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Date : 19990512


Dossier : IMM-4538-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 MAI 1999.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :


SASITHARAN VIJAYARAJAH,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour qu"une formation différemment constituée procède à une nouvelle audition.


" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990512


Dossier : IMM-4538-98

ENTRE :


SASITHARAN VIJAYARAJAH,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est un jeune Tamoul citoyen du Sri Lanka. Il soutient avoir une crainte fondée d"être persécuté en tant que membre d"un groupe social particulier.

[3]      Dans son FRP, il dit qu"il a été détenu et torturé à quatre occasions et que le CID, le IPKF, le EPELF et les TLET ont fait pression sur lui.

[4]      Il a été détenu une première fois parce qu"on le soupçonnait. Il a été battu et maltraité par le IPKF et le EPRLF; on l"a libéré après environ trois mois.

[5]      Il a été détenu une deuxième fois en 1992, à Colombo, par le CID. Pendant sa détention, qui a duré un an et demi, il a été gravement torturé. Il soutient qu"il a été battu et brûlé, qu"on lui a arraché les ongles d"orteils, et qu"il a subi d"autres supplices effroyables. Il a éventuellement été libéré après avoir signé un document, rédigé en singhalais, attestant qu"il faisait partie des TLET et prévoyant qu"il devait se rendre aux bureaux du CID chaque jour, pour une période de deux mois, et à tous les deux jours, pendant un autre mois.

[6]      Il a témoigné qu"après l"avoir libéré, le CID l"a envoyé à l"hôpital pour que ses blessures soient traitées et que ses problèmes oculaires soient réglés. Il a également reçu un document de la cour de magistrat selon lequel [TRADUCTION] " Aucune plainte n"ayant été déposée contre les suspects, ceux-ci ont été libérés "1.

[7]      En juin 1995, il a de nouveau été détenu parce qu"on le soupçonnait; à cette occasion, il a été arrêté en compagnie de plusieurs autres Tamouls par les autorités policières de Kotahena. Il a été battu pendant sa détention, qui a duré sept jours. On lui a présenté des photographies à partir desquelles il devait identifier d"autres Tamouls soupçonnés de faire partie des TLET. Il a été libéré à condition qu"il fournisse des renseignements sur les TLET et il a été avisé que la prochaine fois qu"il serait arrêté, il serait fusillé.

[8]      En mars 1997, il a de nouveau été détenu et battu par l"armée du Sri Lanka parce qu"on le soupçonnait d"être un militant. On l"a photographié et on a exigé de lui qu"il verse une somme d"argent. Il a été libéré après trois jours.

[9]      Il a quitté le Sri Lanka le 18 mai 1997 et a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada.

[10]      Vu les incompatibilités de son FRP et de son témoignage, la formation n"a pas estimé que la crainte du demande d"être persécuté était véritable.

[11]      Le demandeur fait valoir que la Commission les a constamment interrompus, lui et son avocate, ce qui l"a empêché de raconter ce qu"il lui était arrivé et empêché son avocate de poser des questions. Il soutient avoir été privé de son droit d"être entendu et de son droit à un avocat.

[12]      Il est clair que cet argument n"est pas fondé. En vertu du par. 67(2) de la Loi sur l"immigration2, les membres de la Commission ont le droit d"interroger toute personne sous serment, même longuement, afin d"apprécier la crédibilité et la fiabilité du témoignage de celle-ci et de rendre une décision bien informée. En particulier, le juge Joyal a dit, dans la décision Teja Singh , que la Commission avait l"obligation de déterminer la crédibilité du revendicateur :

                 À cet égard, je me permets de ne pas être d'accord avec l'argument avancé par l'avocat du requérant dans son mémoire écrit. Selon cet argument, la procédure de l'audience est de type accusatoire et l'arbitre s'est comporté comme si elle jouait tant le rôle du poursuivant que celui du jury. Ces procédures ne sont pas de type accusatoire. Si tel est le cas, quels sont alors les arguments invoqués pour l'autre partie? Les audiences sur le minimum de fondement ainsi que les audiences de la section du statut sont saisies du témoignage du demandeur seul, et si le rôle du tribunal consiste à prendre une décision sur sa crédibilité, celui-ci a la prérogative de décider de la façon sommaire ou approfondie dont il doit intervenir pour trancher de façon appropriée l'affaire d'une façon ou d'une autre. Laisser entendre que le rôle des membres consiste simplement à rester là comme un pacha bienveillant et passif revient à faire échec au processus décisionnel et aux responsabilités institutionnelles qu'ils sont tenus d'assumer3.                 

[13]      Le demandeur soutient également que la formation a omis de tenir compte d"éléments de preuve documentaire pertinents, dont le rapport médical et les photographies étayant son récit. Je suis d"accord avec le demandeur. La Commission a omis de tenir compte d"éléments de preuve crédibles, en particulier d"un document original de la Cour de magistrat de Colombo, qui indique clairement que le demandeur a été détenu et ultérieurement libéré. La Commission a choisi de mettre l"accent sur la question de savoir pourquoi le demandeur n"a pas présenté le document aux autorités policières afin d"éviter d"être arrêté. Elle a complètement négligé de tenir compte de l"importance du document, qui fournissait une preuve convaincante de la détention du demandeur. La Commission a donc omis de tenir compte d"un élément de preuve important dont elle disposait.

[14]      Le demandeur a également déposé des photographies des cicatrices qui couvraient son corps, de même qu"un rapport médical qui confirme qu"il porte des cicatrices tant physiques que psychologiques qui sont compatibles avec les actes de tortures qu"il a décrits.

[15]      Ayant conclu que le demandeur n"était pas crédible, la Commission a accordé peu de poids à la preuve médicale. Dans sa décision, la Commission s"est trompée en considérant que le rapport du Dr Dongier était un " rapport psychologique ". Bien qu"il contienne effectivement une évaluation psychologique, le rapport décrit également en détail les nombreuses cicatrices qui couvrent le corps du demandeur. Ces cicatrices, qui comprennent la déformation de ses ongles d"orteils, des brûlures de cigarette sur ses bras, des cicatrices sur ses jambes et ses pieds résultant du fait qu"il a été battu avec des bâtons, de même que diverses marques de coupures et de coups de couteau4, font aussi l"objet de photographies présentées par le demandeur. La Commission a omis de mentionner ces photographies dans sa décision et de traiter de l"évaluation de l"état physique du demandeur par le Dr Dongier, qui fournit une preuve à l"appui des photographies.

[16]      À mon avis, le document de la Cour de magistrat de Colombo, la preuve médicale et les photographies sont très pertinents, et la Commission aurait dû en tenir compte. Comme l"a dit la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Mahanandan5, lorsqu"un élément de preuve documentaire est susceptible d"avoir une incidence sur l"appréciation d"un dossier par la Commission, celle-ci doit en traiter dans ses motifs de décision. Je suis d"accord avec mon collègue le juge Evans qui a dit, dans Cepeda-Gutierrez :" l "obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés "6.

[17]      En l"espèce, la Commission n"a pas fait état des cicatrices qui couvraient le corps du demandeur et elle n"a pas non plus dit qu"elle rejetait l"explication fournie par ce dernier quant à l"origine de ces cicatrices. Elle ne l"a tout simplement pas trouvé crédible. À mon avis, ces documents de nature physique se rapportent directement à la question de la crédibilité du demandeur, et la Commission avait l"obligation d"en tenir expressément compte.

[18]      Dans les cas où elle estime qu"un revendicateur n"est pas crédible, la Commission peut également conclure à l"absence de preuve crédible pouvant servir de fondement à la revendication, à condition que la seule preuve dont dispose la Commission est celle qui émane du témoignage du revendicateur7. Cependant, comme je l"ai dit dans la décision Seevaratnam c. M.C.I.8, la Commission a l"obligation de tenir compte d"éléments de preuve pertinents qui ne proviennent pas du témoignage du revendicateur et qui peuvent établir un lien entre le revendicateur et la persécution, ce qu"elle n"a pas fait en l"espèce.

[19]      Enfin, la Commission aurait dû accorder à la preuve documentaire le poids qu"elle méritait. En particulier, le Dr Donald Payne dit, dans un document intitulé " Psychological Problems of Torture Victims in Refugee Interviews and Hearings " publié par le Canadian Centre for Victims of Torture, que les victimes de torture éprouvent des problèmes considérables aux auditions visant à déterminer si elles peuvent obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention :

                 [TRADUCTION] À mon avis, en raison des perturbations psychologiques qu"éprouvent les revendicateurs du statut de réfugié qui ont été torturés, il n"est pas réaliste de s"attendre à ce que tous les revendicateurs soient en mesure d"exposer complètement leur situation en arrivant au Canada. Les victimes de torture auront tendance à minimiser leurs expériences vu la douleur qu"elles éprouvent en se rappelant ces expériences et en en parlant, elles auront de la difficulté à faire entièrement confiance aux autorités canadiennes, et il se peut qu"elle diront des choses contradictoires parce qu"elles sont confuses ou parce qu"elles veulent se procurer la sécurité qu"elles recherchent en obtenant la permission de demeurer au Canada9.                 

[20]      En résumé, la conclusion de la Commission est fondée sur un raisonnement erroné. La Commission a conclu que le demandeur n"était pas crédible parce que son témoignage manquait de logique, et elle s"est ensuite fondée sur cette conclusion défavorable en matière de crédibilité pour rejeter la preuve médicale et la preuve documentaire expliquant pourquoi il se peut que des victimes de torture se contredisent, étant donné qu"elles sont confuses par suite des événements qu"elles ont subis10.

[21]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour qu"une formation différemment constituée procède à une nouvelle audition.

[22]      La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale méritant d"être certifiée.


" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 12 mai 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-4538-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SASITHARAN VIJAYARAJAH c. LE MINISTRE DE LA                      CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 4 MAI 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              12 MAI 1999

ONT COMPARU :

MME SARAH PIVEN                          POUR LE DEMANDEUR

M. MICHEL SYNNOTT                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MME SARAH PIVEN                          POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUSUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      Dossier de la demande, aux pp. 51 et 52.

2      67 (2) La section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d'un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment, dans le cadre d'une audience_:a) par citation adressée aux personnes ayant connaissance de faits se rapportant à l'affairedont ils sont saisis, leur enjoindre de comparaître comme témoins aux date, heure et lieu indiqués et d'apporter et de produire tous documents, livres ou pièces, utiles à l'affaire, dont elles ont la possession ou la responsabilité;
b) faire prêter serment et interroger sous serment;
c) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des éléments de preuve au Canada;
d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l'affaire.              L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 67; L.R.C. (1985), ch. 28 (4e suppl.), art. 18.

3      Teja Singh c. M.E.I. (10 janvier 1994), 92-T-1537 (C.F. 1re inst.), au par. 13.

4      Lettre du Dr Pierre Dongier adressée à Me Sarah Piven (2 mars 1998), dossier de la demande, aux pp. 53 et 54.

5      Mahanandan c. Canada (M.E.I.) (24 août 1994), A-608-91 (C.A.F.).

6      Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (6 octobre 1998), IMM-596-98, au par. 17 (C.F. 1re inst.).

7      Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.).

8      Sukunamari Seevaratnam et al. c. M.C.I. (11 mai 1999), IMM-3728-98 (C.F. 1re inst.).

9      D.E. Payne, " Psychological Problems of Torture Victims in Refugee Interviews and Hearings " (Toronto : C.C.V.T., 27 mars 1989), dossier du tribunal, à la p. 295. [Non souligné dans l"original.]

10      Zapata c. Canada (Solliciteur général) (1994), 82 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.).

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