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Date : 20060605

Dossier : T-830-06

Référence : 2006 CF 700

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

VOLTIGE INC.

demanderesse

et

 

CIRQUE X INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

I.          Le contexte

[1]               Il s’agit d’une requête en injonction interlocutoire visant à empêcher la défenderesse d’employer la marque AVAIA en liaison avec un spectacle équestre dans la région de Niagara, en Ontario. La requête vise à obtenir une ordonnance interdisant toute nouvelle contrefaçon des marques de commerce de la demanderesse. Une autre réparation sans rapport avec la présente décision a été demandée. La requête est présentée dans le cadre d’une action ayant pour but d’empêcher l’emploi du nom et de la marque AVAIA parce qu’elle crée de la confusion avec la marque ainsi qu’avec les marchandises et services de CAVALIA.

 

[2]               La demanderesse soutient que la marque de commerce et le nom CAVALIA sont bien connus dans le monde du cirque équestre et que des millions ont été investis dans la création de l’achalandage attaché à la marque de commerce. L’un des directeurs de la défenderesse a vu le spectacle CAVALIA à la fin de 2005. La défenderesse aurait ensuite copié le nom, le style et le spectacle équestre de CAVALIA et décidé de monter son premier spectacle dans la région de Niagara, où la demanderesse avait l’intention d’en faire autant. Elle aurait poussé le plagiat jusqu’à retenir les services du même cabinet de relations publiques que celui retenu par CAVALIA.

 

II.         Les faits

[3]               La demanderesse a demandé l’enregistrement de la marque de commerce CAVALIA le 25 septembre 2003 et la marque a été enregistrée le 15 février 2005 en liaison avec des spectacles de divertissement mettant en scène des artistes et des chevaux sur fond de musique et de chansons.

 

[4]               La marque CAVALIA avait été employée antérieurement par une autre organisation non‑apparentée, et elle a été abandonnée en octobre 2002. La marque n’était pas liée à un spectacle équestre, mais elle avait un lien avec de l’équipement équestre.

 

[5]               La demanderesse prétend qu’elle a investi beaucoup de temps, d’énergie et de ressources financières depuis 2002 pour mettre au point et promouvoir la marque de commerce CAVALIA et les spectacles artistiques auxquels elle est liée. La plus grande partie de la publicité visait surtout les régions de Montréal et du Sud de l’Ontario.

 

[6]               À la fin de mars 2006, la demanderesse a appris que la défenderesse allait présenter un spectacle artistique pendant une période de six mois dans la région de Niagara, en Ontario, en employant le nom AVAIA. Le nom du spectacle est en fait CIRQUE NIAGARA’s AVAIA.

 

[7]               Bien que la demanderesse l’ait avertie que le spectacle contreferait la marque de commerce CAVALIA, la défenderesse est allée de l’avant avec son spectacle, dont la première représentation a eu lieu le 20 mai 2006 dans la région de Niagara Falls.

 

[8]               En septembre ou octobre 2005, le président directeur général de la défenderesse a été mis au courant de l’existence du spectacle CAVALIA par ses partenaires russes. En novembre 2005, il a vu le spectacle CAVALIA à Washington, D.C. Il a reconnu que le nom AVAIA a été choisi environ un mois plus tard.

 

[9]               Peu après, la défenderesse a engagé un cabinet de relations publiques pour mettre au point et promouvoir le spectacle. Avant de se lancer dans l’opération AVAIA, la défenderesse a appris que le cabinet de relations publiques était le même dont la demanderesse avait retenu les services plusieurs années auparavant pour assurer la promotion de son spectacle CAVALIA à Toronto.

[10]           Le 9 mars 2006, la défenderesse a déposé une demande en vue de l’enregistrement de la marque de commerce suivante :

 

[11]           La défenderesse affirme avoir mis au point le nom de son cirque et de son spectacle de manière indépendante. Le processus aurait débuté en août 2005. Le résultat final était une combinaison du mot sanskrit AVATA, signifiant eau de source (un mot approprié, est-il allégué, pour la région de Niagara Falls), et du mot latin CAIA, signifiant fêter ou célébrer. L’exactitude de cette explication de l’origine du nom reste à vérifier.

 

[12]           La défenderesse prétend avoir ensuite décidé que la marque serait CIRQUE NIAGARA, que le spectacle s’appellerait AVAIA, et c’est ainsi qu’elle a ensuite annoncé le spectacle.

 

[13]           La défenderesse soutient qu’elle a dépensé des millions de dollars pour produire et promouvoir son spectacle CIRQUE NIAGARA’s AVAIA. Elle prétend avoir pris des risques énormes en montant un spectacle à Niagara Falls parce que la région n’est pas considérée propice pour ce genre de spectacles de cirque – celui du Cirque du Soleil au milieu des années 1980 aurait été considéré comme un échec.

 

[14]           La demanderesse affirme, pour sa part, avoir envisagé au début de 2006 de présenter son spectacle CAVALIA dans la région de Niagara. À cette fin, elle a retenu les services d’un conseiller en affaires et, par son entremise, a effectué des recherches pour trouver un endroit à Niagara. Mais en raison du spectacle AVAIA présenté dans la même région, la demanderesse dit qu’il lui a été impossible de présenter son propre spectacle.

 

[15]           La demanderesse affirme que la marque non déposée AVAIA crée de la confusion avec CAVALIA parce que les deux sont similaires quant au son, au nombre de syllabes, aux lettres, aux types de caractères, aux couleurs et au style.

 

[16]           La demanderesse prétend qu’il existe déjà de la confusion dans le public. À cet égard, elle a présenté en preuve l’affidavit de son conseiller en affaires, Steven Nowack, qui contenait une preuve par ouï-dire concernant la confusion ainsi que l’affidavit d’une personne nommée Chantal Patenaude. La demanderesse a aussi produit l’affidavit d’une employée du cabinet de son avocate qui a donné une opinion relativement à la confusion.

 

[17]           Dans Voltige Inc. c. Cirque X Inc., 2006 FC 686, j’ai radié la preuve d’opinion et, conformément au paragraphe 81(2) des Règles, j’ai tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas produit, dans l’affidavit de Nowack, une preuve directe de la confusion.

 

III.       Analyse

[18]           Le critère en trois volets applicable aux redressements interlocutoires est bien connu de la Cour (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) (1994), 111 D.L.R. (4th) 385).

 

 

IV.       Une question sérieuse

[19]           La demanderesse affirme avoir une preuve solide de la contrefaçon nette et délibérée de sa marque de commerce déposée et de la violation de la Loi sur les marques de commerce, ainsi qu’une preuve solide d’une confusion réelle. Elle soutient que la solidité de sa preuve à cet égard est suffisante pour palier à toute faiblesse au chapitre du préjudice irréparable ou de la prépondérance des inconvénients.

 

[20]           Même si le juge Nordheimer a peut-être eu raison de conclure dans Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd. c. Pharmacia Canada Inc., [2001] O.J. n1911, que les trois volets du critère ne sont pas nécessairement trois compartiments distincts et étanches, la partie qui demande l’injonction doit néanmoins avancer de solides arguments relativement à chacun des trois volets.

 

[21]           En ce qui a trait à la « question sérieuse », l’essentiel de la demande, la contrefaçon de la marque de commerce et la confusion, est une question qu’il appartient au juge du procès de trancher. La question de la confusion en raison d’un son similaire ne peut pas être tranchée à cette étape-ci, car elle dépend en bonne partie de la preuve quant à la prononciation des deux mots. Les similitudes quant à l’apparence sont évidentes, tout comme les différences. Toutefois, pour les fins de la présente instance seulement, je conclus que la demanderesse a effectivement établi l’existence d’une question sérieuse parce que le seuil n’est pas très élevé à cette étape-ci du critère en trois volets.

 

[22]           Toutefois, même si à cette étape, la preuve de la demanderesse est plus crédible que celle de la défenderesse relativement à ces questions de droit, la demanderesse doit quand même aborder au fond la question du préjudice irréparable.

 

V.        Le préjudice irréparable

[23]           Dans la présente affaire, le préjudice allégué par la demanderesse est fondé de façon générale sur la confusion, réelle ou probable, sur le marché ainsi que sur la perte, par dispersion ou par un autre concept non défini, de son achalandage attaché à la marque de commerce. Le mot « dispersion », si je comprends bien, signifie l’éparpillement de l’achalandage, dans le sens de sa diminution. Le concept précis n’a pas été expliqué.

 

[24]           Il est fait référence dans l’arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey (1994), 53 CPR (3d) 34 (C.A.F.) au critère servant à établir le préjudice irréparable causé à une marque de commerce. La Cour d’appel fédérale, à la page 53, a formulé les principes de droit suivants :

·                    une conclusion de confusion entre des produits concurrents n’entraîne pas nécessairement une perte d'achalandage;

·                    l’existence de confusion ne signifie pas qu’il y a nécessairement eu un préjudice irréparable;

·                    une perte d’achalandage n’établit pas en soi que la victime de la perte a subi un préjudice irréparable.

 

[25]           Quant à l’existence de confusion, la Cour a déjà conclu que la qualité de la preuve à cet égard est extrêmement compromise par son caractère de ouï-dire. Sauf cet unique cas de confusion, il n’y a pas d’autre preuve objective et directe de la confusion ou du risque de confusion. Le seul cas de confusion qui est allégué est insuffisant pour établir un fondement plus large à une conclusion de confusion (ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd. (2005), 38 C.P.R. (4th) 481).

 

[26]           La seule preuve de préjudice est le témoignage du principal déclarant de la demanderesse qui reprend en gros les simples allégations de perte contenues dans la déclaration.

 

[27]           Il est reconnu que la perte d’achalandage et le dommage causé à la valeur d’une marque de commerce relèvent de la pure conjecture à cette étape préliminaire de la contrefaçon alléguée, car cet exercice vise à contrer de futures pertes. Toutefois, cela n’enlève pas à une partie l’obligation d’établir l’existence d’un fondement raisonnable et objectif pour d’autres types de pertes présentes et futures.

 

[28]           En l’espèce, la demanderesse n’a présenté aucune preuve concernant la renommée de sa marque, sa nature et portée, ou sa présence dans le public. Elle affirme toutefois qu’avant de décider de présenter un spectacle ou de choisir un endroit, elle effectue des recherches et une analyse de marché. Aucune preuve à cet effet n’a été présentée à la Cour.

 

[29]           Pour satisfaire au critère du préjudice irréparable, il faut une preuve précise qui établit un lien entre la confusion et une perte qu’il n’est pas possible de compenser par des dommages‑intérêts. Aucun lien ni aucune perte de ce genre n’ont été établis dans la présente requête.

 

[30]           La demanderesse a présenté des spectacles dans neuf villes américaines et trois villes canadiennes (Shawinigan, Montréal et Toronto). Elle prétend que la région de Niagara Falls constitue un bon marché parce qu’il est possible d’y puiser dans les deux marchés, américain et canadien. Étant donné cette expérience de spectacles au Canada et aux États-Unis (et donc dans les « marchés » américain et canadien), on aurait cru qu’un demandeur avisé aurait été en mesure de fournir à la Cour une idée de la nature et du type (et même de la valeur) de la perte en se fondant sur l’expérience passée. On se serait attendu à une analyse quelconque des circonstances démontrant que la perte ne peut pas raisonnablement être calculée. La Cour aurait eu ainsi certaines raisons de croire que le type de perte alléguée se produirait et que cette perte ne pourrait pas être calculée.

 

VI.       La prépondérance des inconvénients

[31]           Il n’y a aucune preuve de la présence de la demanderesse sur le marché dans la région de Niagara, sauf la publicité qu’elle y aurait faite il y a plus d’un an. Il n’y a aucune preuve de la perte découlant du spectacle AVIA de la défenderesse dans les autres marchés ou régions dans lesquels la demanderesse s’est trouvée dans le passé.

 

[32]           En revanche, la défenderesse s’est établie et exerce ses activités dans la région de Niagara Falls, et seulement dans la région de Niagara Falls. Une injonction aurait des conséquences directes pour elle; l’absence d’injonction n’aurait que des effets hypothétiques pour la demanderesse.

 

VII.      Conclusion

[33]           La demanderesse a établi qu’elle avait soulevé une question sérieuse – du moins son argument alléguant un risque de confusion est clair – mais elle n’obtient pas gain de cause dans sa requête en injonction. Elle ne peut pas démontrer correctement qu’elle subira (ou même qu’elle risque de subir) un préjudice irréparable. Elle ne peut pas démontrer que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.

 

[34]           Pour ces motifs, la requête sera rejetée. La défenderesse aura droit sans délai aux dépens de la requête.

 

 

ORDONNANCE

[35]           LA COUR ORDONNE QUE la requête soit rejetée. Les dépens de la requête seront payés sans délai à la défenderesse.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       T-830-06

 

INTITULÉ :                                                      VOLTIGE INC.

                                                                           c.

                                                                           CIRQUE X INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 29 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 5 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Thorburn

Emily Larose

 

POUR LA DEMANDERESSE

Henry Lue

Sangeetha Punniyamoorthy

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CASSELS BROOK & BLACKWELL s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DIMOCK STRATTON s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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