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Date : 20010529

Dossier : IMM-2370-01

Référence neutre : 2001 CFPI 539

ENTRE :

YOLANDE COMMISSIONG

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKay

[1]    La demanderesse a présenté une requête pour obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre elle le 23 avril 2001 lui ordonnant de se présenter pour son renvoi du Canada le 24 mai 2001.


[2]    La demanderesse, citoyenne de la Grenade, vit au Canada depuis 1987. Elle a deux enfants qui sont nés au Canada. L'aînée de ses enfants est âgée de huit ans et termine présentement sa troisième année. Son deuxième enfant est un bébé né de son récent mariage à un citoyen américain.

[3]    Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse a obtenu un diplôme de coiffure et travaille comme coiffeuse pour subvenir aux besoins de sa famille. À même ses revenus, la demanderesse envoie de l'argent à sa mère qui vit à la Grenade d'une pension et qui ne peut pas travailler. La preuve du défendeur établit que la demanderesse ne détenait une autorisation pour occuper un emploi que de 1989 à 1991.

[4]    La preuve du défendeur établit de plus que le dossier de la demanderesse faisait partie des dossiers de réfugiés en attente de traitement, mais qu'elle a fait défaut en février 1994 de se présenter à son enquête. La demanderesse a par conséquent fait l'objet d'une enquête d'Immigration Canada en mars 1995, à la suite de laquelle une mesure d'expulsion a été prise contre elle. Mme Commissiong avait auparavant présenté une demande d'établissement fondée sur des considérations humanitaires (CH). Cette demande a été rejetée le 28 avril 1995.

[5]    Le 26 avril 2000, la demanderesse a épousé James Harbert, citoyen des États-Unis, le père de son deuxième enfant.


[6]                 Le 31 mai 2000, la demanderesse a été convoquée à une entrevue afin que des dispositions soient prises quant à son renvoi du Canada, mais à cette date elle était enceinte et elle a informé l'agent d'immigration responsable qu'elle ne pouvait pas voyager. Aucune disposition n'a alors été prise quant à son renvoi.

[7]                 Sur l'avis de son ancien avocat, la demanderesse a présenté, à la fin d'octobre ou au début de novembre 2000, de l'intérieur du Canada, une demande d'établissement fondée sur des considérations humanitaires. Une décision quant à cette demande n'a pas encore été rendue. Le deuxième enfant de la demanderesse est né au Canada peu après que la demanderesse eut présenté sa demande fondée sur des considérations humanitaires. Le 4 janvier 2001, la demanderesse a de nouveau été convoquée à une entrevue préalable à son renvoi et on l'a informée que son renvoi aurait lieu au cours des trente jours suivants. Le renvoi n'a pas eu lieu parce que Mme Commissiong n'avait pas pour son bébé les documents de voyage nécessaires. Le certificat de naissance dont la demanderesse avait besoin pour son deuxième enfant a par conséquent été obtenu pour elle par Immigration Canada. La demanderesse fait maintenant l'objet d'une mesure de renvoi prise contre elle le 23 avril 2001, qu'elle a reçue quatre jours plus tard, lui ordonnant de se présenter pour son renvoi le 24 mai 2001.

[8]                 L'agent chargé du renvoi a témoigné comme suit :

[TRADUCTION]

[L]a demanderesse n'a pas présenté à CIC, alléguant sa demande fondée sur des considérations humanitaires, de demande pour que son renvoi soit reporté. Il n'y a eu aucune communication de la part de la demanderesse, soit personnellement soit par son avocat, depuis qu'elle s'est présentée à son enquête en janvier 2001.


[9]                 Il est évident que la demanderesse n'a pas demandé à l'agent ultimement responsable de son renvoi d'utiliser son pouvoir discrétionnaire pour reporter ce renvoi, mais l'agent qui l'a rencontrée en janvier 2001 a indiqué au dossier que Mme Commissiong avait effectivement mentionné sa demande fondée sur des considérations humanitaires et qu'elle avait été informée que cette demande n'avait aucune incidence sur son renvoi du Canada. Dans les circonstances, je conclus que la demanderesse a alors implicitement demandé que son renvoi soit reporté jusqu'à ce que sa demande fondée sur des considérations humanitaires soit tranchée. La possibilité de reporter le renvoi n'a pas été envisagée ni à ce moment ni plus tard lorsque des dispositions de voyage ont été prises. Ces dispositions ont apparemment été prises sans que la demanderesse ait été consultée quant au moment qui lui était opportun pour voyager. C'est à l'encontre de ce refus de reporter le renvoi que la demanderesse a maintenant présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui est la question sous-jacente dans la présente requête présentée pour l'obtention d'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.

[10]            L'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.), établit le critère en trois volets qui doit être respecté pour qu'un sursis soit accordé. Il est nécessaire que la demanderesse démontre :

1. qu'il existe une question grave qui mérite d'être tranchée par la Cour;

2. qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et que la question grave soit en bout de ligne tranchée en sa faveur;

3. que la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation des deux parties, favorise l'octroi du sursis.


La question grave

[11]            Je suis d'avis qu'il existe une question grave qui mérite d'être tranchée par la Cour compte tenu de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire pendante. Cette question est de savoir si, en décidant de ne pas envisager de reporter le renvoi de la demanderesse, l'agent chargé des renvois a erronément entravé son pouvoir discrétionnaire ou a pris inéquitablement des dispositions de voyage sans avoir tenu compte de la possibilité du report du renvoi ou du moment qui aurait été opportun pour voyager pour la demanderesse et ses enfants nés au Canada. Cette question, qui touche le prétendu refus de l'agent d'avoir exercé son pouvoir discrétionnaire, sera en réalité théorique si la demanderesse est déjà renvoyée du Canada au moment où la question sera tranchée.

Le préjudice irréparable


[12]            Je suis convaincu que l'aînée des enfants de la demanderesse, qui ne fait pas l'objet de la mesure de renvoi prise par le ministre mais qui accompagnerait sa mère si cette dernière était renvoyée maintenant, subirait un préjudice irréparable si la demanderesse était renvoyée vers la Grenade le 24 mai 2001. L'enfant serait dérangée dans son année scolaire puisqu'il reste plus d'un mois avant la fin de l'année. La question de savoir si l'enfant perdrait son année scolaire si elle ne la terminait pas demeure incertaine, mais il n'y a aucune incertitude quant au fait que cette situation aurait un effet négatif sur ses études. Dans les circonstances, étant donné que le risque à courir n'est pas nécessaire, il y aurait, à mon avis, un préjudice irréparable. Si le fait d'accorder un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'au 30 juin 2001 permet à l'aînée des enfants de la demanderesse de terminer son année scolaire sans être dérangée, il n'y aurait plus aucun risque de préjudice irréparable.

[13]            En outre, le bébé de la demanderesse, qui a apparemment six mois, et la mère de celle-ci, qui vit à la Grenade grâce à l'assistance publique et au soutien financier de la demanderesse, subiraient un préjudice irréparable si la demanderesse ne pouvait continuer d'occuper un emploi lui permettant de subvenir à leurs besoins. Ce préjudice irréparable résulterait du fait que la demanderesse n'aurait pas un délai raisonnable pour tenter de s'établir avec ses enfants à la Grenade ou aux États-Unis. Les démarches d'établissement aux États-Unis, selon ce qui est déclaré, ont été entreprises il y a environ un mois par le mari de la demanderesse.

[14]            Des difficultés nouvelles et inutiles constituant un préjudice irréparable surviendraient si la demanderesse et ses enfants étaient renvoyés immédiatement du Canada après moins de quatre semaines d'avis et si la source de revenus de la demanderesse était coupée sans qu'elle ait un délai raisonnable pour trouver un nouvel emploi dans un nouvel environnement. Ce préjudice que subiraient la mère et les enfants de la demanderesse n'est pas un préjudice qui durerait indéfiniment. Le sursis du renvoi de la demanderesse jusqu'au 30 juin 2001 permettra que le préjudice irréparable qu'entraînerait le bouleversement soudain de la famille, sans que la demanderesse bénéficie d'un délai raisonnable pour se préparer à un changement majeur, soit évité.


La prépondérance des inconvénients

[15]            La conclusion, après examen des faits de la présente affaire, selon laquelle la demanderesse a satisfait aux deux premiers volets du critère établi dans l'arrêt Toth, entraîne, à mon avis, que la prépondérance des inconvénients favorise la demanderesse et, par conséquent, qu'un sursis pour une période limitée est justifié. Il est possible que durant cette période une décision soit rendue quant à la demande fondée sur des considérations humanitaires que la demanderesse a présentée et pour laquelle elle attend une décision.

Ordonnance

[16]            La requête de la demanderesse est accueillie en partie. Un sursis au renvoi de la demanderesse du Canada est accordé jusqu'au 30 juin 2001.

        « W. Andrew MacKay »

                                                                                      

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 29 mai 2001

                        

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE : IMM-2370-01

INTITULÉ : Yolande Commissiong c. M.C.I.

REQUÊTE POUR L'OBTENTION

D'UN SURSIS ENTENDUE

PAR TÉLÉCONFÉRENCE : Le 23 mai 2001

LIEUX DE L'AUDIENCE : Ottawa et Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                   Le 29 mai 2001

COMPARUTIONS:

Micheal Crane pour la demanderesse

Mielka Visnic pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Toronto (Ontario) pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada pour le défendeur

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