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Date : 20010426

Dossier : T-1354-97

                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 397

ENTRE :

                                  DAVID WILLIAM LORD

                              LORRAINE ELOUISE LORD

                                   VERA HANNAH LORD

                              CORALEE REBECCA LORD

                                   DAWN ANDREA LORD

                             DERIK CHRISTOPHER LORD

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                           défenderesse

                  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE BLAIS

[1]    Les demandeurs ont par le dépôt d'une déclaration intenté une action contre la défenderesse pour les dommages qu'ils ont subis en raison d'un incident survenu à l'établissement de Kent en Colombie-Britannique.


LES FAITS

[2]    Le demandeur, Derik Christopher Lord (Derik Lord), était détenu dans l'établissement de Kent en Colombie-Britannique le 27 mai 1997. Les cinq autres demandeurs font partie de la famille de Derik Lord. David William Lord (David Lord )est le père de Derik Lord, Lorraine Elouise Lord (Elouise Lord) est la mère de Derik Lord, Coralee Rebecca Lord (Coralee Lord) et Dawn Andrea Lord (Dawn Lord) sont les soeurs de Derik Lord et Vera Hannah Lord (Vera Lord) est la grand-mère de Derik Lord.

Le programme de visites familiales privées et la procédure de dénombrement visuel

[3]    Alors qu'il était détenu à l'établissement de Kent (l'Établissement), Derik Lord participait au programme de visites familiales privées qui était en vigueur à l'Établissement. Le programme visait à soutenir le développement et la mise en oeuvre de programmes familiaux à l'Établissement et à fournir aux détenus la possibilité d'utiliser des installations séparées où ils pouvaient rencontrer leur famille en privé afin de renouer ou de poursuivre des relations personnelles.

[4]    Ainsi, le 27 mai 1997, les demandeurs participaient à une visite familiale privée à l'Établissement. La visite devait prendre fin le 30 mai 1997.


[5]                 À l'époque, une nouvelle politique d'inspection visuelle était en vigueur à l'Établissement. La politique exigeait que les visiteurs et le détenu établissent un contact avec le personnel de l'Établissement quatre fois par jour afin que le personnel puisse procéder à un dénombrement visuel des visiteurs.

[6]                 David Lord s'est opposé à cette nouvelle politique d'inspection visuelle et a refusé de se soumettre au dénombrement visuel. Une discussion s'est ensuivie entre David Lord et les surveillants correctionnels de l'Établissement.

[7]                 Étant donné que David Lord a refusé de se conformer à la politique de dénombrement visuel, la visite familiale privée pour Derik Lord a été annulée le 28 mai 1997. Les événements entourant l'interruption de la visite seront abordés plus loin dans les présents motifs.

Audience devant le Comité d'examen des visites

[8]                 Une assemblée du Comité d'examen des visites a eu lieu le 4 juin 1997 à laquelle Derik Lord a été en mesure de présenter des observations relativement au maintien de la suspension des visites. Les autres membres de la famille n'ont pas été autorisés à assister ni à parler lors de l'assemblée. Selon la défenderesse, le Comité d'examen des visites entend d'abord les arguments du détenu, et dans une autre audience, il entend les arguments des visiteurs.


[9]                 Le 11 juin 1997, une audience a eu lieu devant le Comité d'examen des visites au cours de laquelle les demandeurs ont eu la possibilité de comparaître et de présenter des observations quant au maintien de la suspension des visites. Tous les demandeurs ont reçu un avis écrit de l'audition relative à l'examen et ont été informés qu'une décision serait prise à cette date relativement au maintien de la suspension des visites. Comme la plupart des visiteurs habitent loin de l'Établissement, seuls David Lord et Elouise Lord ont pu présenter des observations orales dans le court délai. Elouise Lord a pu présenter une lettre de Coralee Lord, des observations verbales au nom des autres visiteurs, et d'elle-même, et a obtenu de la rétroaction sur les recommandations de l'équipe de gestion des cas relativement à ses propres visites seulement.

[10]            À l'audience, David Lord a fait part de son opinion personnelle en se fondant sur la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) 1982, c.11, (la Charte) et sur d'autres lois. David Lord a été invité à limiter ses remarques à ses visites auprès de son fils. On lui a expliqué que des arguments juridiques portant sur la Charte ne pouvaient être tranchés que par une cour de justice.

[11]            Le 13 juin 1997, les demandeurs ont été avisés que le Comité d'examen des visites avait décidé de recommander le maintien des visites familiales privées pour Elouise et Dawn Lord. Le Comité a également décidé d'accorder à Vera Lord le droit à des visites-contacts et de suspendre les visites pour David et Coralee Lord. Tous les demandeurs ont été informés par écrit des décisions portant sur les privilèges de visite.


[12]            Elouise Lord a écrit à l'Établissement le 24 septembre 1997 pour demander des éclaircissements quant à savoir si David Lord et Coralee Lord obtiendraient des privilèges de visite après la suspension initiale de six mois.

[13]            Dans une lettre datée du 7 octobre 1997, le sous-directeur, Doug Richmond, a signalé que la suspension durerait plus longtemps que les six mois qui avaient été d'abord imposés.

LE POINT DE VUE DES DEMANDEURS

[14]            Les demandeurs soutiennent que lors de l'interruption de la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997, le Service correctionnel du Canada a traité les visiteurs de manière arbitraire et n'a pas permis aux personnes impliquées d'être entendues équitablement. Les demandeurs allèguent que cela a été fait en contravention de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867 (U.K.), 30 & 31 Vict., c.3 (Loi constitutionnelle) et en contravention des articles 1, 2, 7, 12 et 15 de la Charte.

[15]            Les demandeurs prétendent également que l'interruption de la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997 a été faite en contravention des articles 3, 4, 5, 69, 71, 76 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et en contravention des articles 2, 3, 4 et 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.


[16]            Les demandeurs prétendent que le devoir d'agir équitablement comprend notamment l'obligation d'informer au préalable les visiteurs des règlements qui doivent être suivis. Les demandeurs reconnaissent que les politiques et règles ont été précisées à certains d'entre eux pendant les enquêtes communautaires en vue de la participation au programme. Toutefois, les demandeurs avancent que certaines politiques et règles ont été modifiées depuis et qu'il n'y a pas eu d'annonce ni d'avertissement donné pour ces modifications. En outre, certains demandeurs n'ont pas fait l'objet d'une enquête communautaire, ils n'ont donc pas eu un aperçu des politiques et des règles.

[17]            Les demandeurs soutiennent également que l'interruption de la visite familiale privée a été faite en contravention de l'article 279.1 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 et que lorsqu'on demande à la famille de Derik Lord d'abandonner ses droits et libertés garantis par la Charte afin de maintenir les visites et les visites familiales privées à l'Établissement, Derik Lord est retenu comme otage jusqu'à ce que sa famille obéisse. Les demandeurs prétendent que les droits de David Lord et de Coralee Lord garantis par la Charte continuent d'être violés car ils ne sont pas autorisés à voir Derik Lord. Les demandeurs font valoir que le maintien de la suspension des visites pour deux d'entre eux prolonge le traumatisme émotif et l'épreuve.


[18]            Il est avancé que la manière dont les visiteurs ont été mis à la porte sans être autorisés à prendre leurs affaires par le recours à une force excessive et à de la rudesse a donné lieu à un choc et à un traumatisme émotifs pour tous les demandeurs. Elouise Lord a été amenée en ambulance de l'Établissement à l'hôpital en raison du traumatisme et l'âge de Vera Lord la prédispose à des séquelles résultant d'un traumatisme émotif grave.

[19]            Le point de vue des demandeurs est que la maison qu'ils occupaient pour la visite familiale privée était leur résidence pour les soixante-douze heures de la visite et que les gardiens n'avait aucun droit légal d'entrer dans leur résidence. Les gardiens n'ont jamais présenté de mandat et ils n'ont pas informé non plus les occupants de la possibilité de danger pour eux.

[20]            Les demandeurs soutiennent que pendant toute la durée de l'incident, tous les actes d'agression, sous forme de menaces verbales qui se sont soldées par une agression physique, sont attribuables au personnel de l'Établissement. Les demandeurs affirment que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les demandeurs prétendent que leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne était violé toutes les fois où ils étaient contraints de sortir et d'être comptés par un gardien.


[21]            Les demandeurs font également valoir que David Lord était soumis à des traitements et à des peines cruels et inusités quand il était contraint à se lever le matin et à sortir pour être compté. Étant donné que comme il travaillait régulièrement de nuit, il avait l'habitude de dormir jusqu'à 11 h tous les jours.

[22]            Il est avancé que l'Établissement a accusé, jugé, déclaré coupable et condamné Vera Lord d'agression sans une seule fois présenter les accusations devant un tribunal. Les demandeurs affirment que le Service correctionnel du Canada a enfreint les droits de Vera Lord garantis par le paragraphe 11d) de la Charte et a manqué à son devoir d'agir équitablement. Vera Lord n'a pas été mise au courant des allégations faites contre elle de quelque manière que ce soit avant l'assemblée ou la communication de la décision rendue. Elle n'a pas eu la possibilité de nier les allégations avancées contre elle. Vera Lord n'a été informée des allégations que par une lettre datée du 13 juin 1997 et rédigée par Diane Knopf de l'Établissement, lettre selon laquelle l'Établissement considérait que le 28 mai 1997 son comportement avait donné lieu à l'agression d'un agent.


[23]            Les demandeurs prétendent que la procédure de dénombrement visuel a été suivie de manière arbitraire depuis l'incident qui a donné lieu à la présente action. En particulier, Elouise Lord a participé à des visites familiales privées au cours desquelles les dénombrements n'avaient pas été effectués en conformité avec l'horaire affiché dans la maison. Les dénombrements étaient effectués à l'occasion, ou pas du tout. Cela a été porté à l'attention du personnel de l'Établissement et du personnel du Service correctionnel à Ottawa et la réponse a été qu'on ne gardait pas de registre de ces dénombrements. Les demandeurs se demandent pourquoi l'incident a eu lieu si les dénombrements des visiteurs sont si peu importants. Les demandeurs prétendent que l'incident a eu lieu en raison d'un parti pris contre les demandeurs et seulement pour rompre les liens familiaux que les visites sont censées entretenir.

[24]            Les demandeurs sollicitent donc :

a)        Les frais du transport à l'hôpital d'Elouise Lord;

b)        Des dommages-intérêts pour le traumatisme émotif causé par l'interruption des visites;

c)        Des dommages-intérêts pour le choc et le traumatisme émotifs causés par le maintien de la suspension des visites;

d)        Des dommages-intérêts pour la perte de soutien familial et l'affaiblissement de l'aptitude à maintenir des liens familiaux;

e)        Des dommages-intérêts pour la discrimination démontrée dans les méthodes utilisées pour mettre fin à la visite;

f)         Des dommages-intérêts pour l'atteinte à la réputation en raison des articles parus dans les journaux;

g)        Un redressement sous forme de directive de la Cour selon laquelle l'Établissement serait tenu de modifier les règles afin qu'elles soient conformes au droit canadien, et en particulier, à la Loi constitutionnelle, article 52, à la Charte canadienne des droits et libertés, articles 1 et 2, à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, articles 1, 2, 3, 4, 5, 9, 38, 39, 40, 41, 69, 71 et 76, à la Loi canadienne sur les droits de la personne, articles 2, 3, 5 et 66 et article 279.1 du Code criminel;


h)        Un redressement sous forme de directive de la Cour pour cesser toute autre procédure discriminatoire actuellement suivie à l'égard des visiteurs.

LE POINT DE VUE DE LA DÉFENDERESSE

[25]            La directive du commissaire (DC) no 770 prévoit l'exigence d'élaborer une procédure pour que le personnel de l'Établissement établisse un contact régulier avec un détenu et sa famille pendant une visite familiale privée. L'Établissement a élaboré une politique d'inspection visuelle en consultation avec un représentant des détenus, qui réduit l'intrusion tout en assurant la sécurité des visiteurs et celle de l'établissement.

[26]            Selon la défenderesse, avant une visite familiale privée, les demandeurs ont fait l'objet d'une enquête communautaire. Celle-ci avait pour but d'évaluer l'admissibilité des demandeurs à participer au programme de visites familiales privées. Pendant l'enquête, les politiques régissant les visites familiales privées ont été expliquées aux demandeurs. La défenderesse soutient que les demandeurs ont été correctement informés de la politique de dénombrement visuel pendant les visites familiales privées. Un avis portant sur la politique d'inspection visuelle était affiché bien en vue dans chaque unité de visites familiales privées. L'agent procédant au dénombrement a expliqué le processus. Le surveillant correctionnel a plus tard expliqué la procédure en détail.


[27]            La défenderesse allègue que les demandeurs ont reçu un avis écrit de l'audience devant le Comité d'examen des visites et que pendant l'examen, les lois et les politiques pertinentes ont été de nouveau expliquées aux demandeurs. La défenderesse soutient que les demandeurs ont eu la possibilité de comparaître et de présenter des observations.

[28]            La défenderesse nie clairement que les demandeurs auraient droit aux redressements demandés, nie que les demandeurs aient subi les dommages allégués, ou tout autre dommage, et demande que ces derniers en fassent la preuve.

QUESTIONS EN LITIGE

[29]            Dans leurs actes de procédure, les demandeurs ont soumis les questions suivantes à la Cour :                                                                                   

Relativement à la politique d'inspection visuelle

1.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement enfreint-elle les articles 1, 2, 7, 12 et 15 de la Charte?

2.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 3, 4, 5, 69, 71, 76 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

3.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 2, 3, 4 et 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

4.        La défenderesse a-t-elle manqué à son devoir d'agir équitablement en omettant d'informer au préalable les visiteurs des règlements qui devaient être suivis pendant la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997?

5.        David Lord était-il soumis à des traitements ou à des peines cruels et inusités quand il était contraint à se lever le matin et à sortir pour être compté étant donné que comme il travaillait régulièrement de nuit, il avait l'habitude de dormir jusqu'à 11 h tous les jours?


Relativement à l'interruption de la visite familiale privée

6.        Le Service correctionnel du Canada était-il tenu d'accorder une audition équitable aux demandeurs avant de mettre fin à la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997?

7.          L'Établissement a-t-il accusé, jugé, déclaré coupable et condamné Vera Lord d'agression sans lui fournir la possibilité de nier les allégations avancées contre elle?

8.        La maison occupée par les demandeurs pendant la visite familiale privée était-elle leur résidence pour la période de soixante-douze heures de la visite et les gardiens avaient-ils le droit d'y entrer? Était-il nécessaire d'avoir un mandat?

9.        L'interruption de la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997 a-t-elle été faite en contravention de l'article 52 de la Loi constitutionnelle et des articles 1, 2, 7, 12 et 15 de la Charte.

10.      L'interruption de la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997 a-t-elle été faite en contravention des articles 3, 4, 5, 69, 71, 76 et 91(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

11.      L'interruption de la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997 a-t-elle été faite en contravention des articles 2, 3, 4 et 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

12.      L'interruption de la visite familiale privée a-t-elle été faite en contravention de l'article 279.1 du Code criminel du Canada?

13.      Les droits de David Lord et de Coralee Lord garantis par la Charte ont-ils été violés par le maintien de la suspension des visites?

14.      La manière dont les demandeurs ont été mis à la porte sans être autorisés à prendre leurs affaires a-t-elle donné lieu au recours à une force excessive et à de la rudesse? Dans l'affirmative, les demandeurs ont-ils subi des dommages?


[30]            J'estime que les points soulevés par les questions 8 et 12 sont frivoles et ne méritent pas de réponse détaillée. Il suffit de dire que les demandeurs ne pourraient pas avoir gain de cause sur ces points.

[31]            En ce qui concerne les questions 9, 10, 11, elles sont abordées par d'autres questions et il n'est pas nécessaire de les traiter séparément.

[32]            Par conséquent, je répondrai aux questions suivantes dans le présent jugement :

Relativement à la politique d'inspection visuelle

1.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement enfreint-elle les articles 1, 2, 7, 12 et 15 de la Charte?

2.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 3, 4, 5, 69, 71, 76 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

3.        La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 2, 3, 4 et 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

4.        La défenderesse a-t-elle manqué à son devoir d'agir équitablement en omettant d'informer au préalable les visiteurs des règlements qui devaient être suivis pendant la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997?

5.        David Lord était-il été soumis à des traitements ou à des peines cruels et inusités quand il était contraint à se lever le matin et à sortir pour être compté étant donné que comme il travaillait régulièrement de nuit, il avait l'habitude de dormir jusqu'à 11 h tous les jours?


Relativement à la fin de la visite familiale privée

6.        Le Service correctionnel du Canada était-il tenu d'accorder une audition équitable aux demandeurs avant de mettre fin à la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997?

7.          L'Établissement a-t-il accusé, jugé, déclaré coupable et condamné Vera Lord d'agression sans lui fournir la possibilité de nier les allégations avancées contre elle?

8.        Les droits de David Lord et de Coralee Lord garantis par la Charte ont-ils été violés par le maintien de la suspension des visites?

9.        La manière dont les demandeurs ont été mis à la porte sans être autorisés à prendre leurs affaires a-t-elle donné lieu au recours à une force excessive et à de la rudesse? Dans l'affirmative, les demandeurs ont-ils subi des dommages?

ANALYSE

La politique d'inspection visuelle

[33]            Le devoir de l'Établissement d'adopter une politique d'inspection visuelle est prévu par la directive du commissaire no 565 établie en conformité avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui régit les rapports et les visites des détenus dans un pénitencier.

                                                                                                                   

[34]            Le paragraphe 71(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit :



Rapports avec l'extérieur

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier.

Contacts and visits

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.


[35]                         L'article 97 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que le commissaire est habilité à établir des règles :


Règles d'application

97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

a) la gestion du Service;

b) les questions énumérées à l'article 4;

c) toute autre mesure d'application de cette partie et des règlements.

Directives du commissaire

Nature

98. (1) Les règles établies en application de l'article 97 peuvent faire l'objet de directives du commissaire.

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(2) Les directives doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public.

Rules

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

(a) for the management of the Service;

(b) for the matters described in section 4; and

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

Commissioner's Directives

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner's Directives any or all rules made under section 97.

Accessibility

(2) The Commissioner's Directives shall be accessible to offenders, staff members and the public.


[36]            La directive du commissaire no 565 prévoit :



OBJECTIF DE LA POLITIQUE

1. Exercer un contrôle à la fois humain, sûr et sans risque sur les détenus en s'assurant de leur présence et de leur bien-être par le biais d'un système de dénombrement des détenus.

RESPONSABILITÉS DE L'ÉTABLISSEMENT

2. Chaque établissement doit décrire en détail dans ces ordres permanents un système de dénombrement des détenus.3. Les employés chargés des détenus doivent savoir en tout temps où ceux-ci se trouvent.

DÉNOMBREMENTS OFFICIELS

4. Les ordres permanents de l'établissement doivent prévoir la tenue de dénombrements officiels où chaque détenu est compté. On ne doit pas permettre aux détenus de se déplacer pendant ces dénombrements dont il faut consigner officiellement les résultats.

5. Il faut prévoir, dans les établissements à sécurité moyenne et maximale, au moins quatre dénombrements officiels au cours d'une période de 24 heures et, dans tous les autres établissements, au moins deux dénombrements officiels au cours d'une même période.

6. Les établissements doivent procéder au dénombrement officiel et visuel des détenus et de leurs visiteurs occupant les unités de visites familiales privées à la même fréquence qu'ils doivent le faire pour les détenus dans l'installation principale.

POLICY OBJECTIVE

1. To exercise safe, secure and humane control of inmates by verifying their presence and well-being through the use of a system for counting inmates.

INSTITUTIONAL RESPONSIBILITY

2. Each institution shall have a system for counting inmates detailed in its Standing Orders.

3. Staff members in charge of inmates shall be able to account for those inmates at all times.

FORMAL COUNTS

4. The institution's Standing Orders shall make provision for formal counts, which require the counting of each inmate individually. During such counts there shall be no inmate movement allowed. An official record of these counts shall be maintained.

5. In medium and maximum security institutions, a minimum of four formal counts shall be conducted during each 24 hour period. In all other institutions, there shall be at least two formal counts every 24 hours.

6. Institutions shall conduct formal visual counts of inmates and their visitors occupying private family visiting units at the same frequency as is required for inmates in the main institution.


1. La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement enfreint-elle les articles 2, 7, 12 et 15 de la Charte?

[37]            Les articles 2, 7, 12 et 15 de la Charte prévoient :



2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes    :

a) liberté de conscience et de religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

c) liberté de réunion pacifique;

d) liberté d'association.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

2. Everyone has the following fundamental freedoms:

(a) freedom of conscience and religion;

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

(c) freedom of peaceful assembly; and

(d) freedom of association.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.


ARTICLE 2

[38]            En ce qui concerne l'article 2 de la Charte, les demandeurs prétendent que la politique d'inspection visuelle enfreignait leur droit à la liberté d'association garanti par le paragraphe 2d) de la Charte.

[39]            David Lord a présenté cet argument devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique et devant la Cour d'appel quand il a interjeté appel de sa condamnation pour intrusion (R. c. Lord, [1998] B.C.J. no 2306 (C.S.); [1998] B.C.J. no 2963 (C.A.)).

[40]            Dans ces affaires, David Lord prétendait que la politique de dénombrement enfreignait son droit à la liberté d'association.

[41]            La Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué :

[TRADUCTION] En ce qui concerne la question des « droits » posée par l'accusé à savoir si la visite est un droit ou un privilège, elle fait toujours l'objet de règles raisonnables établies par l'autorité carcérale appropriée.

Plusieurs décisions ont été citées par l'accusé et j'ai revu toutes les causes. L'accusé se représentait lui-même. Il a admis que des règles sont nécessaires et que les visiteurs doivent obéir aux règles si elles sont raisonnables. La présente affaire est donc restreinte à une seule question : la règle selon laquelle un visiteur doit « se tenir au garde-à-vous » est-elle une règle raisonnable.


[...]

Je partage l'opinion du juge de première instance selon qui l'ordre permanent, qui exigeait des visiteurs de se tenir au garde-à-vous et d'être comptés quand ils se trouvaient dans une unité familiale, ne peut pas être considéré comme une violation du droit d'association de l'accusé.

De l'avis du directeur (et je suis d'accord), la règle n'est pas déraisonnable, et il s'agit d'une règle que les visiteurs doivent être disposés à observer.

[42]            La Cour d'appel, lorsqu'elle a rejeté l'appel, a statué :

[TRADUCTION] Ayant lu et examiné les motifs du juge d'appel, je suis dans l'impossibilité de conclure qu'il a accordé une importance plus grande à l'ordre permanent qu'à la Charte. Sa décision précise simplement que les circonstances ne mettent pas en jeu les droits que la Charte garantit à M. Lord.

Même s'il était possible de dire que les questions liées à la Charte soulevées par M. Lord sont seulement des questions de droit, je ne crois pas qu'elles sont d'importance générale. Les faits sont très inhabituels et il est peu probable qu'ils se reproduisent. Le lien avec la Charte est, selon moi, très ténu et il est improbable qu'une décision portant sur les points soulevés par M. Lord présente un intérêt général.

[43]            Dans ces affaires, les cours n'ont pas procédé à une analyse fondée sur la Charte, car elles ont conclu que la règle était raisonnable, par conséquent, l'analyse fondée sur la Charte n'était pas nécessaire.

[44]            Je suis quand même disposé à analyser cette question relative à la Charte. Il semble généralement admis que la liberté d'association garantie par le paragraphe 2d) de la Charte ne vise pas la relation parent-enfant.

[45]            Dans la décision Downes c. Canada (MEI) (1986), 4 F.T.R. 215 (1re inst.), le juge McNair a conclu :


Dans l'affaire Re Gittens et la Reine (1982), 137 D.L.R. (3d) 687 (D.P.I.C.F.), un citoyen de la Guyane avait présenté une demande d'injonction interlocutoire pour empêcher l'exécution d'une ordonnance d'expulsion prononcée contre lui aux termes de la Loi sur l'immigration de 1976. L'un des arguments invoqués pour soutenir la demande était la « liberté d'association » aux termes du paragraphe 2d) de la Charte.

Voici comment Monsieur le juge Mahoney a tranché quant à cet argument (à la page 691-692) :

L'exécution de l'ordonnance d'expulsion ne portera pas atteinte à la liberté d'association dont traite l'alinéa 2d) de la Charte. L'expulsion du requérant fera que ses liens immédiats avec sa famille, ses amis et d'autres personnes seront rompus. Dans la mesure où il s'agit de fréquentations licites, ces liens constituent des liens de famille et des liens sociaux. En supposant que ces liens soient semblables au genre d'association dont traite l'alinéa 2d), la liberté d'association fait partie des droits et libertés garantis et comme le prévoit l'article 1 de la Charte, « Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » . La loi prévoit que l'ordonnance d'expulsion doit être exécutée. Le caractère raisonnable du droit pour un État libre et démocratique d'expulser des criminels étrangers apparaît évident et sa justification peut, par conséquent, se démontrer.

Je m'empresse d'ajouter que l'expression « criminels étrangers » ne saurait s'appliquer au requérant Sherlock Downes, lequel, à tous égards, est un père affectueux et responsable.

Dans l'affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889 (C.A.F.), on interjetait appel à l'égard d'un jugement de première instance ayant rejeté une action visant à faire déclarer que certaines dispositions statutaires applicables à la fonction publique étaient invalides; on soutenait, entre autres, que ces dispositions restreignaient le droit à la liberté d'association garanti par le paragraphe 2d) de la Charte. La Cour a rejeté l'appel sur cette question, en faisant valoir que le droit de négocier collectivement n'était pas garanti par le paragraphe 2d). Le juge Mahoney a déclaré ce qui suit à la page 895 :

Le droit à la liberté d'association, garanti par la Charte, et le droit de conclure des ententes. Il ne protège ni les objectifs de l'association, ni les moyens d'atteindre ces objectifs.

(C'est nous qui soulignons.)

Cette décision nous amène à penser que, selon le savant juge, on ne pouvait invoquer les multiples ramifications de la Charte pour accorder au terme « association » un sens autre que celui qui lui est normalement reconnu.

Par conséquent, je suis d'avis que le droit à la liberté d'association, en l'espèce, ne s'étend pas, d'après la prépondérance des probabilités, aux rapports filiaux entre parents et enfants, selon le sens normalement accordé à ces rapports, dans le contexte de l'unité familiale normale, en tant qu'objet de ces rapports.


[46]            Dans l'arrêt Catholic Children's Aid Society of Metropolitan Toronto v. S.(T.) (1989), 69 O.R. (2d) 189 (C.A. Ont.), la Cour d'appel de l'Ontario a conclu :

[TRADUCTION] L'avocat de l'appelante a soutenu que le fait de mettre un terme au droit de visite de la mère naturelle, en vue de préparer l'adoption dans la présente affaire, constituerait une violation de la « liberté d'association » de cette dernière. La seule jurisprudence sur laquelle il a été en mesure de se fonder pour affirmer que cette liberté s'applique aux relations interpersonnelles comme celle qui existe entre un parent et un enfant est une remarque incidente du juge Kerans (les deux autres juges ont souscrit au résultat, mais pas à la discussion détaillée) de la Cour d'appel de l'Alberta dans Black v. Law Society of Alberta (1986), 27 D.L.R. (4th) 527, [1986] 3 W.W.R. 590, 44 Alta. L.R. (2d) 1, aux pages 542 et 543 :

À mon avis, la liberté comporte la liberté de s'associer avec d'autres personnes dans l'exercice des droits garantis par la Charte et également de ces autres droits qui -- au Canada -- sont considérés si fondamentaux qu'ils n'ont pas besoin d'être libellés de manière formelle : se marier, par exemple, ou fonder un foyer et une famille, poursuivre des études ou gagner sa vie.

D'autre part, nombre d'affaires ont expressément rejeté des prétentions selon lesquelles les relations familiales étaient protégées par la liberté d'association garantie par le paragraphe 2d) de la Charte. Par exemple, dans Re White and Director of Child Welfare (1985), 64 A.R. 81 (B.R. Alberta), on a statué que le paragraphe 2d) ne s'applique pas aux droits d'un grand-parent lorsque la garde ou la tutelle est en jeu; dans Re Downes and Minister of Employment & Immigration (1986), 4 F.T.R. 215 (C.F. 1re inst.), on a conclu que le paragraphe 2d) ne s'applique pas à une relation filiale pour empêcher l'expulsion du père; dans Horbas c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 22 D.L.R. (4th) 600, [1985] 2 C.F. 359 (C.F. 1re inst.), on a statué que la liberté d'association prévue par la Charte ne vise pas le droit d'un citoyen et de sa femme non citoyenne de cohabiter au Canada; et dans Nova Scotia (Minister of Community Services) v. S.(M.K.) (19 janvier 1989, N.S.C.A., non publié) [publié depuis dans 88 N.S.R. (2d) 418, 19 R.F.L. (3d) 75], on a jugé que la liberté garantie par la Charte aux termes du paragraphe 2d) ne comporte pas le droit de s'associer dans une unité familiale de manière à faire obstacle à une ordonnance plaçant un enfant sous les soins et la garde du ministre.

Dans une autre cause -- Shingoose v. Minister of Social Services (1983), 149 D.L.R. (3d) 400, 26 Sask. R. 235 (B.R. Sask.) (autorisation d'interjeter appel accordée, 4 D.L.R. (4th) 765, 31 Sask. R. 75 (C.A. Sask.), mais abandonnée le 19 février 1984) -- la cour devait se prononcer sur la contestation de dispositions relatives à l'arrestation des enfants au motif que ces dispositions contrevenaient à la liberté d'association entre une mère et son enfant. Le juge Halvorson a conclu (à la page 403) :

Même si le paragraphe 2d) avait pour but de protéger l'association entre un enfant et un parent, ce dont je doute, l'article premier de la Charte doit prévaloir pour limiter cette liberté. Quand un enfant est placée en garde préventive, c'est parce que l'agent a des motifs raisonnables de croire que la santé et le bien-être de l'enfant sont en danger immédiat. Une privation du droit d'association est justifiée dans l'intérêt supérieur de l'enfant. La perte de la liberté d'association dans de telles circonstances est une limite raisonnable prévue par la loi qui peut se justifier dans une société libre et démocratique.


Je crois que ces commentaires s'appliquent également à l'affaire dont nous sommes saisis. Toutefois, comme les cours citées ci-dessus, je conclurais également qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 2d) de la Charte.

Je ne voudrais pas laisser entendre que l'évolution de la portée de la liberté devrait se limiter à ce qui a traditionnellement été considéré comme étant visé par cette portée, du moins dans les débuts de l'interprétation de la Charte, cependant il doit s'agir d'un important point de départ. La nature publique des libertés fondamentales a été mise en relief. Comme nous ne sommes pas une société totalitaire, nous ne sommes pas préoccupés de ce qu'un individu peut dire ou écrire à lui-même. C'est la communication avec les autres que nous avons jugé importantes de protéger et à propos de laquelle des limites raisonnables, comme les lois concernant la diffamation, ont été appliquées. De même, les affaires dans notre histoire portant sur la liberté de religion ne visaient pas la conscience privée de l'individu, tant que sa manifestation publique par des individus ou son expression collective. Les libertés de réunion et d'association sont nécessairement collectives et donc principalement publiques. Nos préoccupations constitutionnelles ne visaient pas les réunions au sein des familles ni les associations entre les membres d'une famille. Au contraire, les protections qui nous préoccupent visent les réunions et les associations qui nous amènent en dehors du cercle de nos familles. La famille est un groupe, mais le souhait d'un membre d'une famille de s'associer à un autre ne vise pas tant la poursuite de buts en commun, ni même la poursuite d'activités en commun (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (1987), 38 D.L.R. (4th) 161 à la page 226, [1987] 1 R.C.S. 313 (C.S.C.), le juge McIntyre), que le simple fait d'être membres d'une famille. Un parent et un enfant peuvent s'associer pour un objectif économique, par exemple, mais la motivation vient de leur relation, plutôt que d'une relation créée par la motivation économique. Le souhait d'un parent d'être avec un enfant ne vise aucun but ni objectif comme ceux des associations ayant des buts économiques, politiques, religieux, sociaux, charitables ou même de divertissement. S'il a un but, il s'agit d'aimer et d'être aimé, de réconforter et de protéger ou d'être réconforté et protégé. Il peut s'agir d'un droit qui doit être protégé, comme dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans lequel l'article 22 traite de la liberté d'association, tandis que le paragraphe 23(1) prévoit :

23(1) La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État.

[47]            Dans les affaires précitées, les cours ont conclu que la liberté d'association garantie par le paragraphe 2d) de la Charte ne vise pas les relations familiales, cependant elles ont quand même procédé à une analyse fondée sur la Charte afin de déterminer si l'article premier de la Charte justifierait la négation de ce droit.


[48]            Dans la présente affaire, même si la liberté d'association était interprétée comme visant les relations familiales, je ne peux pas conclure qu'une procédure de dénombrement visuel dans un pénitencier enfreindrait la liberté d'association. Il est impossible de dire que la procédure de dénombrement visuel empêche l'association des demandeurs. Quoi qu'il en soit, l'article premier de la Charte justifierait la négation de la liberté d'association. À mon avis, la politique de dénombrement visuel est une limite raisonnable prévue par une règle de droit. La politique a pour objectif d'assurer la sécurité de quiconque se trouve dans un établissement à sécurité maximale en veillant à savoir où chaque personne se trouve.

[49]            La politique de dénombrement visuel vise à assurer la protection des détenus, des visiteurs et du personnel de l'Établissement en tout temps. L'objectif revêt donc suffisamment d'importance. La mesure adoptée comporte un lien rationnel avec l'objectif et compromet aussi peu que possible la liberté. Il existe un lien rationnel entre la procédure de dénombrement et l'objectif qui vise à assurer la sécurité de toutes les personnes qui se trouvent dans l'Établissement. La mesure porte également aussi peu atteinte que possible à la liberté d'association des demandeurs, étant donné qu'elle n'est appliquée que quatre fois par jour pour une très courte période de temps. En outre, la mesure est peu gênante car les visiteurs doivent rencontrer le personnel de l'Établissement à la porte de l'unité de visites familiales. Je crois que les incidences de la politique n'empiètent pas gravement sur les droits des demandeurs et que l'objectif de la politique n'est pas éclipsé par l'atteinte à la liberté d'association des demandeurs.

[50]            Cet argument ne tient donc pas.


ARTICLE 7

[51]            En se fondant sur cet article, les demandeurs prétendent que la politique enfreint leur droit à la liberté de la personne.

[52]            Bien que la liberté de mouvement des demandeurs puisse être enfreinte pendant la courte période durant laquelle le personnel de l'Établissement procédait à un dénombrement visuel, j'estime que la même analyse qui a été faite sous le régime de l'article premier de la Charte pour l'argument présenté par les demandeurs aux termes de l'article 2 de la Charte s'applique. Ainsi, même si une telle violation existe, l'article premier justifie la violation du droit des demandeurs à la liberté de la personne, si une telle violation existe.

[53]            Cet argument échoue aussi.

ARTICLE 12

[54]            En ce qui a trait à l'argument selon lequel la politique de dénombrement visuel équivaut à un traitement ou à une peine cruels et inusités, il est impossible d'y faire droit.

[55]            Dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, la Cour suprême a fourni les explications suivantes au sujet de l'article 12 :


Pour bénéficier de la protection offerte à l'art. 12, l'appelante doit établir deux éléments: d'une part, que l'État lui inflige un traitement ou une peine et, d'autre part, que le traitement ou la peine en question est cruel et inusité. En l'espèce, l'appelante allègue que la prohibition du suicide assisté a pour effet de lui imposer un traitement cruel et inusité en ce qu'elle prolonge ses souffrances jusqu'au moment de sa mort naturelle ou l'oblige à mettre fin plus tôt à sa vie c'est-à-dire à un moment où elle peut encore le faire sans aide. À mon avis, on ne peut dire que l'État inflige à l'appelante une peine au sens de l'art. 12. La question de savoir s'il lui impose un « traitement » est toutefois moins évidente.

Notre Cour n'a pas encore déterminé de façon définitive la mesure dans laquelle le mot « traitement » à l'art. 12 peut s'appliquer hors du contexte des peines imposées en vue de garantir l'application et l'exécution de la loi. Dans l'arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, dans lequel notre Cour a invalidé la peine minimale de sept ans pour importation de stupéfiants, le juge Lamer a mentionné à titre d'exemples de « traitements » qui seraient contraires à l'art. 12, par opposition à une peine, la lobotomie de certains criminels dangereux et la castration d'auteurs de crimes sexuels. Même en admettant qu'il puisse exister une distinction entre l'objectif de peines telles l'emprisonnement et le fouet, au moyen desquels le coupable paie sa dette à la société pour le mal qu'il a fait, et celui des traitements mentionnés par le juge Lamer, lesquels, pourrait-on prétendre, visent principalement à protéger la société contre le contrevenant, je remarquerais que ces traitements sont encore imposés par l'État dans le contexte de la répression de la conduite criminelle.

Dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, notre Cour laisse entendre que l'art. 12 pourrait s'appliquer en dehors du contexte criminel. Dans cette affaire, j'ai conclu au nom de la Cour que l'ordonnance d'expulsion en cause n'était pas une peine infligée à l'égard d'une infraction particulière, mais j'ai fait la remarque suivante, à la p. 735:

                                  Il se peut toutefois que l'expulsion constitue un « traitement » au sens de l'art. 12. En effet, selon la définition qu'en donne le Petit Robert I (1990), le terme « traitement » désigne un « (c)omportement à l'égard de (quelqu'un); actes traduisant ce comportement » . C'est toutefois là un point qu'il n'est pas nécessaire de trancher aux fins du présent pourvoi puisque, à mon avis, l'expulsion autorisée [. . .] n'est ni cruelle ni inusitée.

Bien que l'ordonnance d'expulsion en cause dans l'arrêt Chiarelli ne soit pas de nature pénale puisqu'elle ne résultait pas de la perpétration d'une infraction particulière, elle était néanmoins imposée par l'État dans le contexte de la mise en application d'une structure administrative étatique -- le régime d'immigration et ses règlements. Le cas de l'intimé Chiarelli, qui n'avait pas respecté les exigences imposées par le régime de réglementation, a été traité conformément aux préceptes du système administratif. Sous cet angle, tout « traitement » se situait toujours dans les limites du contrôle que l'État exerce sur l'individu dans le cadre du régime qu'il a établi.

Des instances inférieures ont jugé qu'il faudrait attribuer au « traitement » une portée beaucoup plus large qu'à la « peine » . Dans l'arrêt Soenen c. Director of Edmonton Remand Centre (1983), 6 C.R.R. 368 (B.R. Alb.), où il était question de restrictions imposées à l'accusé en détention provisoire dans l'attente de son procès, le juge McDonald a affirmé ce qui suit à la p. 372:

[TRADUCTION] À mon avis, le mot « traitement » n'est pas limité dans son étendue par le mot « peine » [. . .] De plus, le mot « traitement » est plus général que le mot « peine » , et aucun dénominateur commun apparent entre les deux ne pourrait, même si l'ordre des mots était renversé, entraîner l'application de la règle ejusdem generis.


De même, dans l'arrêt R. c. Blakeman (1988), 48 C.R.R. 222 (H.C. Ont.), le juge Watt a conclu qu'au niveau préliminaire, soumettre une personne malade à un procès peut constituer un traitement cruel. Il a fait les commentaires suivants à la p. 239:

[TRADUCTION] Le mot « traitement » s'entend d'une conduite, d'une action ou d'un comportement à l'égard de quelqu'un. Il a une portée plus large ou exhaustive que son partenaire disjonctif, le mot « peine » , en ce qu'il s'étend, du moins potentiellement, à toutes les formes d'incapacité ou de désavantage et non seulement à ceux qui sont imposés comme peine infligée pour garantir l'application et le respect de la primauté du droit.

D'autres actes sortant du contexte criminel ont été considérés comme un « traitement » aux fins de l'art. 12: les fouilles à nu (Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 369 (1re inst.), infirmé pour d'autres motifs [1989] 1 C.F. 18 (C.A.)), et le traitement médical imposé sans consentement à des patients handicapés mentaux (Howlett c. Karunaratne (1988), 64 O.R. (2d) 418). Mais voir également Re McTavish and Director, Child Welfare Act (1986), 32 D.L.R. (4th) 394 (B.R. Alb.), dans lequel on a conclu que l'art. 12 [TRADUCTION] « peut même être limité à des questions pénales ou quasi pénales » (p. 409).

Aux fins de la présente analyse, je suis disposé à présumer que le « traitement » au sens de l'art. 12 peut inclure ce qui est imposé par l'État dans un contexte de nature autre que pénale ou quasi pénale. Toutefois, je suis d'avis que la simple prohibition imposée par l'État à l'égard d'une certaine action, sans plus, ne peut constituer un « traitement » au sens de l'art. 12. Il ne faut pas en déduire qu'à mon avis, seules les actions positives de l'État peuvent être considérées comme des traitements au sens de l'art. 12; il peut très bien exister des situations où l'interdiction de certaines formes d'actions peut constituer un « traitement » , comme l'a laissé entendre le juge Dickson de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans l'arrêt Carlston c. New Brunswick (Solicitor General) (1989), 43 C.R.R. 105, qui était disposé à examiner si l'interdiction totale de fumer dans les établissements carcéraux constituait un « traitement » au sens de l'art. 12. La distinction entre cette affaire de même que toutes celles citées précédemment et la situation en l'espèce tient toutefois à ce que, dans les cas cités, l'individu est d'une certaine façon soumis à un contrôle administratif particulier de l'État. En l'espèce, l'appelante est simplement soumise aux dispositions du Code criminel, comme tous les citoyens. Le fait qu'en raison de la situation personnelle dans laquelle elle se trouve, une interdiction particulière la touche d'une façon qui lui cause des souffrances ne signifie pas qu'elle est soumise à un « traitement » imposé par l'État. De même, la personne affamée à qui il est interdit sous peine de sanction criminelle de « voler une bouchée de pain » n'est pas soumise à un « traitement » au sens de l'art. 12 en raison des dispositions sur le vol prévues au Code, pas plus que ne l'est l'héroïnomane à qui il est interdit de posséder de l'héroïne en vertu des dispositions de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1. Pour qu'elle constitue un « traitement » au sens de l'art. 12, l'action de l'État, qu'il s'agisse d'une action positive, d'une inaction ou d'une interdiction, doit faire intervenir la mise en oeuvre d'un processus étatique plus actif, comportant l'exercice d'un contrôle de l'État sur l'individu. À mon avis, soutenir que l'interdiction prévue à l'al. 241b), sans que l'appelante soit d'aucune façon soumise au système administratif ou judiciaire de l'État, se situe dans les limites de l'art. 12, forcerait le sens ordinaire de l'expression « contre tous traitements » imposés par l'État.

        Pour ces motifs, je conclus que l'al. 241b) ne viole pas l'art. 12.


[56]            Compte tenu de la jurisprudence qui précède, il semble que le terme « traitement » pourrait être utilisé dans un contexte non pénal ou quasi pénal, pour lequel il serait possible de dire que l'État exerce un contrôle sur un individu. Pour paraphraser ce qui a été dit dans Chiarelli, la politique de dénombrement visuel pourrait être considérée comme un traitement lorsque l'on considère que la politique est imposée par l'État dans le contexte de l'imposition d'une structure administrative de l'État, c.-à.-d. le système correctionnel et son ensemble de règles. Comme dans Chiarelli, la personne qui ne respecte pas les exigences imposées par le système de réglementation est traitée conformément aux préceptes du système administratif.

[57]            Néanmoins, même si la politique de dénombrement visuel devait être considérée comme un « traitement » , il serait impossible de dire qu'il s'agit d'un traitement cruel et inusité. Comme on l'a dit dans R. v. MacDonald, [1997] O.J. no 1806 :

[TRADUCTION] Le critère servant à déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens où l'entend l'article 12 de la Charte est de savoir si la peine infligée est « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » : Smith c. La Reine (1987), 34 C.C.C. (3d) 97 (C.S.C.) à la page 139, le juge Lamer (tel était alors son titre). Le critère de l'examen de l'article 12 de la Charte est donc la disproportion exagérée : il vise les peines qui sont davantage que simplement excessives.

[58]            En l'espèce, la politique ne peut pas être considérée comme exagérément disproportionnée. Par conséquent, l'argument est rejeté.

ARTICLE 15

[59]            Par rapport à cet article, l'argument des demandeurs est que la politique a été suivie de manière arbitraire et qu'elle a été adoptée expressément pour eux.


[60]            Les demandeurs n'ont pas réussi à présenter une preuve selon laquelle ils auraient été traités de manière discriminatoire en fonction des motifs énumérés à l'article 15. À ce moment-ci, il est impossible de dire que les demandeurs sont traités différemment des autres visiteurs. La politique s'applique à tous les visiteurs du pénitencier et, à moins d'une preuve contraire, le personnel de l'Établissement l'applique uniformément à tous les visiteurs. Si les demandeurs sont traités différemment, je ne suis pas convaincu qu'ils le sont en fonction des motifs énumérés à l'article 15.

[61]            L'analyse fondée sur l'article 15 a été exposée de la manière suivante dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 :

Dans Andrews, la façon d'aborder le par. 15(1) que le juge McIntyre a adoptée s'appuie sur trois éléments majeurs, à savoir: 1) si la loi impose une différence de traitement entre le demandeur et d'autres personnes; 2) si un motif de discrimination énuméré ou analogue constitue le fondement de la différence de traitement, et 3) si la loi en question a un but ou des effets « discriminatoires » . Par souci de commodité, dans le cadre des présents motifs, je ne mentionnerai que les règles de droit discriminatoires, faisant abstraction des diverses autres formes de mesures potentiellement discriminatoires de l'État. Le premier élément, soit la différence de traitement, est lié à la question de l'égalité aux fins du par. 15(1), mais il n'est pas déterminant quant à cette question. Les deuxième et troisième éléments, selon la méthode du juge McIntyre, servent à déterminer si la différence de traitement en question constitue de la discrimination au sens du par. 15(1) de la Charte. Dans son exposé détaillé sur ces trois éléments, le juge McIntyre a fait ressortir clairement que l'analyse de chacun devait être entreprise en fonction de l'objet visé et du contexte, en prenant en considération l' « aspect réparateur important » (p. 171) du par. 15(1) et l'objet de cette disposition, qui est de combattre le fléau de la discrimination.

[...]

Il est impossible d'évaluer une allégation fondée sur le par. 15(1) sans identifier les caractéristiques ou la situation personnelles précises de la personne ou du groupe qui la formule et sans comparer le traitement dont cette personne ou ce groupe fait l'objet à un élément de comparaison pertinent. Cette comparaison permet de déterminer si la personne qui invoque le par. 15(1) subit une différence de traitement, ce qui constitue la première étape de la détermination de la présence d'inégalité discriminatoire aux fins de ce paragraphe.

[...]


Abordant ensuite l'exigence selon laquelle la personne qui invoque le par. 15(1) doit démontrer que la différence de traitement est discriminatoire pour établir la présence d'une violation de la Charte, le juge McIntyre a défini la « discrimination » de la façon suivante, aux pp. 174 et 175:

       . . .la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

[...]

Comme il l'a dit aux pp. 180 et 181, « [l]'expression "indépendamment de toute discrimination" exige davantage qu'une simple constatation de distinction dans le traitement de groupes ou d'individus » . De plus, « pour vérifier s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur le motif allégué de discrimination et de décider s'il s'agit d'un motif énuméré ou analogue » (p. 182). Il faut plutôt « attribuer au par. 15(1) un rôle qui va au-delà de la simple reconnaissance d'une distinction légale » fondée sur un tel motif. La protection des droits à l'égalité s'intéresse aux distinctions véritablement discriminatoires. Un fardeau discriminatoire ou la privation d'un avantage, a dit le juge McIntyre, doit être considéré en fonction de la situation réelle et dans le contexte de l'évolution historique des lois antidiscriminatoires canadiennes, dont les codes des droits de la personne: « L'expression "indépendamment de toute discrimination" [. . .] est une forme de réserve incorporée dans l'art. 15 lui-même qui limite les distinctions prohibées par la disposition à celles qui entraînent un préjudice ou un désavantage » (pp. 180 et 181).

[...]

Enfin, au sujet du rôle des divers motifs de discrimination expressément énumérés au par. 15(1), le juge McIntyre a déclaré, à la p. 175, qu'ils « traduisent [. . .] les pratiques de discrimination les plus courantes, les plus classiques et vraisemblablement les plus destructrices socialement » , mais a fait remarquer qu'une allégation fondée sur ce paragraphe peut aussi être fondée sur un motif analogue, conformément à la formulation de la disposition et à l'interprétation appropriée de son objet réparateur. S'exprimant au nom de la majorité et approfondissant la question particulière des motifs analogues, le juge Wilson a expliqué, à la p. 152, qu'un motif peut être qualifié d'analogue à ceux qui sont énumérés au par. 15(1) si les personnes caractérisées par la particularité en question sont, notamment, « dépourvu[es] de pouvoir politique » , « susceptibles de voir leurs intérêts négligés et leur droit d'être considéré et respecté également violé » et qu'elles courent « [l]e risque [de devenir] un groupe défavorisé » en raison de cette particularité.

[...]


Appliquant l'analyse énoncée dans Andrews, précité, et l'analyse en deux étapes décrite notamment dans Egan et Miron, précités, le tribunal appelé à décider s'il y a eu discrimination au sens du par. 15(1) devrait se poser les trois grandes questions suivantes. Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique? Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1).

[62]            À mon avis, les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'ils sont (1) traités différemment et (2) traités différemment en fonction de motifs énumérés et analogues.

[63]            Cet argument doit donc échouer.

2. La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 3, 4, 5, 69, 71, 76 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

[64]            La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit :



But du système correctionnel

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

Principes de fonctionnement

4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l'application du processus correctionnel;

b) l'exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment des motifs et recommandations donnés par le juge qui l'a prononcée, des renseignements obtenus au cours du procès ou dans la détermination de la peine ou fournis par les victimes et les délinquants, ainsi que des directives ou observations de la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui touche la libération;

c) il accroît son efficacité et sa transparence par l'échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d'orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu'au grand public;

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

f) il facilite la participation du public aux questions relatives à ses activités;

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

h) ses directives d'orientation générale, programmes et méthodes respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones et à d'autres groupes particuliers;

i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d'octroi des permissions de sortir, des placements à l'extérieur et des libérations conditionnelles ou d'office et qu'ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;

j) il veille au bon recrutement et à la bonne formation de ses agents, leur offre de bonnes conditions de travail dans un milieu exempt de pratiques portant atteinte à la dignité humaine, un plan de carrière avec la possibilité de se perfectionner ainsi que l'occasion de participer à l'élaboration des directives d'orientation générale et programmes correctionnels.

Maintien en existence

5. Est maintenu le Service correctionnel du Canada, auquel incombent les tâches suivantes :

a) la prise en charge et la garde des détenus;

b) la mise sur pied de programmes contribuant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale;

c) la préparation des détenus à leur libération;

d) la supervision à l'égard des mises en liberté conditionnelle ou d'office et la surveillance de longue durée de délinquants;

e) la mise en oeuvre d'un programme d'éducation publique sur ses activités.

Cruauté

69. Il est interdit de faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant à un délinquant, d'y consentir ou d'encourager un tel traitement.

Rapports avec l'extérieur

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier.

Disposition générale

76. Le Service doit offrir une gamme de programmes visant à répondre aux besoins des délinquants et à contribuer à leur réinsertion sociale.

Accès à la procédure de règlement des griefs

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

Purpose of correctional system

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

Principles that guide the Service

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

(b) that the sentence be carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, other information from the trial or sentencing process, the release policies of, and any comments from, the National Parole Board, and information obtained from victims and offenders;

(c) that the Service enhance its effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system, and through communication about its correctional policies and programs to offenders, victims and the public;

(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

(f) that the Service facilitate the involvement of members of the public in matters relating to the operations of the Service;

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

(h) that correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and be responsive to the special needs of women and aboriginal peoples, as well as to the needs of other groups of offenders with special requirements;

(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration; and

(j) that staff members be properly selected and trained, and be given

(i) appropriate career development opportunities,

(ii) good working conditions, including a workplace environment that is free of practices that undermine a person's sense of personal dignity, and

(iii) opportunities to participate in the development of correctional policies and programs.

Correctional Service of Canada

5. There shall continue to be a correctional service in and for Canada, to be known as the Correctional Service of Canada, which shall be responsible for

(a) the care and custody of inmates;

(b) the provision of programs that contribute to the rehabilitation of offenders and to their successful reintegration into the community;

(c) the preparation of inmates for release;

(d) parole, statutory release supervision and long-term supervision of offenders; and

(e) maintaining a program of public education about the operations of the Service.

Cruel treatment, etc.                                

69. No person shall administer, instigate, consent to or acquiesce in any cruel, inhumane or degrading treatment or punishment of an offender.

Contacts and visits

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

Programs for offenders generally

Programs for offenders generally

76. The Service shall provide a range of programs designed to address the needs of offenders and contribute to their successful reintegration into the community.

Access to grievance procedure

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.



[65]            On ne peut pas dire que la politique de dénombrement visuel a été adoptée en contravention de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le paragraphe 71(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit qu'un détenu a le droit d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier, dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier.

[66]            La politique de dénombrement visuel n'enfreint pas le droit du détenu d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations avec sa famille, ses amis et d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier. Le détenu entretient toujours des relations avec sa famille même s'ils doivent se soumettre à un dénombrement visuel quatre fois par jour. En outre, la politique de dénombrement visuel est une limite raisonnable fixée par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier. En réalité, la politique de dénombrement témoigne du principe établi au paragraphe 4d) selon lequel les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants auxquels le service a recours doivent être le moins restrictives possible.

[67]          La politique de dénombrement visuel est la mesure la moins restrictive qui assure la protection du public, des agents et des délinquants dans le pénitencier. Les demandeurs sont seulement tenus de rencontrer le personnel de l'Établissement à la porte de l'unité de visites familiales, ainsi l'intimité est transgressée aussi peu que possible.

                                                         

[68]            En ce qui concerne l'article 69 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, je ne peux pas conclure que la politique de dénombrement visuel constitue un traitement inhumain, cruel ou dégradant du délinquant, Derik Lord.


[69]          Par conséquent, je suis d'avis que la politique de dénombrement visuel en vigueur à l'Établissement pendant la visite familiale des demandeurs ne contrevenait pas à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'argument des demandeurs relativement à cette question n'est pas accepté lui non plus.

3. La politique d'inspection visuelle en vigueur à l'Établissement contrevient-elle aux articles 2, 3, 4 et 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[70]            La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit :



OBJET

Objet

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE

Dispositions générales

Motifs de distinction illicite

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite ont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Idem

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

Multiplicité des motifs

3.1 Il est entendu que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l'effet combiné de plusieurs motifs.

Ordonnances relatives aux actes discriminatoires

4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 peuvent faire l'objet d'une plainte en vertu de la partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet des ordonnances prévues aux articles 53 et 54.

APPLICATION

Obligation de Sa Majesté

66. (1) La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada sauf en ce qui concerne les gouvernements du territoire du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du territoire du Nunavut.

PURPOSE OF ACT

Purpose

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

PROSCRIBED DISCRIMINATION

General

Prohibited grounds of discrimination

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

Idem

(2) Where the ground of discrimination is pregnancy or child-birth, the discrimination shall be deemed to be on the ground of sex.

Multiple grounds of discrimination

3.1 For greater certainty, a discriminatory practice includes a practice based on one or more prohibited grounds of discrimination or on the effect of a combination of prohibited grounds.

Orders regarding discriminatory practices

4. A discriminatory practice, as described in sections 5 to 14.1, may be the subject of a complaint under Part III and anyone found to be engaging or to have engaged in a discriminatory practice may be made subject to an order as provided in sections 53 and 54.

APPLICATION

Binding on Her Majesty

66. (1) This Act is binding on Her Majesty in right of Canada, except in matters respecting the Government of the Yukon Territory, the Northwest Territories or Nunavut.


[71]            Je ne suis pas convaincu que la Cour devrait examiner une prétention de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, car cette Loi comporte une procédure qui prévoit qu'une telle plainte doit être présentée devant la Commission canadienne des droits de la personne.


[72]            Quoiqu'il en soit, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les demandeurs sont tenus de démontrer qu'ils ont fait l'objet d'actes discriminatoires. Comme l'analyse relative à l'article 15 de la Charte l'a démontré, les demandeurs n'ont pas réussi à faire la preuve qu'ils ont souffert de discrimination en raison de la politique.

4. La défenderesse a-t-elle manqué à son devoir d'agir équitablement en omettant d'informer au préalable les visiteurs des règlements qui devaient être suivis pendant la visite familiale privée à l'Établissement le 28 mai 1997?

[73]            La directive du Commissaire no 770 prévoit à l'article 35 :


Les visiteurs et les détenus admissibles doivent être informés au préalable de tous les règlements régissant les visites familiales privées.

Visitors and eligible inmates shall be advised of all rules and regulations governing private family visiting, prior to the commencement of visits.


[74]            La prise en considération des mesures que la défenderesse devait prendre pour informer au préalable les visiteurs des règlements variera. Dans R. v. Christie, [1991] B.C.J. no 3876 (C.S.) le juge Gow a statué :

[TRADUCTION] L'accusée n'a pas fourni de preuve relativement au voir-dire, je ne sais donc pas si elle a déjà lu l'Avis et si elle a regardé le Guide des visiteurs en prenant une brochure, et en prenant le temps d'en examiner le contenu, mais je suis d'avis que les deux étaient visibles, et les brochures étaient facilement accessibles et j'ai conclu qu'un citoyen qui visitera une prison afin de visiter un détenu a le devoir de s'informer de la documentation disponible relativement aux règles applicables aux visiteurs et aux visites. Si ce citoyen choisit de ne pas lire l'Avis et de ne pas profiter des brochures offertes, néanmoins, afin de décider dans quelle mesure le visiteur devrait s'attendre au respect de sa vie privée, je conclus que le citoyen est réputé l'avoir fait et être au courant des renseignements figurant dans l'Avis et la brochure qui lui étaient destinés.


[75]            Ainsi, il pourrait être possible de dire qu'en affichant un avis et en mettant des brochures à la disposition des demandeurs en ce qui concerne la politique de dénombrement, la défenderesse a rempli son devoir d'informer. Toutefois, compte tenu de la directive du Commissaire, il semble que le devoir de la défenderesse est plus exigeant que cela car la directive précise que les visiteurs doivent être avisés au préalable des règlements relatifs aux visites des détenus. Par conséquent, le devoir pourrait exiger que la défenderesse rende les brochures disponibles avant les visites et qu'elle veille à ce qu'il soit possible de prendre connaissance de l'avis relatif à la politique de dénombrement avant le début de la visite.

[76]            Un avis portant sur la politique d'inspection visuelle dans chaque unité de visites familiales privées suffit pour assurer que les règlements sont communiqués aux visiteurs avant le début de leur visite. Les politiques régissant les visites familiales privées ont également été expliquées aux demandeurs pendant l'enquête communautaire; le devoir d'informer a donc, à mon avis, été acquitté.

5. David Lord était-il soumis à des traitements ou à des peines cruels et inusités aux termes de l'article 12 de la Charte quand il était contraint à se lever le matin et à sortir pour être compté étant donné que comme il travaillait régulièrement de nuit, il avait l'habitude de dormir jusqu'à 11 h tous les jours?

[77]            L'analyse juridique précédente, afférente à l'article 12 de la Charte, à laquelle j'ai procédé quand j'ai répondu à la première question soulevée en l'espèce, s'applique également à la présente question. Le fait d'avoir à se lever plus tôt qu'à l'habitude dans le cadre d'une participation à une visite familiale privée ne peut pas équivaloir à un traitement ou à une peine cruels et inusités au sens où l'entend l'article 12 de la Charte. Comme je l'ai déjà mentionné, on ne peut pas conclure qu'il s'agit d'une peine ou d'un traitement exagérément disproportionné eu égard aux normes de la société.


Relativement à l'interruption de la visite familiale privée

6. Le Service correctionnel du Canada était-il tenu d'accorder une audition équitable aux demandeurs avant de mettre fin à la visite familiale privée à l'établissement de Kent le 28 mai 1997?

[78]            Les articles 91 et 92 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoient :



1. (1) Sous réserve de l'article 93, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut autoriser l'interdiction ou la suspension d'une visite au détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire :

a) d'une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

b) d'autre part, que l'imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d'enrayer le risque.

(2) Lorsque l'interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

a) elle reste en vigueur tant que subsiste le risque visé à ce paragraphe;

b) le directeur du pénitencier ou l'agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

92. (1) Sous réserve de l'article 93, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut autoriser la suspension complète des droits de visite de tous les détenus du pénitencier lorsque la sécurité de celui-ci est sérieusement menacée et qu'il n'existe aucune autre solution moins restrictive.

(2) La suspension des droits de visite visée au paragraphe (1) doit être revue :

a) dans les cinq jours d'application de cette mesure, par le responsable de la région;

b) dans les 14 jours d'application de cette mesure, par le commissaire.

(1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) plan or commit a criminal offence; and

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

(2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1), (a) the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to in that subsection continues; and

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

92. (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize a complete suspension of the visiting rights of all inmates in a penitentiary where the security of the penitentiary is significantly jeopardized and no less restrictive measure is available.

(2) Every complete suspension of visiting rights under subsection (1), shall be reviewed by

(a) the head of the region on or before the fifth day of the suspension; and

(b) by the Commissioner on or before the fourteenth day of the suspension.


[79]              Les articles 17, 18 et 19 de la directive du Commissaire no 770 sont une répétition du règlement précédent. Ils prévoient :



17. Le directeur peut autoriser le refus ou la suspension d'une visite à un détenu par un membre de la collectivité lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire :

a. que, au courant de la visite, le détenu ou le membre de la collectivité risque :

(1) de compromettre la sécurité de l'établissement ou de quiconque; ou

(2) de planifier ou de commettre un acte criminel;

b. que le fait d'apporter des restrictions aux modalités relatives à la visite ne permettrait pas de réduire le risque.

18. Lorsqu'une interdiction ou une suspension de visite est autorisée en vertu du paragraphe 17 :

a. elle reste en vigueur tant que le risque visé demeure;

b. le directeur doit rapidement informer par écrit le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet (le titre de la personne à qui adresser ces observations devrait être indiqué);

c. les informations fournies doivent respecter les restrictions imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels, notamment pour éviter que des renseignements personnels soient communiqués à l'une ou l'autre des parties, à moins que la personne touchée ait consenti par écrit à la divulgation de l'information.

19. Chaque visite doit faire l'objet d'une évaluation distincte. L'interdiction ou la suspension des droits de visite d'un individu en particulier à un détenu ne peut se faire que dans le respect du devoir d'agir équitablement et ne reste en vigueur que tant que subsiste le risque ayant justifié l'interdiction ou la suspension de ce droit. Une réévaluation du risque devra être effectuée au moins tous les six (6) mois. Le résultat ainsi que la décision devront être communiqués au détenu par écrit dans les quatorze (14) jours.

17. The Institutional Head may authorize the refusal or suspension of a visit between an inmate and a member of the public where he or she believes on reasonable grounds that:

a. during the course of the visit the inmate or the member of the public would:

(1) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of an individual;

or

(2) plan or commit a criminal offence; and

b. restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

18. Where a refusal or suspension of visit is authorized under paragraph 17:

a. the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to continues;

b. the Institutional Head shall inform the inmate and the visitor promptly, in writing, of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto. The title of the person to whom they should address their representations should be indicated; and

c. the extent of the information shared shall take into consideration limitations of the Privacy Act, namely to avoid the disclosure of any personal information to either party, unless the affected party agrees in writing to the disclosure.

19. Each visit shall be assessed on a case-by-case basis. The refusal or suspension of a visit from a specific individual to a particular inmate shall occur in accordance with the Duty to Act Fairly. The refusal or suspension of a visit from a specific individual shall continue only for as long as the risk which justified the refusal or suspension of the visit continues. The re-assessment of the risk shall be done not less than once every six (6) months and the result and the decision shall be forwarded in writing to the inmate within fourteen (14) days.


[80]            Les articles 17 à 19 de la directive du Commissaire no 770 s'appliquent aux visites en général. Toutefois, j'estime qu'ils s'appliquent en l'espèce.

[81]            Les articles 29 et 30 de la directive du Commissaire no 770 prévoient :


29. Le directeur peut refuser toute permission de visite familiale privée, même quand les conditions susmentionnées sont remplies, si les rapports établis par la gestion des cas montrent clairement que le visiteur ou le détenu devrait être considéré comme inadmissible en raison d'un danger éventuel pour le détenu ou le visiteur ou de toute autre circonstance exceptionnelle.

30. Quand une demande de participation à la visite familiale privée est refusée, le détenu et le visiteur doivent être rapidement informés par écrit des motifs de cette mesure et de la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet. Le titre de la personne à qui adresser ces observations devrait être indiqué. Les informations fournies doivent respecter les restrictions imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels, notamment pour éviter que des renseignements personnels soient communiqués à l'une ou l'autre des parties.

29. The Institutional Head may refuse to permit a private family visit, even if the above conditions are fulfilled on the basis of case management reports which clearly indicate that a visitor or inmate should be considered ineligible to participate in private family visiting due to a potential for harm to the inmate or the visitor(s), or for any other exceptional circumstance.

30. When an inmate's application for a private family visit is refused, the inmate and the visitor shall promptly be provided, in writing, with the reasons for the refusal or suspension and shall be given an opportunity to make representations with respect thereto. The title of the person to whom they should address their representations should be indicated. The extent of the information shared should take into consideration limitation of the Privacy Act, namely to avoid the disclosure of any personal information to either party.


[82]            L'article 91 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère au directeur du pénitencier ou à un agent le pouvoir de suspendre une visite au détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire que le visiteur risque, au cours de la visite, de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque.


[83]            Il n'est pas nécessaire de tenir une audience avant de décider de suspendre la visite. Il faut cependant que le directeur du pénitencier informe promptement le détenu et le visiteur des motifs de l'interdiction ou de la suspension et leur fournisse la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

[84]            Le paragraphe 18b) de la directive du Commissaire prévoit également que le directeur du pénitencier doit rapidement informer par écrit le détenu et le visiteur des motifs de l'interdiction ou de la suspension et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet. Le titre de la personne à qui adresser ces observations devrait être indiqué.

[85]            La défenderesse a respecté ces exigences. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si la justice naturelle exige que la défenderesse procède à une audience avant de suspendre la visite. À mon avis, la défenderesse ne devait pas tenir une audience avant de suspendre la visite.


[86]            Dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, le directeur a imposé la ségrégation aux appelants après leur participation alléguée à une prise d'otage. Le directeur n'a pas fait d'enquête indépendante, mais s'est fondé sur ce qu'il avait appris du directeur de l'établissement de Matsqui et du personnel du bureau central régional. Le Conseil d'examen des cas de ségrégation, qui a examiné la ségrégation des appelants chaque mois conformément à l'article 40 du Règlement, a recommandé leur réintégration dans la population carcérale générale. Les appelants ont comparu devant le Conseil. Le directeur a refusé de suivre la recommandation du Conseil parce que la levée de la ségrégation des appelants avant la décision sur les accusations criminelles pendantes contre eux aurait comme conséquence « probable » ou « possible » d'amener un élément perturbateur dans la population carcérale. Le directeur n'a pas indiqué aux appelants pourquoi il refusait de suivre la recommandation du Conseil et il ne leur a pas accordé la possibilité de se faire entendre sur le point de savoir s'il devrait suivre la recommandation. La Cour suprême a énoncé au paragraphe 15 :

Évidemment, il s'agit de déterminer ce que l'obligation de respecter l'équité dans la procédure peut raisonnablement exiger des autorités en tant que droit précis en matière de procédure dans un contexte législatif et administratif donné et ce qui devrait être considéré comme une violation de l'équité dans des circonstances particulières. Cette Cour a souligné, dans l'arrêt Martineau (No 2), précité, la prudence avec laquelle il faut aborder cette question dans le contexte de l'administration carcérale. Le juge Pigeon, aux motifs duquel les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et Pratte ont souscrit, dit à la p. 637 :

Je dois cependant souligner que l'ordonnance rendue par le juge Mahoney ne porte que sur la compétence de la Division de première instance, non sur la question de savoir si le redressement devrait être accordé dans les circonstances de l'espèce. Cela dépendra de l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire et, à cet égard, il sera essentiel de garder à l'esprit les exigences de la discipline carcérale, tout comme il est essentiel de garder à l'esprit les exigences de l'administration efficace de la justice pénale lorsqu'on traite de demandes de certiorari avant le procès, comme cela vient d'être souligné dans Le procureur général de la province de Québec c. Cohen ([1979] 2 R.C.S. 305). Il est particulièrement important de n'accorder ce redressement que dans des cas d'injustice grave et de bien veiller à ce que ces procédures ne servent pas à retarder le châtiment mérité au point de le rendre inefficace, sinon de l'éviter complètement.

Le juge Dickson (alors juge puîné) aux motifs duquel le juge en chef Laskin et le juge McIntyre ont souscrit, exprime la même mise en garde à la p. 630 dans les termes suivants :


Il faut souligner que les cours n'interviendront pas dans tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La nature même d'un établissement carcéral requiert que des décisions soient prises "sur-le-champ" par les fonctionnaires et le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une intervention ne sera pas justifiée dans le cas d'incidents triviaux ou purement théoriques. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu une violation des règles carcérales, mais plutôt s'il y a eu une violation de l'obligation d'agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour répondre à cette question: elles révèlent le degré de protection procédurale dont doivent jouir les détenus, de l'avis des autorités carcérales.

Dans l'arrêt R. v. Hull Prison Board of Visitors, ex parte St Germain, [1979] 1 All E.R. 701, la Cour d'appel souligne la même prudence dont les juges Pigeon et Dickson ont parlé dans l'arrêt Martineau (No 2), précité. Dans cet arrêt le lord juge Megaw dit, à la p. 713, à propos du contrôle judiciaire des décisions disciplinaires prises dans les prisons :

[TRADUCTION] Ce ne sont certainement pas tous les manquements aux règles de procédure qui justifieront ou requerront l'intervention des cours. À mon avis, cette intervention ne sera requise et justifiée que s'il y a quelque omission d'agir équitablement, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, et si ce manque d'équité peut être considéré comme la cause d'une injustice importante, susceptible de redressement plutôt qu'une injustice banale ou simplement technique.

Bien que le juge en chef McEachern ait sévèrement critiqué l'imposition de la ségrégation administrative par instructions verbales non suivies dès que possible de la raison de la décision par écrit, il a jugé, comme je l'ai déjà indiqué, qu'en l'espèce, l'imposition de la ségrégation administrative à l'origine constituait un exercice légal du pouvoir discrétionnaire du directeur en vertu du par. 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers et qu'elle n'avait pas été faite inéquitablement. Cette conclusion n'a pas été sérieusement contestée en appel et, d'ailleurs, il ne semble pas qu'on puisse la contester. À cause de la nature apparemment pressante ou urgente de la décision d'imposer la ségrégation dans les circonstances particulières du cas, il ne pouvait y avoir d'exigence ni à l'égard d'un avis préalable ni à l'égard d'une audition préalable à la décision.

[Non souligné dans l'original.]


[87]            Par conséquent, il semble que l'exigence de donner un préavis et la possibilité de se faire entendre avant que la décision ne soit rendue tombe lorsque la décision paraît de nature urgente. En l'espèce, je crois que l'équité procédurale n'exige pas la tenue d'une audience avant qu'une décision relative à la suspension d'une visite ne soit prise. La décision de suspendre une visite est fondée sur des motifs raisonnables de croire qu'un détenu ou un visiteur compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque. En conséquence, je vois mal comment le devoir d'équité procédurale pourrait imposer à la défenderesse de tenir une audience avant de décider de suspendre des visites lorsque la sécurité de quiconque se trouve dans le pénitencier est en jeu. À mon avis, le fait que David Lord ait refusé d'être compté constituait un motif raisonnable à la décision de suspendre la visite. Il s'agit également d'un motif suffisant pour témoigner de la nature apparemment urgente de la décision.

[88]            Je crois que l'exigence imposée par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition selon laquelle la défenderesse doit donner aux demandeurs la possibilité de se faire entendre peu après que la décision de suspendre la visite a été rendue est suffisante et respecte l'équité procédurale.

[89]            Dans Cardinal, précité, la Cour suprême a dit :

La question est donc de savoir ce que l'équité dans la procédure exigeait du directeur dans l'exercice de son pouvoir, en application de l'art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, de maintenir la ségrégation ou l'isolement administratifs des appelants, malgré la recommandation du Conseil, s'il était convaincu qu'elle était nécessaire ou souhaitable pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'établissement. Je suis d'accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d'appel qu'à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l'équité dans la procédure exigeait qu'il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s'il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l'ordre et la discipline dans l'établissement. Avec égards, je ne crois pas que l'on ait satisfait à l'exigence d'avis et d'audition incombant au directeur, comme le suggère le juge Macdonald, parce que les appelants savaient par suite de leur comparution devant le Conseil d'examen des cas de ségrégation pourquoi ils avaient été mis en ségrégation. Ils avaient le droit de savoir pourquoi le directeur n'avait pas l'intention de suivre la recommandation du Conseil et d'avoir la possibilité d'exposer devant lui leurs arguments en faveur de leur réintégration dans la population générale de l'établissement. Je ne crois pas que le directeur ait eu l'obligation de tenir une enquête indépendante sur la participation des appelants à la prise d'otage. Il pouvait se fier aux renseignements relatifs à l'incident qui lui avaient été communiqués par le directeur de l'établissement de Matsqui et le personnel du bureau central régional. En même temps, il avait l'obligation d'entendre les appelants et de tenir compte de ce qu'ils avaient à dire à propos de leur participation alléguée à l'incident, de même que de tout autre sujet qui pouvait avoir trait à la question de savoir si la levée de leur ségrégation pouvait introduire un élément perturbateur dans la population carcérale générale et avoir ainsi des conséquences néfastes sur le maintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement.


Ce sont là, à mon avis, les exigences minimales ou essentielles de l'équité dans la procédure dans les circonstances et elles sont tout à fait compatibles avec le souci de ne pas indûment alourdir ou bloquer le processus de l'administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l'imposition d'exigences de procédure déraisonnables ou impropres. Rien n'indique quel'obligation du directeur en matière d'avis et d'audition, lorsqu'il n'entend pas donner suite à une recommandation d'un Conseil d'examen des cas de ségrégation de lever la ségrégation d'un détenu, imposerait un fardeau excessif à l'administration carcérale ou mettrait la sécurité en danger.

[Non souligné dans l'original]

[90]            J'estime qu'en l'espèce, l'équité procédurale a été respectée et n'exigeait pas davantage de mesures que celles prises par la défenderesse. Dans la présente affaire, les demandeurs ont reçu des explications relativement à l'interruption de la visite et ils ont eu également la possibilité de présenter des observations à ce sujet. Par conséquent, cet argument est rejeté.

7. L'Établissement a-t-il accusé, jugé, déclaré coupable et condamné Vera Lord d'agression sans lui fournir la possibilité de nier les allégations avancées contre elle?

[91]            Les demandeurs prétendent que Vera Lord n'a pas eu la possibilité de nier les allégations d'agression avancées contre elle. La défenderesse s'est fondée sur le fait que Vera Lord a agressé un agent et a frappé une caméra vidéo avec un cintre pendant la visite familiale du 28 mai 1997, afin de refuser de lui accorder de nouveau le privilège d'une visite familiale privée.


[92]            Je suis d'avis que Vera Lord a eu la possibilité d'exposer sa cause en ce qui concerne son privilège de visite, devant le Comité d'examen des visites le 11 juin 1997. Il s'agit toutefois de déterminer si l'avis qu'elle a reçu était suffisant pour l'informer de la nature des allégations avancées contre elle et sur lesquelles le Comité d'examen des visites allait se fonder dans son examen de la décision de suspendre son privilège de visite.

[93]            Or, la décision du Conseil aurait pu être contestée par voie de contrôle judiciaire et je n'ai pas la responsabilité de trancher la question dans la présente action.

8. Les droits de David Lord et de Coralee Lord garantis par la Charte ont-ils été violés par le maintien de la suspension des visites?

[94]            Conformément à l'article 91 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et aux articles 17 à 19 de la directive du commissaire no 770, le directeur du pénitencier était habilité à suspendre les droits de visite de David Lord et de Coralee Lord si le visiteur compromettait la sécurité du pénitencier ou de quiconque. Conformément aux articles 29 et 30 de la directive du commissaire no 770, le directeur peut refuser toute permission de visite familiale privée dans des circonstances exceptionnelles.

[95]            Quant à la présente question, j'estime qu'il était raisonnable de suspendre les droits de visite de David Lord et de Coralee Lord parce que ceux-ci faisaient face à des accusations criminelles devant la cour pour des raisons relatives aux événements du 28 mai 1997 et compte tenu des événements survenus il était raisonnable de croire qu'ils compromettraient la sécurité du pénitencier ou de quiconque.


9. La manière dont les demandeurs ont été mis à la porte sans être autorisés à prendre leurs affaires a-t-elle donné lieu au recours à une force excessive et à de la rudesse?

[96]            Les agents sont autorisés à avoir recours à une force raisonnable, lorsque c'est nécessaire. Par exemple, ils ne peuvent pas provoquer la « violence » , mais ils ont le droit de réagir à la « violence » d'une personne. Il faut déterminer si la force employée était raisonnable vu les circonstances.

[97]            La Cour a entendu neuf témoins, dont les six demandeurs et trois représentants de la défenderesse.

[98]            La Cour a également pu profiter de deux bandes vidéo qui ont été enregistrées le 28 mai 1997.

[99]            Les événements survenus les 27 et 28 mai 1997 forment le fondement de la présente demande. La Cour ne s'attardera pas aux faits sur lesquels les parties s'entendent. J'examinerai plutôt les éléments particuliers à propos desquels les parties sont en désaccord.


[100]        Compte tenu de la preuve, il est évident que les six membres de la famille Lord ont tous appris qu'une nouvelle procédure de dénombrement était en vigueur quand ils sont arrivés à la maison pour la visite familiale privée le 27 mai 1997. Cette procédure de dénombrement visuel, énoncée dans l'ordre permanent no 565 de Kent, n'était en vigueur que depuis quelques semaines, car elle avait été adoptée le 10 mars 1997. Par conséquent, le 27 mai 1997, cette procédure était en vigueur et manifestement, tous les demandeurs étaient assez contrariés par cette nouvelle procédure de dénombrement.

[101]        Quoi qu'il en soit, tous sauf David Lord ont accepté d'être comptés. Derik Lord était aussi compté quatre fois par jour, mais en vertu de la procédure de dénombrement pour la population carcérale qui se tenait à des heures différentes de la procédure de dénombrement destinée aux visiteurs. Les cinq autres membres de la famille devaient également être comptés, mais selon la nouvelle procédure de dénombrement destinée aux visiteurs.

[102]        La preuve montre que le 27 mai 1997 à 15 h les gardiens ont procédé à l'inspection visuelle. Pendant ce dénombrement visuel, David Lord a fait part de ses objections relativement à la procédure de dénombrement.

[103]        Le premier élément sur lequel les parties ne s'entendent pas relativement aux événements du 27 mai 1997 est que David Lord a prétendu avoir conclu une entente avec les responsables des services correctionnels selon laquelle la procédure de dénombrement était suspendue jusqu'au lendemain où il devait rencontrer le directeur à 14 h 30 pour discuter de l'application de la politique de dénombrement.


[104]        L'existence d'une telle entente a été niée par les témoins de la défenderesse, de même que par les événements survenus le lendemain matin, le 28 mai 1997, quand l'agent des services correctionnels a voulu compter les demandeurs. Encore une fois, le 28 mai 1997, tout le monde a observé la procédure de dénombrement sauf David Lord qui, même s'il s'était levé vers 9 h, était assez contrarié et a insisté auprès des agents des services correctionnels pour dire qu'il avait conclu une entente avec les responsables le jour précédant selon laquelle le dénombrement visuel serait suspendu jusqu'à ce qu'il rencontre le directeur, dans l'après-midi.

[105]        De nouveau, les réactions des agents des services correctionnels ont été claires : ils n'ont pas admis le fait qu'une entente avait été conclue en vue de suspendre la procédure de dénombrement visuel. Ils ont informé David Lord qu'il devrait se conformer au prochain dénombrement visuel qui aurait lieu vers midi.

[106]        Le fait que David Lord a été avisé qu'il devait se conformer au dénombrement visuel devant avoir lieu vers midi est confirmé par le fait que quand David Lord s'est présenté à la barrière pour obtenir ses médicaments, il a fait un appel téléphonique au bureau local de la GRC pour demander qu'un agent soit présent à midi parce qu'il prévoyait avoir des ennuis.


[107]        Selon moi, David Lord n'a pas réussi à convaincre la Cour qu'une entente avec les agents des services correctionnels avait été conclue dans l'après-midi du 27 mai 1997, en vue de suspendre la procédure de dénombrement visuel pour les visiteurs jusqu'à la rencontre qui devait avoir lieu le 28 mai à 14 h 30 avec le directeur.

[108]        Je suis d'avis que l'attitude provocante de David Lord de ne pas suivre les règles les 27 mai et 28 mai 1997 constitue l'élément principal qui a déclenché l'incident survenu dans l'après-midi du 28 mai 1997.

[109]        Les règles étaient en vigueur; elles étaient connues par les visiteurs qui avaient accepté de participer à la visite familiale privée et il était raisonnable de s'attendre à ce que les visiteurs devaient observer ces règles.

[110]        En fait, seulement David Lord a décidé, de son propre chef, ne pas suivre ces règles et de les contester. Il a également décidé de discuter avec les agents des services correctionnels de principes de droit fondés sur la Charte.

[111]        À l'évidence, les agents des services correctionnels en service les 27 et 28 mai 1997 n'avaient pas la possibilité ni les droits de ne pas observer les règles qui étaient en vigueur. Si un visiteur décidait de ne pas respecter ces règles, il avait toujours la possibilité de quitter l'Établissement. Si quelqu'un souhaite contester ces règles, il doit le faire selon la bonne démarche, qui n'est manifestement pas celle choisie par David Lord.


[112]        Il va sans dire qu'il aurait été beaucoup plus facile pour tout le monde que David Lord décide d'observer les règles jusqu'à la rencontre avec le directeur et alors, s'il ne pouvait pas parvenir à une entente qui lui convenait, il aurait pu quitter l'Établissement sans causer de problèmes. Il existerait une grande confusion si un agent des services correctionnel avait le droit de suspendre des règles applicables dans l'Établissement quand un visiteur conteste cette règle au motif que ses droits fondamentaux sont violés par la réglementation en vigueur.

[113]        Il faut se rappeler que des établissements comme celui de Kent sont responsables d'une centaine de détenus et ont des devoirs et des responsabilités en ce qui concerne le bien-être de ces gens et ne peuvent pas modifier ces règles parce qu'un visiteur les conteste.

[114]        On pourrait dire que l'interruption de la visite pour les cinq visiteurs pouvait être exagérée vu les circonstances; peut-être que le directeur a fait preuve d'une prudence excessive dans la manière dont la décision a été prise, mais, comme on l'a déjà dit dans les présents motifs, elle avait le droit de suspendre la visite familiale privée le 28 mai 1997, eu égard aux circonstances.

[115]        Quant aux méthodes employées pour mettre fin à la visite par les agents des services correctionnels, la preuve qui a été présentée à la Cour soulève de nombreuses questions.


[116]        La situation a atteint un point culminant quand deux agents des services correctionnels se sont présentés à l'unité vers midi en vue de compter les visiteurs. J'ai reçu des éléments de preuve contradictoires, mais il est manifeste que David Lord ne voulait pas se faire compter et qu'il a décidé de ne pas se présenter comme il l'avait précisément mentionné auparavant, dans le cadre de son témoignage et aussi quand il a appelé le bureau local de la GRC et a dit à un agent de la GRC qu'il pourrait faire face à des problèmes vers midi. Comment David Lord pouvait dire qu'il pourrait faire face à un problème et demander à la GRC d'être sur place vers midi, s'il avait l'intention d'être compté?

[117]        Je n'ai donc aucune hésitation à conclure que David Lord n'avait pas l'intention de se faire compter et avait décidé de ne pas se présenter pour être compté vers midi.

[118]        Après cela, les deux agents des services correctionnels sont retournés à leur bureau et ont signalé l'incident au directeur.

[119]        Les agents des services correctionnels, qui ont témoigné devant la Cour, ont expliqué que, premièrement, la décision de mettre fin à la visite a été prise; ainsi, la prochaine étape était de s'occuper du détenu. Ils ont envoyé deux agents des services correctionnels qui se sont rendus à l'unité familiale et ont demandé à Derik Lord de les suivre jusqu'à la chapelle où ils ont informé ce dernier que la visite était terminée.


[120]        Après avoir mis le détenu en lieu sûr dans la chapelle, les deux agents des services correctionnels sont retournés à l'unité familiale et ont avisé David Lord, qui se trouvait sur la véranda, que la visite était terminée. Ils lui ont très poliment demandé de les suivre, à de nombreuses reprises. David Lord a maintenu qu'il ne voulait pas les suivre et que la visite ne devrait pas prendre fin avant qu'il ne rencontre le directeur.

[121]        Selon moi, David Lord a intentionnellement décidé de ne pas observer les règles qu'il connaissait, et a également intentionnellement décidé de provoquer cet incident. Après quelques minutes de discussion, que l'on voit sur les bandes vidéo, les deux agents des services correctionnels ont escorté David Lord jusqu'à une voiture de la GRC, où on l'a arrêté et fait sortir de l'Établissement.

[122]        Par la suite, David Lord a été accusé d'intrusion et cette décision a été confirmée par la Cour du banc de la Reine de la Colombie-Britannique.

[123]        Jusqu'à ce moment-là, les quatre autres membres de la famille, tous des femmes, qui se trouvaient toujours dans l'unité de visites familiales privées, n'avaient pas pris part à la discussion et n'avaient pas été invités à quitter les lieux ni informés que leur visite était terminée.


[124]        Une fois David Lord et Derek Lord escortés à l'extérieur de l'unité, un nombre important d'agents des services correctionnels ont littéralement envahi l'unité familiale. Le nombre n'est pas précisé, mais environ douze hommes et femmes sont entrés dans la maison et ont avisé les quatre autres membres de la famille que la visite était terminée et qu'elles devaient quitter.

[125]        Les services correctionnels ont demandé à deux agents de filmer sur bandes vidéo ce qui se passait pour veiller à ce que tous soient enregistrés.

[126]        Avant que nous commencions à analyser les événements, il est important de se rappeler que ces quatre femmes étaient quatre visiteuses paisibles qui n'avaient pas fait preuve d'agressivité envers personne.

[127]        Il est également évident que, même si elles se trouvaient dans l'enceinte d'un pénitencier, elles n'étaient pas des détenues et elles étaient libres de quitter quand elles le voulaient, dans la mesure où elles suivaient la procédure de sécurité.

Vera Lord


[128]        J'ai soigneusement visionné la bande vidéo qui relate les événements se rapportant à Vera Lord, qui est la grand-mère de Derik Lord, et j'ai également analysé ce que les agents des services correctionnels ont qualifié d'agression par Vera Lord à l'endroit des agents des services correctionnels qui étaient présents.

[129]        À mon avis, ces suggestions sont frivoles et j'estime qu'il était prévisible que Vera Lord réagisse comme elle l'a fait, vu qu'elle était entourée et en présence de nombreux hommes dans sa chambre alors qu'elle tentait seulement de rassembler ses effets personnels avant de quitter l'Établissement.

[130]        La réaction des agents des services correctionnels est exagérée compte tenu de la situation et il n'était pas du tout nécessaire de filmer Vera Lord pendant qu'elle rassemblait ses effets personnels, en entendant sa petite-fille pleurer et crier à l'extérieur et quand elle ne savait même pas pourquoi la visite était terminée pour elles.

[131]        Il faut se rappeler que la visite devait durer jusqu'au 30 mai 1997. Cependant, les agents ont accordé à Vera Lord environ deux minutes pour rassembler ses effets personnels et quitter les lieux.

[132]        J'estime que la réaction exagérée des agents des services correctionnels à l'endroit de Vera Lord était tout à fait inacceptable dans les circonstances et tout à fait inconvenante par rapport à une femme de soixante-quatorze ans qui avait eu jusqu'à ce moment-là une conduite totalement irréprochable.


[133]        Vera Lord devrait avoir droit à une somme de 2 000 $ en dommages-intérêts.

Coralee Lord

[134]        En ce qui concerne Coralee Lord, la situation est un peu plus complexe.

[135]        Coralee Lord est la fille de David Lord et la soeur de Derik Lord. Elle a également été invitée, dans l'après-midi du 28 mai 1997, à quitter l'unité familiale parce que la visite était terminée.

[136]        Coralee Lord a témoigné qu'elle voulait savoir ce qui se passait, et notamment, où se trouvait son père.

[137]        Quand David Lord a été arrêté et escorté à la voiture de la GRC, il a distinctement crié qu'il se faisait arrêter quand il se trouvait sur la véranda, suffisamment fort pour s'assurer que quiconque dans l'unité familiale l'entendrait.

[138]        Je ne doute pas du fait que Coralee Lord savait à ce moment-là, de même que les autres membres de la famille dans l'unité familiale, que son père avait été arrêté.


[139]        Je ne dispose d'aucune preuve qui permette de démontrer si quelqu'un pouvait voir David Lord se faire escorter jusqu'à la voiture de la GRC et la voiture quitter les lieux, je ne peux donc pas faire de commentaires à ce sujet.

[140]        Quoi qu'il en soit, Coralee Lord savait qu'elle devait partir et elle a effectivement quitté l'unité. Néanmoins, après avoir marché pendant un moment en direction de la barrière, elle a dit à de nombreuses reprises aux agents des services correctionnels qu'elle souhaitait être avec son père. Ses paroles contredisaient sa connaissance du fait que son père avait été arrêté et avait été escorté à l'extérieur de l'Établissement.

[141]        Les agents des services correctionnels ont décidé de ne pas lui dire ce qui était arrivé à son père, ils lui ont seulement dit que la visite était terminée sans fournir d'autres raisons, même si Coralee Lord avait demandé des explications qui ne lui ont jamais été fournies.


[142]        Alors qu'elle se rendait à la barrière, elle a décidé d'arrêter, de faire demi-tour et de marcher en direction de l'unité familiale. Les agents des services correctionnels ont décidé, à ce moment-là, de la retenir par les bras pour l'empêcher de retourner à l'unité familiale. Une échauffourée s'en est ensuivie où près de cinq ou six agents ont littéralement porté Coralee Lord jusqu'au poste de garde, tandis que Coralee Lord résistait. Pendant l'échauffourée, Coralee Lord a perdu l'une de ses chaussures qui a frappé une agente des services correctionnels non identifiée. Cette agente des services correctionnels a décidé de frapper Coralee Lord avec sa jambe bien qu'il soit évident au visionnement de la bande vidéo que les gestes posés par Coralee Lord n'avaient pas pour but de frapper l'agente des services correctionnels mais étaient plutôt une réaction au fait d'être portée au-dessus du sol par six agents.

[143]        Coralee Lord a alors été menottée, les mains dans le dos, et forcée à marcher vers le poste de garde avec un seul soulier même si elle a très poliment demandé, à plusieurs reprises, aux agents des services correctionnels à être rechaussée. On lui a répondu qu'on ne lui remettrait pas sa chaussure parce qu'elle avait frappé une agente des services correctionnels avec.

[144]        Au poste de garde, on lui a demandé de s'asseoir sur une chaise. Coralee Lord a refusé. Un agent des services correctionnels l'a alors saisie par le cou pour l'immobiliser et la forcer à s'asseoir sur la chaise car elle n'avait pas obéi à l'ordre de s'asseoir sur une chaise. Les agents lui ont alors attaché les chevilles, après qu'elle a tenté de frapper un agent qui se trouvait près d'elle.

[145]        Le recours à la force pourrait être considéré justifié dans les circonstances, même si l'attitude générale des agents des services correctionnels pouvait être vue comme une réaction trop forte à l'endroit de ces visiteuses qui n'avaient pas commis d'infraction et qui devaient seulement être escortées à l'extérieur des lieux de l'Établissement.


[146]        Il est compréhensible que des agents des services correctionnels pouvaient avoir recours à une certaine force afin d'empêcher un détenu de s'évader, mais dans la présente affaire, ils avaient affaire à des visiteuses qui ont été invitées à quitter les lieux et les agents des services correctionnels devaient seulement les escorter jusqu'à l'extérieur. Des menottes dans le dos et des chaînes aux chevilles étaient exagérées, vu les circonstances.

[147]        Cette exagération est davantage accentuée du fait que l'agente des services correctionnels qui s'est occupée des trois autres femmes a réussi à leur faire quitter l'unité pacifiquement sans avoir recours à des menottes ou à des chaînes, tandis que les deux agents des services correctionnels qui étaient chargés de Coralee Lord ont employé des tactiques de confrontation qui n'ont fait que contribuer à l'escalade des événements qui a eu lieu.

[148]        Je dois admettre que je n'étais pas content du fait que l'agente des services correctionnels qui s'est occupée des trois autres femmes a presque dû supplier les autres agents à l'unité familiale de la laisser se charger des trois femmes et avoir recours à une attitude conciliatrice pour les amener à quitter les lieux pacifiquement. Je la félicite pour la façon dont elle a fait face à la situation. Elle a été l'une des rares agents des services correctionnels a gardé son sang-froid et à ne pas réagir de manière excessive.


[149]        Les services correctionnels ont décidé de porter des accusations contre Coralee Lord pour agression. Ces accusations ont par la suite été abandonnées. Elle a finalement été reconnue coupable d'intrusion, comme son père.

[150]        Je considère que Coralee Lord a contribué à son problème, cependant elle est une infirmière respectée et elle n'avait pas l'intention de créer des problèmes. Elle s'est seulement retrouvée dans une situation où elle ne savait pas ce qui se passait et était totalement angoissée par un environnement hostile auquel elle n'était pas habituée.

[151]        L'agente des services correctionnels qui a frappé Coralee Lord a envoyé un message déplorable à quiconque a visionné la bande vidéo qui a filmé ce qui s'était passé cet après-midi là. Je crois que nous devrions réagir à ce message déplorable et Coralee Lord a droit à des dommages-intérêts de 1 000 $.

Dawn Lord

[152]        Dawn Lord est la benjamine de David Lord et est également la soeur de Derik Lord.


[153]        Elle a calmement témoigné de ce qui est arrivé et, d'après ce que je comprends, elle a rassemblé les effets personnels de tout le monde, en particulier ceux de son père et de sa mère, avant de quitter l'unité. Elle a presque lavé la vaisselle avant de partir. Elle n'a rien fait de mal et, selon moi, elle n'a eu aucun problème avec les agents des services correctionnels sur les lieux de l'Établissement.

[154]        Elle a probablement souffert plus que certains autres de ces événements, vu son jeune âge. Elle est également celle qui se plaint le moins.

[155]        Pour les dommages émotifs et l'humiliation subie à cette occasion, elle a droit à 2 000 $.

Elouise Lord

[156]        Elouise Lord est la femme de David Lord et la mère de Coralee, de Derik et de Dawn Lord.

[157]        Elle a témoigné et elle a tranquillement expliqué le contexte et les raisons pour lesquels la famille Lord se trouvait devant la Cour.

[158]        À l'évidence, Elouise Lord a souffert d'une grande humiliation par suite des événements survenus le 28 mai 1997.


[159]        Malgré tout, il faut comprendre qu'Elouise Lord ne devait pas être totalement surprise de ce qui s'est produit. Elle connaît son mari et elle est au courant des difficultés qu'il éprouve relativement au respect des règles dans le pénitencier ainsi que des problèmes qu'il a précédemment eus dans ses relations avec les agents des services correctionnels.

[160]        Je comprends donc qu'elle était parfaitement au courant du fait que son mari participait à l'escalade des événements du 27 et du 28 mai 1997.

[161]        Elle connaissait les règles relatives à la procédure de dénombrement des visiteurs et elle savait que son mari n'avait pas l'intention de les observer.

[162]        Elle a été témoin de ce qui s'est produit et je n'ai vu aucune preuve qu'elle ait fait quelque chose pour calmer la situation avant l'enchaînement des événements du 28 mai 1997.

[163]        Je comprends qu'elle se trouvait aux toilettes quand son mari a été arrêté et qu'elle était très fâchée quand elle s'est rendu compte que la visite était terminée.

[164]        Je comprends aussi qu'elle croit au processus de la notion de visite familiale privée et également qu'elle souhaite vraiment aider son fils à se réhabiliter.

[165]        Tout de même, d'une part, elle sait que son mari est très décidé à contester les règles des services correctionnels, et d'autre part, elle est très enthousiaste au sujet de la nécessité de maintenir les visites familiales privées et d'aider son fils Derik.


[166]        Je comprends aussi que les autorités des services correctionnels le savent également car elle a pu ravoir son statut de visite familiale privée quelques jours après ces événements, car les autorités savaient très bien qu'Elouise Lord exerçait une influence salutaire sur son fils et sur l'ensemble de la famille. Selon moi, elle n'avait pas d'autre choix que de se ranger du côté de son mari et de sa famille et je le conçois.

[167]        Elle a été escortée à l'extérieur, dans l'après-midi du 28 mai 1997, et s'est sentie humiliée par l'interruption de la visite, sans raison valable, comme elle en a témoigné. Elle a également été conduite en ambulance à l'hôpital, car elle a eu un malaise.

[168]        J'estime que son attitude à l'endroit des agents des services correctionnels durant cet après-midi était compréhensible, vu que les circonstances, et la manière dont les agents des services correctionnels l'ont traitée ce même après-midi justifie qu'Elouise Lord ait droit à une somme de 500 $.

David Lord

[169]        Je n'éprouve aucune sympathie pour la manière dont David Lord a abordé la situation les 27 et 28 mai 1997. David Lord savait exactement ce qui allait se produire. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait face à une controverse avec les autorités des services correctionnels.


[170]        Il a délibérément décidé de monter cette question en épingle, lorsqu'il a contesté les règles de la mauvaise façon.

[171]        Il existe une seule manière de contester une loi ou une règle, il s'agit de la procédure judiciaire appropriée. Nul ne peut décider de lui-même de ne pas suivre les règles en invoquant la Charte auprès des agents des services correctionnels, et David Lord le sait.

[172]        Quand David Lord a appelé l'agent de la GRC le matin du 28 mai 1997, il savait très bien qu'il allait être au sein d'une controverse vers midi le jour même, ce qui s'est exactement produit, il ne s'agissait donc pas d'une surprise pour lui. Or, en même temps, il s'agissait d'une situation difficile pour les membres de sa famille qui n'étaient pas habitués à cette sorte de controverse.

[173]        À mon avis, David Lord est en partie responsable des dommages émotionnels subis par les autres membres de la famille. Sa façon d'agir a créé de l'instabilité et de la confusion autour de lui.

[174]        Il pouvait être comme un poisson dans l'eau dans la controverse, mais ce n'était manifestement pas le cas pour les autres membres de la famille.


[175]        David Lord aurait dû penser à ce qui allait arriver aux autres membres de sa famille quand il a été escorté à l'extérieur des lieux de l'Établissement.

[176]        Quand vous êtes un père, quand vous êtes un chef, quand vous êtes un membre aussi important de la famille, vous avez évidemment des droits, mais vous avez également des responsabilités et des devoirs, particulièrement envers vos deux filles, votre mère, votre femme et votre fils, quand toutes ces personnes pourraient subir les conséquences de vos agissements.

[177]        David Lord a choisi de ne pas y penser et d'oublier ses devoirs et ses responsabilités envers les membres de sa famille, qui étaient de rester auprès d'eux pour les réconforter et les protéger plutôt que de susciter une série d'événements qui ont angoissé les membres de sa famille.

[178]        David Lord a seulement mis de côté ces devoirs et responsabilités et n'avait qu'une seule chose en tête, c.-à.-d. ce qu'il croyait être le respect de ses droits garantis par la Charte.

[179]        Même si David Lord n'était toujours pas autorisé à participer au système de visites familiales privées, il a clairement fait savoir qu'il n'observerait jamais les règles relatives à la procédure de dénombrement. Il est donc responsable de ses dommages et il n'en sera pas indemnisé.


[180]        Pour ces motifs, la demande de David Lord est rejetée.

Derik Lord

[181]        Derik Lord est un détenu. En 1997, il se trouvait en prison depuis plus de huit ans.

[182]        Il connaissait également les règles de l'Établissement et les moyens qu'il fallait prendre pour les contester ou pour contester les décisions prises aux termes de ces règles.

[183]        Selon moi, Derik Lord a beaucoup perdu dans les événements du 27 et du 28 mai 1997. Il était un détenu et, à la fin de la visite familiale privée, il ne quittait pas l'Établissement. Il a seulement quitté l'unité de visites familiales privées pour retourner dans sa cellule.

[184]        Il est évident que la visite familiale privée représente un avantage pour les détenus et vu le contexte particulier, cela devait être fait de la manière la plus rapide possible, en raison des règles des services correctionnels applicables.

[185]        Quoique les droits des détenus et ceux des visiteurs ne soient pas les mêmes, ils partagent le même environnement et les visiteurs doivent faire des concessions à leur liberté pour des raisons évidentes.


[186]        Derik Lord a fait preuve de bonne foi quand il a suggéré aux agents des services correctionnels la possibilité que son père puisse quitter et que la visite se poursuive. Cela démontre qu'il était tout à fait conscient du fait que l'attitude de son père créait un problème qui ne pouvait pas être résolu dans le cadre d'une visite familiale privée de trois jours.

[187]        Il a présenté cette requête aux autorités des services correctionnels et ceux-ci l'ont rejetée et la visite familiale a pris fin.

[188]        Derik Lord connaissait les règles, il les a respectées et il a également subi les conséquences de ce qui s'est passé pendant ces jours-là.

[189]        Derik Lord n'a toutefois pas réussi à convaincre la Cour qu'il pouvait avoir droit à des dommages-intérêts.

CONCLUSION

[190]        Il m'appartient de décider si l'application des règles peut conduire à un abus par une partie ou l'autre, et en conséquence de ce fait, de décider si des dommages ont été occasionnés à d'autres parties.


[191]        S'il existe un lien entre les dommages et la faute, l'auteur de la faute pourrait être obligé de payer pour ces dommages.

[192]        Selon moi, la défenderesse est responsable en partie de ce qui s'est passé durant ces deux jours et, en conclusion, les demandeurs ont droit aux dommages-intérêts suivants :

Vera Lord                     2 000 $

Coralee Lord                  1 000 $

Dawn Lord                    2 000 $

Elouise Lord                      500 $

[193]        Les demandeurs n'ont pas réussi à prouver l'existence d'autres dommages.

[194]        La défenderesse a droit aux dépens en ce qui concerne David Lord.

[195]        Les demanderesses, Vera Lord, Coralee Lord, Dawn Lord et Elouise Lord, comme elles n'étaient pas représentées, n'ont pas droit, en ce qui concerne la défenderesse, à des honoraires d'avocat, cependant elles ont droit à des débours comme, par exemple, des frais de photocopie, des frais de déplacement, des indemnités de témoin, divers frais de transcription, d'affranchissement et d'appels interurbains.

Pierre Blais                                                                                                                                          J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

le 26 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1354-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :             David William Lord et autres c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 31 octobre 2000

le 1er novembre 2000

le 2 novembre 2000

le 3 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PAR : MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                     26 avril 2001

ONT COMPARU:

David Lord

Elouise Lord

Vera Hannah Lord

Coralee Lord

Dawn Andrea Lord

Derick Lord                                                                       EN LEUR PROPRE NOM

Rodney Yamanouchi

Ed Burnett                                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LA DÉFENDERESSE

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