuis un peu moins de quatre ans. Elle avait été recrutée au niveau LES‑T0‑02, et une promotion au niveau T0‑03 signifierait qu’elle exercerait un rôle de surveillance.

 

[4]               La demanderesse a présenté sa candidature au poste T0‑03 à la fin de janvier 2003 et, le 27 juin 2003, elle recevait du service des ressources humaines une note de service indiquant ce qui suit :

[TRADUCTION]

Après examen approfondi de votre dossier, de vos états de service et de votre curriculum vitæ, nous avons jugé que vous répondez aux exigences de base de ce poste. Votre curriculum vitæ a été examiné et analysé, et nous considérons que vous êtes admissible à l’étape suivante de la procédure de promotion.

 

[5]               Le 19 août 2003, la demanderesse a eu un entretien d’embauche. Le 9 septembre 2003, elle recevait du Bureau de la dotation et du personnel une autorisation de mutation qui précisait qu’elle passerait, dans un délai de 30 jours, du poste T0‑02 au poste T0‑03. Il s’agissait d’un poste permanent. Ce document renfermait la réserve suivante : [traduction] « Ceci n’est pas un avis de promotion ». Presque immédiatement, la demanderesse a reçu des courriels d’amis et de collègues qui la félicitaient pour sa promotion. Chose importante à signaler, la demanderesse a reçu le 15 septembre 2003 d’un membre du Bureau de la dotation et du personnel un courriel, dont copie fut aussi envoyée à ses collègues, où l’on pouvait lire notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

« Nous vous informons que Brenda Gillis sera, à compter du 29 septembre 2003, la surveillante T0‑03 de la STO ».

 

[6]               Un avis en date du 12 septembre 2003 fut distribué aux employés de la section de la demanderesse à propos des mutations et promotions de la Division « O » de la Région centrale, avis qui indiquait que la demanderesse était mutée à un poste T0‑03.

 

[7]               Puis les choses se sont détériorées. Un responsable du Bureau de la dotation et du personnel a estimé que le poste avait été irrégulièrement annoncé et que certains critères avaient été incorrectement formulés. Une rencontre a donc eu lieu entre la demanderesse et les membres du Bureau de la dotation et du personnel le 18 septembre 2003, rencontre au cours de laquelle il fut admis que la personne compétente avait donné son accord pour la mutation de la demanderesse, mais qu’il s’agissait là [traduction] « manifestement d’une erreur de notre part (c’est‑à‑dire de la part de la GRC) ». On indiqua à la demanderesse qu’elle se verrait offrir [traduction] « autre chose […] correspondant au poste qu’elle avait remporté ».

 

[8]               Le lendemain, 19 septembre 2003, la demanderesse commençait à entendre des propos selon lesquels elle n’allait pas occuper le poste T0‑03 en raison d’une erreur de procédure. Le 24 septembre 2003, la demanderesse recevait d’une autre personne du Bureau de la dotation et du personnel un courriel qui l’informait qu’une erreur s’était glissée dans la procédure et que [traduction] « […] vous demeurerez dans votre rôle actuel, en détachement auprès de la section de l’informatique, jusqu’à nouvel avis ».

 

[9]               Le 15 octobre 2003, la demanderesse lançait une procédure de règlement des griefs. Le 3 novembre 2003, le Bureau envoyait à la demanderesse une autre autorisation de mutation qui censément annulait sa mutation à un poste T0‑03. Ce document était suivi d’un avis de la Section des mutations et promotions de la Division « O » de la Région centrale, portant les dates du 3 novembre 2003 et du 7 novembre 2003, envoyé aux employés de la Division « O », avis selon lequel la mutation de la demanderesse à un poste T0‑03 était annulée.

 

[10]           Il y a eu semble‑t‑il plusieurs irrégularités au cours de la procédure de règlement du grief, mais l’affaire fut finalement soumise à un arbitre, en forme écrite seulement, et sans audience. L’arbitre a rendu une décision écrite le 4 juillet 2005, qui rejetait la demande d’intervention. La partie essentielle des conclusions et recommandations de l’arbitre était ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Je suis d’avis que la plaignante n’a pas prouvé eu quoi elle a été lésée par la décision de l’intimée d’arrêter une procédure de dotation en personnel avant son achèvement et de refuser à la plaignante la possibilité d’accéder à une promotion alors que le dossier établissait qu’elle ne répondait pas aux exigences du poste.

 

La plaignante a fait valoir que, vu la publication de la liste de mutations ou de promotions en date du 12 septembre 2003, elle devrait être réputée promue, et qu’elle a donc été injustement traitée quand l’intimée a ordonné à la plaignante de ne pas prendre de dispositions en vue de sa mutation, lui refusant de ce fait la promotion.

 

Après examen de la politique relative aux mutations et aux promotions, et examen des précédents, je suis d’avis que l’intimée avait le pouvoir de prendre les mesures qu’elle a prises après que l’erreur fut portée à son attention. L’avis de mutation avait été publié, facilitant ainsi la promotion, mais la procédure de dotation en personnel n’était pas achevée à ce stade, la plaignante n’était pas entrée en fonction dans le nouveau poste, et aucun avis de promotion n’avait été émis.

 

Je souscris également à son argument selon lequel il aurait été injuste pour les membres civils qualifiés qui n’avaient pas été retenus de laisser la plaignante occuper le poste après que l’on se soit aperçu qu’elle ne répondait pas aux exigences du poste.

 

Le membre n’est pas promu par l’effet d’un avis de mutation. Il est promu à l’issue d’une procédure de mutation ou de promotion qui comprend la procédure de sélection, les recommandations adressées à l’officier compétent, l’acceptation des recommandations du comité, l’autorisation d’émettre l’avis de mutation, lequel débute le processus consistant à muter le candidat d’un poste à un autre, le départ de l’ancien poste et l’arrivée au nouveau poste, opération constatée par la présentation du formulaire A22A, enfin l’avis de promotion publié de la manière habituelle, qui indique que le membre a été muté et promu à un certain poste, à compter de telle date, comme il est établi dans le document CMM.F.1.

 

L’intimée a tout à fait le pouvoir de cesser ce processus à tout moment si l’on découvre une erreur qui conduirait à la sélection ou à la promotion d’un candidat non qualifié.

 

Après que l’étape finale a été atteinte et que l’avis de promotion est émis, alors l’annulation de cette décision devient une procédure tout à fait différente. Toutefois, le fait de mettre fin au processus avant l’étape finale, quand une erreur est constatée dans le processus, ne constitue pas en soi une erreur et ne cause aucun préjudice à la plaignante, surtout lorsqu’il devient évident que le membre n’est pas qualifié pour le poste annoncé.

 

Abstraction faite des considérations générales propres à cette décision, je dois également prêter attention à l’impression de l’ensemble des membres quant à l’équité et à l’efficacité du système de promotion.

 

Les promotions constituent une part importante de la carrière d’un membre. Il est impératif que les membres aient confiance dans le système et qu’ils aient le sentiment qu’on leur donnera une occasion équitable de poser leur candidature à des postes pour lesquels ils sont qualifiés.

 

Le soutien au processus serait sérieusement érodé si les membres avaient l’impression qu’il ne présente pas les garanties nécessaires pour faire en sorte qu’un candidat non qualifié n’obtienne pas une promotion par suite d’une erreur. Une fois l’erreur décelée, quel que soit son auteur, il convient de l’examiner, de la corriger et de ne pas la répéter.

 

Par conséquent, il incombe aux agents de dotation de s’assurer que le processus est juste et équitable et que seuls les candidats qualifiés sont considérés pour des postes vacants. Dès qu’un problème est constaté dans une procédure de dotation en personnel, la procédure doit être suspendue jusqu’à ce que le problème soit résolu et la procédure remise sur les rails comme le prévoit la politique établie. Autrement, la procédure tombe en discrédit et devient source de mécontentement.

 

Je suis d’avis que les mesures prises par l’intimée sont conformes à la politique de la Gendarmerie et relèvent de son pouvoir d’annuler la mesure de dotation ainsi que l’offre de mutation/promotion faite à la plaignante, dès qu’il est devenu évident que le POSTE avait été publié par erreur et que la plaignante n’avait pas l’expérience requise pour l’occuper.

 

Puisque la plaignante n’a pas établi en quoi elle a été lésée par la décision qui a donné lieu à cette plainte, je suis d’avis que la plainte n’est pas fondée, et la demande d’intervention est rejetée.

 

 

[11]           La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Points à décider

[12]           Il s’agit essentiellement de savoir si la Cour annulera la décision de l’arbitre et quel redressement elle devra prononcer, le cas échéant. Pour trancher la question , la Cour doit considérer ce qui suit :

1.                  Y a‑t‑il eu déni de justice naturelle dans la procédure au point que toute la procédure doive être annulée?

2.                  Dans la négative, quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision?

3.                  Compte tenu de la norme de contrôle à appliquer, la décision était‑elle viciée au point de devoir être annulée?

4.                  Si la décision est annulée, quels redressements, le cas échéant, doivent être accordés?

 

[13]           J’examinerai maintenant les points exposés ci‑dessus.

 

Point n° 1 – Y a‑t‑il eu déni de justice naturelle dans la procédure au point que toute la procédure doive être annulée?

[14]           La demanderesse dit qu’elle n’a bénéficié d’aucune audience. Selon elle, l’application des principes de justice naturelle lui a donc été refusée, et la procédure tout entière est nulle.

 

[15]           Il n’existe pas un droit naturel à une audience dans les affaires de ce genre. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 18 à 34, la Cour suprême du Canada examinait la question de l’équité procédurale, en particulier le droit à la tenue d’une audience. La Cour suprême a jugé que, bien qu’il existe manifestement une obligation d’équité, la manière dont cette obligation est remplie dépendra des circonstances, et une audience ne sera pas toujours impérative.

 

[16]           Ici, la demanderesse a été priée de dire, en contre‑interrogatoire, si elle croyait avoir bénéficié d’une occasion véritable de présenter sa position au soutien de son grief, et elle a répondu par l’affirmative. L’examen du dossier confirme sa réponse.

 

[17]           L’obligation d’équité procédurale et de justice naturelle a été remplie en l’espèce.

 

Point n° 2 – Quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision?

[18]           L’avocate de la demanderesse dit que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la décision correcte. L’avocate du défendeur partage cet avis.

 

[19]           S’agissant de la décision de l’arbitre, l’avocate de la demanderesse dit qu’elle soulève une question mixte de droit et de fait, et l’avocate du défendeur partage son avis, quoique avec hésitation. La demanderesse dit que la norme applicable est la décision raisonnable simpliciter, et le défendeur dit que c’est la décision manifestement déraisonnable ou, subsidiairement, la décision raisonnable simpliciter.

 

[20]           Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982, le juge Bastarache, s’exprimant pour les juges majoritaires, au paragraphe 26, écrivait que la juridiction de contrôle doit s’interroger ainsi : « la question soulevée par la disposition est‑elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission? » La Cour doit adopter, comme il le dit au paragraphe 27, une approche « pragmatique et fonctionnelle », en appliquant divers facteurs, dont aucun n’est à lui seul déterminant. Ces facteurs sont les suivants : 1) l’existence d’une clause privative, 2) l’expertise, 3) l’objet de la loi tout entière, et de la disposition en particulier, 4) la nature du problème : question de droit ou question de fait.

 

[21]           Il existe en l’espèce une clause privative. L’article 25 des Consignes dit que la décision n’est pas susceptible d’appel ou de révision. Cette disposition est claire et sans ambiguïté, et elle peut être considérée comme une disposition assez catégorique pour militer en faveur de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[22]           L’expertise de l’arbitre n’est pas tout à fait claire. En contre‑interrogatoire, le témoin du défendeur a été invité à s’exprimer sur la spécialisation de l’intéressé et n’a pu donner aucune réponse utile. La Consigne prévoit simplement, en son article 1, qu’un « arbitre » est un officier ou cadre supérieur désigné arbitre par le commissaire. Il semble que la position d’arbitre n’est pas une position à temps plein, ni une position pour laquelle il faut détenir des qualités particulières. Ce constat milite en faveur d’une retenue moindre.

 

[23]           L’objet de la loi, et en particulier des Consignes, est de régir, comme l’indique le paragraphe 2(1) des Consignes, la présentation et le règlement des griefs suivants :

a)                  ceux ayant trait à une décision, un acte ou une omission liés aux processus de sélection en vue de la promotion des membres et causant un préjudice à un membre;

 

b)                  ceux ayant trait aux exigences de postes – à l’exception des exigences en matière de langues officielles – qui sont arrêtées à la suite d’une décision, d’un acte ou d’une omission, lesquels causent un préjudice à un membre.

 

[24]           L’article 4 des Consignes prévoit que l’arbitre donne suite aux affaires d’une façon aussi rapide que le permettent les circonstances.

 

[25]           Ces éléments militent en faveur d’un niveau de retenue plus élevé.

 

[26]           La nature du problème est une question mixte de droit et de fait. Les faits doivent être vérifiés et mesurés en tenant compte des lois, des politiques et des procédures se rapportant aux mutations et à l’annulation des mutations. Cet élément favorise un niveau modéré de retenue.

 

[27]           Certaines décisions de tribunaux administratifs au sein de la GRC ont été examinées au regard du niveau de retenue qui leur était applicable. Dans la décision Shephard c. Fortin (2003), 242 FTR 42, la Cour a jugé que la norme de contrôle applicable à une politique de promotion était la norme de la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision Smith c. Canada (2004), 12 Admin. L.R. (4th) 250, la Cour a montré une retenue considérable envers la décision rendue par l’arbitre dans une affaire portant sur une promotion et sur les exigences d’un poste. Dans la décision Brennan c. Canada (Inspecteur, arbitre de grief, GRC), [1998] A.C.F. n° 1629, la Cour a montré une retenue assez élevée à l’égard d’une décision de refuser une promotion, mais cette retenue n’atteignait pas tout à fait la norme de la décision manifestement déraisonnable. Dans le jugement Sinclair c. Canada (Procureur général), 2006 CF 528, la question d’un congédiement a été considérée comme une question de nature clairement factuelle, qui devait donc être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[28]           La question qui se pose ici est une question mixte de droit et de fait. Les deux avocates ont admis qu’il ne s’agissait pas de savoir si la demanderesse avait obtenu le poste, mais plutôt celle de savoir si la GRC avait le droit d’annuler sa mutation à ce poste. C’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qu’il faut appliquer ici.

 

Point n° 3 – Compte tenu de la norme de contrôle à appliquer, la décision était‑elle viciée au point de devoir être annulée?

[29]           La fonction de l’arbitre est décrite à l’alinéa 22(1)a) des Consignes. L’arbitre :

a)                  soit rejette la demande;

 

b)                  soit, s’il conclut que la décision, l’acte ou l’omission donnant lieu au différend est erroné et que le demandeur en a subi un préjudice, ordonne la prise des mesures correctives indiquées.

 

[30]           L’article 23 des Consignes dispose que, dans sa décision, l’arbitre ne peut se prononcer sur le droit du demandeur à la promotion.

 

[31]           La question à laquelle devait répondre l’arbitre a été correctement exposée au deuxième alinéa de ses conclusions, cité plus haut dans les présents motifs. Il s’agissait pour lui de savoir si :

[TRADUCTION]

« […] elle devrait être réputée promue, et donc avoir été injustement traitée, quand l’intimée a ordonné à la plaignante de ne pas prendre de dispositions en vue de sa mutation, lui refusant de ce fait la promotion ».

 

[32]           L’arbitre ne pouvait pas se prononcer sur le droit de la demanderesse à la promotion, puisque l’article 23 des Consignes l’en empêchait. Il pouvait dire uniquement si la demanderesse s’était vu refuser injustement la promotion qu’elle avait déjà obtenue. Or, l’arbitre a fait précisément ce qu’il ne pouvait pas faire : il s’est prononcé sur le droit de la demanderesse à la promotion. Il s’est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

Le membre n’est pas promu par l’effet d’un avis de mutation. Il est promu à l’issue d’une procédure de mutation ou de promotion qui comprend la procédure de sélection, les recommandations adressées à l’officier compétent, l’acceptation des recommandations du comité, l’autorisation d’émettre l’avis de mutation, lequel débute le processus consistant à muter le candidat d’un poste à un autre, le départ de l’ancien poste et l’arrivée au nouveau poste, opération constatée par la présentation du formulaire A22A, enfin l’avis de promotion publié de la manière habituelle, qui indique que le membre a été muté et promu à un certain poste, à compter de telle date, comme il est établi dans le document CMM.F.1.

 

L’intimée a tout à fait le pouvoir de cesser ce processus à tout moment si l’on découvre une erreur qui conduirait à la sélection ou à la promotion d’un candidat non qualifié.

 

 

[33]           Il convient de noter que l’article 23 des Consignes empêche l’arbitre de dire si une personne a ou non droit à la promotion, mais non pas de dire si une personne est qualifiée ou non pour une promotion. L’arbitre ne s’est pas intéressé ici à la qualification, mais plutôt au processus de promotion, c’est‑à‑dire au droit à la promotion. Il a estimé que le processus de promotion ou de mutation n’était pas achevé et qu’il pouvait donc être interrompu. Il ne pouvait pas décider de la sorte.

 

[34]           La question à trancher était la suivante : Puisque la demanderesse avait droit à une promotion, pouvait‑on lui retirer ce droit? Sur ce point, l’arbitre s’est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

Après que l’étape finale a été atteinte et que l’avis de promotion est émis, alors l’annulation de cette décision devient une procédure tout à fait différente. Toutefois, le fait de mettre fin au processus avant l’étape finale, quand une erreur est constatée dans le processus, ne constitue pas en soi une erreur et ne cause aucun préjudice à la plaignante, surtout lorsqu’il devient évident que le membre n’est pas qualifié pour le poste annoncé.

 

[35]           Implicitement, l’arbitre a estimé qu’une promotion ne pouvait plus être retirée dès lors qu’elle avait pris effet. Je partage son avis. Selon lui, pour arriver à ce stade, il fallait qu’un document, appelé « avis de promotion », soit émis. Ni la loi ni les Consignes ne disent ce qu’est un « avis de promotion », ni comment ou quand cet avis doit être « émis ». S’il s’agit du courriel du 15 septembre 2003 disant que la demanderesse « sera » la surveillante T0‑03, alors ce document a été émis. Si c’était l’avis de mutation/promotion du 12 septembre 2003, ce document a lui aussi été émis.

 

[36]           L’avocate du défendeur a produit, en réponse aux engagements du témoin du défendeur, M. McCann, une « directive », dont la portion applicable est, de l’avis des deux avocates, la section F‑1‑b :

[TRADUCTION]

F.1.     La date de prise d’effet d’une promotion sera :

 

F.1.b.  la date à laquelle le membre quitte l’ancien poste indiqué sur le formulaire A‑22A. La date de promotion ne peut pas précéder la date autorisée de mutation ou d’accomplissement de toutes les conditions de la promotion.

 

[37]           On ne sait pas ce qu’est le formulaire A‑22A. Il aurait pu s’agir du courriel ou de l’avis susmentionné, auquel cas la décision de l’arbitre est carrément erronée.

 

[38]           Quoi qu’il en soit, la décision de l’arbitre est erronée en droit. La date de prise d’effet de la mutation est « la date à laquelle le membre quitte l’ancien poste », selon ce qu’indique le formulaire A‑22A, mais ce formulaire n’est pas une condition impérative de la prise d’effet de la mutation. La demanderesse avait, dans tous les sens du terme, quitté son ancien poste, et elle a été priée, ainsi que le lui ordonnait le courriel du 24 septembre 2003, de mettre un terme à toutes ses démarches.

 

[39]           La décision de l’arbitre, quelle que soit la norme appliquée, y compris celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter, était donc erronée. Il était fautif pour le Bureau de la dotation et du personnel de vouloir annuler la mutation déjà consentie à la demanderesse.

 

[40]           Le point suivant, selon ce que prévoit l’alinéa 22(2)b) des Consignes, consiste à se demander si la demanderesse a subi un préjudice. L’arbitre a dit simplement que la demanderesse :

[TRADUCTION]

« […] n’a pas établi en quoi elle a été lésée ».

 

[41]           Il n’a nulle part été question du préjudice subi par la demanderesse. L’arbitre s’est contenté d’évoquer :

[TRADUCTION]

« […] l’impression de l’ensemble des membres quant à l’équité et à l’efficacité du système de promotion ».

 

[42]           Le préjudice que pouvait subir l’ensemble des membres est ici hors de propos. Ce dont parle l’alinéa 22(2)b) des Consignes, c’est du préjudice que pouvait subir la plaignante. Ce préjudice est évident, la demanderesse a été empêchée d’occuper un poste qui non seulement était pour elle plus rémunérateur, mais qui la plaçait également dans un rôle de surveillance. Elle passait du niveau de subordonnée au niveau de surveillante. Le fait de l’en empêcher lui a causé un préjudice. En n’abordant pas cet aspect, l’arbitre a commis non seulement une erreur déraisonnable simpliciter, mais aussi une erreur manifestement déraisonnable.

 

[43]           La décision doit être annulée.

 

Point n° 4 – Si la décision est annulée, quels redressements, le cas échéant, doivent être accordés?

[44]           La décision est annulée. Celle qui aurait dû être rendue, en application de l’alinéa 22(2)b) des Consignes, c’est « d’ordonner la prise des mesures correctives indiquées ». Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, dispose que la Cour peut ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir.

 

[45]           L’arbitre n’a pas ordonné la prise des mesures correctives indiquées. Ces mesures correctives consisteraient à déclarer nulle la prétendue annulation de mutation du 3 novembre 2003 et à ordonner que la demanderesse soit intégrée sur‑le‑champ dans le poste T0‑03 auquel elle a droit. C’est l’ordonnance qui sera rendue.

 

Les dépens

[46]           La demanderesse a obtenu gain de cause et elle a droit à ses dépens. Le niveau habituel de dépens, celui de la colonne III, en sa partie médiane, est adéquat.

 

Dispositif

[47]           La demanderesse obtient gain de cause, la décision de l’arbitre est annulée et elle remplacée par celle qui aurait dû être rendue. Le défendeur est condamné aux dépens, ceux de la colonne III, en sa partie médiane.

 

[48]           Les avocates des parties ont été d’un grand secours. Je reprends à mon compte ce que l’avocate de la demanderesse a dit à propos de la courtoisie et du soutien que lui a manifestés l’avocate du défendeur. C’est là un exemple de la meilleure tradition du barreau.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

le 4 mai 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          T‑1505‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         BRENDA GILLIS

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                               LE 3 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 4 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorraine Porr

 

            POUR LA DEMANDERESSE

Melanie Toolsie

            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harrison, Pensa LLP

London (Ontario)

 

            POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

            POUR LE DÉFENDEUR

 

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