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Date : 20020225

Dossier : IMM-276-01

Référence neutre : 2002 CFPI 201

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                        XIN HAO YE

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, à l'égard de la décision en date du 19 décembre 2000 par laquelle un tribunal composé d'un seul membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]             La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant la question à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

Les faits àl'origine du litige

[3]                 Âgée de 40 ans, la demanderesse est une Chinoise originaire de la petite agglomération de Renhe, située dans la ville de Guanhou, dans la province de Guandong. La demanderesse soutient craindre avec raison d'être persécutée en raison de ses opinions politiques antigouvernementales.

[4]                 Selon la demanderesse, les événements suivants se sont produits en Chine. En 1998, l'administration locale du pays a exproprié des terrains situés dans le village où la demanderesse habitait afin de pouvoir construire un aéroport. Un certain nombre de villageois se sont opposés à l'indemnité déraisonnable qui était offerte à ceux qui perdaient leur terrain et la police a arrêté quelques-uns des villageois contestataires.

[5]                 En 1999, l'administration a exproprié le terrain de la demanderesse afin de construire une voie rapide menant à l'aéroport. La demanderesse et son mari ont appris que l'administration locale avait reçu du palier gouvernemental supérieur une indemnité supérieure au montant qu'elle offrait aux villageois.

[6]             La demanderesse et son mari se sont rendus avec d'autres villageois locaux à un bureau de l'administration locale pour se plaindre, mais se sont fait dire de partir. Les fonctionnaires ont téléphoné au Public Security Bureau (PSB), qui a arrêté l'époux de la demanderesse et deux autres personnes. La demanderesse s'est enfuie chez un membre de sa famille. Par la suite, elle a quitté le pays pour revendiquer le statut de réfugié au Canada.

[7]                 La Commission a rejeté la revendication de la demanderesse au motif qu'il existait des éléments de preuve indiquant que l'État chinois déployait de sérieux efforts pour éliminer la corruption. La Commission a souligné que, même si la demanderesse connaissait l'existence des bureaux de lutte à la corruption auprès desquels il était possible de déposer une plainte au sujet des fonctionnaires corrompus, elle ne s'est jamais adressée à un bureau de cette nature. Rejetant la revendication de la demanderesse, la Commission a statué que celle-ci n'avait pas réfuté la présomption concernant la protection de l'État.

Arguments de la demanderesse

[8]                 La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en se fondant sur la question de la protection de l'État pour en arriver à sa décision. Selon la demanderesse, la protection de l'État s'applique uniquement aux cas où l'agent de persécution n'est pas un représentant de l'État et la Commission n'aurait pas dû appliquer cet argument en l'espèce.


[9]             De l'avis de la demanderesse, la Commission a commis une erreur en présumant que les fonctionnaires locaux corrompus n'étaient pas des représentants de l'État; elle aurait dû plutôt présumer le contraire et se demander ensuite s'ils avaient outrepassé les limites de leur compétence de manière à déclencher l'examen de la question de la protection de l'État.

[10]            La demanderesse ajoute que le raisonnement de la Commission est abusif en droit, parce qu'il sous-entend qu'elle aurait dû se rendre à un bureau de lutte à la corruption et que, à ce moment, elle n'aurait pas été tenue de s'adresser à un bureau du gouvernement pour demander réparation, ce qui lui aurait permis d'éviter la confrontation avec les fonctionnaires par suite de laquelle elle a été recherchée par le Public Security Bureau.

[11]          La demanderesse allègue qu'elle a demandé la protection nécessaire de l'État en allant voir les autorités locales pour discuter de l'expropriation de sa propriété.

[12]            De l'avis de la demanderesse, la Commission ne peut conclure qu'elle n'a pas cherché à obtenir la protection du gouvernement au motif qu'elle aurait dû communiquer avec le bureau de lutte à la corruption plutôt qu'avec les autorités locales.

Arguments du défendeur


[13]         Le défendeur soutient qu'il existe une présomption selon laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens et qu'une personne qui revendique le statut de réfugié doit présenter des renseignements clairs et convaincants du fait que l'État est incapable de la protéger ou n'est pas disposé à le faire. Selon le défendeur, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que la demanderesse n'a pas réussi à réfuter cette présomption et il était loisible à la Commission de rejeter la revendication de la demanderesse.

[14]            Pour soutenir que la décision de la Commission était justifiée, le défendeur cite l'extrait suivant de la décision qu'a rendue le juge Rothstein dans Xue c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1728 :

La Commission a été saisie d'une preuve documentaire portant que les initiatives du gouvernement chinois pour combattre la corruption sont encore inadéquates et trop faibles pour l'éliminer.... Le fait qu'il y ait bon nombre de bureaux de lutte à la corruption en Chine, dont l'un dans le voisinage de la résidence du demandeur dont il connaissait l'existence, suffisait pour que la Commission puisse conclure que ce dernier aurait pour le moins dûs'adresser au bureau de lutte àla corruption. Même si la Commission ne traite pas directement de la preuve qui ferait état de la faiblesse des initiatives de lutte àla corruption, je ne peux dire que la conclusion de la Commission que le demandeur aurait au moins pu s'adresser au bureau de lutte à la corruption soit déraisonnable.

[15]            Le défendeur fait valoir que, s'il existe des éléments de preuve sur la foi desquels la Commission pouvait conclure que la demanderesse avait accès à la protection de l'État, la Cour ne devrait pas intervenir, à moins que la demanderesse ne démontre que cette décision est manifestement déraisonnable. Le défendeur allègue que la Commission était saisie d'une preuve de cette nature et qu'elle n'a pas rendu une décision manifestement déraisonnable.

[16]            Question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?


Analyse

[17]            La Cour a constamment statué que la question de l'accessibilité à la protection de l'État est une question qui relève de la compétence et des connaissances spécialisées de la SSR.

[18]            Dans la présente affaire, la Commission a essentiellement conclu que la demanderesse n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour réfuter la présomption quant à l'accessibilité à la protection de l'État pour elle. La Commission a statué que la demanderesse ne s'est pas plainte auprès du bureau de lutte à la corruption que le gouvernement avais mis sur pied pour examiner les plaintes de corruption visant les fonctionnaires.

[19]            À l'audience tenue devant la Commission, la demanderesse a admis qu'elle était au courant de l'existence du bureau de lutte à la corruption. La demanderesse n'a jamais communiqué avec ce bureau auparavant, mais elle était convaincue qu'il ne pourrait pas l'aider. Comme la Commission l'a souligné à juste titre, il appert de la preuve documentaire qu'un grand nombre de bureaux de lutte à la corruption ont été ouverts dans le cadre des efforts que l'État a déployés pour lutter contre la corruption de la part des fonctionnaires.

[20]            Comme l'a dit le juge MacKay dans Milev c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), dossier IMM-1125-95 (20 juin 1996) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 19 :

... Le fait que l'État n'assure pas une protection parfaite ne permet pas, en soi, de déterminer que l'État ne veut ni ne peut offrir une protection raisonnable dans les circonstances.

[21]            Dans la présente affaire, même si le système des bureaux de lutte à la corruption ne fonctionne peut-être pas à la perfection dans tous les cas de corruption, il semble qu'il soit efficace dans plusieurs situations.

[22]            La demanderesse a ajouté qu'elle avait demandé la protection de l'État en s'adressant aux autorités locales qui, selon elle, ont conservé une partie de l'indemnité qui lui avait été accordée à l'égard de son terrain. Je ne vois pas en quoi cette mesure constitue une demande de protection de l'État. La demanderesse cherchait plutôt à obtenir une indemnité à l'égard de son terrain.

[23]            J'estime que la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour réfuter la présomption concernant la protection de l'État est une décision raisonnable que la Commission avait le droit de prendre.

[24]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]            Aucune partie n'a exprimé le désir de faire certifier une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                      

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 25 février 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-276-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Xin Hao Ye

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le mercredi 31 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                      le lundi 25 février 2002

COMPARUTIONS:

Carla Sturdy                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Angela Marinos                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lewis & Associates                                              POUR LA DEMANDERESSE

290 Gerrard Street East

Toronto (Ontario) M5A 2G4

Ministère de la Justice                              POUR LE DÉFENDEUR

Bureau régional de l'Ontario

1130 King Street West

Bureau 3400, Exchange Tower, C.P. 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

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