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Date : 20060501

Dossier : T-149-05

Référence : 2006 CF 540

OTTAWA (ONTARIO), le 1er mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

ELIYAHU YOSHUA VEFFER

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

défendeur

 

et

 

 

CANADIENS POUR JERUSALEM

intervenante

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur est un citoyen canadien né à Jérusalem le 12 décembre 1987. Il a demandé et obtenu un passeport canadien, qui indique que son lieu de naissance est « Jérusalem ». Dans son formulaire de demande, il avait inscrit comme lieu de naissance « Jerusalem, Israel ». Son avocat a écrit une lettre à Passeport Canada demandant qu’« Israël » soit également inclus dans le champ de la date de naissance. Cette demande a été refusée le 21 décembre 2004.

 

[2]               Voici le texte de la lettre de refus du changement demandé :

[traduction]  La présente fait suite à votre télécopie du 26 août 2004 concernant le lieu de naissance indiqué dans le passeport de votre client, M. Eliyahu Yoshua Veffer. Veuillez m’excuser du temps qu’il a fallu pour vous répondre.

 

Le code de désignation du lieu de naissance que l’on emploie dans les passeports canadiens est fixé par l’Organisation internationale de normalisation, qui tient la liste des pays pour le compte de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Cet organisme des Nations Unies établit les normes qui régissent les documents de voyage internationaux. Le gouvernement du Canada a décidé que la désignation à employer dans le passeport canadien pour les personnes nées à Jérusalem est « Jérusalem » seulement, inscrit au long. Il y a une exception pour les personnes nées avant le 14 mai 1948. Sur demande, il est possible d’inscrire « Palestine » au lieu de « Jérusalem ». Aucune autre appellation n’étant permise à l’heure actuelle, cela explique pourquoi le pays d’origine de votre client ne figure pas dans son passeport.

 

J’espère que ces renseignements vous aideront à répondre à votre client.

 

Le passeport du demandeur ne contient aucune restriction, et celui-ci peut voyager comme n’importe quel autre citoyen canadien détenant un passeport canadien valide.

 

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision, ainsi qu’une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à inscrire dans son passeport la mention « Jérusalem, ISR », « ISR » ou « Jérusalem, ISR de facto ». Il est d’avis qu’en ce qui a trait à Jérusalem, la politique du défendeur concernant la désignation des lieux de naissance dans les passeports porte atteinte aux droits que lui confère la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la « Charte »). Comme l’indique le demandeur dans son affidavit :

[traduction]

11. Je suis fier d’être né à Jérusalem, en Israël. Ma religion m’enseigne que Jérusalem est la capitale d’Israël. Cela fait partie intégrante de ma croyance religieuse et de mon identité personnelle.

 

12. J’ai l’impression que le gouvernement du Canada, en ne me permettant pas d’avoir Israël dans mon passeport, même si j’y suis né, m’empêche d’exprimer mon identité en tant que membre du peuple juif; j’ai l’impression que le gouvernement rejette et nie ma croyance religieuse en l’importance de Jérusalem pour la religion juive. Quand je constate que d’autres personnes sont autorisées à avoir dans leur passeport la ville et le pays de leur naissance mais pas moi, j’ai l’impression d’être victime de discrimination dans une affaire qui me touche profondément. En ne m’autorisant pas à indiquer dans mon passeport que je suis né à Jérusalem, Israël, le gouvernement canadien me prive de la vérité de mon identité.

 

[4]               Par une ordonnance datée du 29 août 2005, la Cour a autorisé un groupe à but non lucratif appelé « Canadiens pour Jerusalem » à intervenir pour a) fournir des informations nouvelles et présenter des observations au sujet de l’importance religieuse historique de Jérusalem pour divers groupes, et b) traiter de questions de droit international en rapport avec le statut de Jérusalem.

 

[5]               Dans le but de situer le contexte, je me reporte aux faits historiques suivants, extraits de l’affidavit de John Quigley, professeur de droit et membre du Club du président au Moritz College of Law de l’Ohio State University, à Columbus (Ohio), qui a été déposé par l’intervenante. Ces informations ont simplement pour but d’établir un contexte historique afin de faciliter la compréhension de la situation qui règne actuellement au Proche-Orient :

[traduction]

7.      Israël a été constitué en tant qu’État en vertu du droit international, mais le statut de Jérusalem a toujours été une question distincte en droit international. Jérusalem n’a pas joué un rôle central dans les événements qui ont mené à la constitution d Israël en tant qu’État. Une étape importante dans la création d’Israël est la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917, émise par le gouvernement britannique. Jérusalem n’est pas mentionnée dans la Déclaration Balfour, dont le texte est joint au présent affidavit en tant que pièce B. À l’époque, Jérusalem était une ville faisant partie de l’Empire ottoman. La Grande-Bretagne était en guerre contre les Ottomans et avait des intérêts stratégiques dans la région, dont le canal de Suez. La Déclaration Balfour ne pouvait pas servir – et n’a pas servi – à créer légitimement un État juif, mais était plutôt une manifestation d’appui du gouvernement britannique au principe d’un foyer national juif en Palestine.

 

8.      La Déclaration Balfour était une réponse politique à un mouvement politique : le mouvement sioniste. Les organisations sionistes étaient des entités en grande partie laïques qui n’étaient pas engagées dans un processus religieux, mais plutôt dans un processus politique d’« autodétermination nationale ». À la fin de la Première guerre mondiale, de pair avec un large éventail d’autres groupes nationaux, culturels et ethniques, ces organisations cherchaient à faire créer un État-nation en vertu du droit international, un État où la communauté juive européenne pourrait échapper à la persécution.

 

9.      À la suite de la défaite des Ottomans, la Grande-Bretagne et ses alliés décidèrent de diviser l’ancien Empire ottoman en une série de territoires légitimes de plus petite taille. L’emprise de la Grande-Bretagne sur la Palestine fut entérinée par un mandat délivré par le Conseil de la Société des nations. Jérusalem n’était pas mentionnée dans l’instrument mandataire, mais ce dernier faisait toutefois état de la nécessité de définir les droits de communautés religieuses différentes sur des lieux saints. Certains de ces derniers se trouvaient à Jérusalem, mais, comme il a déjà été dit, l’instrument ne mentionnait pas expressément Jérusalem. L’unique phrase sur le sujet des lieux saints, qui figure à l’article 14 de l’instrument mandataire, est libellée comme suit : « La Puissance mandataire constituera une commission spéciale pour étudier, définir et déterminer les droits et les revendications concernant, d’une part, les lieux saints et, d’autre part, les communautés religieuses différentes en Palestine » [...]

 

10.  Le 14 mai 1948, l’Agence juive pour la Palestine, l’entité qui représentait la communauté juive de la Palestine à l’échelon international, déclara la fondation d’un État juif. Dans sa déclaration, l’Agence énonça en ces termes le fondement d’une revendication territoriale de la part d’un tel État : « En vertu des droits naturels et historiques du peuple juif, ainsi que de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, [nous] proclamons la fondation de l’État juif dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’État d’Israël. » [...]

 

11.  Ce document ne précisait pas l’étendue territoriale de l’État ainsi déclaré. Il ne mentionnait pas Jérusalem ou d’autres endroits précis.

 

12.  La « résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies » dont il est question dans la déclaration est la résolution no 181 du 29 novembre 1947, généralement appelée « le plan de partage ». Cette résolution proposait à la communauté juive et à la communauté arabe de Palestine de fonder chacune un État en Palestine; les deux États seraient liés au sein d’une union économique, et dans un territoire précisé en détail par la résolution. La résolution traitait en détail de Jérusalem; elle ne situait son territoire dans aucun des deux États projetés, la qualifiant plutôt de corpus separatum qui, provisoirement au moins, serait régi par une administration internationale [...]

 

13.  En se fondant sur la résolution no 181, l’Agence juive pour la Palestine ne faisait donc pas valoir une revendication à l'égard de Jérusalem. Une fois Israël établi, l’État maintint cette distinction entre Jérusalem et l’autre territoire qu’il contrôlait. En 1949, quand Israël sollicita le statut de membre des Nations Unies, on lui demanda si, une fois admis comme membre, il s’appuierait sur le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, qui réserve aux États membres les affaires relevant de leur « compétence nationale », pour éviter les efforts faits par les Nations Unies afin de trouver pour Jérusalem un statut approprié. Le représentant de la Belgique posa la question au représentant d’Israël, M. Abba Eban :

 

« Le représentant d’Israël pourrait-il nous dire si Israël, advenant qu’on l’admette comme membre des Nations Unies, accepterait de collaborer par la suite avec l’Assemblée générale au règlement de la question de Jérusalem et du problème des réfugiés ou si, au contraire, il invoquerait le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte, qui traite de la compétence nationale des États. »

 

M. Eban répondit ceci :

 

« Le gouvernement d’Israël collaborera avec l’Assemblée à la recherche d’une solution à ces problèmes. Je le répète, je ne souhaite pas prendre imprudemment un engagement qui repose sur des théories juridiques, étant peut-être celui qui, parmi toutes les personnes ici présentes, est le moins versé en droit, mais je ne crois pas que le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte, qui porte sur la compétence nationale, puisse avoir une incidence sur le problème de Jérusalem, car le statut légal de Jérusalem est différent de celui du territoire dans lequel Israël est souverain. »

 

[…]

 

14.  Ainsi, Israël, par la voix de son représentant aux Nations Unies, confirma de nouveau que Jérusalem n’était pas un territoire sur lequel il revendiquait la souveraineté. Par cette déclaration, Israël reconnaissait que Jérusalem se trouvait en dehors du territoire sur lequel il revendiquait la souveraineté.

 

15.  Rien n’a changé depuis 1949 en ce qui concerne l’existence d’un fondement juridique quelconque pour une revendication d’Israël à l'égard de Jérusalem. Aucun fondement nouveau susceptible de conférer à Israël la souveraineté sur Jérusalem n’est apparu. Après 1949, l’Assemblée générale a continué d’essayer d’établir un statut approprié pour Jérusalem. Cette dernière n’a pas été reconnue par la communauté internationale comme étant soumise à la souveraineté d’Israël.

 

16.  Le concept exposé dans la résolution no 181, c’est-à-dire un statut distinct pour Jérusalem, était lié à l’importance de cette ville pour les Musulmans, les Juifs et les Chrétiens.

 

Revendications de souveraineté de la Palestine

 

17.  La Palestine revendique pour sa part la souveraineté en se fondant sur les nombreux siècles d’occupation palestinienne du territoire de la Palestine. La communauté internationale a reconnu au peuple palestinien un droit à l’autodétermination, comme en témoigne la résolution no 3236, datée du 22 novembre 1974, de l’Assemblée générale des Nations Unies. […]

 

Les parties Est et Ouest de Jérusalem

 

18.  Lorsque Israël prit le contrôle de la partie Est de Jérusalem en 1967 et proposa de l’intégrer dans la même administration que celle qui s’appliquait à Israël, la communauté internationale exprima son désaccord, comme il est indiqué dans la résolution no 252, datée du 21 mai 1968, du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Conseil s’opposa aux mesures administratives prises par Israël, lesquelles équivalaient à fusionner Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest, les qualifiant d’efforts non valides pour changer le statut de Jérusalem [...]

 

19.  La communauté internationale considéra que la partie Est de la ville se trouvait sous le coup d’une occupation de guerre, car elle avait été prise militairement [en contravention de la Charte des Nations Unies et des principes du droit international]. En 1971, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopta la résolution no 298, dans laquelle il critiqua l’intention d’Israël de fusionner la partie Est de Jérusalem et sa partie Ouest, et qualifia la partie Est de « partie occupée de Jérusalem » [...]

 

20.  La Cour internationale de justice a qualifié la zone située à l’est de la ligne d’armistice fixée par Israël et la Jordanie en 1949 de « territoires occupés dans lesquels Israël a le statut d’une puissance occupante ». Elle a déclaré : « [t]ous ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés, et Israël continue d’avoir le statut de puissance occupante ». […]

 

21.  Le fait que la partie Est de Jérusalem est considérée comme un territoire occupé ne change pas le fait que la communauté internationale considère encore que la question de la souveraineté sur la ville entière de Jérusalem n’est pas réglée. À ce jour, d’autres États se refusent à installer leurs ambassades dans cette ville, même si le gouvernement israélien la considère comme la capitale du pays. Le Salvador et le Costa Rica sont les seuls États qui ont une ambassade à Jérusalem. Les soixante-sept autres États ayant une ambassade à Israël l’ont installée ailleurs que dans cette ville.

 

Dossier de l’intervenante, volume I, page 7

 

 

[6]               Le demandeur admet qu’en droit international le statut de Jérusalem n’est pas réglé. Aucune des parties ne conteste non plus que Jérusalem joue un rôle de tout premier plan dans les trois grandes confessions monothéistes : le judaïsme, l’islamisme et le christianisme.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[7]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

(i) Y a-t-il atteinte aux droits relatifs à la liberté de religion que l’alinéa 2a) de la Charte garantit au demandeur?

 

(ii) Y a-t-il atteinte aux droits à l’égalité que l’article 15 de la Charte garantit au demandeur?

 

(iii) S’il y a atteinte, celle-ci est-elle justifiée par l’article premier de la Charte?

 

 

CONTEXTE

[8]               La délivrance des passeports est une prérogative de la Couronne. Au Canada, les passeports sont délivrés en vertu du Décret sur les passeports canadiens TR/81-86, modifié par TR/2001-121. Ce décret définit le passeport en ces termes :

« passeport » désigne un document officiel canadien qui établit l'identité et la nationalité d'une personne afin de faciliter les déplacements de cette personne hors du Canada;

 

En outre, il prévoit, notamment, ce qui suit :

3. Chaque passeport

a) doit être délivré selon la forme prescrite par le ministre;

b) doit être délivré au nom du ministre agissant au nom de Sa Majesté du chef du Canada;

c) demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada;

d) est délivré à condition que le titulaire le retourne immédiatement au Bureau des passeports à la demande de ce Bureau;

e) doit être signé par la personne à laquelle il est délivré; et

f) expire au plus tard cinq ans après la date de délivrance, sauf en cas de révocation antérieure.

et

5. Un passeport n'est délivré à une personne que si elle présente une demande au Bureau des passeports selon la forme prescrite par le ministre.

 

 

[9]               Les passeports sont délivrés par le Bureau des passeports conformément à la Politique des passeports du Canada, laquelle est énoncée dans le Manuel de la politique des passeports (MPP). Les passages pertinents du MPP, dans le chapitre portant sur le lieu de naissance, sont les suivants :

Objet

La mention du lieu de naissance sur le passeport est un des éléments d’information qui aident à identifier son titulaire. Pour la majorité des voyageurs, elle évite des questions supplémentaires aux points d’entrée et de sortie.

 

Politique

L’indication du lieu de naissance du requérant dans le passeport est facultative. Le lieu de naissance doit cependant être indiqué sur la formule.

 

Nota :

Si le requérant souhaite inclure la mention du lieu de naissance dans son passeport, mais que par ailleurs il se montre inquiet à ce sujet, il peut choisir de n’indiquer que le nom de la ville ou du pays de sa naissance.

 

Tout requérant qui demande l’omission de son lieu de naissance doit signer une déclaration (PPT 077), à moins qu’il n’ait soumis une formule de demande lui permettant d’indiquer son choix.

 

Mise en garde – Omission du lieu de naissance

Une note dans la formule de demande conseille au requérant de communiquer avec les représentants des pays où il entend se rendre afin de déterminer si l’absence du lieu de naissance dans son passeport lui causera des difficultés.

 

Description

La mention du lieu de naissance :

 

est un important élément d’identification qui, contrairement à la description physique, ne peut changer;

 

est un facteur de première importance lorsqu’il s’agit d’obtenir la permission d’entrer dans de nombreux pays, et

 

ne constitue, de la part du gouvernement du Canada, ni une reconnaissance officielle d’un pays ni un appui à quelque faction que ce soit lorsque la souveraineté sur le territoire mentionné n’est pas encore reconnue en droit international.

 

Inscription – Règle #1

Le lieu de naissance (ville ou village et code de pays) doit normalement être inscrit en entier et selon ce qui est indiqué (si c’est le cas) sur la preuve documentaire de citoyenneté.

 

Inscription – Règle #2

Lorsque la preuve documentaire de citoyenneté n’indique pas le lieu de naissance, le lieu de naissance inscrit sur le passeport canadien doit normalement être celui indiqué par le requérant sur la formule de demande.

 

Nota : Les requérants nés à l’extérieur du Canada n’ont pas à fournir de document attestant leur lieu de naissance, à moins qu’il y ait un écart inexpliqué entre les renseignements figurant sur la demande et ceux figurant sur un passeport antérieur.

 

Inscription – Règle #3

Dans les cas où le nom de la ville ou du pays a changé depuis la naissance du requérant, on peut, conformément à une pratique bien établie, indiquer dans le passeport soit le nom qui a cours actuellement, soit celui qui avait cours à la naissance du requérant

 

Nota :

 

Il est recommandé que le requérant fasse inscrire le lieu de naissance tel qu’il est connu à cette époque-là. La méthode privilégiée consiste à inscrire le lieu de naissance suivi du code du pays. Il faudrait expliquer que la formule standard est celle qui facilitera le plus les déplacements et l’obtention de visas.

 

Si le requérant opte pour une inscription différente de celle qui est recommandée, dites-lui que s’il décide plus tard de changer le lieu de naissance indiqué dans le passeport, il lui faudra demander un nouveau passeport, à ses propres frais. Notez dans le dossier du requérant que ce dernier en a été informé.

 

Inscription – Règle #4

Lorsque le lieu de naissance est un territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international ou par le gouvernement du Canada, on inscrit le nom demandé par le requérant.

 

Nota : Si la désignation du lieu de naissance n’est pas acceptée par les autorités délivrant les visas, un passeport de remplacement indiquant une désignation acceptable mais non frauduleuse peut être délivré aux frais du requérant.

 

(Non souligné dans l’original.)

Dossier du défendeur, volume II, page 240

 

[Il est à noter que le sigle JWS est celui qu’utilise le Bureau des passeports pour désigner la Direction générale de la sécurité de Passeport Canada.]

 

 

[10]           Cependant, en ce qui concerne la Palestine, la Jordanie, la Bande de Gaza, Israël et Jérusalem, le Canada a adopté une politique spéciale, dont la version la plus récente figure dans un document intitulé « Bulletin no 1 de JWS », daté de janvier 2002. Ce document indique ce qui suit au sujet du « lieu de naissance » et de « Jérusalem » :

Palestine

 

Si le requérant est né le 14 mai 1948 ou après cette date, la Palestine ne peut être entrée comme le pays de naissance. Le pays à entrer doit être la Jordanie, Israël, Gaza ou Jérusalem, selon le cas.

 

Si le requérant est né avant le 14 mai 1948, la Palestine peut être entrée sur demande, mais on devrait toujours encourager le requérant à inscrire le lieu de naissance tel qu’il est connu actuellement.

 

La Palestine doit être utilisée au lieu de la Jordanie, Israël, Gaza ou Jérusalem, et non en combinaison avec un de ces derniers. En général, on entre seulement la Palestine, mais elle peut être entrée conjointement avec une ville (à l’exception de Jérusalem).

 

Compte tenu de la situation politique actuelle, Jérusalem doit être mise seule. Elle ne peut pas être entrée conjointement avec la Palestine ou tout autre nom de pays.

 

La Palestine, la Jordanie, Israël et la Bande de Gaza doivent tous être traités comme tout autre nom de pays. Le lieu de naissance peut être entré de la façon suivante :

 

a)      nom de la ville et code de pays, p. ex. : Bethléem JOR

b)      nom de la ville et nom du pays au complet (seulement s’il n’existe aucun code pour le pays), p. ex. : Gaza Bande de Gaza

c)      seulement le nom de la ville, p. ex. : Bethléem

d)      seulement le nom du pays, p. ex. : Bande de Gaza

 

Dans les exemples qui suivent :

si la personne est née le ou après le 14 mai 1948, les options a, b et c s’appliquent;

si la personne est née avant le 14 mai 1948, toutes les options (a, b, c, d et e) s’appliquent.

 

Si la Palestine est indiquée comme le lieu de naissance et que la personne est née après le 14 mai 1948, celle-ci doit choisir le nom sous lequel le pays est maintenant connu.

 

Lieu de naissance sur la demande

Dans Iris, pour le champ du nom de la ville, indiquez…

À partir du menu déroulant dans Iris, choisir le pays de naissance…

Le passeport indiquera

Ville

Pays

nom de la ville

Bande de Gaza

a

nom de la ville

Bande de Gaza

nom de la ville Bande de Gaza

 

 

b

nom de la ville

Code non applicable

nom de la ville

 

 

c

 

Bande de Gaza

Bande de Gaza

 

 

d

nom de la ville

Palestine

nom de la ville Palestine

 

 

e

 

Palestine

Palestine

nom de la ville

Jordanie

a

nom de la ville

Jordanie

nom de la ville JOR

 

 

b

nom de la ville

Code non applicable

nom de la ville

 

 

c

 

Code non applicable

Jordanie

 

 

d

nom de la ville

Palestine

nom de la ville Palestine

 

 

e

 

Palestine

Palestine

nom de la ville

Israël

a

nom de la ville

Israël

nom de la ville ISR

 

 

b

nom de la ville

Code non applicable

nom de la ville

 

 

c

 

Code non applicable

Israël

 

 

d

nom de la ville

Palestine

nom de la ville

 

 

e

 

Palestine

Palestine

Jérusalem*

 

a

 

Code non applicable

Jérusalem

 

Jérusalem est toujours indiqué seul

(Non souligné dans l’original.)

Dossier du défendeur, volume II, page 193

 

[11]           L’annexe F du MPP reflète également cette politique. On y trouve les abréviations et les codes de pays que le Bureau des passeports doit utiliser. Voici ce qu’on peut y lire au sujet d’Israël et de Jérusalem :

ISR      ISRAËL –Si né avant le 14 mai 1948, on peut inscrire Palestine selon ce qui est indiqué sur la demande. Ne pas inscrire ISRAËL si né à JÉRUSALEM. Voir JÉRUSALEM.

 

            JÉRUSALEM – inscrire JÉRUSALEM seul. Ne pas inscrire ISRAËL ou JORDANIE comme pays. Si né avant le 14 mai 1948, inscrire JÉRUSALEM seul, PALESTINE seul ou JÉRUSALEM PALESTINE.

 

(Non souligné dans l’original.)

Dossier du défendeur, volume II, page 249

 

[12]           Nicholas Wise, chef de l’exploitation à Passeport Canada, a décrit comme suit dans son affidavit la façon dont on applique la politique :

[Traduction]

19.       Le lieu de naissance est habituellement inscrit au long dans le passeport, de la manière indiquée dans la preuve documentaire de citoyenneté, lorsqu’il y est inscrit. La méthode privilégiée pour l’inscription du lieu de naissance est le nom de la ville suivi du code du pays. Cependant, le lieu de naissance peut être inscrit de plusieurs façons : la ville seulement, la ville et le code de pays, ou le code de pays seulement. Dans le passeport canadien, l’espace prévu pour le lieu de naissance comporte vingt-cinq caractères. Si la preuve documentaire de citoyenneté ne comporte pas de lieu de naissance, le lieu de naissance inscrit dans le passeport canadien doit habituellement être celui que le requérant a indiqué sur le formulaire de demande.

 

20.       Il est d’usage que lorsque le nom du lieu de naissance (ville ou pays) a changé au cours de la vie du requérant, le lieu de naissance dans le passeport peut être indiqué soit sous le nom qu’il a à ce moment-là, soit sous celui qu’il avait à la naissance du requérant. Il est recommandé que le requérant fasse inscrire dans le passeport le nom sous lequel le lieu de naissance est connu au moment où il remplit la demande.

 

21.       Le document intitulé « 420 Lieu de naissance » indique que lorsque le lieu de naissance du requérant est un territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international ou par le gouvernement du Canada, on inscrit généralement le nom demandé par le requérant. Cependant, il n’y a pas autant de latitude au sujet de l’inscription du lieu de naissance d’un requérant que cet énoncé le laisse croire. Cela est dû au fait que l’annexe F du MMP contient une liste des codes de pays servant à inscrire le lieu de naissance dans les passeports canadiens, et énonce des précisions additionnelles quant à l’utilisation de ces codes.

 

[…]

 

23.       Autre exemple, si un requérant né à Hong Kong demande que son lieu de naissance soit inscrit sous la forme suivante : « Hong Kong, CHN », sa demande sera refusée. L’usage est d’écrire « Hong Kong » seul et en entier. Le requérant pourrait demander « Hong Kong, HKG », ou aussi que l’on omette le lieu de naissance. La restriction interdisant la mention « Hong Kong, CHN » est dictée par la politique étrangère du Canada.

 

24.       Pour ce qui est de Jérusalem, l’annexe F du MPP concorde avec les informations contenues dans le Bulletin no 1 de JWS diffusé en janvier 2002. Cette annexe prescrit que, pour les détenteurs d’un passeport canadien nés à Jérusalem, le lieu de naissance inscrit doit être « Jérusalem », seul et en entier. Le nom de la ville n’est suivi d’aucun code de pays. Pour les personnes nées avant le 14 mai 1948, et qui en font la demande, le mot « Palestine » peut être écrit seul et en entier à la place de Jérusalem. Le requérant pourrait également demander que le lieu de naissance ne soit pas inscrit dans son passeport.

Dossier du défendeur, volume II, page 181

 

[13]           La raison d’être de la politique des passeports du défendeur au sujet des Canadiens nés à Jérusalem est exposée en termes succincts dans l’affidavit de Michael Bell, ancien ambassadeur du Canada en Israël :

[Traduction]

12. En ce qui concerne le statut de la ville de Jérusalem, le Canada s’oppose à l’occupation par Israël de Jérusalem-Est et, à ce stade-ci, il ne reconnaît pas la souveraineté d’Israël sur une partie quelconque de la ville de Jérusalem, telle que définie dans le Plan de partage de 1948, de l’un ou l’autre côté de la Ligne verte, à l’est ou à l’ouest. L’inscription de la mention « Jérusalem, Israël » comme lieu de naissance dans un passeport canadien serait perçue comme une reconnaissance de souveraineté qui serait contraire à cette politique, ce qui minerait la crédibilité du Canada et amoindrirait donc notre capacité de contribuer de quelque façon à l’instauration de la paix.

 

Dossier du défendeur, volume I, page 6

 

[14]           Aucune preuve n’a été fournie pour expliquer pourquoi cette politique spéciale a été adoptée au sujet de Jérusalem, au lieu d’une politique générale prescrivant ce qui suit : « Lorsque le lieu de naissance est situé dans un territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international ou par le gouvernement du Canada, seul le lieu de naissance peut être inscrit, et l’espace prévu pour le pays doit être laissé en blanc ».

 

Question (i) : Y a-t-il atteinte aux droits relatifs à la liberté de religion que l’alinéa 2a) de la Charte garantit au demandeur?

 

[15]                       Le texte de l’alinéa 2a) de la Charte est le suivant :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

            a) liberté de conscience et de religion;

 

[16]                       Le demandeur allègue que le fait de refuser d’inclure dans le passeport la mention « Jérusalem, Israël » fait obstacle à la libre expression de sa religion. La Cour ne peut mettre en doute l’affirmation du demandeur selon laquelle sa religion lui enseigne que Jérusalem est la capitale d’Israël.

 

[17]                       Le demandeur se reporte à l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSS 47, au paragraphe 50, où le juge Iacobucci déclare :

À mon avis, l’État n’est pas en mesure d’agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas le devenir. Les tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer — explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux. Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s’empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

 

 

[18]           De l’avis du demandeur, la Cour ne peut mettre en doute son affirmation selon laquelle sa religion lui enseigne que Jérusalem est la capitale d’Israël, à moins que la Cour soit disposée à mettre en doute sa sincérité.

 

[19]           Le défendeur, et cela n’est pas surprenant, est d’avis que la façon dont le lieu de naissance du demandeur est décrit dans son passeport n’a aucune incidence sur sa liberté de religion.

 

[20]           La Cour ne met pas en doute la sincérité des croyances du demandeur, mais l’argument de ce dernier ne peut être retenu, pour les motifs suivants.

 

[21]           La définition fondamentale de la liberté de religion figure dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, 18 D.L.R. (4th) 321, à la page 336, où le juge en chef Dickson déclare ce qui suit :

La liberté de religion

 

94        Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l'égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j'affirme cela sans m'appuyer sur l'art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l'être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

 

95        La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui. La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           La politique des passeports du défendeur porte sur le contenu des passeports canadiens. Un passeport est un document délivré par l’État pour faciliter les déplacements de ses citoyens vers des lieux étrangers. Il s’agit d’une communication entre États. Ce document identifie le titulaire par son nom, sa date de naissance, son lieu de naissance et, par-dessus tout, sa nationalité. Il identifie le titulaire comme citoyen canadien et transmet le message suivant aux autres États (comme il est écrit à la première page de chaque passeport canadien) :

Le ministre des Affaires étrangères du Canada, au nom Sa Majesté la Reine, prie les autorités intéressées de bien vouloir accorder libre passage au titulaire de ce passeport, de même que l’aide et la protection dont il aurait besoin.

 

 

[23]           Le passeport est la propriété de l’État et peut être retiré en tout temps. Il n’y a rien dans ce document qui, d’une manière quelconque, concerne - ou restreint - comme il est dit dans l’arrêt Big M Drug Mart, précité, « le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. » Il est tout à fait loisible au demandeur de croire sincèrement que Jérusalem est la capitale d’Israël, de professer ouvertement cette croyance et de l’enseigner et de la propager personnellement.

 

[24]           Toutefois, cette croyance, aussi sincère qu’elle soit, ne donne pas au demandeur le droit d’obliger le défendeur à en faire mention dans ses communications avec d’autres États. Comme cela a été dit à maintes reprises, la Charte peut servir de bouclier, mais non d’épée. La politique des passeports du défendeur, qui refuse de refléter la croyance du demandeur dans ses communications interétatiques, n’est ni un élément de coercition ni un élément de contrainte. Il n’y a rien dans la politique des passeports du Canada, ni dans les passeports délivrés en vertu de cette dernière, qui entrave les droits que garantit au demandeur l’alinéa 2a) de la Charte.

 

Question (ii) : Y a-t-il atteinte aux droits à l’égalité que l’article 15 de la Charte garantit au demandeur?

 

[25]           Le demandeur allègue que la politique des passeports du défendeur l’expose à de la discrimination du fait de sa religion et de son lieu de naissance. Il se fonde sur le paragraphe 15(1) de la Charte, dont le texte est le suivant :

(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discrimination fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[26]           La Cour suprême du Canada a exposé le processus à suivre pour analyser les demandes fondées sur l’article 15 dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, 170 D.L.R. (4th) 1. Il s’agit d’un processus en trois étapes, décrit au paragraphe 88 de l’arrêt :

La démarche générale

 

(1) Il est inapproprié de tenter de restreindre l’analyse relative au par. 15(1) de la Charte à une formule figée et limitée.  Une démarche fondée sur l’objet et sur le contexte doit plutôt être utilisée en vue de l’analyse relative à la discrimination pour permettre la réalisation de l’important objet réparateur qu’est la garantie d’égalité et pour éviter les pièges d’une démarche formaliste ou automatique.

 

[…]

 

(3) Par conséquent, le tribunal ayant à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) doit se poser trois grandes questions :

 

(A)    La loi contestée :

 

a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou

 

b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

(B)     Le demandeur fait-il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 

et

 

(C)    La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

 

Groupe de comparaison

[27]           Tout examen d’un droit à l’égalité doit commencer par l’établissement d’un groupe de comparaison approprié. Comme l’a déclaré de façon succincte le juge Binnie dans l’arrêt Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2004] 3 R.C.S. 357, 2004 CSC 65, au paragraphe 23 :

Le groupe de comparaison approprié est celui qui reflète les caractéristiques du demandeur (ou du groupe demandeur) qui sont pertinentes quant au bénéfice ou à l’avantage recherché, sauf que la définition dans la loi prévoit une caractéristique personnelle qui contrevient à la Charte ou omet une caractéristique personnelle d’une manière qui contrevient à la Charte.

 

[28]           Au dire du défendeur, il devrait y avoir deux groupes de comparaison. Pour ce qui est de la prétention selon laquelle le demandeur est exposé à de la discrimination parce qu’il est juif, le groupe de comparaison devrait être les demandeurs de passeport qui sont citoyens canadiens, non juifs et nés à Jérusalem après le 14 mai 1948. Pour ce qui est d’être exposé à de la discrimination à cause du lieu de naissance, le défendeur accepte que le groupe de comparaison soit les demandeurs de passeport qui sont citoyens canadiens, nés hors du Canada mais pas à Jérusalem.

 

[29]           Le demandeur soutient que`c’est à lui que revient le choix des groupes de comparaison. Selon lui, le groupe approprié est celui des citoyens canadiens nés hors d’Israël.

 

[30]           Les deux prétentions du demandeur sont étroitement liées au point de vue contextuel. L’importance que ce dernier accorde au fait que son lieu de naissance figure dans son passeport ne peut être comprise qu’à la lumière de l’importance qu’a Jérusalem dans sa religion. La logique dicte donc d’utiliser comme groupe de comparaison les « citoyens canadiens nés hors de Jérusalem ».

 

Question A(a) : La loi contestée établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

[31]           Il ressort de la preuve qu’en ce qui concerne une personne née dans un territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international, le Canada a pour politique d’autoriser que le nom du pays inscrit dans le passeport soit celui que le requérant a indiqué dans la demande. Jérusalem fait exception à cette politique. Dans son contre-interrogatoire, Nicholas Wise a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Q.        Et [la politique] dit : « Pour les personnes nées dans le territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international, le nom du lieu et le nom du pays inscrits dans le passeport seront habituellement ceux que le requérant a indiqués dans sa demande ».

R.         Oui.

 

Q.        Est-ce la politique qui est actuellement en vigueur?

R.         Il s’agit d’un énoncé général.

 

Q.        Et Jérusalem correspondrait à la description d’un territoire sur lequel la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international, selon vous?

R.         Et il y a eu ensuite des exceptions.

 

Q.        Jérusalem est donc une exception à la politique?

R.         Une exception à cette politique générale, oui. Mmm-mmm.

 

Dossier du demandeur, page 193 – questions 14 à 17.

 

[32]           Hong Kong est le seul autre endroit au monde pour lequel les citoyens canadiens nés à l’étranger ne sont pas autorisés à indiquer leur pays de naissance dans le passeport. Cependant, le Canada ne considère pas que la souveraineté de Hong Kong n’est pas reconnue en droit international. La position du Canada est que, depuis le 1er juillet 1997, c’est la Chine qui est l’autorité souveraine. Hong Kong est traité différemment, mais à strictement parler, il ne s’agit pas d’une exception à la politique concernant les territoires sur lesquels la souveraineté n’est pas encore reconnue en droit international. Comme l’a fait remarquer Nicholas Price :

[traduction]

Q.        Jérusalem est donc une exception à la politique?

R.         Une exception à cette politique générale, oui. Mmm-mmm.

 

Q.        Êtes-vous au courant d’une autre exception?

R.         Hong Kong.

 

Q.        Le statut de Hong Kong n’est toujours pas réglé en droit international?

R.         La position du Canada au sujet de Hong Kong est que nous inscrivons Hong Kong seulement. Nous n’inscrivons pas Hong Kong, Chine, CHA.

 

Q.        Et est-ce parce que le statut de Hong Kong n’est pas réglé en droit international?

R.         Je ne pourrais pas vraiment répondre explicitement à cette question, sinon en disant qu’une directive ministérielle nous indique spécifiquement d’écrire Hong Kong seulement.

 

Dossier du demandeur, page 194, questions 17 à 20.

 

 

[33]           L’exception relative à Jérusalem est récente. Nul ne conteste qu’avant avril 1976 le Bureau des passeports avait pour pratique d’accepter comme pays de naissance à inscrire dans pour le passeport celui qu’indiquait le demandeur du passeport. Avant avril 1976, une personne née dans la partie Est ou la partie Ouest de Jérusalem pouvait obtenir un passeport qui indiquait son pays de naissance en remplissant simplement le formulaire prescrit. Entre avril 1976 et l’année 1999, les demandeurs de passeport nés avant le 14 mai 1948 à Jérusalem avaient le choix de faire inscrire dans leur passeport « Jérusalem, Palestine » ou simplement « Jérusalem ». Depuis 1999, le choix offert est « Palestine » ou « Jérusalem ».

 

[34]           Les éléments qui précèdent montrent que la politique des passeports du défendeur établit une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison de son lieu de naissance. Un demandeur de passeport canadien né à Jérusalem est traité différemment de n’importe quel autre demandeur de passeport né à l’extérieur du Canada.

 

Question A(b) : La loi contestée omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

[35]           Le critère énoncé dans l’arrêt Law, précité, oblige la Cour à poser trois questions successives. Une conclusion positive doit être tirée en rapport avec chacune de ces questions avant que l’on puisse passer à la suivante. La première question permet de tirer des conclusions en se fondant sur l’un des deux motifs suivants : (i) une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles et (ii) une situation déjà défavorisée. Il importe peu de savoir sur lequel de ces motifs est fondée une conclusion positive. Une fois qu’une telle conclusion est tirée, comme je l’ai fait au sujet d’une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles, la Cour passe à la deuxième question. Le fait de tirer une conclusion positive à partir d’un des motifs - ou des deux - de la première question n’a aucune incidence pour ce qui est de la deuxième ou de la troisième question. Je ne vois donc pas la nécessité d’examiner le second motif subsidiaire (question A(b) – une situation déjà défavorisée) compte tenu de ma conclusion positive au sujet du premier motif. L’objet d’une telle question n’aurait pas été de savoir si les Juifs constituent un groupe déjà défavorisé, ce qui est incontesté, mais plutôt si la loi contestée (la politique des passeports du défendeur) omet de tenir compte de cette situation.

 

Question B : Le demandeur fait-il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 

[36]           Le demandeur soutient que la politique fait une distinction formelle pour deux motifs :

(i) religion : le fait qu’il est juif;

(ii) motifs analogues : son lieu de naissance.

 

 

[37]           La religion est un motif énuméré, et nul ne doute des croyances du demandeur ou de la sincérité avec laquelle ce dernier les professe. Cependant, pour les motifs déjà exposés (sous la rubrique « Question en litige (i) »), je ne vois pas comment le demandeur peut faire la preuve de l’existence d’une différence de traitement fondée sur la religion. La politique et le passeport délivré en vertu de cette dernière ne disent absolument rien à propos de la religion. Aucun des deux ne mentionne quoi que ce soit que l’on peut interpréter, directement, indirectement, implicitement ou par insinuation comme ayant une incidence sur la foi du titulaire d’un passeport. Il n’y a tout simplement aucun lien entre la foi du demandeur - ou de n’importe quel titulaire de passeport quant à cela - et le passeport proprement dit. La religion du demandeur n’est tout simplement pas un aspect pertinent, relativement à la politique des passeports.

 

[38]           Les critères relatifs aux motifs analogues ont été décrits par les juges McLachlin et Bastarache dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203, 173 D.L.R. (4th) 1, au par. 13 :

En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 – la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion.

 

 

[39]           Une personne ne peut pas changer son lieu de naissance, c'est-à-dire qu’il est immuable. Par conséquent, le lieu de naissance peut être considéré comme un motif analogue. La politique des passeports du défendeur donne clairement lieu à une différence de traitement à cause d’un motif analogue.

 

Question C : La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

[40]           Pour répondre à cette question, la Cour doit essentiellement décider s’il existe une différence de traitement qui constitue de la discrimination. Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, 56 D.L.R. (4th) 1, la Cour suprême a reconnu que ce ne sont pas toutes les différences de traitement qui sont assimilables à de la discrimination. Comme l’a fait remarquer le juge McIntyre, à la page 168 :

31        Ce ne sont pas toutes les distinctions ou différences de traitement devant la loi qui portent atteinte aux garanties d'égalité de l'art. 15 de la Charte. Il est certes évident que les législatures peuvent et, pour gouverner efficacement, doivent traiter des individus ou des groupes différents de façons différentes. En effet, de telles distinctions représentent l'une des principales préoccupations des législatures. La classification des individus et des groupes, la rédaction de différentes dispositions concernant de tels groupes, l'application de règles, de règlements, d'exigences et de qualifications différents à des personnes différentes sont nécessaires pour gouverner la société moderne. Comme je l'ai déjà souligné, le respect des différences, qui est l'essence d'une véritable égalité, exige souvent que des distinctions soient faites.

 

[41]           En l’espèce, la différence de traitement est-elle assimilable à de la discrimination? Dans l’arrêt Law, précité, aux paragraphes 59 et 60, la Cour suprême suggère la méthode suivante pour résoudre la différence qu’il y a entre une discrimination et une différence de traitement :

Comme cela a été appliqué en pratique à l’occasion de plusieurs arrêts de notre Cour en matière d’égalité et comme il en a clairement été question dans les motifs du juge L’Heureux‑Dubé, au par. 56 de l’arrêt Egan, précité, le point central de l’analyse relative à la discrimination est à la fois subjectif et objectif:  subjectif dans la mesure où le droit à l’égalité de traitement est un droit individuel, invoqué par un demandeur particulier ayant des caractéristiques et une situation propres; et objectif dans la mesure où on peut déterminer s’il y a eu atteinte aux droits à l’égalité du demandeur simplement en examinant le contexte global des dispositions en question et le traitement passé et actuel accordé par la société au demandeur et aux autres personnes ou groupes partageant des caractéristiques ou une situation semblables.  La partie objective signifie que, pour fonder une allégation formulée en vertu du par. 15(1), le demandeur ne peut se contenter de prétendre que sa dignité a souffert en raison d’une loi sans étayer davantage cette prétention.

Comme l’a dit le juge L’Heureux‑Dubé dans Egan, précité, au par. 56, le point de vue pertinent est celui de la personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur.  Bien que j’insiste sur la nécessité de se placer dans la perspective du demandeur, et uniquement dans cette perspective, pour déterminer si la mesure législative sape sa dignité, j'estime que le tribunal doit être convaincu que l’allégation du demandeur, quant à l’effet dégradant que la différence de traitement imposée par la mesure a sur sa dignité, est étayée par une appréciation objective de la situation.  C’est l’ensemble des traits, de l’histoire et de la situation de cette personne ou de ce groupe qu’il faut prendre en considération lorsqu’il s’agit d’évaluer si une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que la mesure législative imposant une différence de traitement a pour effet de porter atteinte à sa dignité.

 

[42]           C’est donc dire qu’il faut examiner la question de la différence de traitement sous un angle à la fois subjectif et objectif. Cette étape de l’analyse établie dans Law comporte en fait trois questions différentes :

(i) La différence de traitement est-elle discriminatoire (en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage) d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe?

 

(ii) La différence de traitement est-elle discriminatoire (en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage) d’une manière qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain?

 

(iii) La différence de traitement est-elle discriminatoire (en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage) d’une manière qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

 

[43]           Manifestement, le demandeur croit subir une différence de traitement, et a donc introduit la présente demande. Il n’y a absolument aucune raison de douter de la sincérité de sa croyance. Mais faire valoir une telle croyance ne suffit pas. La Cour doit déterminer s’il y a  discrimination lorsque l’on considère la question sous un angle objectif. Pour répondre à cela, la Cour, en appliquant Law, précité, doit prendre en considération « l’ensemble des traits, de l’histoire et de la situation de cette personne ou de ce groupe » et évaluer « si une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que la mesure législative imposant une différence de traitement a pour effet de porter atteinte à sa dignité ».

 

[44]           La dignité a été définie dans l’arrêt Law, précité, au paragraphe 53 :

En quoi consiste la dignité humaine? Il peut y avoir différentes conceptions de ce que la dignité humaine signifie. Pour les fins de l’analyse relative au par. 15(1) de la Charte, toutefois, la jurisprudence de notre Cour fait ressortir une définition précise, quoique non exhaustive. Comme le juge en chef Lamer l’a fait remarquer dans Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la p. 554, la garantie d’égalité prévue au par. 15(1) vise la réalisation de l’autonomie personnelle et de l’autodétermination. La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite-t-elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi?

[Non souligné dans l’original.]

 

[45]           Il n’existe aucun moyen particulier de déterminer s’il y a atteinte à l’article 15 de la Charte (comme l’indique l’extrait de l’arrêt Law, précité, au paragraphe 26 des présents motifs). Néanmoins, Law, précité, laisse entendre que, pour déterminer si une différence de traitement est assimilable à de la discrimination, il serait bon que la Cour utilise dans son analyse les quatre facteurs contextuels suivants :

a) la préexistence d’un désavantage;

 

b) la correspondance entre les motifs et les caractéristiques ou la situation propres du demandeur;

 

c) l’objet ou l’effet d’amélioration;

 

d) la nature du droit touché.

 

[46]           Bien que ces facteurs puissent être pertinents dans de nombreuses causes, ils semblent être de peu d’utilité en l’espèce. Premièrement, il n’y a pas d’objet ou d’effet d’amélioration en cause. Deuxièmement, bien que ni l’une ni l’autre des parties ne conteste la préexistence d’un désavantage, et que son lien avec la politique ou les passeports délivrés en vertu de cette dernière puisse être évident pour le demandeur selon son point de vue subjectif, ce lien ne peut pas être déterminé d’un point de vue objectif. Troisièmement, la nature du droit touché est minime. L’objet premier de la politique et des passeports délivrés en vertu de cette dernière est de faciliter les déplacements. Cet objet n’est pas touché par l’exclusion du pays dans lequel le demandeur croit que Jérusalem est située. Quel est dans ce cas la nature du droit touché? Le droit lui-même est assez vague étant donné que le champ du lieu de naissance est facultatif et peut être laissé en blanc. Il s’agit du « droit » que le passeport d’une personne indique le pays dans lequel cette dernière est née. Quelle que soit la valeur que l’on puisse y attacher, il n’y a pas de lien évident, d’un point de vue objectif, avec la dignité ou la religion d’une personne.

 

[47]           Le seul des quatre facteurs énumérés dans l’arrêt Law, précité, au paragraphe 45 ci-dessus, qui s’applique véritablement en l’espèce est b) la correspondance entre les motifs et les caractéristiques ou la situation propres au demandeur.

 

[48]           Rappelons-nous que le demandeur a indiqué que le groupe de comparaison approprié est celui des Canadiens nés hors de Jérusalem. La question qu’il faut se poser est donc la suivante : un Canadien, né hors de Jérusalem, parfaitement au courant de l’histoire des juifs, de la religion juive, de la persécution historique et constante des juifs à l’échelle mondiale, et conscient du rôle central que Jérusalem joue dans la religion juive, considérerait-il que l’exigence selon laquelle le passeport du demandeur ne doit indiquer aucun lieu de naissance, sinon Jérusalem seulement, porte atteinte à sa dignité?

 

[49]           La réponse à cette question ne peut être que non, car :

(i) la politique et les passeports délivrés en vertu de cette dernière ne disent rien au sujet de la religion;

 

(ii) un passeport est un moyen de communication interétatique qui identifie son titulaire comme étant citoyen canadien, et rien de plus;

 

(iii) les personnes de n’importe quelle autre confession qui sont nées à Jérusalem connaissent le même sort;

 

(iv) ni le passeport ni la politique qui le sous-tend n’ont, directement ou indirectement, pour effet de :

 

a) dénoter une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe;

 

b) perpétuer ou promouvoir l’opinion que le demandeur est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain;

 

c) perpétuer ou promouvoir l’opinion que l’individu est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération.

 

La politique qui sous-tend le passeport a été adoptée pour des raisons d’ordre géopolitique, et non pour cibler un groupe quelconque. Ce n’est pas non plus l’effet qu’elle a. Il n’y a tout simplement rien dans la politique ou dans le passeport délivré en vertu de cette dernière que l’on peut interpréter comme ayant pour effet de stéréotyper des caractéristiques personnelles ou de groupe. Même en faisant un très gros effort d’imagination on ne peut interpréter la politique ou un passeport comme une décision, un énoncé, voire une observation sur la capacité du titulaire du passeport d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain. En bref, rien dans la politique ou dans le passeport délivré en vertu de cette dernière ne peut être lié de manière objective à la dignité du demandeur.

 

Sommaire

[50]           En conséquence, je conclus que, d’après le critère énoncé dans Law, même si la politique canadienne des passeports et les passeports délivrés en vertu de cette dernière font une distinction entre les Canadiens nés à Jérusalem et ceux qui sont nés ailleurs, on ne peut considérer d’aucune façon que cette distinction équivaut à de la discrimination au sens de l’article 15 de la Charte.

 

[51]           Le passeport est un moyen de communication interétatique qui concerne l’identité d’une personne au point de vue de la citoyenneté. Habituellement, il indique aussi le lieu de naissance. Cependant, il ne concerne pas ni ne dénote les racines, l’origine ou les croyances de cette personne.

 

Question (iii) : S’il y a atteinte, celle-ci est-elle justifiée par l’article premier de la Charte?

[52]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, à savoir qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux droits garantis par l’alinéa 2a) ou l’article 15 de la Charte, il n’est nul besoin d’effectuer une analyse fondée sur l’article premier.

 

Conclusion

[53]           Le demandeur n’a pas démontré qu’il y a atteinte aux droits que lui garantit la Charte. De ce fait, la présente demande ne peut être accueillie.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-149-05

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            VEFFER C. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTERVENANTE :                          CANADIENS POUR JERUSALEM

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1ER MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon

Robert Gosman

Omar Siddiqui

 

POUR LE DÉFENDEUR

Douglas Elliott

Gabriel Fahel

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAVID MATAS

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

ROY ELLIOTT KIM O’CONNOR LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

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