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Date : 20010810

Dossier : IMM-3794-01

IMM-3796-01

Référence neutre : 2001 CFPI 877

Ottawa (Ontario), le 10 août 2001

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

LEON BROWN

représenté par sa tutrice au litige

CARMEN BROWN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par le demandeur en vue d'obtenir une ordonnance accordant un sursis à son expulsion qui a été fixée par l'agent chargé du renvoi au 13 août 2001. C'est la décision de l'agent chargé du renvoi en date du 7 août 2001 de ne pas différer le renvoi qui fait l'objet des demandes de contrôle judiciaire. Le demandeur doit être renvoyé en Jamaïque.


[2]                Le demandeur est âgé de 36 ans et il a obtenu le statut de résident permanent au Canada en 1979. Selon l'affidavit de sa mère, il souffre d'une légère déficience mentale et a un quotient d'environ 47.

[3]                Après qu'un diagnostic eut établi que le demandeur souffrait de schizophrénie en 1983, ce dernier a commencé à enfreindre la loi et a été condamné à plusieurs reprises, la dernière condamnation remontant à 1993.

[4]                En 1993, le demandeur a été déclaré financièrement incapable et depuis, ses affaires sont gérées par le curateur public.

[5]                En 1997, on lui a prescrit de la clozapine, qui est un traitement efficace contre le type de schizophrénie dont il est atteint. D'autres médicaments qui lui ont été prescrits n'ont eu aucun effet. Depuis que le demandeur prend de la clozapine, il y a eu une amélioration marquée dans le contrôle de sa maladie.

[6]                Le demandeur a trois frères qui sont tous atteints de maladie mentale. Ses trois frères ont été renvoyés en Jamaïque. Son frère, Ronald, est mort en Jamaïque dans des circonstances que sa mère croit liées à sa maladie mentale. Le frère du demandeur, Earl, est schizophrène et après qu'il eut été expulsé en Jamaïque, il a disparu. Sa mère croit qu'il est mort. Son troisième frère, Mark, est à l'hôpital psychiatrique Bellevue en Jamaïque et, selon sa mère, il ne va pas très bien.


[7]                Apparemment, si un patient de Bellevue devient un cas difficile, on lui donne son congé et il est forcé de vivre dans la rue. Si des allégations d'infractions criminelles sont portées contre ce patient, celui-ci est détenu dans une prison ordinaire.

[8]                La preuve concernant la possibilité d'obtenir de la clozapine à l'hôpital Bellevue est contradictoire. Les documents du défendeur indiquent qu'un médicament équivalant à la clozapine est disponible à l'hôpital Bellevue.

[9]                La preuve médicale indique que le demandeur a besoin de clozapine pour traiter sa maladie et que c'est le seul médicament qui lui permet de contrôler efficacement son état.

[10]            Le demandeur a présenté une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire.

[11]            Question en litige

Une ordonnance devrait-elle être rendue pour surseoir à l'ordonnance de renvoi ?

[12]            Analyse et décision

Il est maintenant établi que l'agent chargé du renvoi dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire et qu'il peut, dans certaines circonstances, différer le renvoi d'un demandeur (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 295 (C.F. 1re inst.)).


[13]            Afin d'obtenir un sursis, le demandeur doit satisfaire aux conditions énoncées dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), à la page 305 :

Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C 396 [le renvoi 3 est joint au jugement]. Ainsi, que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :

[TRADUCTION] Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le requérant prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.

Le demandeur doit satisfaire aux trois conditions du critère à trois volets.

[14]            Une question sérieuse

Je suis d'avis que le demandeur a soulevé des questions sérieuses à instruire, notamment les suivantes :

1.          L'agent chargé du renvoi a-t-il commis une erreur en déclarant [TRADUCTION] « qu'aucune nouvelle information n'avait été fournie, et que les mêmes rapports médicaux avaient été envoyés aux autorités jamaïcaines » ?

2.          L'agent chargé du renvoi aurait-il dû différer le renvoi en attendant le résultat d'une évaluation du risque ?

3.          L'expulsion du demandeur en Jamaïque est-elle contraire aux principes de justice fondamentale ?


[15]            Le préjudice irréparable

La preuve documentaire et par affidavit établit que les personnes atteintes de maladie mentale, comme le demandeur, ne continuent peut-être pas de recevoir des traitements si leur état devient trop difficile à traiter. Si le demandeur ne peut demeurer à l'hôpital Bellevue, il sera renvoyé à la rue. Si le passé fournit une quelconque indication pour l'avenir, le demandeur enfreindra vraisemblablement la loi s'il vit dans la rue sans aucun traitement pour sa maladie. S'il contrevient à la loi, il sera arrêté et détenu dans une prison ordinaire. Il faut se rappeler que le demandeur ne peut même pas gérer ses propres finances personnelles.

[16]            À l'heure actuelle, la maladie du demandeur est efficacement traitée au moyen de la clozapine et un travailleur de la santé compétent s'occupe de lui. Si le demandeur est expulsé en Jamaïque avant qu'une décision soit prise concernant ses demandes, la preuve dont je suis saisi indique qu'il pourrait se retrouver à la rue sans traitement et sans soutien financier ou affectif. Le résultat final sera que le demandeur, qui souffre d'une maladie mentale et dont la déficience mentale légère a été diagnostiquée, pourrait se retrouver dans une prison ordinaire pour manquements à la loi puisqu'il a tendance à contrevenir à la loi quand il n'est pas traité. À mon avis, cela constitue un préjudice irréparable pour le demandeur.

[17]            La prépondérance des inconvénients


Le défendeur fait valoir que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Il fait référence aux coûts qui incombent aux contribuables pour subvenir aux besoins du demandeur au Canada en attendant qu'une décision soit prise sur ses demandes. Je crois que ces coûts sont un prix très minime à payer au regard du maintien de la santé mentale améliorée du demandeur jusqu'à ce qu'on ait décidé de ses demandes. Le défendeur pourra toujours appliquer les dispositions de la Loi sur l'immigration si le demandeur n'a pas gain de cause dans ses demandes et le délai ne sera pas indûment long. Je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur.

[18]            L'ordonnance de renvoi rendue contre le demandeur, Leon Brown, est par les présentes suspendue jusqu'à ce que les demandes de contrôle judiciaire fassent l'objet d'une décision finale ou jusqu'à ce que sa demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire soit traitée, si cette date est ultérieure.

ORDONNANCE

[19]            LA COUR ORDONNE que l'ordonnance de renvoi soit suspendue jusqu'à ce que les demandes de contrôle judiciaire fassent l'objet d'une décision définitive ou jusqu'à ce que sa demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire soit traitée, si cette date est ultérieure.

                                                    « John A. O'Keefe »              

                                                                           JUGE                     

Ottawa (Ontario)

le 10 août 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :      IMM-3794-01 et IMM-3796-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Leon Brown, représenté par sa tutrice au litige

Carmen Brown c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa et Toronto

DATE DE LA TÉLÉCONFÉRENCE :         le 9 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

DATE :                        le 10 août 2001

ONT COMPARU

Lorne Waldman                                     POUR LE DEMANDEUR

Stephen Gold                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman, Waldman et associés                          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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