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Date: 19971125


Dossier: IMM-129-97

Entre :

     VADIM VLADIMIR SITNIKOV, INNA SITNIKOVA,

     ALEXANDRE SITNIKOV, ANDREI POPOV

     Partie Requérante

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie Intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

NADON J.

[1]      Le requérant, Andrei Popov, attaque une décision de la section du statut de réfugié (le "tribunal"), rendue à Montréal le 19 décembre 1996.

[2]      Lors du dépôt de la demande de contrôle judiciaire le 9 janvier 1997, les requérants étaient au nombre de quatre (4), dont M. Popov. Le 29 juillet 1997, l"intimé déposait une requête, sur consentement des requérants, afin que soit rendu un jugement annulant la décision du tribunal en ce qui concerne les requérants autre que M. Popov, et que l"affaire soit retournée au tribunal pour un nouvel examen devant des commissaires autres que ceux qui ont rendu la décision du 19 décembre 1996.

[3]      Le 13 août 1997, le juge McGillis rendait un jugement donnant effet au consentement des parties.

[4]      Lors de l"audition de la demande de contrôle judiciaire à Montréal, seul M. Popov demeurait comme requérant.

[5]      Afin de disposer de cette demande, quelques mots quant aux faits pertinents sont nécessaires. Les 4 requérants sont des citoyens du Kazakhstan qui allèguent avoir une crainte bien-fondée de persécution en raison de leur nationalité russe. L"un des événements déterminants qui ont incité les requérants à quitter le Kazakhstan était, selon eux, le viol de la requérante Inna Sitnikova le 6 mai 1995. Voici comment le tribunal résume la preuve offerte sur cet événement:

                 "      le 6 mai 1995, à son domicile avec son frère Andrei Popov, madame sort dans la cour de sa maison. Quatre hommes kazakhs la frappent, la renversent, lui retirent ses vêtements, la violent tour à tour en la traitant de "chienne russe et maudite russe". Andrei Popov tente d"intervenir; est ligoté à un poteau et forcé d"être témoin de la scène;                 
                 "      après le départ de ses agresseurs, madame secourue par son frère, rentre chez elle et se couche;                 
                 "      madame répond avoir déjà vu ses agresseurs. Ils habitaient une tente de couleur bleue, l"une des tentes érigées non loin de leur domicile;                 
                 "      son mari entre à 17 heures et attend au lendemain voir [sic ] les policiers. Il répond, qu"il ne savait quoi faire, expliquant ainsi le délai à se plaindre;                 
                 "      avec Andrei Popov, ils vont chez les policiers. Le témoin décrit les agresseurs. "Le policier promet de faire quelque chose";                 
                 "      le demandeur poursuit et dit "mais n"ont rien fait";                 
                 "      invité à préciser son affirmation, il explique qu"il leur a laissé son numéro de téléphone, les a rappelés deux fois, la dernière vers la mi-mai, puis ajoute ne pas avoir reçu d"autres appels jusqu"à leur départ au mois de juillet;                 
                 "      madame témoigne, "consulter le médecin une semaine plus tard". Elle ne réclame pas de rapport pour les policiers à cause de la honte qu"elle ressentait et du fait qu"elle ne voulait pas ébruiter l"événement dans les journaux;                 

[6]      Le lendemain de l"agression contre sa soeur, M. Popov se serait présenté avec son beau-frère à la station de police où il aurait décrit les assaillants. Le tribunal relate alors que, suite à une demande du patron du bar où il travaillait, M. Popov a retiré sa plainte auprès des policiers. Selon le tribunal, M. Popov a retiré sa plainte "[p]our sauver, ... la réputation du bar et les tracasseries administratives".

[7]      La plainte à laquelle réfère le tribunal est celle déposée par M. Popov et son beau-frère contre les 4 kazakhs qui ont attaqué et violé la requérante Inna Sitnikova. Toutefois, l'intimée reconnaît maintenant, au paragraphe 5 de son mémoire, que le tribunal a fait une erreur:

                 Pour les fins de la présente demande d"autorisation, l"intimé est prêt à reconnaître que la section du statut a commis une erreur en concluant que le requérant Andrei Popov a retiré la plainte qu"il avait déposé à la police en relation avec le viol de sa soeur.                 

[8]      En fait, la plainte retirée par M. Popov, à la demande de son patron, en était une relative à un autre événement, à savoir que le 11 janvier 1995, huit (8) kazakhs, clients du bar, avaient refusé de payer leurs consommations et avaient menacé, insulté et agressé M. Popov. À la fin de cette soirée, M. Popov a déposé une plainte auprès de la police. C"est cette plainte que le patron de M. Popov lui a demandé de retirer et qu"il a accepté de retirer.

[9]      La conclusion de fait du tribunal relativement au retrait de la plainte par M. Popov a eu un effet déterminant sur les requérants. Quant au requérant Vadim Vladimir Sitnikov, le mari d"Inna Sitnikova, le tribunal affirme, à la page 5 de sa décision, que le retrait de la plainte "entache sévèrement la crédibilité du demandeur" qui a témoigné "ne pas avoir obtenu de réaction des policiers". Selon le tribunal, ce témoignage est "tout à fait impertinent" vu le retrait de la plainte.

[10]      Quant à la requérante Inna Sitnikova, le tribunal déclare qu"elle est également "visée" par sa conclusion relative au retrait de la plainte, déposée par son époux et M. Popov. Quant au requérant Alexandre Sitnikov, le fils d"Inna et de Vadim Vladimir, le tribunal déclare à la page 6:

                 Quant au jeune Alexandre Sitnikov qui écrit à son FRP: fonder sa revendication sur celle de ses parents, les mêmes conclusions s"appliquent à la sienne.                 

[11]      Vu l'erreur du tribunal concernant la nature de la plainte retirée, l"intimé, tel que je l"ai indiqué plus tôt, a consenti à ce que la décision du tribunal concernant Vadim Vladimir, Inna et Alexandre soit annulée. Par ailleurs, l"intimé a refusé de consentir à ce que la décision soit annulée en ce qui concerne M. Popov.

[12]      La question à laquelle je dois maintenant répondre est celle à savoir si l"erreur du tribunal est telle que la décision du tribunal de rejeter la demande de réfugié d"Andrei Popov devrait être annulée? Même si le tribunal n'a pas énoncé expressément que le retrait de la plainte affectait la revendication de M. Popov, j"en viens à la conclusion que la décision en ce qui concerne ce requérant doit être annulée.

[13]      Il ne peut faire de doute que l"événement du 6 mai 1995 est un événement déterminant qui a mené au départ des requérants du Kazakhstan et le prétendu retrait de la plainte concernant cet événement avait deux conséquences: Premièrement, tel que l"a indiqué le tribunal, la crédibilité du mari, de l"épouse, et indirectement du fils, était compromise. En deuxième lieu, le retrait de la plainte justifiait le fait que les policiers n"avaient pas donné suite à l"agression et au viol de l"épouse.

[14]      L"événement relatif à la plainte qui a effectivement été retirée est un événement qui est survenu le 11 janvier 1995. Tel que je l"ai indiqué précédemment, huit kazakhs, clients du bar où travaillait M. Popov, l"auraient menacé, insulté et agressé. Quant à l"événement du 6 mai 1995, soit le viol de Mme Sitnikova, M. Popov a tenté d"empêcher les agresseurs mais ces derniers l"ont ligoté à un poteau et, par conséquent, il a été témoin de ce qui s"est passé. Selon M. Popov, cet événement s"ajoute à celui de janvier 1995 pour appuyer sa plainte de persécution au Kazakhstan.

[15]      Je ne peux comprendre comment on peut prétendre que l"erreur du tribunal concernant le supposé retrait de la plainte relative au viol de sa soeur n"a pu avoir un impact quant à l"appréciation de la preuve de M. Popov. Même si le tribunal ne déclare pas expressément que la crédibilité de M. Popov a été entachée par suite du retrait de sa plainte, je ne suis pas certain si le tribunal n"a pas été influencé, du moins en ce qui concerne la crédibilité de M. Popov, par le prétendu retrait de sa plainte concernant le viol de sa soeur. Comme M. Popov n'a jamais, selon la preuve, retiré sa plainte concernant le viol de sa soeur, on ne peut conclure, comme l"a fait le tribunal, que M. Popov préférait garder son emploi plutôt que de voir les policiers enquêter le viol de sa soeur. À mon avis, le supposé retrait de la plainte concernant le viol ne pouvait qu'affecter la crédibilité de tous les requérants.

[16]      Par conséquent, dans les circonstances, il ne serait pas sage, à mon avis, de maintenir la décision du tribunal rejetant la demande de réfugié de M. Popov. Il serait préférable que sa demande, comme celle des trois autres requérants, soit réentendue par un panel différent. Évidemment je ne me prononce pas quant à la véracité des faits relatés par M. Popov. Ce sera au nouveau panel de déterminer si l"histoire de M. Popov et celle des 3 autres requérants est crédible.

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal rendue le 19 décembre 1996 est annulée et l"affaire est renvoyée à un panel différent pour un nouvel examen. Tel qu"ordonné par ma collègue le juge McGillis le 13 août 1997 dans son jugement donnant effet au consentement des parties concernant les 3 autres revendicateurs, j"ordonne aux commissaires qui examineront la revendication de M. Popov de considérer la preuve déjà au dossier dont les témoignages rendus lors de l"audience tenue le 17 octobre 1996, ainsi que toute autre preuve pertinente, y compris les témoignages à être rendus lors d"une nouvelle audience.

     "MARC NADON"

     Juge

Ottawa, Ontario

Le 25 novembre 1997


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DE LA COUR: IMM-129-97

INTITULÉ DE CAUSE: VADIM VLADIMIR SITNIKOV, INNA SITNIKOVA, ALEXANDRE SITNIKOV, ANDREI POPOV

-et­

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE : LE 5 SEPTEMBRE 1997 MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE NADON EN DATE DU 25 NOVEMBRE 1997

COMPARUTIONS : ME MICHEL LEBRUN

(514) 392-9189 POUR LE REQUÉRANT

ME SÉBASTIEN DASYLVA

(514) 283-7575 POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME MICHEL LEBRUN, AVOCAT ÉDIFICE DES COMMUNICATIONS 1425 OUEST RENÉ LÉVESQUE, SUITE 306 MONTRÉAL (QUÉBEC)

H3G 1T7

POUR LE REQUÉRANT

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR L'INTIMÉ

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