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Date : 20060113

Dossier : T-989-86

Référence : 2006 CF 27

ENTRE :

EUGENE HOULE, HENRY QUINNEY, FINLAY MOSES,

NOAH CARDINAL, EMMA GLADUE, ALEX REDCROW, ALEX WHISKEYJACK, JOHN SHIRT et EDWIN QUINNEY

Pour leur propre compte et pour le compte des peuples de la Bande indienne de Saddle Lake

(anciennement la tribu des Cris résidant sur les réserves no 125 et no 125A)

demandeurs

et

SAM BULL, ERNEST JACKSON, MORRIS JACKSON et ALAN HOULE,

Pour leur propre compte et pour le compte des peuples de la Bande indienne de Whitefish

(anciennement la Bande de James Seenum de la tribu des Cris)

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

[1]                Dans la présente action, il appert qu'il y a deux groupes de demandeurs, à savoir la Bande indienne de Saddle Lake, une bande suivant la Loi sur les Indiens, qui est représentée par le premier groupe nommé de demandeurs individuels (ci-après nommé le groupe Saddle Lake), et la Bande de Whitefish Lake, qui est apparemment une partie constitutive semi-autonome du groupe Saddle Lake et est représentée par le deuxième groupe nommé de demandeurs individuels (ci-après nommé le groupe Whitefish Lake). L'action est en instance depuis presque 20 ans et durant presque tout ce temps le cabinet Ackroyd Piasta Roth and Day (ci-après nommé Ackroyd) a représenté conjointement les demandeurs.

[2]                Il appert que, en janvier 2005, le groupe Saddle Lake a perdu la confiance qu'il avait à l'égard d'Ackroyd et qu'il a mis fin au mandat de représentation en justice qu'il lui avait accordé. Une résolution du Conseil de Bande du groupe Saddle Lake, au même effet, a suivi en temps opportun. Les demandeurs demandent à la Cour par la présente requête de déclarer qu'Ackroyd est inadmissible à continuer à représenter le groupe Whitefish Lake au motif qu'il existe un conflit d'intérêts entre l'obligation d'Ackroyd envers ses anciens clients et son obligation envers les clients qu'il continue à représenter. Le groupe Whitefish Lake s'oppose à la présente requête. Contrairement à l'arrêt de principe Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, rendu par la Cour suprême, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il y a un « avocat qui vient de changer » , mais plutôt d'une affaire dans laquelle il y a un « client qui vient de changer » . À mon avis, des considérations différentes s'appliquent. En particulier, l'origine de la présente situation est le revirement d'opinion du client, le groupe Saddle Lake, et je ne puis, selon la preuve dont je dispose, tirer quelque conclusion selon laquelle Ackroyd s'est incorrectement comporté.

[3]                J'admets qu'il existait un lien de confidentialité entre Ackroyd et chacun de ses anciens clients. Toutefois, ce lien existait avec les deux clients conjointement. En tenant pour acquis qu'Ackroyd a agi conformément à ses obligations (et rien ne démontre qu'il ne l'a pas fait), toute confidence qu'il a reçue de l'un de ses clients conjoints aurait nécessairement été partagée avec l'autre client. Je ne puis non plus voir quelque conflit actuel entre les deux clients d'Ackroyd relativement aux questions à l'égard desquelles il a reçu de leur part des renseignements confidentiels. En tant que demandeurs conjoints et à l'égard de l'action comme elle est actuellement formulée, ils sont des entités distinctes dont les intérêts sont communs et non opposés.

[4]                Il n'y a pas de doute que, pour l'avenir, il existe une possibilité de conflit d'intérêts entre les deux groupes de demandeurs à l'égard de questions éventuelles comme l'existence distincte du groupe Whitefish Lake et la répartition entre les deux groupes du produit du litige. Ces questions semblent être des questions à l'égard desquelles le groupe Saddle Lake souhaite maintenant modifier les positions qu'il a antérieurement adoptées quant au litige, mais ces questions ne constituent guère un motif pour déclarer qu'Ackroyd est inadmissible à continuer à représenter le groupe Whitefish Lake. De plus, il y a apparemment une réclamation précise par le groupe Whitefish Lake visant une nouvelle répartition des terres de réserve. Mais, à mon avis, aucune de ces questions ne peut vraisemblablement placer Ackroyd dans une position dans laquelle il pourrait utiliser des renseignements confidentiels qu'il a reçus conjointement des deux demandeurs ou il serait tenté de le faire. De tels renseignements étaient de la même façon à la disposition du groupe Whitefish Lake et ce dernier n'a aucune obligation de confidentialité envers le groupe Saddle Lake. Le groupe Whitefish Lake peut utiliser de tels renseignements comme il le juge approprié et c'est la situation qui existe qu'il soit représenté par Ackroyd ou par quelqu'un d'autre. De toute façon, étant donné qu'aucun de ces différends n'est encore survenu dans la présente action, il sera toujours temps lorsqu'ils surviendront, s'ils le sont, de trancher la question de savoir si Ackroyd peut à bon droit continuer de représenter le groupe Whitefish Lake lors d'un tel différend.

[5]                J'ai également examiné en détail le Code de déontologie de l'Association du Barreau canadien. À mon avis, ce code n'impose pas à un avocat qui a été engagé conjointement par plus d'un client, lorsque l'un de ces clients met par la suite fin au mandat, l'obligation d'abandonner le client qui souhaite toujours continuer à retenir ses services. La possibilité de préjudice pour un tel client est très grande, notamment dans un cas comme dans le cas présent où le mandat remonte à environ 20 ans. Les coûts et les inconvénients pour trouver un nouvel avocat et retenir ses services, et le temps qui serait nécessaire pour que l'avocat se familiarise avec le dossier, constitueraient un fardeau injuste à une victime tout à fait innocente.

[6]                J'ai toutefois de sérieuses réserves quant à l'un des commentaires faits à l'égard de l'article 2 du Code de déontologie de la Law Society of Alberta. En soi, l'article 2 énonce simplement la règle reconnue selon laquelle un avocat [traduction] « ne doit pas représenter plus d'une partie dans une situation de conflit ou de conflit éventuel à moins que toutes ces parties y consentent [...] » . Le commentaire 2.2 à l'égard de cet article traite de l'obligation de divulgation de l'avocat, mais va plus beaucoup plus loin et exige que l'avocat [traduction] « stipule que si un différend survient, l'avocat sera tenu de cesser de représenter complètement les parties, à moins que, au moment où le différend survient, toutes les parties consentent à ce que l'avocat continue de représenter l'une d'elles » . Je suis d'avis, avec respect, que ce commentaire va beaucoup plus loin que le texte et l'intention de l'article et qu'il donne une interprétation, en faisant une hypothèse, voulant que dans tous les cas où un avocat qui a un mandat conjoint de deux clients ou plus se voit retirer son mandat par l'un de ces clients, il y aura toujours et inévitablement un différend entre les clients de sorte que l'avocat ne pourra continuer son mandat. Étant donné que les commentaires, comme le Code lui-même, ne doivent être utilisés que comme guide et qu'ils n'ont pas un effet liant pour la Cour, je refuse, avec respect, d'aller aussi loin dans ma conclusion. L'existence d'un différend dépend des faits de chaque cas et la preuve en l'espèce ne démontre pas qu'il y ait eu un manquement dans le comportement professionnel.

[7]                L'avocat du groupe Saddle Lake s'appuie fortement sur la décision Catholic Children's Aid Society of Toronto c. B. (S.), 2002 Carswell Ont 541, 24 R.F.L. (5th) 15 (Cour de justice de l'Ont.). À mon avis, cette affaire comportait des circonstances uniques se rapportant au bien-être d'un enfant battu et aux liens que maintenaient les parents de cet enfant; cette décision n'est pas applicable et elle ne devrait pas être suivie dans la présente affaire. La Cour devrait être très réticente à priver une partie du bénéfice de la représentation par l'avocat de son choix et la réticence à cet égard est plus élevée lorsque beaucoup de temps et d'argent ont été investis dans la relation. En l'espèce, le temps et l'argent investis sont très considérables.

[8]                La requête sera rejetée. Étant donné que le groupe Whitefish Lake estimait à juste titre qu'il devait être représenté par un avocat distinct quant à la requête (tant la Cour que l'avocat auraient été embarrassés si Ackroyd avait agi comme avocat), ses dépens à l'égard de la requête devraient être payés sans délai et sans égard à l'issue de la cause.

ORDONNANCE

La requête est rejetée. Le groupe Whitefish Lake aura droit à ses dépens qui seront taxés et payés sans délai et sans égard à l'issue de la cause.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

Signé le 13 janvier 2006

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-989-86

INTITULÉ :                                        EUGENE HOULE et al.

                                                            et

                                                            SAM BULL et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 11 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 13 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Tibor Osvat                                                                                POUR LES DEMANDEURS

                                                                                                               (SADDLE LAKE)

Donald R. Cranston, c.r.

POUR LES DEMANDEURS

(WHITEFISH)

Gregory G. Chase

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tibor Osvath                                                                            

Rae & Company                                                                      

Calgary (Alberta)                                                                        POUR LES DEMANDEURS

                                                    (SADDLE LAKE)

Donald R. Cranston, c.r.

Bennett Jones LLP                                                                          

Edmonton (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

(WHITEFISH)

Gregory G. Chase

Miles Davison McCarthy McNiven LLP

POUR LA DÉFENDERESSE

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