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Date : 20020218

Dossier : IMM-2163-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 FÉVRIER 2002

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                                 Shahab Uddin KAZI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs fournis, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'ARRR est annulée et la demande de statut de DNRSRC du demandeur est renvoyée pour nouvel examen par un autre ARRR. On n'a proposé la certification d'aucune question.

                                                                                                                                     « François Lemieux »            

                                                                                                                                                           J U G E                  

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


Date : 20020118

Dossier : IMM-2163-01

Référence neutre : 2002 CFPI 178

ENTRE :

                                                                 Shahab Uddin KAZI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LES FAITS

[1]                 Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Shahab Uddin Kazi (le demandeur), un citoyen du Bangladesh, conteste la décision du 9 avril 2001 par laquelle l'agente de révision des revendications refusées Danielle LeBrun (l'ARRR) a rejeté sa demande du 28 avril 1999 sollicitant sa reconnaissance comme demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), telle que cette expression est définie au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement).


[2]                 Sa demande de statut de DNRSRC a été déposée par son avocat de l'époque, qui a présenté des observations écrites. Le demandeur n'a pas été reçu en entrevue.

[3]                 Le paragraphe 2(1) du Règlement prévoit :


« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » Immigrant au Canada :

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant :

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

"member of the post-determination refugee claimants in Canada class" means an immigrant in Canada

(c) who if removed to a country to which the immigrant could be removed would be subjected to an objectively identifiable risk, which risk would apply in every part of that country and would not be faced generally by other individuals in or from that country,

(i) to the immigrant's life, other than a risk to the immigrant's life that is caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care,

(ii) of extreme sanctions against the immigrant, or

(iii) of inhumane treatment of the immigrant;


[4]                 La Section du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'avait pas de crainte fondée de persécution découlant de son appartenance au parti Jatiya.

[5]                 Le demandeur invoque deux motifs dans sa contestation :

(1)        Se fondant sur plusieurs raisons, il affirme que l'ARRR lui a nié l'équité procédurale.

(2)        Il prétend que la décision de l'ARRR était déraisonnable parce que celle-ci a mal interprété la preuve dans plusieurs cas et n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents dans d'autres cas. En outre, elle a fondé sa décision sur des facteurs non pertinents.


[6]                 Quant au premier motif, le demandeur soutient que l'inéquité procédurale s'est produite de deux manières. Premièrement, l'ARRR a fait des déductions défavorables à son égard, à partir de l'affidavit que son ancienne épouse avait produit dans le cadre des procédures de divorce au Bangladesh (que son représentant avait déposé auprès de l'ARRR), sans lui donner la possibilité de donner des explications ou de présenter des observations sur ces déductions. L'ARRR a conclu que l'affidavit de son ancienne épouse contredisait la raison qu'il avait fournie pour expliquer son départ du Bangladesh.

[7]                 La deuxième manière dont l'inéquité procédurale s'est produite réside dans le fait que l'ARRR ne lui a pas transmis une copie de son opinion sur les risques avant d'effectuer son évaluation des risques et de rendre sa décision. Il y avait obligation de communication car il s'était écoulé deux ans entre la date de présentation de ses arguments et la date de la décision de l'ARRR, et la situation du pays avait changé. De plus, la communication lui aurait permis de corriger les erreurs de fait et les omissions graves mentionnés dans le deuxième motif de contestation.

[8]                 Le demandeur appuie son deuxième motif, la décision déraisonnable, sur plusieurs arguments.


[9]                 Il dit en premier lieu que l'ARRR n'a pas tenu compte des rapports les plus récents sur la situation au Bangladesh et, en particulier, d'un rapport DOS américain pour l'an 2000, qui a été publié en février 2001 et qui déclare que le gouvernement actuel formé par la Ligue Awami a renié l'appui du parti Jatiya, dont il a récemment fait emprisonner le président (Ershad). Selon lui, l'ARRR s'est fondé sur des éléments de preuve documentaire désuets indiquant que le parti Jatiya avait appuyé la Ligue Awami en 1996 pour conclure que le demandeur ne l'avait pas convaincue qu'il pouvait être pris pour cible par les membres de la Ligue Awami.

[10]            Deuxièmement, l'ARRR a mal interprété la preuve lorsqu'elle a conclu que le risque qu'il soit torturé n'était pas important puisqu'il n'avait été qu'un membre ordinaire du parti Jatiya. L'avocate du demandeur invoque un récent rapport de novembre 2000 d'Amnistie Internationale intitulé [Traduction] « Bangladesh - Torture et impunité » , dont l'ARRR n'a pas tenu compte selon elle.

[11]            Troisièmement, l'ARRR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il pouvait réduire ses risques en ne reprenant pas ses activités politiques. D'après elle, il avait été à l'extérieur pendant un certain nombre d'années et il n'avait pas démontré être toujours membre du parti Jatiya.

[12]            Le demandeur prétend en quatrième lieu que l'ARRR a mal interprété la preuve ou ne l'a pas pris en considération dans plusieurs cas :


(1)        Dans son affidavit, son ancienne épouse n'a pas dit qu'il subvenait aux besoins de son enfant au Bangladesh, contrairement à ce que l'ARRR a conclu. Il affirme dans son affidavit que son enfant vit avec sa mère, à qui il envoie régulièrement de l'argent.

(2)        L'ARRR a présumé que parce qu'il avait une entreprise, il avait les moyens de contester toute arrestation ou emprisonnement auprès de la Haute Cour. Dans son affidavit, il dit ne pas avoir d'argent au motif que son entreprise a été détruite.

(3)        L'ARRR n'a pas tenu compte du fait que les mandats d'arrestation n'étaient pas requis au Bangladesh.

(4)        L'ARRR n'a pas tenu compte du fait que le parti au pouvoir était un parti national qui pouvait le trouver n'importe où au Bangladesh.

(5)        L'ARRR n'a pas tenu compte du fait que la corruption policière était répandue au Bangladesh.

[13]            Cinquièmement, il prétend que son ancienne épouse a eu tort de déclarer dans son affidavit qu'il n'avait pas communiqué avec elle depuis qu'il était arrivé au Canada. Il affirme que cela n'est pas vrai et qu'elle savait où il se trouvait au Canada.

[14]            Sixièmement, l'ARRR a fait la déduction déraisonnable qu'il ne serait pas arrêté de nouveau puisqu'il avait été libéré.


[15]            L'avocat du défendeur répond en faisant référence à la jurisprudence de la Cour quant à la portée de la norme du contrôle de l'évaluation du statut de DNRSRC. À son avis, cette norme est très élevée car le demandeur sollicite uniquement une exemption des exigences ordinaires du Règlement, exigences dont le respect est nécessaire à l'obtention d'un privilège et qui ne retirent aucun droit.

[16]            Dans son mémoire écrit, l'avocat du défendeur a invoqué l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Dasent (1996), 193 N.R. 303, au soutien de la proposition que l'ARRR n'était pas tenue de mentionner les renseignements exacts sur lesquels elle allait se fier dans l'évaluation des risques concernant le statut de DNRSR ni de faire part de ses conclusions éventuelles au demandeur pour lui fournir la possibilité de répondre de façon précise.

[17]            Dans ce mémoire, l'avocat du demandeur a déclaré que le demandeur n'avait trouvé aucun motif au soutien de la conclusion selon laquelle la décision de l'ARRR était déraisonnable. L'ARRR a tiré des conclusions de fait appuyées par des éléments de preuve figurant au dossier. De plus, l'ARRR n'avait pas l'obligation de mentionner dans ses motifs l'ensemble des éléments de preuve dont elle avait tenu compte avant d'en arriver à sa décision.

[18]            Dans sa plaidoirie, l'avocat du défendeur a invoqué les arguments suivants :


(1)        En réponse à l'argument que les prétentions du demandeur étaient désuètes, n'étant plus valables après deux ans, en raison de faits nouveaux et de changements dans la situation du pays, il affirme que le demandeur n'a subi aucune inéquité puisqu'il n'a pas été empêché de présenter des éléments de preuve additionnels à l'ARRR avant que celle-ci ne rende sa décision. Le dossier indique que son représentant a communiqué des renseignements (l'affidavit de son ancienne épouse) à l'ARRR aussi tard que le 27 juin 2000.

(2)        Le demandeur se fonde à tort sur le récent arrêt de la Cour d'appel fédérale Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Haghighi, [2000] 4 C.F. 407 car, dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale se penchait sur une demande reposant sur des considérations d'ordre humanitaire dans le cadre de laquelle l'agente d'immigration avait sollicité l'avis d'un ARRR avant de rendre sa décision. Il s'agissait de l'opinion d'un tiers, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire où l'ARRR a effectué l'ensemble de l'évaluation des risques.

(3)        L'examen des références énumérées par l'ARRR dans les notes de sa décision indique qu'elle a pris en considération les rapports pertinents sur la situation du pays.

ANALYSE

La norme de contrôle

[19]            J'accepte la prétention du défendeur selon laquelle la norme de contrôle applicable à la décision de l'ARRR est celle du caractère manifestement déraisonnable.


[20]            Mes collègues le juge Henaghan, dans Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1522, et le juge Blanchard, dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 60, ont confirmé cette norme de contrôle en se fondant sur l'analyse des décisions antérieures.

[21]            Je suis davantage convaincu de la justesse de leur conclusion en raison de l'arrêt récemment rendu à l'unanimité par la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 1, où il a été question, aux paragraphes 28 à 32, de la conclusion du ministre selon laquelle le réfugié constituait un danger pour la sécurité du Canada. La Cour s'est exprimée ainsi au paragraphe 29 :

[29] La première question consiste à déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision ministérielle portant qu'un réfugié constitue un danger pour la sécurité du Canada. Nous souscrivons à l'opinion du juge Robertson selon laquelle le tribunal de révision doit faire preuve de retenue à cet égard et annuler la décision discrétionnaire seulement si elle est manifestement déraisonnable parce qu'elle aurait été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que le ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents. Le tribunal de révision ne doit ni soupeser à nouveau les différents facteurs ni intervenir uniquement parce qu'il serait arrivé à une autre conclusion. [non souligné dans l'original]

[22]            Dans l'arrêt Southam Inc. et al. c. Directeur des enquêtes et recherches, [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci a établi la distinction entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » , laquelle, selon lui, réside dans le caractère flagrant et évident du défaut. Il a déclaré que :


[57] [...] Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable. [...] Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier.

Analyse et conclusions

[23]            En l'espèce, je suis d'avis que la décision de l'ARRR est manifestement déraisonnable parce que plusieurs de ses principales conclusions de fait ne peuvent pas être soutenues par la preuve : dans certains cas, l'ARRR n'a pas pris en considération ou a mal interprété la preuve tandis que dans d'autres cas, elle a appuyé ses conclusions sur des présomptions ne reposant sur aucun fondement probatoire.

[24]            Premièrement, l'ARRR a conclu à la subjectivité de la crainte de représailles du demandeur de la part des partisans de la Ligue Awami, déclarant que :

[...] Ses craintes envers les travailleurs de la Ligue Awami sont subjectives et ne sont pas fondées sur des éléments de preuve convaincants. D'autant plus, selon la preuve documentaire, que le parti de la Ligue Awami a été porté au pouvoir le 12 juin 1996, avec le support du parti Jatiya, soit 10 mois après son départ. Le requérant ne m'a pas satisfaite qu'il pourrait être la cible des partisans du parti de la Ligue Awami.


[25]            Le U.S. DOS Country Report on Human Rights Practices 2000 pour le Bangladesh, que l'ARRR a indiqué être l'un des documents qu'elle avait consultés, établit clairement que sa conclusion était erronée. Ce rapport déclare que vers la fin de 1998, l'ancien président Ershad, chef du parti Jatiya, a adopté une position plus ferme contre le gouvernement et a par la suite conclu une alliance avec d'autres partis de l'opposition pour faire pression sur le gouvernement afin que celui-ci démissionne. Ce rapport souligne qu'à la fin de l'année M. Ershad était en prison par suite d'une accusation d'abus de pouvoir et de corruption.

[26]            Deuxièmement, l'ARRR a conclu que la crainte du demandeur d'être arrêté ou d'être victime de la corruption policière immédiatement après son retour n'était pas fondée. Elle a fait remarquer qu'aucun mandat d'arrestation n'avait été délivré contre lui et qu'il n'avait pas réussi à prouver qu'il était un activiste politique connu. Elle a cependant reconnu que la preuve documentaire révélait que le gouvernement poussait les policiers et les juges se trouvant aux échelons inférieurs à se livrer à des pratiques corrompues. Elle a ajouté ceci :

Cependant, elle révèle que le niveau judiciaire supérieur est indépendant et rend des jugements la plupart du temps en faveur des intimés parce que la police ou le gouvernement ne peuvent prouver les accusations. On indique également que les personnes qui ont de l'argent et un avocat peuvent facilement accéder au niveau judiciaire supérieur. Par conséquent, compte tenu de ce qui précède et de son profil personnel, je suis d'avis qu'il pourra obtenir l'accessibilité au système judiciaire et la protection de l'état contrairement à ses allégations. [non souligné dans l'original]

[27]            À mes yeux, cette conclusion ne reposait sur aucun fondement probatoire. L'ARRR ne disposait d'aucun élément de preuve relatif à la situation financière du demandeur. Elle a présumé qu'il avait suffisamment d'argent pour contester les accusations susceptibles d'être portées contre lui à son retour parce qu'il avait une entreprise. Dans son affidavit à l'appui de la présente demande, le demandeur a nié avoir des ressources financières provenant de son entreprise puisque celle-ci avait été attaquée à plusieurs occasions.


[28]            En outre, l'élément de preuve documentaire que constitue le rapport d'Amnistie Internationale intitulé « Bangladesh : Torture et impunité » et publié en novembre 2000, dont l'ARRR ne disposait pas, indique que le Code of Criminal Procedure du Bangladesh permet les arrestations sans mandat et qu'on a abusé de cette loi au point où trois organisations des droits de la personne de ce pays ont déposé auprès de la Section de la Haute Cour de la Cour suprême un bref de demande sollicitant l'établissement de lignes directrices obligatoires visant à circonscrire le pouvoir d'arrestation de la police et le pouvoir des juges de renvoyer les détenus à la garde de la police.

[29]            Troisièmement, l'ARRR a affirmé que l'examen de la preuve ne l'avait pas convaincue que le demandeur était un dirigeant de l'unité locale de son parti, concédant toutefois que les membres de la Section du statut ne doutaient pas du fait qu'il était membre du parti Jatiya. Elle a ensuite déclaré ce qui suit :

Cependant, après une audience approfondie, il n'a pas réussi à convaincre le panel qu'il avait le profil d'un activiste politique qui pourrait être exposé à de la persécution. Par ailleurs, la lecture des motifs de la décision de la SSR ne m'a pas permis d'établir qu'il était un politicien de haut profil ciblé par des opposants politiques et qu'il pourrait être exposé à des représailles par les autorités gouvernementales dès son retour. J'ai constaté qu'il n'avait pas répondu adéquatement aux questions du panel et que ses connaissances de la situation politique tant au niveau régional que national, étaient très limitées.

[30]            Encore une fois, les opinions de l'ARRR semblent contraires à la preuve documentaire. À la page 29, le rapport d'Amnistie Internationale de novembre 2000 déclare :

[Traduction] On croit que ce sont les politiciens qui poussent les policier à torturer des adversaires politiques. Les victimes peuvent être membres du même parti que l'instigateur ou être membres d'un parti opposé. Les chefs politiques locaux en sont les victimes les plus fréquentes. [non souligné dans l'original]


[31]            En outre, cette opinion ne tient pas compte du fait que le demandeur était bien connu car il dirigeait un organisme de bienfaisance local.

[32]            Quatrièmement, l'ARRR a mal interprété l'affidavit de l'ancienne épouse du demandeur, faisant ainsi la déduction défavorable que ce dernier n'avait pas quitté le pays pour des raisons de sécurité compte tenu de ses activités politiques. L'ARRR a interprété cet affidavit comme signifiant que le demandeur avait encouragé son ancienne épouse à visiter son père (à elle) « pour profiter de l'occasion pour disparaître. Il n'a jamais donné signe de vie à son épouse par la suite et il ne s'est jamais préoccupé d'assumer ses responsabilités financières envers sa famille. »

[33]            La lecture de cet affidavit, qui a été rédigé dans le cadre de procédures judiciaires en matière de divorce au Bangladesh, me convainc que la déduction de l'ARRR, selon laquelle le demandeur n'a pas fui pour des raisons de sécurité et des raisons politiques, n'est pas raisonnable parce qu'elle n'est pas appuyée par la preuve.

[34]            Cinquièmement, l'ARRR a conclu que le comportement du demandeur n'était pas celui auquel on pourrait s'attendre de la part d'une personne qui a été victime d'oppression et de brutalité policière en raison de ses opinions et de ses activités politiques, et elle a déclaré ceci :

Il n'a pas démontré qu'il craignait ses opposants politiques ou la police. J'ai constaté en parcourant son récit qu'il n'avait pas jugé bon de cesser ses activités politiques ou tenter de trouver refuge dans une autre région malgré le fait [...] .

[35]            Dans une autre partie de ses motifs, l'ARRR avait dit ce qui suit à cet égard :


Le requérant, n'ayant pas démontré qu'il est toujours membre du parti Jatiya après cinq ans d'absence et étant au fait de la situation actuelle de son pays, a le loisir d'adopter à son retour un comportement qui le mettrait à l'abri des partisans des partis politiques adverses.

[36]            Je suis d'accord avec l'avocate du demandeur que l'ARRR a commis une erreur en paraissant exiger du demandeur qu'il cesse ses activités politiques s'il retourne au Bangladesh. Saisi d'une décision semblable dans Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 135, le juge Rouleau a écrit que :

Suggérer que le demandeur retourne au Bangladesh et ne participe pas à la vie politique va à l'encontre de l'objet de la protection accordée par la Convention internationale. Un réfugié au sens de la Convention est une personne qui craint d'être persécutée en raison de son appartenance à un groupe particulier ou de ses opinions politiques. La Commission n'a pas analysé les craintes personnelles du demandeur et ne les a pas situées dans le contexte de la violence politique qui persiste au Bangladesh.

[37]              L'examen de la décision de l'ARRR me mène à une conclusion similaire en l'espèce.

[38]            En terminant, je suis en désaccord avec l'opinion de l'avocate du demandeur selon laquelle une obligation de communication de l'opinion de l'ARRR sur les risques découle de la période écoulée entre le dépôt d'une demande de statut de DNRSRC et la prise d'une décision. Le principe de la communication est fondé sur les conséquences pour la personne concernée d'une opinion sur les risques viciée, ce principe étant sauvegardé par l'octroi à cette personne de la possibilité de présenter des observations et/ou de corriger des erreurs avant que l'évaluation des risques ne soit faite.


[39]            Étant donné que le demandeur a gain de cause quant au motif substantiel, il n'y a pas lieu que j'examine la question de l'équité et, en particulier, que je détermine si les principes sous-jacents exposés dans l'arrêt Haghighi, précité, s'appliquent uniquement aux demandes fondées sur des considérations d'ordre humanitaire dans le cadre desquelles l'agent d'immigration sollicite une opinion sur les risques de la part d'un ARRR.

[40]            Pour l'ensemble de ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'ARRR est annulée et la demande de statut de DNRSRC est renvoyée pour nouvel examen par un autre ARRR.

                                                                                                                                     « François Lemieux »           

                                                                                                                                                           J U G E          

OTTAWA (ONTARIO)

LE 18 FÉVRIER 2002

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                      IMM-2163-01

INTITULÉ :                                SHADAB UDDIN KAZI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :         MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 14 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                          18 FÉVRIER 2002

ONT COMPARU

ME DIANE N. DORAY                                                  POUR LE DEMANDEUR

ME DANIEL LATULIPPE                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME DIANE N. DORAY                                                  POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                            POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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