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Date : 20021030

Dossier : IMM-5307-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1125

TORONTO (ONTARIO), LE MERCREDI 30 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                              JUAN MANUEL RODRIGUEZ NAJERA

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                 - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C (1985), ch. F-7, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 22 octobre 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur, Juan Manuel Rodriguez Najera, est un citoyen du Mexique âgé de quarante et un ans. Il est arrivé au Canada en septembre 2000. Il fondait sa revendication du statut de réfugié sur sa crainte d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui étaient imputées par un certain M. Naranjo et son réseau de trafiquants de drogues. Il affirmait également qu'il craignait les membres de divers services de sécurité du Mexique parce qu'il possède des renseignements qui pourraient les impliquer relativement aux activités illégales de M. Naranjo.

[3]                 Le demandeur affirme que lorsqu'il habitait aux États-Unis, il a été forcé de se joindre à une bande de narcotrafiquants dirigée par M. Naranjo. En 1996, il a été reconnu coupable aux États-Unis de deux infractions reliées au trafic de stupéfiants pour lesquelles il a purgé une peine d'emprisonnement de presque trois ans. M. Naranjo a été arrêté vers la même époque et, selon le demandeur, M. Naranjo le tient responsable de sa propre arrestation et de sa propre condamnation et lui veut du mal pour cette raison.

[4]                 Le demandeur affirme qu'après avoir recouvré sa liberté en janvier 1999, il est retourné vivre dans le nord du Mexique. Il a déménagé à trois reprises. Il est d'abord allé habiter chez son frère, dans une ville de l'État de Durango. Il a ensuite fui pour s'installer chez son cousin, à Torreon, et, au bout de quelques mois, craignant d'être retrouvé dans une petite ville, il est parti vivre à Ciudad Juarez, une ville de 2 000 000 d'habitants.

[5]                 À Ciudad Juarez, en septembre 2000, il aurait rencontré par hasard un de ses amis de prison qui l'a prévenu que M. Naranjo le cherchait toujours pour lui faire du mal. Le demandeur a quitté le Mexique douze jours plus tard.

LA DÉCISION DE LA SSR

[6]                 La Commission a d'abord conclu que le demandeur n'avait établi aucun lien entre sa présumée crainte et l'un des motifs prévus dans la Convention. Elle a plutôt constaté que le demandeur craignait certains éléments criminels en raison de ses propres activités criminelles et qu'il s'agissait plutôt en fait d'une vendetta personnelle. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas démontré que les agents de persécution lui auraient imputé des opinions politiques.

[7]                 La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il était ou avait été témoin d'un acte de corruption de l'État.


[8]                 De façon subsidiaire, la SSR a également examiné la question de la crédibilité et elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible sur les principaux aspects de sa revendication du statut de réfugié. La Commission a fondé sa conclusion sur les contradictions et les invraisemblances qu'elle avait relevées dans le récit du demandeur et elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour pouvoir conclure que le demandeur avait raison de craindre d'être persécuté pour les motifs qu'il invoquait s'il devait retourner au Mexique.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                 La SSR a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

[10]            La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n'a pas réussi à établir un lien entre le préjudice qu'il redoutait et l'un des motifs prévus dans la Convention sur le statut de réfugié?

[11]            La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES ET ANALYSE

[12]            En ce qui concerne la première question en litige, le demandeur affirme que la Commission a commis quatre erreurs dans ses conclusions de fait. Je n'examinerai pas trois de ces erreurs, parce qu'elles ne sont pas pertinentes et qu'elles n'ont de toute évidence rien à voir avec la décision. Je suis d'accord avec les prétentions formulées par le demandeur aux paragraphes 5, 6, 7 et 8 de son mémoire au sujet de ces trois présumées erreurs.


[13]            La quatrième erreur que le demandeur reproche à la Commission concerne sa conclusion que le demandeur n'a été témoin d'aucun acte de corruption de l'État. Le demandeur affirme que la SSR a fait fi des éléments de preuve qu'il lui a soumis au sujet d'incidents au cours desquels il avait été témoin d'actes de corruption de la part de représentants de l'État et le demandeur ajoute que la Commission a tiré une conclusion qui contredit la preuve.

[14]            Je ne puis accepter cet argument. La Commission n'a pas ignoré les éléments de preuve que le demandeur lui a soumis dans l'exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels. Elle a analysé les trois incidents précis que le demandeur lui a relatés pour illustrer ce qu'il savait de l'implication des fonctionnaires de l'État et de leur prétendue connivence avec M. Naranjo. La SSR a conclu que les renseignements que le demandeur prétendait posséder étaient vagues et dépassés et qu'ils n'étaient pas suffisamment détaillés pour pouvoir impliquer des représentants de l'État. La Commission a conclu que les représentants de l'État soi-disant impliqués ne se sentiraient pas menacés parce que le demandeur ne possédait pas suffisamment de renseignements à leur sujet. Quant au troisième incident concernant les liens que le chef de la police aurait entretenus avec M. Naranjo, la Commission a conclu que les éléments fournis par le demandeur étaient, là encore, vagues et non fondés.


[15]            Par conséquent, la quatrième conclusion suivant laquelle le demandeur n'avait pas été témoin d'actes de corruption de la part de l'État était tout à fait raisonnable compte tenu des éléments de preuve contenus au dossier et la SSR a bien motivé sa conclusion à ce sujet. Je conclus que la demande échoue sur la première question en litige. La Commission n'a pas commis d'erreur justifiant la révision de sa décision en tirant ses conclusions de fait.

[16]            Sur la question du lien, il ressort à l'évidence de la définition de la Convention qu'il doit exister un lien ou rapport entre le préjudice redouté et l'un des cinq motifs de la définition du réfugié, à savoir, la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social déterminé et les opinions politiques. Sans le lien exigé, la revendication du statut de réfugié ne peut réussir [voir les décisions Mia c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 120, Rivero c. Canada (M.C.I.), [1996] A.C.F. no 1517; Xheko c. Canada (M.C.I.) (1998), 153 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.)].

[17]            Ainsi que le juge Tremblay-Lamer l'a déclaré au paragraphe 16 du jugement Mia c. Canada (M.C.I.) précité, la question du lien est une question de fait :

De plus, comme le précise la jurisprudence récente, telles les décisions Leon c. MCI, [1995] A.C.F. no 1253 et Lara c. MCI, [1999] A.C.F. no 264, l'existence d'un lien entre les actes de persécution et un motif énoncé dans la Convention est une question de fait qui relève nettement de l'expertise du tribunal, de sorte que la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait.


[18]            Bien qu'il n'ait pas été cité, je signale également l'arrêt Klinko c. Canada (M.C.I.), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), dans lequel la Cour a jugé que si une personne est simplement victime d'un crime, ce fait à lui seul n'est pas suffisant pour établir le bien-fondé d'une revendication. Toutefois, s'il existe des éléments de preuve tendant à démontrer que le revendicateur dénonce des activités criminelles et subit de la persécution en conséquence, ce fait peut suffire pour créer le lien nécessaire. Les faits qui ont été portés à notre connaissance démontrent clairement que le demandeur n'a pas dénoncé d'activités criminelles. Il a d'ailleurs expressément reconnu ne pas avoir incriminé M. Naranjo ou d'autres personnes.

[19]            J'estime en l'espèce qu'au vu des éléments de preuve dont elle disposait, il était raisonnable de la part de la SSR de conclure qu'aucun lien n'avait été établi entre la crainte de représailles exprimée par le demandeur et l'un des motifs prévus dans la Convention, en particulier celui relatif aux opinions politiques. La conclusion du tribunal sur la question du lien n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[20]            Finalement, sur la troisième et dernière question en litige, celle concernant la crédibilité du demandeur, ce dernier reproche à la Commission d'avoir tiré des inférences déraisonnables.


[21]            Il est de jurisprudence constante que la Cour ne doit intervenir que si les inférences qui ont été tirées sont déraisonnables au point de justifier son intervention. En l'espèce, la plupart des questions relatives à la crédibilité reposaient sur les conclusions d'invraisemblance que la SSR a tirées et qu'elle a clairement motivées. La Commission a le droit d'écarter un témoignage non contredit s'il n'est pas compatible avec les probabilités touchant l'affaire dans son ensemble [voir l'arrêt Alizadeh c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 11 (C.A)]. À cet égard, dans l'arrêt Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré que [TRADUCTION] « le véritable critère de véracité du récit d'un témoin, c'est-à-dire qu'il soit conforme avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et informée reconnaîtrait d'emblée comme raisonnable à cet endroit et dans ces conditions » .

[22]            Notre Cour a par ailleurs déclaré que la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens [Shahamati c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.)].

[23]            Conservant ces principes à l'esprit, j'estime que les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité ne sont pas déraisonnables au point de justifier notre intervention et je conclus qu'il lui était de toute évidence raisonnablement loisible de rendre sa décision au vu de l'ensemble de la preuve portée à sa connaissance.

[24]            Comme on ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur sur la deuxième et la troisième questions en litige, et ayant également répondu par la négative à la première question, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[25]            L'avocate du demandeur et l'avocat du défendeur n'ont pas proposé de question à certifier.


                                           ORDONNANCE

LA COUR :

REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR et ne CERTIFIE aucune question.

  

    « Simon Noël »    

Juge                

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRAL DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     IMM-5307-01

INTITULÉ :                                    JUAN MANUEL RODRIGUEZ NAJERA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE MARDI 29 OCTOBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                  LE MERCREDI 30 OCTOBRE 2002

  

COMPARUTIONS :             

Cynthia Mancia                                       pour le demandeur

Stephen Jarvis                                      pour le défendeur

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cynthia Mancia

Mancia & Mancia

Avocats

335, rue Bay

Toronto (Ontario)

M5H 2R3                                             pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada     pour le défendeur


  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20021030

Dossier : IMM-5307-01

ENTRE :

JUAN MANUEL RODRIGUEZ NAJERA

  

demandeur

- et -

   

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                      

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