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                                                                                                                                            Date : 20020705

                                                                                                                                         Dossier : T-155-01

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2002

En présence de : Monsieur le juge Pinard

Entre :

                                                              BASSEM CHAHROUR

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                              ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

L'appel déposé par le demandeur, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, contre la décision rendue le 30 novembre 2000 par le juge de la Citoyenneté Jeanine C. Beaubien est rejeté.

                « YVON PINARD »                 

       JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                                                                 Date : 20020705

                                                                Dossier : T-155-01

                                                Référence neutre : 2002 CFPI 745

Entre :

                             BASSEM CHAHROUR

                                                                demandeur

                                  - et -

                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

                                                                défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

   Il s'agit d'un appel déposé par le demandeur en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) contre la décision du 30 novembre 2000 par laquelle Mme Jeanine C. Beaubien, juge de la citoyennetédu bureau de la citoyenneté canadienne, a conclu que le demandeur ne respectait pas les conditions de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

   En rejetant la demande, le juge de la citoyennetéa fait remarquer :

[. . .]

[Traduction] J'ai le regret de vous informer que votre demande de citoyennetécanadienne est refusée. Vous avez comparu devant moi le 2 novembre 2000 pour l'audition de votre demande. J'ai conclu que vous ne respectiez pas les conditions de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige du demandeur qu'il ait résidé pendant au moins trois ans au Canada dans les quatre ans précédant immédiatement la date de sa demande.


Doutant que vous ayez effectivement résidé au Canada pendant les quatre dernières années, je vous ai demandé de me remettre des documents supplémentaires. Malheureusement, les documents que vous m'avez présentés ne constituaient pas, à mon avis, une preuve satisfaisante de résidence au Canada.

En vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, j'ai examiné s'il y avait lieu que je recommande l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4) de la Loi. Ce paragraphe permet au gouverneur en conseil d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne dans les cas de préjudices exceptionnels ou afin de récompenser cette personne pour des services d'une valeur exceptionnelle rendus au Canada.

J'ai cherché àsavoir lors de l'audience s'il existait des circonstances susceptibles de justifier une telle recommandation. Puisque vous avez été incapable de me fournir des éléments de preuve en ce sens, je ne vois aucune raison de faire une recommandation au ministre.

Suivant le paragraphe 14(3) de la Loi, vous êtes donc informé que, pour les motifs susmentionnés, votre demande de citoyenneté est refusée.

   Les conditions de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sont les suivantes :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[ . . . ]

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

                      (Emphasis added.)

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[ . . . ]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résidant permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent;

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent.

                         (Mon emphase.)


   Le demandeur allègue d'abord que le juge de la citoyennetéa commis une erreur en se fondant sur les rapports de CIC se trouvant dans son dossier parce qu'ils constituent de la preuve par ouï-dire. Dans l'arrêt Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 219 N.R. 376, le juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, a confirmé que les arbitres de l'immigration n'étaient liés par aucune règle légale ou technique de présentation de la preuve, affirmant aux pages 381 et 382 que :

Sauf le respect que je lui dois, j'estime que le juge des requêtes a commis une erreur en appliquant par analogie les règles de droit pénal en l'espèce; s'il s'était agi d'une affaire criminelle ou d'une affaire d'extradition, sa conclusion aurait certainement étéjudicieuse. Il est certain que dans pareilles procédures, l'acte d'accusation serait exclu à titre de témoignage par ouï-dire.

Cependant, le paragraphe 80.1(5) de la Loi prescrit expressément une autre norme pour les arbitres de l'immigration :

L'arbitre n'est pas lié par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Il peut recevoir les éléments qui lui sont présentés dans le cadre des procédures instruites devant lui et qu'il considère comme crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder ses conclusions sur eux. (Non souligné dans l'original)

Ainsi que l'a fait observer notre Cour au sujet de cette même disposition dans Procureur général c. Jolly, [1975] C.F. 216, page 223 (motifs prononcés par le juge Thurlow), « la Commission était en droit de fonder son jugement sur le contenu de la pièce si elle l'estimait digne de foi dans les circonstances » . En effet, dans M.E.I. c. Gray, A-334-77, jugement rendu le 14 janvier 1984 (par le juge Heald, J.C.A.), notre Cour a conclu que la Commission d'appel de l'immigration avait commis une erreur pour avoir rejeté l'admission en preuve de documents du fait que ceux-ci n'étaient pas prouvés conformément aux règles de preuve applicables aux actions civiles. La décision Dan-Ash c. M.E.I. (1988), 93 N.R. 33 (motifs prononcés par le juge Hugessen, J.C.A.), allait plus loin encore en posant que la Commission n'était pas plus tenue à la règle de la preuve la plus concluante qu'à celle du ouï-dire. Enfin, vu l'expression claire et nette du pouvoir conféré par la Loi sur l'immigration, je conclus également à la non-applicabilité en l'espèce de la cause Nakkuda Ali c. Jayaratne, [1951] A.C. 66, que l'intimée citait en abondance à l'appui de son argument sur les limites du pouvoir discrétionnaire de l'administration.

   Vu ce qui précède, je n'estime pas que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en tenant compte des rapports de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

   Je suis en outre d'avis que le demandeur s'est dûment fait présenter les renseignements que le juge de la citoyenneté avait en sa possession et qu'il a eu la possibilité de répondre. Les motifs de la décision du juge, àla page 7 du dossier du bureau de la citoyennetécanadienne, sont très révélateurs sur ce point. Ils se lisent comme suit :

J'ai questionné cette personne sur le manque de page puis sur ces absences réelles, était-ce vraiment tel que mis au dossier c.a.d. 22 jours?


Il a semblésurpris du manque de page. Et a insisté qu'il ne s'était pas absenté àplusieurs reprises. Je lui ai dit alors que sa réponse contredisait le rapport que j'avais. . . .

   En conséquence, même si le demandeur ne s'est pas vu remettre les rapports de CIC, il a été informé de leur contenu et a eu la possibilité de les réfuter.

   Le demandeur allègue que le juge de la citoyennetéa commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve et des témoignages à l'appui de sa demande. En l'espèce, le juge de la citoyennetédevait déterminer si le demandeur, au cours des quatre ans précédant le 1er avril 1999 (date de sa demande de citoyennetécanadienne), avait résidé pendant trois ans au Canada (du 1er avril 1995 au 1er avril 1999).

   À ce sujet, le juge Muldoon a déclaré ce qui suit dans Re Hui (1994), 24 Imm.L.R. (2d) 8, aux pages 14 et 15 :

À quoi vise le critère législatif? Sûrement pas que les requérants s'absentent du Canada pour au moins trois ans sur quatre. Le législateur entend conférer la citoyenneté non pas à des étrangers de fait, mais à des personnes qui ont résidé au Canada, et non pas à l'étranger, pendant trois des quatre années précédentes. Il entend conférer la citoyenneté à ceux qui se sont « canadianisés » en résidant avec les Canadiens au Canada. Ceci ne peut se faire en habitant à l'étranger, ni d'ailleurs en ouvrant des comptes bancaires et en déposant des loyers, des meubles, des vêtements et, encore plus important, des enfants et des conjoints - en un mot, tout sauf la personne intéressée elle-même - au Canada, tout en demeurant personnellement hors du Canada. Le législateur exige, pour être admissible à la citoyenneté, trois années de présence au Canada au cours des quatre années précédentes. Le législateur ne parle pas de déposer quoi que ce soit, ni d'établir un pied-à-terre où les meubles du requérant pourraient se « canadianiser » , ni de former l'intention, un jour, de devenir citoyen, ni d'acquérir un permis de conduire provincial.


Le demandeur prétend que les bordereaux de paye visant les années 1996 et 1998 ainsi que les lettres du directeur du service à la clientèle de la Banque Scotia et du directeur du service à la clientèle de la Banque de Montréal prouvent qu'il résidait au Canada. Je ne suis pas d'accord sur ce point. Je suis d'avis que ces documents ne démontrent pas que le demandeur ait établi ou maintenu une résidence au Canada lors de la période pertinente.

De même, la lettre du 24 juillet 1999 de Mohammed Chahrour qui confirmait que le demandeur était son colocataire n'indique pas la période pendant laquelle le demandeur vivait avec lui. En outre, le nom du demandeur ne figure pas sur le bail couvrant la période de juillet 1998 à juin 1999.

Quant à la lettre de l'employeur du demandeur en date du 15 juillet 1999, rien n'indique, tout d'abord, le moment précis où le demandeur a commencé à travailler chez Subway ni s'il y travaille encore. De plus, ayant examinéles documents figurant au dossier, je ne peux trouver aucun élément de preuve démontrant le lieu de travail du demandeur en 1996.

En ce qui concerne les [Traduction] « Renseignements sur l'employé pour la période du 01-10-98 au 15-07-99 » se trouvant à la page 36 du dossier du juge de la citoyenneté, ils ne sont pertinents que pour la période comprise entre novembre 1998 et juillet 1999. De même, les renseignements relatifs à la période suivant le 1er avril 1999 ne sont pas pertinents pour la présente affaire. Sur la base du même raisonnement, les documents contenus aux pages 37 et 38 du dossier du juge de la citoyenneté ne sont également pas pertinents en l'espèce.

À la lumière de ce qui précède, je suis d'avis que les conclusions tirées par le juge de la citoyenneté sont raisonnables et appuyées par la preuve.


Le demandeur allègue aux paragraphe 13 de son affidavit et 16 de son mémoire des faits et du droit qu'il a présenté les pages de son passeport, étampées, conformément à la trousse d'instructions accompagnant le formulaire de demande de citoyenneté qu'il a reçu. À la lumière de la preuve dont je dispose, j'estime que cet argument est sans fondement.

À la page 83 du dossier du juge de la citoyenneté, une lettre du 23 juin 1999 adressée au demandeur lui demande clairement de fournir une copie de [Traduction] « ses passeports en vigueur et expirés (toutes les pages) » . Le demandeur ne s'est pas conformé à cette demande puisqu'il a présenté une copie de son passeport no 0955332 qui ne comprenait que les pages suivantes : 1 à 5, 8 à 25, 30 à 33 et 40 à 47.

Comme le démontrent les motifs de la décision du juge à la page 7 de son dossier, on a présenté ces faits au demandeur, mais celui-ci a été incapable de fournir une explication satisfaisante :

A cause des notes inscrites au SSOBL ainsi que les notes manuscrites de l'agent de l'immigration et aussi à cause du manque de pages (12 pages) au passeport.

J'ai questionné cette personne sur le manque de page puis sur ces absences réelles, était-ce vraiment tel que mis au dossier c.a.d. 22 jours?

Il a semblésurpris du manque de page. Et a insisté qu'il ne s'était pas absenté àplusieurs reprises. Je lui ai dit alors que sa réponse contredisait le rapport que j'avais. Que nous, (les juges) faisons passer les auditions pour aider les appliquants à s'expliquer si nécessaire et non pas pour refuser.

A toutes les questions posées il semblait très à l'aise sauf pour le côté absences. . . .

Étant donné que la question de la résidence se situe au coeur de la présente affaire, j'estime que le juge de la citoyennetés'est acquittée de son obligation d'examiner tous les éléments de preuve documentaires dont elle disposait, notamment les inscriptions au passeport, et de celle de vérifier l'exactitude du nombre d'absences du Canada (voir Canada (M.C.I.) c. Jreige (1999), 175 F.T.R. 250). Le demandeur n'a pas réussi à convaincre la Cour que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit ou qu'elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle était saisie.


Pour l'ensemble de ces motifs, le présent appel est rejeté.

                   « YVON PINARD »                     

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-155-01

INTITULÉ :                           Bassem Chahrour c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 12 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

EN DATE DU :                    5 juillet 2002                      

ONT COMPARU

M. Gregory Azancot                    POUR LE DEMANDEUR

M. Mario Blanchard                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lapin Mauer                           POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Westmount (Québec)

M. Morris Rosenberg                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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