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Date : 20050916

Dossier : IMM-9215-04

Référence : 2005 CF 1244

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

VARINDER PAL SINGH BHATIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                « L'obligation d'équité assujettie à la révision ne s'étend pas aux procédures qu'un administrateur, dans l'exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire, établit pour assurer le respect des objectifs des lois et règlements qu'il administre[1] » .

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur sollicite un bref de mandamus enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) d'examiner la demande de résidence permanente présentée par le demandeur en tant que réfugié au sens de la Convention.

RAPPEL DES FAITS

[3]                Le demandeur, M. Varinder Pal Singh Bhatia, citoyen de l'Inde, est arrivé au Canada le 17 avril 1993.

[4]                Le 8 novembre 1994[2], la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a reconnu le statut de réfugié à M. Bhatia.

[5]                Le 18 novembre 1994, M. Bhatia a présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente en tant que réfugié au sens de la Convention[3], demande qui a été approuvée en principe (c.-à-d. sous réserve de la vérification de son dossier médical et de ses antécédents judiciaires et du contrôle de sécurité) le 14 décembre 1994[4]. Le traitement de cette demande de résidence permanente a cessé le 27 avril 1998[5], car le ministre avait ouvert une enquête qui a débouché, le 19 octobre 1999, sur la demande qu'il a soumise à la Commission pour qu'elle réexamine et qu'elle annule le statut de réfugié qui avait été accordé à M. Bhatia. L'audience de la Commission s'est déroulée le 21 novembre 2000 et le 7 mai 2001[6]. La Commission a annulé, le 25 septembre 2001, le statut de réfugié qui avait été accordé à M. Bhatia[7]. Notre Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de cette décision le 25 novembre 2002 et elle a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle la réexamine. Par avis daté du 19 septembre 2003, le ministre s'est désisté de sa demande de réexamen et d'annulation du statut de réfugié de M. Bhatia.

[6]                Depuis, M. Bhatia a écrit au ministre pour lui demander de préciser quand une décision serait prise au sujet de sa demande de résidence permanente. Il n'a pas encore reçu de réponse.

[7]                M. Bhatia a déposé, le 3 novembre 2004, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire dans laquelle il sollicite un bref de mandamus.

[8]                Le 8 février 2005, le représentant du ministre a écrit à M. Bhatia pour lui réclamer une demande de résidence permanente actualisée, ses empreintes digitales et des photographies de format passeport, le tout afin de faciliter le contrôle sécuritaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le 16 mars 2005, Citoyenneté et Immigration Canada a reçu la demande actualisée, les empreintes digitales et les photographies de M. Bhatia.

Le 14 février 2005, le certificat de santé de M. Bhatia a été prolongé jusqu'au 9 décembre 2005.

[9]                Le 7 juin 2005, la GRC a délivré un certificat de police concernant M. Bhatia[8].

[10]            L'habilitation de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité, qui avait été demandée d'urgence en février 2005, est toujours valide. M. Bhatia a fait l'objet d'une dénonciation, en l'occurrence une lettre anonyme reçue le 9 juin 2004 au Centre de traitement des demandes de Vegreville (Alberta). Le ministre a précisé que cette lettre fait présentement l'objet d'une enquête[9].

QUESTION EN LITIGE

[11]            Le prononcé d'un bref de mandamus enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration d'examiner la demande de résidence permanente de M. Bhatia est-il justifié pour cause de délai déraisonnable ?

ANALYSE

[12]            Les conditions suivantes doivent être réunies pour que le tribunal puisse délivrer un bref de mandamus, lequel constitue une réparation en equity :

1) il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public;

2) l'obligation doit exister envers le demandeur;

3) il doit exister un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment,

a) le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu une demande d'exécution de l'obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4) il n'existe aucun autre recours;

5) l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6) compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue[10].

[13]            La principale question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la troisième condition est remplie, en particulier s'il y a eu un délai déraisonnable.

1.          Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public

[14]            L'obligation légale de trancher la demande de résidence permanente est prévue au paragraphe 21(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[11] :

Zone de Texte: 21(2) Sous réserve d'un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre , -- sauf dans le cas d'une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d'une catégorie réglementaire -- dont l'agent constate qu'elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu'elle n'est pas interdite de territoire pour l'un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38. [Non souligné dans l'original.] Zone de Texte: 21(2) Except in the case of a person described in subsection 112(3) or a person who is a member of a prescribed class of persons, a person whose application for protection has been finally determined by the Commission to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, or a person whose application for protection has been allowed by the le minister becomes, subject to any federal-provincial agreement referred to in subsection 9(1), a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection36(1) or section 37 or 38. (Emphasis added)

Les conditions prévues par la loi ne sont assujetties à aucun paramètre temporel ou pragmatique. Le passage souligné dans l'extrait précité ne fait l'objet d'aucune limite de temps. Ce qui est raisonnable et ce qui est déraisonnable varie d'un cas à l'autre puisque chaque cas est un cas d'espèce. La loi précitée prévoit l'exercice légitime d'un pouvoir discrétionnaire.

2. L'obligation doit exister envers le demandeur

[15]            M. Bhatia a effectivement soumis une demande de résidence permanente en 1994. Le ministre a donc l'obligation de trancher sa demande.

3. Il doit existerun droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation

[17]       Premièrement, M. Bhatia doit avoir satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à l'obligation du ministre de trancher sa demande de résidence permanente. M. Bhatia a effectivement satisfait à toutes ces conditions, puisqu'il a dûment soumis sa demande et qu'il a fourni tous les renseignements et documents exigés de lui. M. Bhatia n'a pas omis de répondre aux demandes qui lui ont été adressées.

[18]       En second lieu, il doit y avoir eu une demande d'exécution de l'obligation, un délai raisonnable doit avoir été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il doit y avoir eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable. Pour qu'un délai dans l'accomplissement d'une obligation légale puisse être considéré comme déraisonnable, les conditions suivantes doivent être remplies :

(1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige prima facie;

(2) le demandeur et son conseiller n'en sont pas responsables;

(3) l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante[12].

[19]       En l'espèce, bien que la demande de résidence permanente ait été soumise en 1994, la Cour ne peut tenir compte que de la période commençant le 19 septembre 2003, lorsque le ministre s'est désisté de sa demande de réexamen et d'annulation du statut de réfugié de M. Bhatia, ce qui représente une période de moins de deux ans.

[20]       La période comprise entre la fin de 1994 et le 19 septembre 2003 ne représente pas un délai excessif étant donné qu'elle englobe le traitement de la demande de résidence permanente commençant en décembre 1994, l'enquête menée par le ministre à la suite de la lettre anonyme reçue au Haut-commissariat à New Delhi, le 15 mai 1996[13], l'entrevue menée avec l'épouse de M. Bhatia le 24 février 1997[14] qui a suscité des doutes au sujet de la véracité des faits sur lesquels reposait la décision favorable rendue en 1994 au sujet du statut de réfugié de M. Bhatia, la demande présentée par le ministre le 19 octobre 1999 en vue de faire annuler le statut de réfugié de M. Bhatia, l'annulation de son statut de réfugié par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 25 septembre 2001[15], le contrôle judiciaire à la suite duquel l'affaire a été renvoyée à la Commission le 25 novembre 2002 pour qu'elle procède à un nouvel examen[16] et, enfin, le désistement, par le ministre, de sa demande d'annulation du statut de réfugié de M. Bhatia, le 19 septembre 2003. Certes, le temps qui s'est écoulé entre la fin de 1994 et le 29 septembre 2003 a pu sembler une éternité pour M. Bhatia, surtout si l'on tient compte de l'issue de la procédure d'annulation, mais il s'inscrivait dans le cadre d'une procédure légitime.

[21]       Pour ce qui est de la période ayant suivi le 19 septembre 2003, le dossier ne renferme aucun élément de preuve qui permettrait de penser que M. Bhatia ou son avocat sont responsables du délai écoulé depuis le 19 septembre 2003.

[22]       Le ministre a fourni des explications valables pour justifier une partie du délai, soit celui écoulé depuis février 2005. Le 14 février 2005, le certificat médical de M. Bhatia a été prolongé jusqu'au 9 décembre 2005. Le 7 juin 2005, la GRC a délivré un certificat de police concernant M. Bhatia. L'habilitation de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité, qui avait été demandée d'urgence en février 2005, est toujours valide. M. Bhatia fait par ailleurs l'objet d'une dénonciation, en l'occurrence une lettre anonyme reçue le 9 juin 2004 au Centre de traitement des demandes de Vegreville (Alberta). Le ministre a précisé que cette lettre fait présentement l'objet d'une enquête. Le ministre n'a toujours pas fourni d'explications au sujet de ce qui s'est passé entre le 19 septembre 2003 et février 2005. Il s'agit d'une période d'environ un an et demi. Vu l'ensemble des faits relatés par les deux parties en ce qui concerne la procédure d'immigration, la Cour ne peut conclure que le délai en question est déraisonnable[17].

[23]       Ayant conclu que M. Bhatia n'a pas réussi à convaincre la Cour que le délai dans l'accomplissement de l'obligation légale de trancher sa demande de résidence permanente était déraisonnable, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres conditions régissant le prononcé d'un bref de mandamus.

DISPOSITIF

[24]       Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la question en litige. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9215-04

INTITULÉ :                                                    VARINDER PAL SINGH BHATIA

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 8 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Leigh Salsberg                                                   POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

WALDMAN & ASSOCIATES                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice

et procureur général adjoint



[1] Choi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 857; (1990), 37 F.T.R. 297, à la page 307. Non souligné dans l'original.

[2]Dossier du procès, à la page 177.

[3]Dossier du procès, aux pages 232 et 237.

[4]Dossier du procès, aux pages 225 et 151.

[5]Dossier du procès, à la page 29.

[6] Dossier du procès, aux pages 102-103.

[7] Dossier du procès, à la page 103. On se souviendra que M. Bhatia a soumis une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire le 19 décembre 2001 en vue d'obtenir le droit d'établissement depuis le Canada. Bien que les deux parties la mentionnent, cette demande n'est pas analysée dans les présents motifs étant donné qu'elle ne se rapporte pas directement aux questions relatives au bref de mandamus qui sont traitées dans la présente instance.

[8]1. Le 17 avril 1993, les autorités de l'immigration ont reçu un appel téléphonique anonyme, dans lequel la source indiquait que M. Bhatia avait assassiné sa petite amie en Inde et était impliqué dans le trafic des stupéfiants (dossier du procès, à la page 140). Cette information a conduit à la détention préventive de M. Bhatia avant l'introduction de l'instance relative à son statut de réfugié (dossier du procès, aux pages 317, 357).

2. Lettre anonyme reçue par le Haut-commissariat du Canada, à New Delhi, le 15 mai 1996 (dossier du procès, à la page 241).

3. Lettre anonyme reçue le 9 juin 2004 par le Centre de traitement des demandes de Vegreville (Alberta). Suivant cette lettre, M. et Mme Bhatia sont impliqués notamment dans des activités criminelles et terroristes (dossier du procès, aux pages 17 et 18). Cette lettre fait présentement l'objet d'une enquête (affidavit de Denise Larson, paragraphe 16).

[9] M. Bhatia affirme également dans ses observations qu'il ne peut parrainer sa femme. Les faits sont pourtant clairs : les membres de sa famille, sa femme et ses deux enfants ont obtenu le statut de résident permanent. Ils ont obtenu le droit d'établissement à l'aéroport Lester B. Pearson, le 7 mars 2004, en tant que personnes à charge d'un réfugié au sens de la Convention, huit mois avant même que M. Bhatia ne présente sa demande.

[10] Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); Khalil c. Canada (Secrétariat d'État) (C.A.), [1999] 4 C.F. 661; Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (C.F. 1re inst.).

[11] L.C. 2001, ch. 27; voir aussi Choi, précité.

[12] Voir, par exemple, les jugements Conille, précité, et Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 90 (C.F. 1re inst.).

[13] Dossier du procès, à la page 241.

[14] Dossier du procès, à la page 70.

[15] Dossier du procès, à la page 69.

[16] Dossier du procès, aux pages 68-69.

[17] Choi, précité.

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