Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050727

Dossier : T-2163-03

Référence : 2005 CF 1040

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

SHELL CANADA LIMITED

demanderesse

et

P.T. SARI INCOFOOD CORPORATION

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT MacKAY

[1]                La demanderesse, Shell Canada Limited (Shell), interjette appel d'une décision en date du 15 septembre 2003 par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté l'opposition de Shell à la demande présentée par la défenderesse sous le numéro 866545 en vue de faire enregistrer la marque de commerce JAVACAFÉ destinée à être employée au Canada. Cette demande était fondée sur l'enregistrement et l'emploi, par P.T. Sari Incofood Corporation, de la marque en question dans son pays, l'Indonésie, et de son emploi projeté au Canada en liaison avec une foule de produits alimentaires nommément désignés.


[2]                Les seules marchandises en litige dont la demanderesse fait état dans son opposition sont les suivantes : « poudre à café, graines de café cuites, café instantané, café lyophilisé, café en poudre » , qui font toutes partie des marchandises nommément désignées revendiquées en liaison avec la marque de commerce dont la défenderesse demande l'enregistrement.

[3]                La demande d'enregistrement en question, qui a été déposée le 15 janvier 1998, a été annoncée aux fins d'opposition le 8 mars 2000. La demanderesse a produit deux mois plus tard une déclaration d'opposition dans laquelle elle réclamait le refus de l'enregistrement projeté au motif que la marque de commerce JAVACAFÉ n'est pas enregistrable et qu'elle n'est pas distinctive des marchandises en litige.

[4]                Le registraire a estimé que, pour faire droit aux motifs d'opposition, à savoir le caractère non enregistrable de la marque au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée (la Loi) et l'absence de caractère distinctif, il lui fallait d'abord conclure que la marque de commerce JAVACAFÉ donne une description claire, en langue française ou anglaise, de la nature, de la qualité ou du lieu d'origine des marchandises en litige.


[5]                L'agente d'audience a estimé que la preuve dont elle disposait ne lui permettait pas de conclure qu'un Canadien francophone, en voyant le mot JAVACAFÉ, aurait immédiatement l'impression que les produits du café associés à cette marque viennent de Java. De plus, rien ne permettait de penser que le Canadien anglophone moyen saurait que JAVA est une île reconnue pour son café ou même que la première impression qu'aurait cette personne, en tant qu'acheteur éventuel, en voyant la marque dans le contexte dans lequel elle est employée, trouverait que la marque donne une description claire des marchandises. De plus, même si le mot « java » évoque pour lui le mot « coffee » et que le mot « café » a pour lui la même connotation, il n'en demeure pas moins que le mot JAVACAFÉ ne donne pas une description claire des marchandises en litige.

[6]                Le 8 novembre 2003, Shell a déposé la présente demande dans laquelle elle interjette appel de la décision du registraire conformément à l'article 56 de la Loi. Les deux parties ont ensuite déposé deux autres affidavits : le premier, qui a été souscrit pour le compte de la demanderesse, a été déposé au soutien de l'appel interjeté par la demanderesse et le second, qui a été signé au nom de la défenderesse, vise à appuyer la thèse de la défenderesse suivant laquelle la demande doit être rejetée. Aucun des auteurs des affidavits n'a été contre-interrogé.

Les questions en litige

[7]                Le présent appel soulève trois questions.

A.                  La première concerne la norme de contrôle applicable à l'appel de Shell.

B.                  La deuxième porte sur la question de savoir si le registraire a commis une erreur en concluant que la marque de commerce JAVACAFÉ n'est pas admissible à l'enregistrement en raison de l'alinéa 12(1)b) de la Loi.


C.                  La troisième question, qui est soulevée par la demanderesse, est celle de savoir si le registraire a commis une erreur en ne concluant pas que la marque JAVACAFÉ ne possède pas de caractère distinctif au sens de l'alinéa 38(2)d) et de l'article 2 de la Loi.

Je vais examiner ces questions à tour de rôle.

La norme de contrôle

[8]                                                                                                                                         Il est de jurisprudence constante que :

[...] les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire. (John Labbatt Ltd. et al. c. Brasseries Molson, sociétéen nom collectif, [2000] 3 C.F. 145, (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, à la page 196 (C.A.F.)).

[9]                  Lorsque, comme en l'espèce, des éléments de preuve supplémentaires sont déposés devant la Cour après le prononcé de la décision du registraire conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, mais que l'on constate que ces éléments de preuve n'auraient eu aucune incidence concrète sur la décision du registraire, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter (Toys R Us (Canada) Ltd. et al. c. Manjel Inc. (2003), 24 C.P.R. (4th) 470 (C.F.), au paragraphe 30, la juge Tremblay-Lamer, Sunbeam Products, Inc. c. Mister Coffee & Services Inc., 2001 CFPI, au paragraphe 14, le juge Kelen).


Le caractère descriptif de la marque de commerce en litige

[10]             L'alinéa 12(1)b) de la Loi dispose :

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[11]             La date à retenir lorsqu'il s'agit de déterminer si une marque de commerce est enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)b) est la date du dépôt de la demande (Fiesta Barbecues Ltd. c. General Housewares Corp., (2003) 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F.) au paragraphe 26, le juge Russell, Lightning Fastener Co. c. Canadian Goodrich Co., [1931] R.C. de lch. 90; conf. à[1932] R.C.S. 189, appliqué dans le jugement Association of Professional Engineers of Ontario c. Registrar of Trade-Marks (1959), 31 C.P.R. 79 (R.C. de lch.) à la page 88).


[12]             Mon examen des éléments de preuve complémentaires déposés devant la Cour m'amène aux conclusions suivantes. L'affidavit de Mme Gay J. Owens, qui a été déposé pour le compte de la demanderesse Shell, a été souscrit le 18 décembre 2003. Il renferme les résultats de son analyse des enregistrements actifs et des demandes d'enregistrement de marques de commerce à la suite d'une recherche informatique dans les dossiers du registraire. Elle a trouvé 33 marques de commerce composées du mot JAVA. Seulement deux de ces marques sont formées de ce mot accolé à un ou plusieurs autres, comme dans le cas de la marque en litige, JAVACAFÉ, et seulement deux autres marques comprennent le mot « CAFÉ » qui se retrouve avec d'autres mots dans le dessin illustré avec une marque de commerce composée du mot séparé JAVA. Tout ce que les marques ainsi relevées permettent d'affirmer, c'est que certaines autres marques déposées comprennent les lettres JAVA, que l'on retrouve habituellement en un seul mot. Ces éléments de preuve n'auraient pas eu d'incidence sur la décision du registraire parce qu'ils sont postérieurs de presque cinq ans à la date pertinente, c'est-à-dire la date de la demande déposée en janvier 1998.


[13]             Le second affidavit supplémentaire qui a été déposé dans la présente demande présentée par la demanderesse est celui de M. Tawfic Nessim Abu-Zahra. Il renferme notamment des extraits de dictionnaires et d'encyclopédies de langue française et de langue anglaise concernant les mots JAVA et CAFÉ. D'autres renseignements, provenant d'ouvrages ou de brochures que l'on peut consulter dans les bibliothèques publiques, traitent de l'histoire du commerce du café et de celle de l'Indonésie et de sa géographie et de ses principaux produits. La date de publication de la plupart de ces documents est postérieure à la date pertinente du 15 janvier 1998. L'agent d'audience disposait des définitions des mots « café » et « java » extraites des dictionnaires. Ces définitions ne renfermaient pas de nouveaux éléments d'information. Il n'y a aucun élément de preuve qui permette de penser que les références citées s'appliquaient à la date pertinente ou que les consommateurs canadiens, en prenant connaissance des références et des définitions proposées, auraient immédiatement l'impression qu'elles décrivent la nature et l'origine des marchandises en question comme le propose Shell.

[14]             Les autres renseignements fournis par M. Abu Zahra concernent divers emballages de produits du café portant les noms « Colombien » , « Pérou » , « Mocha Java » , « Costa Rica » , « Guatemala » vraisemblablement pour démontrer que les produits achetés seraient associés aux produits du café du pays auquel leur nom renvoie manifestement. Ces éléments de preuve ne répondent pas aux préoccupations exprimées par le registraire au sujet de l'insuffisance de la preuve quant à l'association, comme première impression dans l'esprit des acheteurs canadiens ordinaires francophones ou anglophones, avec l'île de Java comme source du café. Qui plus est, ces éléments de preuve se rapportent tous à des achats effectués en 2003, longtemps après la date qui nous intéresse en l'espèce.

[15]             Parmi les éléments de preuve supplémentaires soumis à la Cour pour le compte de la défenderesse, il y a lieu de mentionner un affidavit, auquel ont été jointes des annexes et qui a été souscrit le 4 février 2004 par Mme Karen E. Thompson, qui joint à son affidavit une copie certifiée conforme d'un dossier du bureau canadien des marques de commerce concernant une demande déposée le 28 mai 1999 par Shell au sujet de sa marque de commerce projetée « JAVA CAFÉ et dessin » , soit après la date à retenir pour évaluer le caractère enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi.


[16]             Le second affidavit supplémentaire présenté au nom de la défenderesse est celui qu'a souscrit Mme Nadia Effendi le 4 février 2004. À cet affidavit sont annexés des produits obtenus ou achetés dans un établissement de Shell Canada qui consistent en des marchandises désignées par les mots « JAVA CAFÉ » . À cet affidavit sont également annexés les résultats d'une recherche sur Internet de dictionnaires renfermant des définitions des termes français « café de Mexique » , « ¼ de Rio » et « café » , et les résultats négatifs d'une recherche en ligne de la signification des termes JAVACAFÉ et « java café » , ainsi que des photocopies de définitions du mot « mocha » tirées de dictionnaires. Tous ces renseignements ont été obtenus longtemps après la date pertinente et rien ne permet de conclure à l'applicabilité de ces éléments de preuve à la date pertinente.

[17]             En somme, je conclus qu'aucun des éléments de preuve supplémentaires soumis à la Cour dans le cadre de l'appel de la décision du registraire n'aurait pu avoir d'incidence concrète sur la décision de ce dernier. D'ailleurs, pratiquement aucun des éléments de preuve supplémentaires qui sont pour la plupart postérieurs à la date de la demande d'enregistrement de la marque de marque, en l'occurrence le 15 janvier 1998, n'avait quelque valeur que ce soit pour répondre aux préoccupations soulevées par l'agente d'audience au sujet des éléments de preuve dont elle disposait, en rapport avec l'alinéa 12(1)b). La norme de contrôle qui s'applique en l'espèce est donc celle de la décision raisonnable simpliciter.


[18]             Outre la question de l'appréciation des nouveaux éléments de preuve présentés dans le présent appel, la demanderesse soulève d'autres questions en ce qui concerne le caractère descriptif de la marque en question. Elle soutient que, lorsqu'on le prononce, ce mot inventé est en fait composé de deux mots, à savoir JAVA et CAFÉ, et que son caractère descriptif doit être considéré comme s'il s'agissait de deux mots, conformément à sa prononciation. Je ne suis pas convaincu que c'est ainsi que l'on doit procéder. Rien ne permet de penser que lorsqu'on la prononce, la marque comporte deux mots distincts du simple fait que les syllabes qui la composent peuvent être séparées pour former deux mots. La marque ne doit pas non plus être évaluée comme s'il s'agissait de « Café Java » ou de « Café de Java » . De plus, le sens des deux mots distincts suggérés ne confère pas au mot inventé un sens particulier qui donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises auxquelles il est associé ou à leur lieu d'origine.

[19]             L'argument de la demanderesse que l'enregistrement de la marque de commerce JAVA CAFÉ pourrait être contraire à l'esprit et à l'objet de l'alinéa 12(1)b) de la Loi n'est pas plus convaincant que dans le cas de toute autre marque verbale qui ne donne pas une description claire des marchandises auxquelles elle est associée.

[20]             Faute de nouveaux éléments de preuve pertinents, les arguments de la demanderesse suivant lesquels la marque de commerce donne une description claire des marchandises, tant en anglais qu'en français, invitent simplement la Cour à tirer une conclusion différente de celle à laquelle l'agente d'audience est arrivée au vu des mêmes éléments de preuve. Cette invitation n'établit pas que la décision de l'agente est déraisonnable en ce qui concerne l'alinéa 12(1)b). Rien ne justifie donc la Cour d'intervenir.


Caractère distinctif

[21]             La demanderesse s'oppose aussi à l'enregistrement de la marque de commerce en litige en invoquant le motif d'opposition prévu à l'alinéa 38(2)d) de la Loi, en l'occurrence que la marque n'est pas distinctive. L'article 2 de la Loi définit comme suit le mot « distinctive » :

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

[22]             L'argument de la demanderesse est que la marque n'est pas distinctive parce qu'elle donne une description claire de la nature, de la qualité ou du lieu d'origine des marchandises auxquelles son opposition est associée. Le caractère distinctif s'apprécie à la date d'opposition, en l'occurrence le 8 mai 2000. L'agente d'audience a rejeté ce motif d'opposition « car la preuve ne permet pas de conclure que la marque donnait une description claire à quelque date que ce soit » . Cette conclusion n'est remise en question par aucun élément de preuve ou argument soulevé dans la présente demande.

Dispositif

[23]             La demande d'annulation de la décision rendue au nom du registraire est rejetée. Le bien-fondé de cette décision, ainsi que des deux conclusions sur lesquelles elle repose, n'est remis en question par aucun élément de preuve ou argument soulevé dans le présent appel. Rien ne justifie de modifier la décision par laquelle l'opposition formée par la demanderesse à la marque de commerce JAVACAFÉ a été rejetée.


ORDONNANCE

[24]             LA COUR ORDONNE pour les motifs ci-dessus exposés, que la demande soit rejetée et que les dépens soient adjugés à la défenderesse.

« W. Andrew MacKay »

                    Juge suppléant

Ottawa (Ontario)

Le 27 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-2163-03

INTITULÉ :                                         SHELL CANADA LIMITED

c.

P.T. SARI INCOFOOD CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 8 décembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SUPPLÉANT MacKAY

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juillet 2005

COMPARUTIONS:

Steven B. Garland

Kohji Suzuki

POUR LA DEMANDERESSE

Susan Beaubien

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais srl

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.