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Date : 20050630

Dossier : IMM-7833-04

Référence : 2005 CF 930

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE:

JOSE ANTONIO SABINO CHAVEZ

MERLIN BEATRIZ SEGOVIA

GARY SEBASTIAN SABINO SEGOVIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l'égard de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) avait conclu, en date du 20 août 2004, que M. Jose Antonio Sabino Chavez (le demandeur), Mme Merlin Beatriz Segovia et M. Gary Sebastian Sabino Segovia (collectivement appelés les demandeurs) n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger conformément aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi.

LES FAITS

[2]                Le demandeur, son épouse et son fils sont citoyens du Vénézuela; ils allèguent craindre d'être persécutés par les services de la police métropolitaine de Caracas (la police).

[3]                En 1994, le demandeur et son épouse ont ouvert un magasin de vêtements au détail dans le centre-ville de Caracas. Le 9 novembre 1999, deux hommes ont cambriolé le magasin. Le demandeur a arrêté une voiture de la police qui passait par là et les agents lui ont dit de ne pas s'inquiéter et qu'ils s'occuperaient de l'affaire. Toutefois, le lendemain, des agents de la police sont retournés au magasin et ont essayé d'extorquer de l'argent au demandeur en échange de leur protection. Le demandeur a refusé; les agents de la police l'ont menacé et ils ont quitté les lieux.

[4]                Le 24 novembre 1999, les agents de la police sont retournés au magasin et ont encore une fois exigé d'être payés en échange de leur protection. Le demandeur a refusé; il a été battu et son magasin a été saccagé. Le demandeur a signalé l'incident au bureau du procureur général, qui a affirmé qu'une enquête serait menée.

[5]                Étant donné que des agents de la police retournaient constamment menacer le demandeur, un autre rapport a été déposé au bureau du procureur général le 6 janvier 2000. Le 18 avril 2000, des agents de la police sont retournés et ont menacé le demandeur et sa famille à la pointe d'un fusil. Le demandeur a encore une fois signalé l'incident au procureur général, qui a promis d'enquêter sur l'affaire.

[6]                Le 10 mai 2000, le demandeur a reçu un appel téléphonique de quelqu'un qui s'est présenté comme un agent de la police et qui a menacé d'enlever son fils s'il n'obtempérait pas à leurs demandes. Cet incident a également été signalé au bureau du procureur général.

[7]                Le 26 juillet 2000, des agents de la police ont saccagé la maison du demandeur et lui ont fait savoir qu'ils étaient au courant des rapports déposés au bureau du procureur général et que, si cela continuait, le demandeur et sa famille seraient tués.

[8]                Les demandeurs ont donc quitté le Vénézuela le 15 septembre 2000; ils sont arrivés au Canada le 23 octobre 2000, après avoir passé un peu plus d'un mois à Miami. Le demandeur affirme qu'après son départ, son père l'a informé que des agents de la police étaient venus le chercher et qu'ils avaient affiché de nombreuses notes de menaces sur la porte de sa maison.

LES POINTS LITIGIEUX

[9]                La décision de la Commission en ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur (la PRI) était-elle manifestement déraisonnable?

ANALYSE

[10]            Étant donné que la question dont je suis saisi se rapporte uniquement à la décision que la Commission a rendue au sujet de la possibilité de refuge intérieur, la norme à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Comme il en a été fait mention dans la décision Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263, aux paragraphes 9 et 10 :

Quelle norme la Cour a-t-elle appliquée dans des situations semblables? Bien qu'elle n'y ait pas procédé expressément à une analyse pragmatique et fonctionnelle, la présente cour a conclu dans deux décisions récentes que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission relatives à la PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 193, [2001] A.C.F. n º 361 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673, [2003] A.C.F. n º 878 (QL)).

Je constate également que dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n º 1283 (C.F. 1re inst.) (QL), Madame la juge Tremblay-Lamer a effectué une analyse basée sur l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à la décision de la Commission concernant la question de savoir si le demandeur allait être persécuté s'il retournait en Inde. La juge a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle du caractère manifestement déraisonnable. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la notion de PRI est inhérente à cette décision.

[11]       La notion de PRI exige que les demandeurs craignent avec raison d'être persécutés, de sorte qu'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas retourner dans leur pays d'origine. Je cite en particulier les remarques que le juge Mahoney a faites dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), au paragraphe 8 :

                En ce qui concerne la troisième [proposition], puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Pour ce motif, je rejetterais la troisième proposition de l'appelant. [Non souligné dans l'original.]

[12]       La Cour d'appel fédérale a élaboré un critère à deux volets destiné à établir si un demandeur d'asile dispose d'une PRI dans une autre partie du pays. Ce critère a été de nouveau défini clairement au paragraphe 20 de la décision Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 601, [2004] A.C.F. no 731 :

Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), doit être rempli :

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier.

[13]       En appliquant ce critère en deux parties, la Commission a conclu qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans de grandes villes à l'extérieur du district fédéral, soit la région dans laquelle la police se trouvait principalement. Les demandeurs affirment que la police est une organisation parrainée par l'État et qu'ils seraient donc persécutés partout, mais un grand nombre d'éléments de la preuve documentaire sur lesquelles la Commission s'est fondée indiquent le contraire. La Commission pouvait à juste titre retenir la preuve documentaire plutôt que celle qui avait été soumise pendant le témoignage du demandeur (Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087, premier paragraphe).

[14]       En ce qui concerne la seconde partie du critère, la Commission a conclu que les demandeurs avaient tenu leur commerce pendant six ans, qu'ils avaient pu le fermer et venir vivre et travailler au Canada pendant près de quatre ans. La Commission a conclu qu'il ne serait donc pas trop sévère de s'attendre à ce que les demandeurs puissent se réinstaller avec succès dans l'une des grandes villes du Vénézuela où la police n'a pas compétence.

[15]       Les demandeurs affirment que la preuve documentaire indique que la corruption est répandue et que certains organismes de la magistrature sont instables, et la Commission était en accord sur ce point. Dans sa décision, la Commission mentionne qu'elle est au courant de la preuve indiquant que la corruption est généralisée, que les détentions préalables au procès sont longues et qu'il existe de graves lacunes au sein de la magistrature et des organismes chargés de l'application de la loi. Néanmoins, la preuve de la corruption possible ne permet pas de conclure que les demandeurs ne seraient pas en sécurité dans une autre partie du Vénézuela.

[16]       La Commission a appliqué de la façon appropriée la première partie du critère à deux volets en concluant à l'existence d'une PRI et à l'absence de possibilité sérieuse que l'intéressé soit persécuté là où il y avait une PRI. En outre, la Commission a conclu que rien n'empêcherait le demandeur et sa famille de se réinstaller dans une autre région plus sûre du Vénézuela et que la réinstallation ne serait pas trop pénible pour les demandeurs. À mon avis, la décision de la Commission ne peut donc pas être considérée comme manifestement déraisonnable.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n'est certifiée.

                     « Pierre Blais »                       

                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-7833-04

INTITULÉ :                                                                JOSE ANTONIO SABINO CHAVEZ

                                                                                    MERLIN BEATRIZ SEGOVIA

                                                                                    GARY SEBASTIAN SABINO SEGOVIA

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 30 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Jonathan Otis                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Jeremiah Eastman                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis et Korman                                                              POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)                                                         

John H. Sim, c.r.                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                                         

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