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Date : 19981202

Dossier : T-1804-97

ENTRE:

                                                         MARY VICKY SCRIMBITT,

                                                                                                                                demanderesse,

                                                                            et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE,

                         LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

                                  et LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SAKIMAY,

                                                                                                                                      défendeurs.

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                Requête en prorogation de délai

                                                                       [Prononcés, tels que révisés, à l'audience à Edmonton (Alberta),

                                                                                                                  le vendredi 20 novembre 1998.]

LE JUGE ROTHSTEIN

La décision de 1987 du ministre

I.              La demanderesse cherche à obtenir la prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire contre certaines décisions prises par les défendeurs. La première décision visée est celle qu'a rendue le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en 1987, par laquelle il a conféré à la bande de Sakimay le pouvoir de décider de l'appartenance à ses effectifs conformément à l'article 10 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

II.             La demanderesse prétend que le ministre savait ou aurait dû savoir que la politique de la bande de Sakimay consistait à pratiquer la discrimination relativement aux personnes visées par le projet de loi C-31, soit à nier aux femmes indiennes qui ont épousé des non-autochtones le droit d'être membres. La preuve déposée indique que lorsque la bande a soumis au ministre ses Règles d'appartenance à ses effectifs en 1987, demandant que le pouvoir de décider de l'appartenance à ses effectifs lui soit cédé, ces Règles prévoyaient expressément :

[TRADUCTION]

1. À partir de la date à laquelle, conformément au paragraphe 10(6) de la Loi sur les Indiens (1985), un avis a été donné au ministre, une personne a le droit de faire inscrire son nom sur la liste de la bande de Sakimay si :

b) cette personne a le droit d'être inscrite en vertu de l'alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens (1985) à titre de membre de la bande de Sakimay.

III.           Sandra Ginnish, directrice générale de la législation, de la recherche et des affaires du cabinet au sein du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a affirmé dans son affidavit :

[TRADUCTION]

J'ai récemment procédé à l'examen des dossiers pertinents du ministère. Sur la foi de cet examen, de ma participation antérieure à une recommandation faite au ministre relativement à la demande de la bande de Sakimay en 1987 et de ma connaissance générale du projet à titre de chef d'équipe à l'époque pertinente, j'affirme sans équivoque que je n'ai aucune connaissance personnelle, et que les dossiers du

ministère ne contiennent aucune indication du fait que la bande de Sakimay avait une politique en vigueur en 1987 qui établissait une discrimination contre ceux qui étaient réinscrits en vertu du projet de loi C-31 en privant ces derniers de leur droit de vote et de leur droit d'être membres, et que les dossiers du ministère ne contiennent aucune indication à cet effet.

Cet affidavit a été montré au chef de la bande lors du contre-interrogatoire portant sur son affidavit. Il ne possédait aucun renseignement de nature à contredire la preuve présentée par Mme Ginnish.

IV.            Si, en 1987, une politique en vigueur de la bande établissait une discrimination contre ceux qui étaient réinscrits en vertu du projet de loi C-31, la preuve indique que le ministre l'ignorait. Aucune preuve ne permet de déduire qu'il aurait dû être au courant d'une telle politique. La demanderesse n'a pas fait la preuve de l'existence d'une question grave relativement à la décision prise par le ministre en 1987 de céder à la bande de Sakimay le pouvoir de décider de l'appartenance à ses effectifs.

V.              La demande de prorogation visant la décision de 1987 du ministre est rejetée.

La politique du conseil de la bande et les décisions de 1993, 1995 et 1997

VI.            La demanderesse veut également obtenir la prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire contre quatre décisions du conseil de la bande remontant au moins à 1993 et à 1995. Ces décisions ont toutes eu pour effet de nier à la demanderesse le droit de voter aux élections de la bande. L'avocate de la demanderesse confirme que ce que cette dernière désire réellement obtenir en contestant ces décisions, c'est une ordonnance constatant son droit de voter à titre de membre de la bande indienne de Sakimay. Elle fonde sa demande sur le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), les articles 10 et 77 de la Loi sur les Indiens, ainsi que sur d'autres motifs.

VII.          L'avocat de la bande admet que la demanderesse soulève des questions valables, bien qu'il prétende que la bande ait des moyens de contestation légitimes à faire valoir, notamment des arguments fondés sur le droit inhérent de la bande de décider de l'appartenance à ses effectifs et de questions sociales comme la surpopulation sur la réserve. Pour les fins d'une demande de prorogation, il suffit à la demanderesse de démontrer l'existence d'une question valable. J'estime qu'elle y est parvenue.

VIII.         Toutefois, je n'estime pas que la demanderesse a justifié le temps qui s'est écoulé à compter de 1993 et de 1995 jusqu'au moment où elle a déposé sa déclaration auprès de la Cour en septembre 1996 ainsi que sa demande de contrôle judiciaire en août 1997. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'à partir du moment où elle a été privée de son droit de vote en 1993, elle avait l'intention de faire quelque chose à cet égard. Il semble qu'elle ait tenté d'obtenir du financement pour entreprendre et poursuivre des procédures judiciaires, mais cela ne justifie pas son retard. Les Règles de la Cour fédérale (1998) prévoient des délais et ceux-ci doivent être respectés. Bien que des prorogations soient accordées lorsqu'elles sont justifiées, des prorogations de plusieurs années sortent de l'ordinaire, et les raisons fournies pour expliquer le retard en l'espèce sont insuffisantes en ce qui concerne les décisions visées.

IX.            J'aborde maintenant la décision prise en 1997 par le conseil de la bande. Le 11 février 1997, la demanderesse a écrit au conseil pour lui demander d'inscrire son nom sur la liste des électeurs de la bande de Sakimay. Le conseil de la bande n'a pas donné suite à sa demande. De toute manière, on ne lui a pas permis de voter le jour du scrutin. J'en déduis que c'est le jour du scrutin en 1997 que la décision du conseil de ne pas lui permettre de voter lui a été communiquée. La date précise du scrutin en 1997 n'a fait l'objet d'aucune preuve. Toutefois, la date du scrutin des élections antérieures se situait vers la fin d'avril à tous les deux ans. J'en conclus que le scrutin de 1997 a eu lieu à la fin d'avril.

X.              Après le dépôt d'une action par la demanderesse auprès de la Cour fédérale en septembre 1996, la défenderesse a présenté une requête en radiation de la déclaration au motif, notamment, que la réparation demandée ne pouvait être obtenue qu'au moyen d'une demande de contrôle judiciaire. La requête a été entendue le 9 janvier 1997 et les motifs ont été prononcés le 20 mars de la même année. La requête a été accueillie relativement à la mesure de prérogative demandée et cette partie de la déclaration a été radiée.

XI.            Les motifs de la Cour indiquaient que la demanderesse pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire pour obtenir une mesure de prérogative et un jugement déclaratoire. Cependant, l'ordonnance rendue ne faisait pas mention de mesure de prérogative ni de jugement déclaratoire au moyen du contrôle judiciaire. La demanderesse a demandé des précisions. Entre-temps, l'élection de 1997, où elle a été privée du droit de voter, a eu lieu. Le 24 juillet 1997, la Cour a rendu une ordonnance modifiée mentionnant que la demanderesse pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire pour obtenir une mesure de prérogative et un jugement déclaratoire. Les renseignements que j'ai à ma disposition indiquent que l'ordonnance a été transmise à la demanderesse par courrier recommandé. La demanderesse est donc présumée avoir reçu avis de la décision vers le 3 août 1997.

XII.          La demande de contrôle judiciaire, comportant une demande de contrôle de la décision de 1997 du conseil de la bande de ne pas permettre à la demanderesse de voter, a été déposée par cette dernière le 27 août 1997, soit à l'intérieur du délai de 30 jours de la date où l'ordonnance modifiée du 24 juillet 1997 lui a été transmise.

XIII.         L'avocat de la bande affirme que l'ordonnance modifiée du 24 juillet 1997 n'était aucunement liée à la décision de ne pas permettre à la demanderesse de voter en 1997 et il a raison. Toutefois, comme l'avocate de la demanderesse le fait remarquer, cette dernière, à l'époque pertinente, attendait les précisions de la Cour relativement aux décisions antérieures du conseil de la bande et il s'est écoulé un délai de trois mois environ avant que la Cour ne réponde à sa demande. Les faits particuliers de l'espèce montrent que la Cour elle-même a contribué au retard. J'estime qu'il serait injuste que la Cour impose à la demanderesse un délai de rigueur alors que la Cour elle-même est en partie à blâmer pour le retard.

XIV.          Il existe un autre élément pertinent. Les décisions prises par la bande en 1993, 1995 et 1997 ont refusé à la demanderesse le droit de voter. Si la décision de 1997 ne peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, la demanderesse devra attendre la décision qui sera prise en 1999 et déposer une nouvelle demande de contrôle judiciaire si on lui nie le droit de voter cette année-là.

XV.           Vu les circonstances, la justice en l'espèce requiert qu'une prorogation de délai soit accordée afin de permettre le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision prise par la bande en 1997.

XVI.          L'avocat de la bande insiste sur le fait qu'il y a eu une multitude de procédures, ce qui a eu pour effet de causer des frais inutiles à la bande. Il vise particulièrement les procédures qui ont été intentées devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et qui sont toujours en suspens. Il apparaît que la demanderesse n'a effectué aucune démarche à l'égard de ces procédures depuis plus de deux ans. L'avocate de la demanderesse a signalé qu'elle ne s'opposerait pas à ce que la prorogation du délai soit assujettie à la condition que l'action instituée devant la Cour du Banc de la Reine fasse l'objet d'un désistement. Cependant, elle demande que la condition consiste en un désistement sans frais des procédures intentées en Saskatchewan.

XVII.        Il n'appartient pas à la Cour de décider si des dépens devraient être payables, quel devrait être leur montant et qui devrait les payer en ce qui a trait aux procédures dont est saisie la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan. Il s'agit de décisions relevant de cette cour. La condition fixée à la prorogation du délai se limitera à ce que la demanderesse prenne immédiatement les mesures nécessaires pour se désister des procédures intentées devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.

Les décisions de 1993 et 1994 du ministre

XVIII.      Enfin, la demanderesse sollicite la prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire des décisions de 1993 et 1994 du ministre :

[TRADUCTION]

La décision du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, contenue dans une lettre datée du 19 juillet 1993, refusant la demande d'aide de la demanderesse pour que son statut de membre de la bande soit précisé et que son nom soit réinscrit sur la liste des électeurs de la bande de Sakimay;

La décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, contenue dans une lettre datée du 21 mars 1994, indiquant que le ministère n'avait aucune responsabilité à l'égard de la question de l'exclusion de la demanderesse de la liste des membres de la bande de Sakimay;

Le ministre ne prend pas position relativement à la demande de prorogation de délai visant ces décisions. Bien que j'aie certains doutes au sujet de ces causes d'action, je ne suis pas en mesure de dire, après avoir entendu l'avocate de la demanderesse, qu'il n'existe aucune cause valable à cette étape-ci. Toutefois, j'estime que la poursuite de ces demandes de contrôle en conjonction avec celle portant sur la décision de 1997 du conseil de la bande ne fera que provoquer des délais supplémentaires et augmenter la complexité de ces affaires. Les deux avocats partagent cet avis.

XIX.          La demande de prorogation de délai est accueillie, mais les demandes de contrôle judiciaire relatives à ces ordonnances ne seront pas jointes à la demande de contrôle judiciaire de la décision de 1997 du conseil de la bande.

Les dépens

XX.           La présente requête ayant été accueillie en partie seulement, aucune ordonnance ne sera rendue relativement aux dépens. Cependant, les parties sont prévenues d'avoir à l'esprit qu'il est important de s'en tenir à la réparation demandée et aux moyens de défense soulevés. À la suite de requêtes qui pourront lui être présentées, la Cour examinera très attentivement la position des parties et adjugera, quelle que soit l'issue de l'affaire, des dépens payables sur-le-champ si elle conclut que les procédures ont été rendues inutilement plus complexes par l'une des parties.

Autres questions procédurales

XXI.          L'examen de la demande de contrôle judiciaire relative à la décision de 1997 du conseil de la bande aura lieu dans le cadre du dossier de la Cour T-1804-97. Sa Majesté la Reine et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien sont radiés de ce dossier en tant que défendeurs. En ce qui concerne les ordonnances de 1993 et 1994 du ministre, la demanderesse est autorisée à déposer un nouvel avis de demande de contrôle judiciaire de ces deux décisions ministérielles. L'avis de demande portant sur ces décisions doit être déposé et signifié au plus tard le 7 décembre 1998.

XXII.        Concernant le dossier de la Cour T-1804-97, le dossier de la demanderesse doit être déposé et signifié au plus tard le 13 janvier 1999. Le défendeur doit déposer et signifier son dossier au plus tard le 11 février 1999. L'audition de la demande de contrôle judiciaire dans la présente affaire doit débuter le lundi 15 février 1999 à 10 h, à Edmonton (Alberta).

XXIII.      Relativement à la demande de contrôle judiciaire des décisions du ministre dans le cadre d'un nouveau dossier de la Cour, les avocats se sont engagés à écrire à la Cour pour que l'instance soit gérée à titre d'instance à gestion spéciale, conformément à l'article 384 des Règles. La Cour se penchera sur la demande dès réception d'une lettre à cet effet.

                                                                                                                                                                   « Marshall Rothstein »      

                Juge

Toronto (Ontario)

Le 2 décembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Pierre St-Laurent, LL.M.


                                                      COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          Avocats et avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                                                    T-1804-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                   MARY VICKY SCRIMBITT

                                                                                                                et

SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SAKIMAY

DATE DE L'AUDIENCE :                                                      LE VENDREDI 20 NOVEMBRE 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                       EDMONTON (ALBERTA)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                                                                        MERCREDI 2 DÉCEMBRE 1998

ONT COMPARU                                                                               Mme Janet Hutchison

                                                                                                                                Pour la demanderesse

                                                                                                                Mme Myra Yuzak

Pour l'intimé, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

M. Gordon McKenzie

Pour l'intimé, le conseil de la bande indienne de Sakimay

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERDale Gibson Associates

Avocats

11018 -125th Street

Edmonton (Alberta)

T5M 0M1

Pour la demanderesse


Avocats inscrits au dossier ... suite

Morris Rosenberg

                                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                               

Pour l'intimé, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Bishop & McKenzie

Avocats

2500-10104 103 Avenue North West

Edmonton (Alberta)

T5J 1V3


                                                                                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                                                              Date : 19981202

                                                                                               

                                                                                                                                                                   Dossier :      T-1804-97

                                                                                                                Entre

                                                                        MARY VICKY SCRIMBITT,

                                                                                                                                                                              demanderesse,

                                                                                                                et

SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SAKIMAY,

                                                                               

                                                                                                                                                                                      défendeurs.

                                                                               

                                                                                                                                                                 

                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                                                 

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