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Date : 20060309

Dossier : IMM‑281‑03

Référence : 2006 CF 309

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

MOHAMMAD MOHSEN HOLWAY,

ZIAUDDIN HOLWAY ET

SHAHJAN HOLWAY

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Mohammad Mohsen Holway, Ziauddin Holway et Shahjan Holway (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision datée du 18 novembre 2002 (la décision) par laquelle une agente des visas (l’agente) a refusé la demande d’établissement présentée par Ziauddin et Shahjan Holway et parrainée par Mohammad Mohsen Holway. La demande d’établissement a été refusée pour le motif que Ziauddin Holway (M. Holway) était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) parce qu’il était un des responsable des forces armées sous l’ancien régime marxiste en Afghanistan.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               M. Holway a été membre des forces armées entre 1959 et le moment où il a quitté l’Afghanistan en 1985. Il affirme avoir travaillé dans le service de logistique et avoir exécuté des tâches de bureau et que le plus haut grade qu’il ait obtenu était celui de brigadier (également appelé lieutenant‑colonel), deux grades en‑dessous de général. Le régime marxiste qui était au pouvoir en Afghanistan entre 1978 et 1992 a été qualifié de régime qui, de l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a commis de graves violations des droits de la personne et d’autres crimes de ce genre. Par conséquent, toute personne ayant servi dans l’armée afghane en tant que responsable pendant cette période est interdite de territoire au Canada aux termes de l’article 35 de la Loi. L’agente a jugé que M. Holway était interdit de territoire au Canada pour le motif qu’il avait été un responsable de l’armée sous le régime en cause.

 

[3]               La décision de l’agente a été portée en appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) et son contrôle judiciaire sollicité devant la Cour. Le ministre s’est opposé à la demande de contrôle judiciaire pour le motif qu’il existait une possibilité d’appel devant la SAI et la demande de contrôle judiciaire a été rejetée. La SAI a rejeté l’appel pour le motif qu’elle n’avait pas compétence. Le contrôle judiciaire de la décision de la SAI a été rejeté pour le motif que la SAI avait à juste titre décidé qu’elle n’avait pas compétence. Le ministre a reconnu qu’il avait commis une erreur au sujet des pouvoirs de la SAI lors de la demande de contrôle judiciaire initiale et j’ai autorisé la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de l’agente.

 

LA DÉCISION DE L’AGENTE DES VISAS

 

[4]               La décision de l’agente des visas figure dans une lettre envoyée à M. Holway et datée du 18 novembre 2002. La lettre mentionne que la demande de M. Holway a été refusée pour le motif qu’il existe des raisons de croire qu’il est interdit de territoire parce qu’il est une personne visée par l’alinéa 35(1)b) de la Loi. L’agente précisait qu’il existait des raisons de croire que M. Holway avait été un responsable de l’armée sous l’ancien régime marxiste en Afghanistan.

 

[5]               L’agente a mentionné dans ses notes qu’il n’était pas très vraisemblable que M. Holway ait passé de 15 à 20 ans dans l’armée et atteint le grade de brigadier sans que ses responsabilités aient changé pendant toute cette période. L’agente semblait également douter que M. Holway ait pu conserver son poste sans appuyer le régime marxiste.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

1.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Holway était une personne visée à l’alinéa 35(1)b) de la Loi?

 

2.      L’agente a‑t‑elle violé l’obligation d’équité en omettant d’informer le demandeur de ses réserves et de la possibilité de présenter une demande de dispense des conditions d’admission?

 

3.      L’agente a‑t‑elle violé l’obligation d’équité en ne se prononçant pas elle‑même sur la demande d’établissement présentée par M. Holway, mais en demandant à des fonctionnaires d’Ottawa de prendre cette décision pour elle?

 

LES ARGUMENTS

 

            Les demandeurs

 

[6]               Les demandeurs soutiennent que, si la personne qui est déclarée appartenir à une des catégories énumérées à l’article 16 du Règlement ne peut réfuter le fait qu’elle est interdite de territoire, celle‑ci peut néanmoins soutenir qu’elle ne fait pas partie de cette catégorie. Les demandeurs soutiennent que M. Holway n’occupait qu’un poste administratif et n’était pas en fait un responsable de l’armée et que, par conséquent, il n’aurait pas dû être déclaré interdit de territoire. Ils soutiennent que l’agente a pris une décision inappropriée en se fondant principalement sur le grade de M. Holway plutôt que sur les tâches qu’il exerçait réellement dans l’armée.

 

[7]               Les demandeurs soutiennent également que l’agente était tenue en raison de l’équité d’informer M. Holway qu’il risquait d’être déclaré interdit de territoire en qualité de responsable de l’armée et qu’il pouvait demander au ministre de lui accorder une dispense.

 

[8]               Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente a utilisé des renseignements, concernant le poste qu’occupait M. Holway, qui provenait d’un autre service gouvernemental et que cette utilisation constitue une délégation irrégulière de son pouvoir discrétionnaire ou une violation de l’équité procédurale.

 

            Le défendeur

 

[9]               Le défendeur affirme que la décision de l’agente selon laquelle M. Holway était interdit de territoire était raisonnable et qu’elle était fondée sur l’analyse des faits présentés par M. Holway au cours de son entrevue.

 

[10]           Le défendeur soutient également que l’obligation d’équité n’oblige pas l’agent à informer le demandeur de la possibilité de demander une dispense ministérielle.

 

[11]           Enfin, le défendeur soutient que le fait que l’agente ait eu recours aux services de renseignements d’une autre unité gouvernementale ne constitue pas une délégation irrégulière de pouvoir discrétionnaire ni une violation de l’équité procédurale.

 

ANALYSE

 

            La norme de contrôle

 

[12]           Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si M. Holway était un « responsable » dans l’armée est une question mixte de fait et de droit. Le défendeur soutient que lorsque la décision de l’agent porte sur une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter. Le défendeur soutient cependant que cette affaire porte sur les activités et les responsabilités qu’assumait M. Holway en tant que membre d’un régime marxiste et que ce sont là des questions factuelles auxquelles s’applique, comme norme de contrôle, la décision manifestement déraisonnable.

 

[13]           À l’appui de sa position, le défendeur cite l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu en 1996, dans l’affaire To c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 696. Dans cette affaire, il s’agissait du rejet d’une demande d’entrée au Canada en qualité d’immigrant entrepreneur. La demande avait été rejetée parce que l’agent d’immigration n’était pas convaincu que le demandeur avait les aptitudes commerciales ou les ressources financières personnelles nécessaires à l’établissement d’une entreprise au Canada. La Cour d’appel s’est fondée sur Maple Lodge Farms Limited c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pour conclure qu’elle ne devait pas intervenir dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi pour la seule raison qu’elle aurait tranché la question différemment. Selon elle, lorsqu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle, et sans que des considérations non pertinentes ou étrangères aient été prises en compte, il n’y a pas lieu d’intervenir.

 

[14]           La Cour a également été invitée à examiner la décision Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 435, 2001 CFPI 243. Dans Au, la Cour s’est fondée sur les décisions Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 296 (1re inst.), et Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1907, pour conclure que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas est la décision raisonnable simpliciter. La Cour note dans ces affaires que, d’un côté, les décisions d’un agent des visas portent sur des questions mixtes de fait et de droit et ne sont pas protégées par une clause privative, facteurs qui militent contre la déférence à l’égard des décisions, mais que d’un autre côté, les agents ont une expérience considérable dans ce domaine et traitent de questions qui ne sont pas polycentriques, facteurs qui militent en faveur de la déférence à leur endroit.

 

[15]           La définition de responsable de l’armée est une question d’interprétation de la législation, et donc une question de droit. La question de savoir s’il est possible de qualifier une personne de responsable de l’armée ne peut donc être une simple question de fait. Cette décision exige toutefois que l’on procède à une évaluation factuelle de la participation de cette personne aux activités militaires. Compte tenu de la nature de la question à trancher, il semble qu’il faille conclure, comme le soutiennent les demandeurs, qu’il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle que je vais utiliser sera la décision raisonnable simpliciter.

 

[16]           L’analyse au sujet de la norme de contrôle a été poussée un peu plus loin dans Au, puisque la Cour a jugé qu’il suffisait que l’agent ait des « motifs raisonnables » de croire qu’il existait une situation emportant refus d’admission. La Cour a cité Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), à la page 273, dans laquelle elle a jugé que la norme de preuve que doit respecter un agent n’est pas la preuve « au‑delà de tout doute raisonnable »; il suffit que l’agent des visas ait des motifs raisonnables d’en arriver à une conclusion donnée. Dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, [1998] A.C.F. no 131 (1re inst.), la Cour a jugé que les motifs raisonnables constituaient une norme qui « exige davantage que de vagues soupçons mais [qui est] moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile […] Il s’agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. »

 

L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Holway était interdit de territoire?

 

[17]           Dans Esse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 46, la Cour a examiné les dispositions en matière d’interdiction de territoire de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, qui sont semblables aux articles 16 du Règlement actuel et 35 de la Loi actuelle. L’alinéa 19(1)l) de l’ancienne Loi sur l’immigration se lisait ainsi :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

19 (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

 

[…]

 

 

(l)  celles qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à un fait -- acte ou omission -- qui aurait constitué une infraction au sens des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(l)  Persons who are or were senior members of or senior officials in the service of a government that is or was, in the opinion of the Minister, engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or any act or omission that would be an offence under any of sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act, except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest.

 

[18]           Selon l’ancienne Loi sur l’immigration, la définition de « personnes […] qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement » comprenait « les responsables des forces armées », comme le dit le paragraphe 19(1.1).

 

[19]           Dans Esse, la Cour a déclaré que le but de ces dispositions légales était de créer un régime dans lequel les hauts fonctionnaires d’un gouvernement étaient considérés comme des personnes « en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, de sorte qu’ils doivent être tenus responsables des actes répréhensibles de celui‑ci » (par. 11). La Cour a jugé que les personnes occupant certains postes précis étaient réputées être des hauts fonctionnaires d’un gouvernement. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam (C.A.), [2001] 2 C.F. 337, [2001] A.C.F. no 25 au paragraphe 11, la Cour d’appel fédérale a adopté la description du régime faite dans Esse et jugé que l’alinéa 19(1)l) ne créait pas une présomption réfutable, de sorte que toute personne tombant dans une des catégories énumérées dans les dispositions en cause était automatiquement réputée non admissible, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse contextuelle des activités qu’elle exerçait réellement à titre de membre de cette catégorie.

 

[20]           Les demandeurs en l’espèce reconnaissent, en se fondant sur Adam, que le demandeur n’a pas la possibilité de réfuter le fait qu’il est interdit de territoire s’il occupait un des postes énumérés à l’article 16 en démontrant qu’il n’occupait pas véritablement une position d’influence au sein du gouvernement. M. Holway soutient cependant qu’il a le droit de tenter d’établir qu’il ne fait pas véritablement partie d’une de ces catégories (c.‑à‑d. qu’il n’était pas un « responsable » de l’armée). Les demandeurs soutiennent que :

 

[traduction] […] il était un officier de carrière et il a travaillé pendant des années dans le service de la logistique; il a obtenu un grade moyen, celui de brigadier ou lieutenant‑colonel, mais dans le contexte de l’alinéa 35(1)b), il ressortait de la preuve qu’il avait détenu et occupé un poste de nature administrative.

 

 

[21]           M. Holway affirme que la qualification de « responsable » de l’armée ne devrait pas uniquement être fondée sur la question de savoir s’il occupait un poste d’officier mais doit tenir compte de la structure de l’armée et du rôle qu’il y a joué en réalité.

 

[22]           Les demandeurs ont cité à la Cour deux affaires qui traitaient de demandes d’asile. Certains articles de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont incorporés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » aux termes de la Loi. La Convention des Nations Unies exclut de son application les personnes dont il existe de bonnes raisons de croire qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.

 

[23]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181, [1998] A.C.F. no 1464, la Cour a décidé que la simple appartenance à une organisation qui commet à l’occasion des crimes contre l’humanité ne suffit pas à fonder une exclusion au titre de la Convention des Nations Unies, mais que la participation à une organisation qui « vise principalement des fins limitées et brutales [comme les activités d’une police secrète] » peut constituer un motif suffisant pour entraîner l’exclusion de la Convention. La Cour examine s’il y a eu « participation personnelle et consciente » aux activités prohibées. Dans ce contexte, la Cour a déclaré ce qui suit dans Hajialikhani au paragraphe 24 :

 

Dans ce contexte, il importe d’examiner attentivement les étiquettes. En effet, l’étiquette fait parfois obstacle à l’analyse. Si l’on entend dire que l’appartenance ou l’association étroite à un groupe porte automatiquement à conclure à la complicité de crimes contre l’humanité commis par des membres de ce groupe, il faut que la qualification de l’organisation en question se fonde sur des preuves indubitables. En outre, s’agissant d’un organisme qui évolue avec le temps, il y a lieu de se pencher sur les actions qui peuvent lui être attribuées aux époques où l’individu concerné collaborait avec elle.

 

 

[24]           La Cour a effectué une analyse semblable dans Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), [1993] A.C.F. no 912, affaire dans laquelle elle a examiné une nouvelle fois la situation d’un demandeur d’asile et évalué son degré de complicité à titre de membre de l’armée salvadorienne. La Cour a tenu compte de facteurs comme la participation au processus décisionnel.

 

[25]           Les demandeurs s’appuient sur le raisonnement que la Cour et la Cour d’appel ont tenu respectivement dans les décisions Hajialikhani et Moreno pour soutenir que le seul fait d’être membre de l’armée ne suffit pas à justifier une conclusion d’interdiction de territoire et qu’il convient d’examiner la position qu’occupait véritablement M. Holway au sein de l’armée.

 

[26]           Les parties n’ont pas fourni une définition officielle de ce qui constitue un [traduction] « responsable des forces armées » et il ne semble pas qu’une telle définition existe. Dans Lutfi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1703, 2005 CF 1391, décision qui n’a pas été citée par les parties, la Cour a noté : « La seule définition du terme responsable est celle d’une personne qui, du fait de ses fonctions, est ou était en mesure d’exercer beaucoup d’influence » (par. 10). Dans cette affaire, la Cour s’est montrée préoccupée par le fait qu’aucun élément ne donnait à penser que l’agent des visas avait contacté l’unité des crimes de guerre ou d’autres unités appropriées pour obtenir de l’aide dans ce dossier et que la question du poste exact que la personne occupait dans la hiérarchie militaire n’avait pas été suffisamment examinée.

 

[27]           Dans Zaheri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 553, 2004 CF 446, la Cour a cité un passage du guide de l’immigration qui note l’absence de jurisprudence au sujet de la définition de « supérieur » mais qui suggère ce qui suit :

Une personne de rang supérieur de l’armée serait une personne occupant un poste élevé dans les forces armées et une personne de rang plus avancé et souvent, avec des états de service comparativement longs.

 

Une situation élevée se traduirait par les responsabilités données à cette personne et les postes occupés par les supérieurs immédiats de celle‑ci.

 

[28]           Dans Zaheri, le demandeur avait omis de fournir à la Cour un affidavit ou des preuves permettant de contester les conclusions de l’agent des visas de sorte que la Cour n’a pas formulé une définition de [traduction] « responsable des forces armées ».

 

[29]           L’ancien régime marxiste en Afghanistan a été qualifié, le 21 octobre 1994, comme un régime qui, de l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a commis de graves violations des droits de la personne et d’autres crimes de ce genre. Par conséquent, toute personne qui était un responsable de l’armée afghane pendant la période pertinente est interdite de territoire aux termes de l’article 35 de la Loi.

 

[30]           Dans la présente affaire, l’agente a conclu que M. Holway avait été un responsable de l’armée en se fondant sur la durée de ses états de service, sur le fait qu’il avait monté en grade et obtenu le poste de lieutenant‑colonel ainsi que le fait qu’il relevait du général commandant des forces aériennes. L’agente a estimé que l’affirmation de M. Holway selon laquelle il avait occupé un simple poste administratif peu important était déraisonnable compte tenu de tous les facteurs énumérés ci‑dessus. Me basant sur les critères exposés dans le guide de l’immigration, j’estime que c’est une décision raisonnable; l’agente a tenu compte de la durée des états de service et du poste qu’occupait le supérieur immédiat de M. Holway. En outre, l’agente a, en l’espèce, communiqué avec l’Unité des crimes de guerre au sujet de ses doutes concernant l’interdiction de territoire de M. Holway et celle‑ci a confirmé qu’il était interdit de territoire.

 

[31]           Le régime général mis sur pied par l’article 35 consiste à déclarer certains postes d’un régime honni, y compris ceux des hauts fonctionnaires et des ambassadeurs, comme étant des postes où les personnes qui l’occupent ont été en mesure d’exercer une influence importante sur le gouvernement ou de tirer avantage de leur position d’une façon qui les rend automatiquement interdites de séjour. Dans les affaires concernant le droit relatif aux réfugiés, comme l’arrêt Moreno, la Cour d’appel a tenu compte de la participation de la personne en question au processus décisionnel. À mon avis, ces facteurs sont également pertinents quant à la décision en cause ici et le fait qu’à titre de lieutenant‑colonel, M. Holway relevait directement du général donne à penser qu’il était très proche du processus décisionnel et qu’il détenait un poste de « responsable ».

 

[32]           L’agente a conclu que, malgré les affirmations de M. Holway selon lesquelles il était un simple bureaucrate s’occupant de « logistique », ses états de service, son grade et sa position au sein de la chaîne de commandement étaient la preuve qu’en fait, il était un officier capable d’exercer une influence importante et qu’il devait par conséquent partager et accepter la responsabilité des actes commis par le régime qu’il a servi pendant aussi longtemps. Je n’aurais peut‑être pas tiré la même conclusion de ces faits, mais je ne peux pas dire que les conclusions de l’agente étaient déraisonnables. Par conséquent, la Cour ne doit pas modifier la décision pour ce motif.

 

[33]           Pour ce qui est de l’aspect juridique de la notion de « responsable », je pense que l’agente a suivi les directives contenues dans le Manuel de traitement des demandes à l’étranger, chapitre 17, qui tient compte du poste qu’occupe le fonctionnaire dans la hiérarchie et conclut que [traduction] « S’il peut être démontré que le poste se trouve dans la moitié supérieure de l’organisation, le poste peut être qualifié de supérieur. » Sur le plan juridique, je ne peux pas dire que les conclusions de l’agente étaient mal fondées.

 

[34]           Dans l’ensemble, la décision sur ce point ne peut être qualifiée de déraisonnable et je ne devrais pas intervenir.

 

            La violation de l’équité procédurale

 

[35]           Le paragraphe 35(2) de la Loi crée une exception aux dispositions relatives à l’interdiction de territoire :

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

[36]           Selon l’ancienne Loi sur l’immigration, les paragraphes 19(1.1) et (2) prévoyaient une exception pour les personnes qui « convainquent le ministre » qu’elles remplissent certaines conditions. Dans Adam, la Cour d’appel a jugé que la présence du mot « convainquent » (« have satisfied » dans la version anglaise) donnait à penser que la dispense ministérielle devait être demandée avant que l’agent prenne sa décision.

 

[37]           Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu violation de l’équité procédurale en l’espèce parce que M. Holway n’a pas été informé de la possibilité que sa demande puisse être refusée. Il ne savait pas qu’il existait une dispense ministérielle et qu’il aurait peut‑être besoin d’en faire la demande.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent, en se fondant sur le raisonnement tenu par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.S. no 39, [1999] 2 R.C.S. 817 (QL), Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.S. no 3, 2002 CSC 1, et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407, [2000] A.C.F. no 854, que les principes de l’équité ne sont pas fixes mais doivent être adaptés de manière à ce que le processus décisionnel demeure transparent et juste.

 

[39]           Le défendeur a cité à la Cour la décision Mahzooz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1203, 2002 CFPI 926 (QL). Cette affaire ne portait pas sur la question de savoir si l’agent doit informer le demandeur qu’il peut demander une dispense au ministre; elle portait plutôt sur la question de savoir si l’agente en question aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et se demander s’il pouvait bénéficier d’une telle dispense. La Cour a jugé que l’agente n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense des dispositions en matière d’interdiction de territoire et qu’elle n’avait pas, par conséquent, à tenir compte des facteurs qui pourraient militer en faveur de l’octroi d’une telle réparation.

 

[40]           Dans Zaheri, la Cour a jugé que l’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur de la possibilité de demander une dispense au ministre.

 

[41]           Les demandeurs soutiennent qu’après les entrevues qu’a passées M. Holway, les certificats médicaux de M. Holway et de sa femme avaient expiré et qu’on leur avait remis de nouveaux formulaires médicaux. Ils font remarquer qu’habituellement, on ne remet ces formulaires médicaux que si la personne concernée va être admise au Canada. Les demandeurs soutiennent également que le répondant a été invité à acquitter les droits d’établissement, droits qui ne sont habituellement demandés que lorsque la demande va être acceptée.

 

[42]           L’agente a interrogé M. Holway au sujet de sa carrière militaire au cours de l’entrevue initiale le 7 mars 2001. M. Holway a été interrogé une seconde fois en juillet 2001 et cette entrevue a presque exclusivement porté sur sa carrière militaire. Au cours de l’entrevue, l’agente a mis en doute les affirmations de M. Holway au sujet du peu d’importance du poste qu’il avait occupé sous ce régime et elle lui a demandé comment il se faisait qu’il exécutait de simples tâches administratives alors qu’il relevait d’un général. L’agente n’a pas expressément informé M. Holway qu’il risquait d’être interdit de territoire en raison de ses antécédents militaires.

 

[43]           Cependant, étant donné que M. Holway a été longuement interrogé au sujet de ses antécédents militaires, il doit s’être rendu compte que c’était là un sujet de préoccupation et il a eu amplement la possibilité de démontrer qu’il n’était pas interdit de territoire pour cette raison. M. Holway a eu toute latitude pour expliquer ce qu’il faisait dans l’armée. À mon avis, cet aspect ne soulève aucune question d’équité procédurale. M. Holway ne partage pas les conclusions auxquelles en est arrivée l’agente compte tenu de ce qu’il lui a déclaré. Mais celle‑ci explique pourquoi elle ne peut accepter ses déclarations. Selon le raisonnement tenu dans Zaheri, c’était à M. Holway de demander une dispense ministérielle. L’agente n’était pas tenue, en vertu de l’obligation d’équité, de l’informer de cette possibilité. C’est pourquoi j’estime que l’agente n’a pas violé l’obligation d’équité.

 

            L’opinion de l’Unité des crimes de guerre (UCG)

 

[44]           Les demandeurs affirment que le fait que l’agente ait eu recours à l’opinion de l’UCG constituait soit une délégation irrégulière du pouvoir discrétionnaire de l’agente et donc une omission d’exercer le pouvoir discrétionnaire que la loi lui confère, soit une violation de l’équité procédurale. Ils affirment que les notes du STIDI révèlent que l’agente ne s’est pas contentée de recevoir des conseils de l’UCG, mais que c’est l’UCG qui a en réalité pris la décision.

 

[45]           Il ressort clairement des notes du STIDI que l’agente se posait des questions au sujet de l’interdiction de territoire possible de M. Holway après les deux entrevues et elle a pris des notes à ce sujet. En fait, il semble que l’agente ait tenu la seconde entrevue dans le but d’aller au fond des choses et de fournir à M. Holway la possibilité d’expliquer clairement ce qu’il faisait réellement dans l’armée.

 

[46]           L’agente avait conclu, dès après la première entrevue, que ce que M. Holway lui disait au sujet de ses fonctions n’était pas logique.

 

[47]           Après la seconde entrevue, les préoccupations de l’agente n’ont pas disparu et elle a décidé de solliciter l’aide de l’UCG. Elle a envoyé un courrier électronique à l’UCG pour demander s’il y avait des aspects non résolus dans cette affaire. Le 22 août 2002, l’UCG a finalement fait savoir que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)b) à titre de responsable de l’armée.

 

[48]           Examinée dans son ensemble, la situation est claire. L’agente se posait des questions au sujet de l’interdiction de territoire depuis la première entrevue et ces questions touchaient le poste qu’occupait M. Holway dans l’armée et le rôle qu’il avait joué en tant qu’officier dans le régime marxiste. Elle l’a convoqué à une deuxième entrevue dans le but de faire connaître ses réserves à M. Holway et pour lui donner la possibilité de décrire ce qu’il faisait exactement dans l’armée et ainsi répondre à ses interrogations. Les réponses qu’il a fournies ne lui ont pas paru vraisemblables et n’ont pas dissipé ses doutes. Mais elle a fait davantage.

 

[49]           L’agente a eu recours aux renseignements que possède l’UCG. Sa décision finale est tout à fait conforme aux préoccupations qu’elle avait notées dans le STIDI à la suite des deux entrevues. Elle a pris la décision. Elle a simplement pris la précaution supplémentaire de consulter l’UCG.

 

[50]           À mon avis, elle n’a pas omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire et il n’y a pas eu violation de l’équité sur ce point.

 

[51]           Les avocates sont invitées à signifier et à déposer des observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs d’ordonnance. Chaque partie aura ensuite trois jours pour signifier et produire une réponse aux observations de la partie adverse. Après quoi, une ordonnance sera rendue.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑281‑03

 

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD HOHSEN HOLWAY ET AL.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional de Toronto

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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