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Date : 20050815

 

Dossier : IMM‑7172‑04

 

Référence : 2005 CF 1104

 

 

Ottawa (Ontario), le 15 août 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

 

GAUTAM BAPUBHAI VASHEE, KALPANABEN GAUTAM VASHEE, UNNATI GAUTAM, MIHIR GAUTAM VASHEE et KRUTIBEN GAUTAM VASHEE représentée par son tuteur à l’instance GAUTAM BAPUBHAI VASHEE

 

                                                                                                                                        demandeurs

 

                                                                             et

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, datée du 3 août 2004, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a révoqué le sursis au renvoi qui avait été accordé antérieurement aux demandeurs.

 


LES FAITS

 

[2]               Le demandeur principal, M. Guatam Bapubhai Vashee, est un citoyen zambien de 50 ans. Il est arrivé au Canada le 2 mai 1995 en qualité de résident permanent, accompagné de sa femme et de ses trois enfants (qui sont âgés à l’heure actuelle de 24, 20 et 17 ans). La résidence permanente a été accordée à la famille à la condition que le demandeur principal mette sur pied une entreprise dans les deux ans de son arrivée, qu’il participe activement à la gestion de celle‑ci, qu’il apporte une contribution importante à l’économie canadienne et qu’il procure de l’emploi à un ou plusieurs citoyens canadiens ou résidents permanents.

 


[3]               En juillet 1999, des mesures d’expulsion ont été prises à l’égard des demandeurs pour le motif que le demandeur principal n’avait pas respecté les conditions fixées. En particulier, le demandeur principal n’avait pas acheté ou mis sur pied une entreprise au Canada. Les mesures d’expulsion ont été confirmées en appel, mais la Commission a accordé un sursis au renvoi pour une période de 18 mois, conformément à l’alinéa 70(1)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, de façon à donner au demandeur principal une période supplémentaire pour qu’il puisse répondre aux conditions exigées. À l’expiration de la période de 18 mois, à savoir le 7 août 2002, la Commission a effectué un réexamen oral de la situation des demandeurs. Elle a noté que, si le demandeur principal n’avait pas encore investi dans une entreprise, il était sur le point d’effectuer une transaction concernant une entreprise de menuiserie qui devait se finaliser dans quelques mois. La Commission lui a accordé un autre sursis de 12 mois pour qu’il puisse conclure la transaction et remplir les conditions attachées à sa résidence permanente.

 

LA DÉCISION

 

[4]               Le 3 août 2004, la Commission a procédé à un autre réexamen de la situation des demandeurs. À la fin de l’audience, elle a ordonné que soit révoqué le sursis au renvoi et que l’appel contre les mesures d’expulsion soit rejeté. Voici les principaux motifs qu’a fournis la Commission à l’appui de sa décision défavorable :

·           Le demandeur principal n’a toujours pas respecté les conditions dont est assortie sa résidence permanente. Il a récemment mis sur pied deux nouvelles entreprises, une entreprise de nettoyage à sec et une épicerie, mais rien n’indique que ces entreprises apportent une contribution importante à l’économie canadienne.

 

·           Le demandeur principal n’a pas respecté une des conditions qui lui avaient été imposées au moment où il a obtenu la deuxième prorogation de délai. En particulier, il a déposé avec un retard de plus d’un mois le rapport faisant état de la situation de ses investissements commerciaux.

 

·           Selon la prépondérance des probabilités, le demandeur principal a trompé la formation antérieure de la Commission lorsqu’il a déclaré qu’il était sur le point d’investir dans une entreprise de menuiserie. Les preuves indiquent que le demandeur principal n’a jamais eu l’intention d’investir dans une telle entreprise et qu’en réalité, il ne l’a pas fait.

 

·           Le rapport sur l’état de sa situation qu’a déposé le demandeur principal contenait également des renseignements trompeurs. Dans le rapport daté de mars 2003, le demandeur principal déclarait que même si l’investissement dans l’entreprise de menuiserie avait été retardé, il serait achevé en avril 2003. Le demandeur principal a toutefois témoigné par la suite qu’il savait déjà, au mois de janvier ou de février 2003, qu’il n’allait pas effectuer cet investissement.

 


·           Même s’il est dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada, les autres facteurs l’emportent sur l’intérêt des enfants et justifient que soit révoqué le sursis à l’exécution des mesures d’expulsion.

 

 

 

[5]               La Commission reconnaît qu’on n’a présenté aucune observation précise ni aucun élément de preuve sur la question de l’intérêt supérieur des enfants. La Commission déclare aux paragraphes 19 et 20 de la décision :

 

¶19.         L’appelant et sa famille habitent au Canada depuis environ neuf ans, soit depuis qu’ils ont quitté la Zambie pour venir s’établir au Canada. Il s’agit d’une durée importante, et je reconnais qu’ils pourraient subir un préjudice en quittant le Canada pour retourner en Zambie. Mais, aucun élément de preuve particulier ne m’a été présenté montrant quel préjudice particulier ils pourraient subir ou dans quelles conditions ils allaient se retrouver. On ne m’a présenté aucun élément de preuve sur les conséquences précises qu’aurait le renvoi sur cette famille, ou comment les intérêts supérieurs des enfants seraient touché.

 

¶20.         Je suis prêt à reconnaître que quitter le Canada et retourner en Zambie pourrait être contraire à l’intérêt supérieur des enfants, dont l’un est étudiant universitaire et l’autre encore à l’école. Mais, je ne peux pas être plus précis ou pousser plus loin l’analyse de la question de l’intérêt supérieur des enfants parce qu’on ne m’a présenté aucun élément de preuve portant sur la nature de ces intérêts au Canada ou en Zambie. Cependant, comme je l’ai dit précédemment, je suis prêt à accepter et à souligner le fait qu’il serait de l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada où ils étudient depuis neuf ans. [Non souligné dans l’original.]

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[6]               Les demandeurs soulèvent la question clé suivante : la Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne commettant pas d’office un représentant pour la demanderesse mineure?

 


ANALYSE

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne commettant pas d’office un représentant pour la demanderesse mineure?

 

[7]               Au moment de l’examen oral du mois d’août 2004, la défenderesse mineure, Krutiben Gautam Vashee, avait 16 ans. Sa date de naissance, le 26 février 1988, figurait sur les documents présentés à la Commission. Le défendeur concède que la Commission a commis une erreur en ne désignant pas un représentant pour l’enfant mineur aux fins de cet appel. Il s’agissait d’un appel présenté aux termes de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (et ses modifications). Selon les dispositions transitoires de la nouvelle Loi, l’ancienne loi continue à s’appliquer à la présente affaire. Aux termes de l’ancienne loi et de son règlement, la Commission est tenue de commettre d’office un représentant pour les personnes de moins de 18 ans. Compte tenu des termes impératifs de la Loi, la Cour conclut que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de nommer un représentant pour la demanderesse mineure.

 


[8]               Cette conclusion ne met toutefois pas un terme à la présente analyse. Le défendeur soutient que l’omission de la part de la Commission de commettre d’office un représentant n’est pas fatale et que la Cour ne devrait modifier la décision que dans le cas où l’absence de représentant « aurait pu influer sur l’issue du litige ». Le défendeur invoque à l’appui de sa position la décision rendue par la juge Dawson dans l’affaire Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 178 (C.F.), dans laquelle elle a déclaré au paragraphe 10 :

Je conviens qu’il est nécessaire d’examiner les faits propres à chaque cas et qu’il se peut que le défaut de désigner un représentant n’ait pas pour conséquence de vicier la décision relative à une revendication. [...]

 

La jurisprudence sur cette question est constante. La Cour d’appel fédérale, par la voix de la juge Sharlow, a jugé dans l’arrêt Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n590, au paragraphe 6:

Nous sommes d’avis que le par. 69(4) de la Loi sur l’immigration impose une obligation à la Section du statut de réfugié de désigner un représentant pour toute personne qui revendique le statut de réfugié et qui répond aux critères établis par la loi. Cette obligation survient dès que la Section du statut de réfugié prend connaissance de ces faits. Dans le présent dossier, l’âge de la revendicatrice mineure était apparent dès le début des procédures et la Section du statut de réfugié aurait dû lui désigner un représentant au moment où des procédures de désistement ont été envisagées, ce qui aurait dû être fait à tout le moins avant le dépôt de la requête de réouverture de la revendication. Le défaut de la Section du statut de réfugié constitue une erreur qui a vicié la décision de refuser la requête.

 

 

[9]               La juge Dawson a déclaré ce qui suit aux paragraphes 17, 18, 20 et 21 de la décision Duale, précitée :

¶17.         Il importe également de prendre en compte l’objectif visé en nommant un représentant commis d’office. Les directives précisent que les fonctions d’un représentant commis d’office sont les suivantes :

 

Voici les fonctions qui incombent au représentant commis d’office :

-               retenir les services d’un conseil;

-               donner des instructions au conseil ou aider l’enfant à le faire;

-               prendre d’autres décisions concernant les procédures ou aider l’enfant à le faire;

-               informer l’enfant sur le traitement de sa revendication et les différentes étapes de la procédure;

-               aider à recueillir des éléments de preuve au soutien de la revendication;


-               présenter des éléments de preuve et témoigner;

-               agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

[En caractères gras dans l’original]

 

¶18.         M. Duale a franchi chaque étape de la procédure, à l’exception de l’audience même, sans l’aide qu’un représentant commis d’office était censé lui assurer. Plus particulièrement, M. Duale n’a pas pu bénéficier de l’aide d’un représentant commis d’office pour recueillir des éléments de preuve au soutien de sa revendication. Cela est contraire au but et à l’esprit de la Loi et des Règles, tout en étant contraire aux directives.

 

[...]

 

¶20.         À la lumière des trois premières conclusions de la SPR énoncées précédemment, je ne suis pas en mesure de conclure avec certitude que le défaut de nommer un représentant commis d’office n’avait pu influer d’une façon défavorable sur l’issue de la revendication. Un représentant commis d’office aurait été chargé d’aider M. Duale à recueillir des éléments de preuve. La preuve dont je dispose appuie l’inférence selon laquelle le processus de cueillette de la preuve n’a pas été ce qu’il aurait pu être. [...]

 

¶21.         Somme toute, pour reprendre ce que la juge Sharlow a déclaré au nom de la Cour dans l’arrêt Stumf, je suis convaincue que « la désignation d’un représentant dans ce dossier aurait pu influer sur l’issue du litige ».

 

[10]           Selon le défendeur, l’omission de commettre d’office un représentant pour un enfant mineur n’aurait pu influer sur l’issue de l’affaire, étant donné que la décision de la Commission a porté principalement sur les mesures prises par le demandeur principal et non pas sur les enfants. La Cour ne devrait donc pas intervenir sur ce point.

 


[11]           Je reconnais avec la juge Dawson que, selon le contexte, il peut exister des circonstances dans lesquelles l’omission de commettre d’office un représentant n’aura pas pour effet de vicier la décision en cause. Cependant, la Cour a adopté une interprétation stricte des obligations de la Commission sur ce point et l’omission de commettre d’office un représentant pour un mineur a constamment entraîné une ordonnance imposant la tenue d’une nouvelle audition ou un nouvel examen. Voir les arrêts et décisions Stumf c. (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 590 (C.A.F.), Kissoon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] 1 C.F. 301 (C.A.F.), Sibaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n1363 (C.F.), et Phillip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1820 (C.F. 1re inst.). En fait, dans la décision Duale, précitée, la juge Dawson a fait droit à la demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision relative à une demande d’asile pour le motif qu’elle n’était pas « en mesure de conclure avec certitude que le défaut de nommer un représentant commis d’office n’avait pu influer d’une façon défavorable sur l’issue de la revendication ».

 


[12]           J’ai examiné le dossier de la présente affaire et conclu, comme l’avait fait la juge Dawson, que l’omission de commettre d’office un représentant pour la demanderesse mineure aurait pu influer sur l’issue de l’affaire. Dans sa décision, la Commission fait expressément référence au fait qu’aucune observation n’a été présentée au sujet de l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle n’a donc pu procéder à une analyse détaillée de ces intérêts. Si un représentant commis d’office avait été chargé de représenter la mineure et instruit de sa responsabilité de représenter les intérêts de l’enfant, cette personne aurait alors pu présenter des éléments de preuve dans le but d’établir l’intégration de l’enfant dans sa collectivité et l’effet qu’aurait probablement sur elle le renvoi. Il est vrai que les intérêts des parents coïncide souvent avec ceux des enfants, mais il arrive que les intérêts de l’enfant diffèrent. La Commission a déjà annulé une mesure de renvoi prise à l’égard d’un demandeur mineur pour le motif que celui‑ci était bien intégré au Canada, tout en refusant d’annuler les mesures de renvoi prises à l’égard des autres membres de la famille. Baki Zada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] D.S.A.I. no 279. Par conséquent, il est possible de penser que l’issue aurait pu être différente si des observations particulières avaient été présentées au sujet des intérêts de la demanderesse mineure.

 

[13]           La Cour conclut donc que l’omission de commettre d’office un représentant aurait pu influer sur la décision prise à l’égard de la demanderesse mineure mais elle doit maintenant décider s’il y a lieu de faire droit à la demande de contrôle judiciaire à l’égard de ce seul enfant ou à l’égard de tous les membres de la famille. Les demandeurs soutiennent que l’omission de commettre d’office un représentant pour un mineur a pour effet de vicier l’ensemble de la décision et que la Cour devrait faire droit à la demande de contrôle judiciaire à l’égard de tous les membres de la famille.

 


[14]           La jurisprudence n’offre guère d’indication sur cette question. Je vais par conséquent suivre le raisonnement qu’a tenu la juge Dawson dans la décision Duale, précitée : si l’omission de commettre d’office un représentant pour un demandeur mineur aurait pu influer sur la décision prise à l’égard des autres membres de la famille, alors tous les demandeurs ont droit a un nouveau examen de la décision. D’après le dossier de la présente affaire, je conclus que l’omission de commettre d’office un représentant pour la demanderesse mineure aurait pu influer sur la décision tout entière. Lorsque la Commission décide d’accorder le sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion, elle doit tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants. Si un représentant avait été commis d’office et avait présenté des observations ou des éléments de preuve concernant l’intérêt supérieur de l’enfant mineure, la Commission aurait été obligée de concilier cet intérêt avec les autres facteurs pour rendre sa décision. Dans ces circonstances, il est possible que la Commission aurait rendu une autre décision à l’égard des autres membres de la famille et non pas à l’égard de la seule demanderesse mineure. Il incombe à la Commission de concilier l’intérêt supérieur de l’enfant et les considérations d’intérêt public consistant à renvoyer la totalité ou une partie des demandeurs qui ne répondent pas aux conditions qui leur ont été imposées au moment de leur entrée au Canada.

 

[15]           Aucun des avocats n’a sollicité la certification d’une question. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

 


                                                                ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission datée du 3 août 2004 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »                    

                                                                                                                                                     Juge                                  

 

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7172‑04

 

INTITULÉ :                                                   GAUTAM BAPUBHAI VASHEE ET AUTRES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 AOÛT 2005

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 AOÛT 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton                                     POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)                                             POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

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