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Date: 19990308


Dossier: T-563-98

T-1259-97

ENTRE

     T-563-98


KNAPPETT CONSTRUCTION LTD.,

CCM CONSTRUCTION LTD.

et KINECTIC CONSTRUCTION LTD.,


demanderesses,


et


LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR

RÉGIONAL DU MINISTÈRE DU TRAVAIL, VANCOUVER, ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs,

ET ENTRE

T-1259-97


KINETIC CONSTRUCTION LTD.,


demanderesse,


et


LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR

RÉGIONAL DU MINISTÈRE DU TRAVAIL, VANCOUVER, ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE :

[1]      À la fin de l"audition de la requête de la demanderesse, j"ai ordonné que la demande T-1259-97 et la demande T-563-98 soient réunies. Je désignerai ces deux demandes comme étant les demandes relatives aux années 1997 et 1998. Voici les motifs, quoique tardifs, que j"ai promis de prononcer, lesquels traitent principalement de la réunion des instances, mais portent aussi sur le sursis de la demande relative à l"année 1997 et sur le dépôt d"affidavits additionnels se rapportant aux deux demandes.

HISTORIQUE

[2]      Les deux demandes visent à l"examen de décisions similaires prises par le directeur régional de Vancouver, ministère du Travail. La demande relative à l"année 1997 vise à l"examen de la décision du 22 mai 1997 portant que les salaires versés aux ouvriers, à l"égard d"un projet précis, soit le bâtiment d"entretien des bouées, à Victoria, sont ceux qui sont fixés dans la grille des justes salaires minimums conformément à la Skills Development and Fair Wage Act , S.B.C. 1994, ch. 22.

[3]      La demande relative à l"année 1998 vise elle aussi à l"examen d"une décision générale similaire, se rapportant aux salaires des travailleurs de la construction affectés à des projets fédéraux assujettis à la Loi sur les justes salaires et les heures de travail , L.R.C. (1985), ch. L-4 (la Loi sur les justes salaires), dans laquelle le directeur régional du ministère du Travail a encore une fois conclu que les salaires en question étaient ceux qui étaient fixés dans la grille des justes salaires minimums de la Skills Development Act de la Colombie-Britannique.

[4]      Pour compléter cette partie de l"historique, les défendeurs affirment que les décisions à examiner sont non seulement similaires, mais aussi qu"il s"agit d"une seule décision. J"aimerais faire remarquer, à ce stade, que seul le directeur régional sait peut-être s"il en est ainsi.

[5]      Le 30 juin 1997, la demande relative à l"année 1997 a été suspendue par Monsieur le juge Gibson, en attendant l'issue de l'appel interjeté contre l'ordonnance rendue par le juge Denault, en parlant d"une instance dont la Cour d"appel fédérale était saisie dans le dossier A-288-97. Cet appel découlait du fait que Monsieur le juge Denault avait rejeté la requête que les demanderesses avaient présentée en vue d"obtenir une prorogation de délai dans une instance qui, en temps et lieu, est devenue la demande relative à l"année 1998.

[6]      Dans ses motifs du 12 mars 1998, la Cour d"appel a prorogé jusqu"au 2 avril 1998 le délai dans lequel les appelantes, qui sont maintenant les demanderesses dans l"action relative à l"année 1998, pourraient présenter une demande de contrôle judiciaire : les demanderesses ont engagé les procédures en temps opportun.

[7]      Je ferai ici remarquer que l"avocat des demanderesses m"a informé que Monsieur le juge Gibson avait accordé le sursis en se fondant sur le fait que l"action relative à l"année 1998 qui était alors envisagée et l"action relative à l"année 1997 qui avait été suspendue se rapportaient à des questions de fait et de droit similaires.

[8]      Cela m"amène aux faits pertinents en ce qui concerne le dépôt d"affidavits complémentaires. Selon la preuve et les arguments présentés par les demanderesses, à cause du sursis, le dépôt d"affidavits dans les deux instances est non seulement tardif, mais aussi des documents additionnels pertinents en ce qui concerne les taux de salaires sont maintenant disponibles.

ANALYSE

Le sursis

[9]      La prétention des défendeurs selon laquelle le sursis accordé par Monsieur le juge Gibson ne devrait pas être annulé, est fondée sur l"argument voulant que le directeur régional du ministère du Travail n"a pris qu"une seule décision le 3 février 1995 et que les motifs que la Cour d"appel fédérale a prononcés au sujet de la prorogation de délai ayant mené à la demande relative à l"année 1998 le démontrent, du moins implicitement. Selon les défendeurs, il y a donc eu abus de procédure puisque les deux demandes se rapportent à la même décision. Comme je le conclurai en temps et lieu, rien de cela n"est vraiment pertinent. Cependant, j"examinerai plus à fond le raisonnement des défendeurs.

[10]      La Cour d"appel a fixé la date d"une décision, le 6 décembre 1996. Il s"agit de la décision qui a donné lieu à l"action relative à l"année 1998. Dans la demande relative à l"année 1997, la demanderesse ne traite pas d"une décision générale prise par quelqu"un, peut-être le directeur régional du ministère du Travail, mais plutôt d"une décision précise, communiquée le 22 mai 1997, à l"égard du bâtiment d"entretien des bouées et, bien que cette décision soit similaire à la décision de 1996, il n"y a vraiment rien qui montre s"il s"agit de la même décision ou d"une décision distincte. En outre, en juin 1997, Monsieur le juge Gibson avait eu la possibilité de radier l"action relative à l"année 1997 pour le motif qu'elle était redondante et qu'il y avait donc abus compte tenu des procédures alors en instance qui ont donné lieu à la demande relative à l"année 1998, mais il avait refusé de le faire à ce moment-là. À coup sûr, le juge a laissé en suspens la question de la redondance jusqu"à ce que l"appel interjeté devant la Cour d"appel en vue de la prorogation du délai soit réglé et a donc laissé les deux instances aller de l"avant, sous réserve de toute requête que les défendeurs pourraient présenter par la suite en vue de faire radier l"une des demandes.

[11]      La réponse la plus directe à l"argument que les défendeurs ont avancé à l"encontre de l"annulation du sursis, à savoir que les deux actions parallèles constituent un abus, est que la durée d"un sursis dépend des conditions de l"ordonnance l"accordant. J"ai refusé de rendre une ordonnance au sujet du sursis parce que, selon le libellé clair de l"ordonnance de Monsieur le juge Gibson, le sursis a automatiquement pris fin lorsque la Cour d"appel s"est prononcée sur la question de la prorogation du délai. Il se peut que les défendeurs puissent convaincre le juge qui entendra ces demandes réunies qu"il ne s"agit que d"une seule décision. Cependant, cela n"a rien à voir avec le sursis ou son annulation.

Affidavits supplémentaires

[12]      J"examinerai maintenant la question des affidavits supplémentaires. La Loi sur les justes salaires et son règlement d"application prévoient que le salaire provincial approprié s"applique à tous les projets de construction fédéraux. Chaque directeur régional du ministère du Travail, dans l"exercice du pouvoir qui lui est conféré par la loi, doit déterminer les taux de salaires applicables en se fondant sur les enquêtes sur les taux de salaires et sur d"autres documents pertinents. Toutefois, en l"espèce, les demandeurs disent qu"en adoptant et en imposant simplement les normes du gouvernement provincial, qui sont différentes et ne correspondent pas aux taux de salaires réels courants au lieu de calculer les salaires applicables aux projets de construction fédéraux à l"aide des critères énoncés dans la Loi sur les justes salaires et dans le règlement, le directeur régional a entre autres choses agi sans avoir compétence, a outrepassé sa compétence et de fait a refusé d"exercer sa compétence. Les taux de salaires applicables à Victoria et dans le reste de la Colombie-Britannique sont pertinents, aux fins de l"exercice de cette compétence.

[13]      Les demanderesses disent que des affidavits supplémentaires devraient être déposés parce que les affidavits qui ont été versés au dossier sont désuets en raison du retard qui est survenu en attendant qu"une décision soit rendue dans l"appel relatif à la prorogation du délai imparti pour présenter la demande relative à l"année 1998. En outre, les demanderesses disent que des renseignements additionnels sont maintenant disponibles en ce qui concerne les taux de salaires qui s'appliquaient dans la région de Victoria au moment où la soumission a été faite. Selon les demanderesses, ces renseignements aideraient la Cour.

[14]      Les défendeurs ont soutenu que certains éléments de preuve que les demanderesses veulent maintenant présenter auraient pu l"être il y a plusieurs mois. C"est peut-être bien le cas en théorie, mais il semblerait que les documents relatifs aux salaires viennent à peine d"être réunis, du moins en partie, et mis à la disposition du gouvernement.

[15]      Selon une autre approche préconisée par les défendeurs en ce qui concerne la contestation des affidavits supplémentaires, les éléments de preuve pertinents sont ceux dont le directeur régional disposait au moment où il a pris sa décision. Pourtant, je crois plutôt que lorsque la compétence est contestée, comme c"est ici le cas, les éléments de preuve n"ont pas à être limités à ceux dont disposait le décideur. En particulier, les salaires courants dans le district du Grand Victoria sont ici en cause. L"intérêt de la justice exige que la Cour puisse examiner tous les éléments de preuve se rapportant aux taux de salaires en vigueur à Victoria au moment pertinent, car il s"agit de la meilleure preuve disponible.

[16]      Enfin, les défendeurs citent le jugement Franz c. Canada (1994), 80 F.T.R. 79, à l"appui de la thèse selon laquelle les Règles de la Cour fédérale ne prévoient pas la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d"un contrôle judiciaire.

[17]      Lorsque la requête a été débattue, les nouvelles Règles de la Cour fédérale étaient entrées en vigueur. L"article 312 des Règles permet le dépôt d"un affidavit complémentaire, avec l"autorisation de la Cour. J"ai examiné cette nouvelle disposition d"une façon passablement détaillée dans l"affaire Fogal c. La Reine , une décision inédite du 6 janvier 1999, dossier T-790-98. Dans cette décision, j"ai cité plusieurs jugements, et notamment le jugement Eli Lily and Company c. Apotex Inc. (1998), 137 F.T.R. 226, à la page 228, qui avait été rendu en vertu des anciennes règles, selon lesquelles la principale question, en ce qui concerne les affidavits complémentaires, est de savoir si les documents additionnels servent l"intérêt de la justice, s"ils aident la Cour et s"ils causent un préjudice grave à l"autre partie. J"ai ensuite fait remarquer que les affidavits supplémentaires devraient uniquement être autorisés dans certaines circonstances, car autrement la procédure ne serait pas conforme à l"esprit des dispositions relatives au contrôle judiciaire, qui visent à accorder une réparation rapide au moyen d"une procédure sommaire. J"ai également fait remarquer, dans ce cas particulier, que les documents, qui étaient pertinents, n"auraient pas pu être présentés à une date antérieure. Dans l"affaire Fogal comme en l"espèce, il y a des circonstances qui justifient le dépôt d"affidavits supplémentaires.

Réunion des instances

[18]      L"article 105 des Règles prévoit que la Cour peut ordonner, à l"égard de deux ou plusieurs instances, qu"elles soient réunies, instruites conjointement ou instruites successivement. Les facteurs qui permettent la réunion des instances sont plutôt non limitatifs, mais les motifs de réunion comprennent l"existence de questions de droit et de fait communes, les économies de temps et d"argent qui l"emportent sur tous les inconvénients découlant de la réunion des instances et la possibilité que, si les instances ne sont pas réunies, des juges différents tirent des conclusions contradictoires. À titre d"exemple de l"application de pareils facteurs, voir la décision non publiée du 14 juin 1994 que Madame le juge Reed a rendue dans l"affaire Taiyo Gyogyo K.K. c. Le " Tuo Hai ", dossier T-1951-91, où les motifs pour lesquels les instances avaient été réunies dans ce cas-là ont été énoncés :

        
             Mes motifs peuvent être exposés brièvement. Les deux actions soulèvent d'importantes questions de droit et de fait communes : celle de la responsabilité respective du "Tenyo Maru" et du "Tuo Hai" et celle des personnes qui ont un droit sur ces navires, étant donné que l'abordage constitue le fondement des deux réclamations. En outre, le temps et les frais que la Cour et les parties épargneront si les deux actions sont entendues conjointement l'emportent sur tous les inconvénients qui pourraient en découler. Si l'on ne procède pas à cette jonction d'instances, il est possible que la même question soit instruite devant des juges différents dans le cadre d'actions distinctes et, partant, que des conclusions contradictoires soient tirées et que des frais inutiles soient engagés. Ainsi que je l'ai déclaré à l'audience, les observations du juge Strayer dans le jugement Oak Bay Marine Group c. Jackson (no du greffe T-448-94, 25 mars 1994) à la page 6, sont fort à propos.                 
                         
                         

La mention du jugement Oak Bay Marine, (1994) 75 F.T.R. 105, à la page 109, se rapporte aux remarques qui y étaient faites, à savoir que le bon sens veut que les actions soient réunies lorsque cela pourrait entraîner une économie des ressources des parties et de la Cour.

[19]      En l"espèce, les deux demandes de contrôle judiciaire se rapportent à des décisions qui sont au moins similaires.

[20]      Dans les deux cas, il est soutenu que la Loi sur les justes salaires et le règlement d"application exigent que toute grille de justes salaires préparée par le directeur régional énonce les salaires qui sont généralement réputés courants pour les ouvriers compétents dans le district où le travail est exécuté. Dans les deux cas, les demanderesses soutiennent que les taux de salaires à Victoria et en Colombie-Britannique, tels qu"ils sont déterminés par le gouvernement provincial et utilisés par le directeur régional du ministère du Travail comme fondement de ses calculs, sont de beaucoup plus élevés que les salaires généralement reconnus qui sont versés à des ouvriers compétents, en particulier des travailleurs non qualifiés, dans le cas de la demande relative à l"année 1997 dans le grand Victoria et dans le cas de la demande relative à l"année 1998 dans les districts de la Colombie-Britannique à l"extérieur du grand Victoria. Toutefois, dans les deux cas, les demanderesses soulignent qu'en fixant les taux de salaires, le gouvernement de la Colombie-Britannique a sciemment et expressément décidé de ne pas rattacher les taux aux salaires qui étaient en fait payés par les entrepreneurs privés de l"industrie de la construction. Ils soutiennent en dernier lieu que la grille provinciale des salaires n"est pas conforme aux exigences de la Loi sur les justes salaires et qu"elle devrait donc être mise de côté.

[21]      Les demanderesses soulignent avec raison les différences entre les deux demandes. En premier lieu, la demande relative à l"année 1997 se rapporte à un projet précis à Victoria alors que la demande relative à l"année 1998 se rapporte apparemment à une décision d"appliquer la grille provinciale des justes salaires à tous les projets fédéraux réalisés dans la province. Par conséquent, dans un cas, la preuve des taux de salaires dans le grand Victoria et aux environs sera particulièrement pertinente, alors qu"en ce qui concerne la demande relative à l"année 1998, les taux de salaires pertinents seront ceux qui s"appliquent dans divers districts de la Colombie-Britannique. Ici encore, les demanderesses soulignent avec raison qu"il se pourrait bien qu"elles aient gain de cause à l"égard d"une demande, mais non à l"égard de l"autre.

[22]      À la fin des plaidoiries relatives à la requête visant à la réunion des instances, j"ai conclu qu"il y avait d"importantes questions de droit et de fait communes; que les économies de temps et d"argent, si une seule audience était tenue, l"emportent sur tous les inconvénients découlant de la réunion des instances étant donné que deux taux de salaires distincts sont en cause; et enfin que si les deux instances ne sont pas réunies, les juges qui entendront les demandes séparément pourraient bien tirer des conclusions contradictoires. J"ai donc ordonné que les deux demandes soient réunies à toutes fins utiles.

[23]      Je remercie les avocats de leurs arguments détaillés.

             " John A. Hargrave "

                 Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 8 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 4 juin 1998

Nos DU GREFFE :      T-563-98

     T-1259-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      KINETIC CONSTRUCTION LTD. et autres
     c.
     LE MINISTRE DU TRAVAIL et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du protonotaire John A. Hargrave, en date du 8 mars 1999

ONT COMPARU :

     Robert W. Grant      pour les demanderesses
     Darlene Patrick      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Robert Grant

     Heenan, Blaikie

     Vancouver (Colombie-Britannique)      pour les demanderesses

     Morris Rosenberg

     Sous-procureur général

     du Canada      pour les défendeurs

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