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Date : 20040322

Dossier : IMM-1077-03

Référence : 2004 CF 427

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGETREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                     VIACHESLAV GAPCHENKO,

                                                         NATALIA HAPCHENKO

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 4 février 2003, dans laquelle la Commission a prononcé le désistement des demandes d'asile des demandeurs.

[2]                Les demandeurs sont des citoyens israéliens d'origine russe, et ils allèguent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur religion, de leur race et de leur origine ethnique.

[3]                Les demandeurs devaient être entendus le 23 janvier 2003. Ils se sont présentés à l'audience mais leur avocat, M. Popov, était absent.

[4]                La Commission a accordé aux demandeurs une demi-heure pour communiquer avec le bureau de M. Popov et demander où il était. La secrétaire de M. Popov a dit à la Commission que ce dernier avait quitté le bureau, mais qu'elle ne savait pas où il était allé.

[5]                Lorsque les demandeurs sont retournés dans la salle d'audience, la Commission leur a dit qu'elle était prête à entendre l'affaire à moins qu'ils ne lui donnassent une justification satisfaisante pour expliquer pourquoi ils avaient changé d'avocat à la dernière minute et pourquoi leur nouvel avocat n'était pas présent.

[6]                Les demandeurs ont répondu qu'ils avaient changé d'avocat quelques jours avant l'audience parce qu'ils n'étaient pas satisfaits des services de leur ancienne avocate. La Commission avait été avisée en bonne et due forme du changement d'avocat.


[7]                Les demandeurs ont demandé la remise de l'audience, qui leur a été refusée. La Commission a dit que c'est aux demandeurs qu'incombait la responsabilité de s'assurer de la présence de M. Popov à l'audience. Les demandeurs ne voulaient pas présenter leurs arguments en l'absence de leur avocat. Par conséquent, la Commission a prononcé le désistement de leurs demandes.

[8]                Les demandeurs font valoir que la décision de la Commission est manifestement inéquitable et abusive et qu'elle enfreint le principe de justice naturelle parce que la Commission a insisté pour entendre l'affaire en l'absence de leur avocat et malgré le fait qu'ils ont demandé la remise de l'audience et qu'ils voulaient absolument que leur demande soit entendue en présence de ce dernier.

[9]                La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions prononçant le désistement d'une demande est celle de la décision raisonnable simpliciter (Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109).

[10]            L'article 168 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) (la Loi) et l'article 58 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002-228) (les Règles) font état des étapes qu'il faut suivre pour prononcer le désistement d'une demande d'asile. Ils sont rédigés comme suit :



168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.(2) Chacune des sections peut refuser le retrait de l'affaire dont elle est saisie si elle constate qu'il y a abus de procédure, au sens des règles, de la part de l'intéressé.

(2) A Division may refuse to allow an applicant to withdraw from a proceeding if it is of the opinion that the withdrawal would be an abuse of process under its rules.



58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

58(2)

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

58(2)

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

58(3)

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

58(3)

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

58(4)

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

58(4)

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.



[11]            Pour que la Commission puisse prononcer le désistement d'une demande, le demandeur doit avoir omis de comparaître à l'audience, de fournir les renseignements demandés ou de donner suite à des demandes de communication de la Commission de façon appropriée. De plus, la Commission est tenue de donner au demandeur la possibilité d'être entendu à l'audience, à moins qu'on ne soit en présence de circonstances dont il est question au paragraphe 58(1) des Règles.

[12]            En l'espèce, la Commission a permis aux demandeurs de se prévaloir de toutes les possibilités que la loi met à leur disposition. Il y a eu une audience formelle au cours de laquelle les demandeurs ont eu la possibilité de donner des explications au sujet de leur demande et de convaincre la Commission qu'ils ne s'étaient pas désistés de leurs demandes d'asile. La Commission a également averti les demandeurs qu'elle allait considérer qu'ils s'étaient désistés de leurs demandes s'ils ne lui donnaient pas d'explications. Les demandeurs ont choisi de ne pas répondre et ont simplement dit qu'ils souhaitaient être représentés par un avocat. De plus, la Commission a également accordé aux demandeurs du temps pour qu'ils puissent communiquer avec le bureau de leur avocat et demander si ce dernier allait se présenter à l'audience. Les demandeurs n'ont fourni à la Commission aucune raison justifiant le défaut de comparution de leur avocat.

[13]            Le demandeur est tenu d'agir avec diligence dans la poursuite de sa demande d'asile. Dans Ahamad, précitée, le juge Lemieux a écrit ce qui suit concernant le contrôle d'une décision prononçant le désistement d'une demande :

32    Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable.


[14]            Les demandeurs d'asile ont le droit d'être représentés par l'avocat de leur choix, mais en l'espèce les demandeurs ont décidé de changer d'avocat trois jours avant la date de l'audience. Ils ont décidé de congédier l'avocate d'expérience dont ils avaient retenu les services en avril ou en mai 2002 juste avant l'audience parce qu'ils n'étaient pas satisfaits de son travail. Toutefois, la Commission a dit qu'elle connaissait Me Langelier et savait qu'il s'agissait d'une avocate compétente.

[15]            Les demandeurs avaient l'obligation de s'assurer que leur nouvel avocat allait pouvoir assister à l'audience avant de changer d'avocat à la dernière minute (Natchev c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. 1601 (Q.L.)). Les demandeurs ne pouvaient pas demander une remise pour le motif que l'avocat qu'ils avaient choisi n'était pas libre à la date de l'audience (Pierre c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 849 (C.A.)).

[16]            La présente situation est très différente de la situation dans l'affaire Mathon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 28 F.T.R. 217, dans laquelle l'avocat avait omis de présenter dans le délai prévu une demande de réexamen que la requérante avait signée à temps. En raison de cette erreur, la requérante avait perdu le droit à l'audition de sa demande de réexamen. Le juge Pinard a précisé clairement que ses commentaires s'appliquaient à un justiciable qui avait agi avec diligence. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 23 de la décision :


[...]    Ainsi, la forclusion ayant été encourue uniquement à cause de l'erreur et/ou de la négligence d'un procureur, il n'incombe pas au justiciable qui a agi avec diligence de supporter les conséquences de semblables erreur ou négligence. [Non souligné dans l'original.]

[17]            Dans la présente affaire, on ne peut pas affirmer que les demandeurs aient agi avec diligence. En fait, on pourrait considérer leur décision de changer de représentant quelques jours avant l'audience comme de la négligence, surtout étant donné que Me Langelier s'occupait de leurs demandes d'asile depuis le printemps 2002.

[18]            Même si leur nouvel avocat ne s'est pas présenté à l'audience, la Commission a donné aux demandeurs la possibilité de se représenter eux-mêmes, ce qu'ils ont refusé de faire. Selon le paragraphe 168(1), il était donc loisible à la Commission de prononcer sur-le-champ le désistement de leurs demandes.

[19]            Les circonstances de l'affaire dont la Cour était saisie dans Linartez c. Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 109 F.T.R. 300 ressemblent aux circonstances en l'espèce. Dans cette affaire, le demandeur avait changé d'avocat. Sa deuxième avocate s'était présentée à l'audience mais avait demandé la remise de celle-ci pour pouvoir se préparer et parce qu'elle devait assister à une autre audience. Lorsque la Commission a refusé d'accorder la remise, elle est partie. Le juge Nadon a souscrit au passage suivant de la décision R. c. Taylor (1980) W.C.B. 244 (Ont. H.C.J.), dans lequel le juge Eberle s'exprimait ainsi au sujet du droit d'un demandeur d'être représenté par un avocat :


53. Dans Re R. and Chimenti (1980) 17 C.R. (3d) 306, le juge Holland de la Cour Suprême de l'Ontario s'exprimait comme suit (aux pages 310 et suivantes) relativement au droit d'être représenté par un avocat :

[...]

[traduction]    Il me semble que la position de la demanderesse est la suivante : comme elle a choisi d'être représentée par un avocat particulier, et que cet avocat n'est libre qu'à une date précise, la Cour ne peut fixer le procès à aucune autre date. Il s'agit d'un argument qui, à mon avis, n'est absolument pas défendable. La demanderesse fait valoir qu'étant donné qu'un accusé a le droit d'être représenté par l'avocat de son choix, et compte tenu du fait que la Cour a été avisée le 19 décembre que l'avocat que la demanderesse avait choisi n'était pas libre le 18 janvier [date à laquelle le procès avait été remis par la Cour], en fixant le procès à cette date le juge provincial a manqué au principe de justice naturelle et a outrepassé sa compétence. À mon avis, le droit d'un accusé d'être représenté par l'avocat de son choix ne comporte pas le droit d'imposer la date du procès. Le droit d'un accusé d'être représenté par l'avocat de son choix correspond, selon moi, au droit d'être représenté par un avocat de son choix qui est en mesure de comparaître à la date du procès.Je ne vois rien dans les arrêts R. c. Butler (1973), 11 C.C.C. (2d) 381 (Ont. C.A.) ou Barrette c. R., [1977] 2 R.C.S. 121, 33 C.R.N.S. 377, 29 C.C.C. (2d) 189, 68 D.L.R. (3d) 260, 10 N.R. 321 qui soit incompatible avec cette conclusion. Le libellé de l'article 737 du Code criminel, L.R.C. 1970, ch. C-34, ne peut à mon avis lui non plus être interprété en ce sens.

[20]            Je suis d'avis que ces commentaires sont particulièrement pertinents en l'espèce.

[21]            Dans les circonstances, je suis convaincue que la Commission n'a pas omis de respecter le principe de justice naturelle. Sa décision n'était pas déraisonnable, abusive ou arbitraire.

[22]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                              _ Danièle Tremblay-Lamer _

       Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1077-03

INTITULÉ :               VIACHESLAV GAPCHENKO, NATALIA HAPCHENKO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGETREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Alain Joffe                    POUR LES DEMANDEURS

Michèle Joubert           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alain Joffe                    POUR LES DEMANDEURS

3333, chemin Queen Mary

Bureau 442

Montréal (Québec)

H3V 1A2                                                         

Morris Rosenberg        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

Montréal (Québec)

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