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                                                                                                                              Date : 20020531

                                                                                                                        Dossier : T-1030-01

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2002

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Pinard

ENTRE :

GRACE EDWARDS ET KENNETH EDWARDS

                                                                                                                                      demandeurs

et

L'AGENCE DES DOUANES ET

DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                  défenderesse

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« YVON PINARD »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


                                                                                                                              Date : 20020531

                                                                                                                        Dossier : T-1030-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 618

ENTRE :

GRACE EDWARDS ET KENNETH EDWARDS

                                                                                                                                      demandeurs

et

L'AGENCE DES DOUANES ET

DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                  défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

        Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue de faire examiner et annuler la décision par laquelle M. Kevin J. Ritcey, directeur, Bureau des services fiscaux de l'Intérieur - Sud, Agence des Douanes et du Revenu du Canada (l'ADRC) a refusé, le 25 mars 2001, d'annuler tout ou partie de l'intérêt ou de la pénalité payable conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e supp.), ch. 1 (la Loi) ainsi qu'à la circulaire d'information 92-2 intitulée « Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités » (les Lignes directrices) et a également décidé de ne pas renoncer à l'intérêt ou à la pénalité.


        La demanderesse Grace Edwards a interjeté appel contre les cotisations relatives à ses années d'imposition 1991 et 1992, pour lesquelles la déduction de pertes d'entreprise avait été rejetée. Kenneth Edwards a interjeté appel contre les cotisations relatives à ses années d'imposition 1992, 1993 et 1994, à l'égard desquelles le ministre avait rejeté la déduction de pertes d'entreprise et avait en outre ajouté au revenu le produit de la vente de rondins. Ces appels ont été portés devant la Cour d'appel fédérale, qui a confirmé, le 15 juin 2000, la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt avait rejeté les appels.

        Des montants d'intérêts élevés se sont accumulés pendant la procédure d'appel. Au 17 mai 2001, les demandeurs devaient 148 798,08 $.

        Les demandeurs ont d'abord demandé au Comité d'équité, au premier palier, au moyen d'une lettre en date du 27 juillet 2000, d'annuler l'intérêt ou d'y renoncer en se fondant sur les dispositions d'équité de la Loi de l'impôt sur le revenu.

        Un rapport a été préparé par Heather Campbell et transmis pour examen au Comité d'équité au premier palier. M. Ricketts, directeur adjoint, Perception des recettes, a rejeté, par une lettre en date du 23 janvier 2001, la demande que les demandeurs avaient faite en vue de l'annulation de l'intérêt ou de la renonciation à l'intérêt.

        Les demandeurs ont répondu au rejet de la demande au moyen d'une lettre en date du 5 mars 2001. Le ministre estimait que cette lettre était la demande par laquelle les demandeurs demandaient, au deuxième palier de l'examen fondé sur l'équité, l'annulation de l'intérêt ou la renonciation à l'intérêt.

        Le 25 mai 2001, la demande a été rejetée. Cette décision fait maintenant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.


        En rejetant la demande, Kevin J. Ritcey a fait observer ce qui suit :

[TRADUCTION] [...]

Comme il en est fait mention dans la lettre relative à l'examen fondé sur l'équité du 23 janvier 2001 et dans la circulaire d'information 92-2, les dispositions ont été édictées en 1991 et confèrent au ministre le pouvoir discrétionnaire d'annuler tout ou partie de l'intérêt ou de la pénalité payable ou d'y renoncer, en cas d'incapacité de payer. Les motifs de rejet de votre demande ont été fournis.

En réponse à la lettre que vous nous avez récemment envoyée, le 14 mars 2001, notre service de perception vous a transmis une lettre renfermant les renseignements additionnels dont vous aviez besoin afin de vous permettre d'étudier la possibilité de demander un autre examen des comptes susmentionnés en vertu des dispositions d'équité; au cours de la conversation que j'ai eue avec vous le 23 mars 2001, j'ai réitéré la politique de l'ADRC à ce sujet. Vous ne m'avez pas encore répondu.

Par conséquent, même si je comprends bien votre position, je dois confirmer la décision qui a déjà été prise. Je conclus que l'incapacité de payer ou d'organiser vos finances de façon à régler cette dette n'a pas été justifiée dans ce cas-ci. De plus, aucune entente mutuellement satisfaisante relative au paiement n'a été conclue au sujet des comptes susmentionnés; or, il s'agit d'une exigence à laquelle il faut satisfaire pour qu'un examen fondé sur l'équité puisse être effectué, en cas de difficulté financière. J'ai donc conclu qu'il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel il convient d'annuler l'intérêt.

[...]

                                                           * * * * * * * * * * * *

        Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu et des Lignes directrices applicables sont ainsi libellées :

Loi de l'impôt sur le revenu :


220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.


220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to (5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


Lignes directrices no 92-2 concernant l'annulation des intérêts et des pénalités :


7. Il peut être convenable dans des situations où il y a incapacité de verser le montant exigible d'examiner la possibilité de renoncer ou d'annuler la totalité ou une partie des intérêts afin d'en faciliter le recouvrement, par exemple dans les cas suivants :

a) lorsque les mesures de recouvrement ont été suspendues à cause de l'incapacité de payer;

b) lorsqu'un contribuable ne peut conclure une entente de paiement qui serait raisonnable parce que les frais d'intérêts comptent pour une partie considérable des versements; dans un tel cas, il faudrait penser à renoncer à la totalité ou à une partie des intérêts pour la période où les versements débutent jusqu'à ce que le montant exigible soit payé pourvu que les versements convenus soient effectués à temps.


7. It may be appropriate, in circumstances where there is an inability to pay amounts owing, to consider waiving or cancelling interest in all or in part to facilitate collection. For example,

(a) When collection has been suspended due to an inability to pay.

(b) When a taxpayer is unable to conclude a reasonable payment arrangement because the interest charges absorb a significant portion of the payments. In such a case, consideration may be given to waiving interest in all or in part for the period from when payments commence until the amounts owing are paid provided the agreed payments are made on time.



10. Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l'étude de demandes d'annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux-ci :

a) si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;

d) si le contribuable ou l'employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.


10. The following factors will be considered when determining whether or not the Department will cancel or waive interest or penalties:

(a) whether or not the taxpayer or employer has a history of compliance with tax obligations;

(b) whether or not the taxpayer or employer has knowingly allowed a balance to exist upon which arrears has accrued;

(c) whether or not the taxpayer or employer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self-assessment system;

(d) whether or not the taxpayer or employer has acted quickly to remedy any delay or omission.


                                                           * * * * * * * * * * * *

[10]       Dans la décision Boudreault c. Canada (ADRC), [2002] A.C.F. no 126 (1re inst.) (QL), Monsieur le juge Blais a confirmé la norme de contrôle établie par Monsieur le juge Rouleau dans la décision Kaiser c. Ministre du Revenu national (1995), 93 F.T.R. 66, lorsque les cours ont à examiner l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire tel que celui dont il est ici question. Voici ce qui a été dit, page 68 :


L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de situations indépendantes de leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.

La jurisprudence a établi une norme que sont tenus d'appliquer les tribunaux lorsqu'ils doivent contrôler l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui dont il est question en l'espèce. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. p. 2; 44 N.R. 354; 137 D.L.R. (3d) 558 (C.S.C.), le juge McIntyre a dit aux pages 7 et 8 :

En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l'espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. À mon avis, lorsqu'elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[11]       La jurisprudence relative à la norme de contrôle qui a été établie depuis l'arrêt Maple Lodge Farms, précité, a été examinée par Monsieur le juge Pelletier dans la décision Sharma c. Ministre du Revenu national, 2001 DTC 5360. Le juge parle de l' « analyse pragmatique et fonctionnelle » décrite dans les arrêts Baker c. Canada (MCI), [1999] 2 R.C.S. 817, et Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982, et conclut ce qui suit, au paragraphe 22 :


[TRADUCTION] J'en déduis que la Cour suprême a subsumé le critère énoncé dans l'arrêt Maple Lodge Farms sous l'approche pragmatique et fonctionnelle, de sorte qu'il ne s'agit plus de savoir si la décision est de nature purement discrétionnaire et est donc uniquement susceptible de révision pour les motifs énoncés dans l'arrêt Maple Lodge Farms. L'enquête doit maintenant consister en une « analyse pragmatique et fonctionnelle » visant à permettre de déterminer jusqu'à quel point il faut faire preuve de retenue à l'égard de la décision en cause.

[12]       À l'audience qui a eu lieu devant moi, les avocats des deux parties ont soutenu que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire qui a été prise en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d'accord.

[13]       Le paragraphe 220(3.1) de la Loi confère un pouvoir discrétionnaire au ministre. Les cours de justice ont la responsabilité de veiller à ce que le contribuable soit entendu et à ce qu'il bénéficie d'une décision prise à la suite d'une procédure équitable dans le cadre de laquelle les arguments qu'il a invoqués ont de fait été examinés (voir Courchesne c. Canada (Revenu), [1996] A.C.F. no 1469 (1re inst.) (QL).

[14]       Compte tenu de la preuve qui a été soumise en l'espèce, je suis convaincu que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 220(3.1) de la Loi a été exercé de la façon appropriée. Un pouvoir discrétionnaire de cette nature doit être exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle, compte tenu de toutes les considérations pertinentes et sans qu'il soit tenu compte de considérations étrangères ou non pertinentes. Comme il a été dit dans la décision Kaiser, précitée, page 69 :

[...] Chaque cas doit être décidé selon son bien-fondé, de sorte qu'il puisse être tenu compte des circonstances propres à chaque contribuable. [...] le ministre, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1), doit tenir compte de considérations pertinentes propres au contribuable visé. [...]

[15]       En l'espèce, le dossier montre que les demandeurs ont reçu une copie des Lignes directrices le 23 janvier 2001, date à laquelle M. Ricketts les a informés que la demande qu'ils avaient faite au Comité d'équité au premier palier avait été rejetée.


[16]       De plus, les demandeurs ont été avisés par lettre, à deux reprises, que le ministre ne pouvait pas accepter une proposition de paiement d'une dette fiscale, si ce n'est un paiement intégral. En outre, ils ont été informés qu'un calendrier de paiement pour la fraction des soldes exigibles se rapportant à l'impôt devait être soumis pour que la demande d'annulation de l'intérêt ou de renonciation à l'intérêt soit examinée comme le prévoit l'article 7 des Lignes directrices. Selon la preuve qui a été versée au dossier, les demandeurs n'ont pas répondu à cette demande.

[17]       En outre, le 23 mars 2001, la demanderesse Grace Edwards a eu avec M. Kevin Ritcey une conversation téléphonique au cours de laquelle il a été expliqué que le ministre ne s'occupe pas de [TRADUCTION] « questions immobilières » et qu'il ne pouvait donc pas accepter le projet de règlement du 22 juin 2000 selon lequel les demandeurs devaient céder au ministre les titres et droits afférents à trois lots ainsi que recevoir en fiducie le montant de 5 000 $ destiné à compenser le paiement en trop reçu au moyen des cessions en question.

[18]       À mon avis, le ministre n'a pas pris une décision manifestement déraisonnable en rejetant la demande. Les demandeurs ont été informés des motifs pour lesquels le ministre avait l'intention d'aller de l'avant et ils ont également eu la possibilité de fournir des renseignements qui seraient pris en considération.


[19]       Pour les motifs susmentionnés, je crois qu'au vu du dossier, rien ne permet de modifier la décision du représentant du ministre. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée avec dépens.

« YVON PINARD »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO),

le 31 mai 2002.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-1030-01

INTITULÉ:                                  Grace Edwards et Kenneth Edwards

c.

l'Agence des Douanes et du Revenu du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Kamloops (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 2 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :           Monsieur le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                       le 31 mai 2002

COMPARUTIONS :

M. Michael O'Neill                           POUR LES DEMANDEURS

Mme Linda Bell                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Michael O'Neill                           POUR LES DEMANDEURS

Kamloops (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                         POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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