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Date : 20040225

Dossier : IMM-3102-03

Référence : 2004 CF 335

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                JUVY LINAOGO

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Mme Juvy Linaogo, une citoyenne des Philippines, est entrée au Canada en 1998 à titre de visiteur. Elle a demandé de demeurer au Canada comme aide-familiale résidante; sa demande a été refusée. Elle a présenté une demande à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) (SSR) afin de demeurer au Canada comme réfugié au sens de la Convention en alléguant les mauvais traitements que lui faisait subir son mari. Sa demande a été refusée et la demande d'interjeter appel devant la Cour a été rejetée. Elle a ensuite demandé de demeurer au Canada comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC). Le 28 juin 2002, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est entrée en vigueur et sa demande relative à la CDNRSRC est devenue une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]                Dans sa demande d'ERAR, ses allégations de persécution, de menace à la vie, et de risque de traitement ou de peines cruels ou inusités sont fondées sur les mêmes motifs qu'avait examinés et rejetés la SSR. Plus précisément, elle allègue que M. Linaogo, son mari qui vit aux Philippines, la maltraite et qu'elle ne peut bénéficier de la protection de l'État. À l'appui de sa demande d'ERAR, Mme Linaogo a produit plusieurs nouveaux affidavits provenant de membres de sa famille, de voisins et de représentants de l'État qui attestent tous qu'elle a subi des mauvais traitements.

[3]                Le 14 avril 2003, l'agente d'ERAR a rejeté sa demande. Le refus était surtout fondé sur le fait que Mme Linaogo pouvait bénéficier de la protection de l'État aux Philippines. Mme Linaogo sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[4]                Même si Mme Linaogo soulève plusieurs questions, l'une d'elle est déterminante en l'espèce. Il s'agit de la question de savoir si l'agente d'ERAR a commis une erreur en décidant que Mme Linaogo pouvait bénéficier de la protection de l'État.


Analyse

Norme de contrôle

[5]                Les parties ne s'entendent pas sur la norme de contrôle qu'il faut appliquer à la décision de l'agente ERAR. Le défendeur soutient que la norme est celle de la décision manifestement déraisonnable alors que Mme Linaogo voudrait que j'adopte la norme de la décision raisonnable simpliciter. Pour trancher la question, il faudrait effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle. Toutefois, compte tenu des faits en l'espèce, une analyse pragmatique et fonctionnelle n'est pas nécessaire puisque, comme je l'explique plus loin, j'en arrive à la même conclusion même si j'applique la norme de la décision raisonnable simpliciter. Comme il est dit au paragraphe 41 de l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, « lorsqu'un juge de révision applique la norme de la décision raisonnable simpliciter, son avis sur la preuve est sans pertinence; la juge de révision aurait dû se demander si la conclusion du comité sur ce point avait un fondement quelconque dans la preuve » .

L'agent d'ERAR a-t-elle commis une erreur en décidant que Mme Linaogo pouvait se prévaloir de la protection de l'État?


[6]                Les parties conviennent que la question déterminante en l'espèce est celle de la disponibilité de la protection de l'État. Mme Linaogo prétend que la prépondérance de la preuve présentée tant par Mme Linaogo qu'examinée et mentionnée par l'agente d'ERAR dans sa décision permet de conclure que l'État n'offre pas une protection adéquate aux victimes de violence familiale aux Philippines. De l'avis de Mme Linaogo, l'agente d'ERAR ne devait pas s'en tenir au simple fait qu'il existait un encadrement destiné à protéger les victimes de violence familiale. À l'appui de ces arguments, Mme Linaogo invoque les propos de la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1994] A.C.F. no 1364 (1re inst.) Aux paragraphes 11 et 13, la juge a dit que la Commission avait commis une erreur en n'examinant pas la question de savoir si l'État était en mesure d'offrir une protection adéquate. En prenant sa décision, elle a affirmé : « Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d'aider » . En outre, comme l'a dit le juge Gibson dans Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 1438 (1re inst.), au paragraphe 15, « Non seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en oeuvre » .

[7]                En l'espèce, la question devient celle de savoir si l'agente d'ERAR était saisie d'une preuve confimant que l'État avait la capacité et la volonté d'offrir un encadrement susceptible de protéger adéquatement les femmes contre la violence. Après avoir examiné le dossier, j'ai trouvé les éléments de preuve suivants :

      •       d'une part :

·            la violence familiale est un grave problème de société aux Philippines,

·            il n'y a encore aucune loi sur la violence familiale;

     •       par contre :


·            d'importantes initiatives ont été mises en place afin d'adopter des lois sur la violence familiale,

·            la police nationale des Philippines, de même que le ministère de bien-être social et du développement ont tous deux investi des ressources afin de venir en aide aux victimes de violence familiale,

·            les autorités ont mis en place un système de médiation (Barangay) pour faciliter le règlement des conflits familiaux,

·            il existe un important réseau d'organismes non gouvernementaux (ONG) qui sont en mesure de venir en aide aux victimes,

·            les ONG ont établi des bureaux des femmes dans les postes de police.

[8]                Tout conflit doit d'abord être soumis au Barangay, mais rien n'indique que la police ne portera aucune accusation criminelle dans les cas de violence familiale.

[9]                À mon avis, la preuve documentaire présentée à l'agente d'ERAR n'établit pas le simple encadrement ou déclaration de volonté de venir en aide. Et, même si j'aurais peut-être accordé un poids différent à la preuve, la conclusion de l'agente d'ERAR est fondée sur la preuve dont elle était saisie. Par conséquent, je ne saurais dire que sa décision était déraisonnable.

Conclusion

[10]            Pour ces motifs, la demande sera rejetée.


[11]            Les parties ont discuté d'une question de certification sur la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'ERAR. Les parties ont convenu que la question ne doit être certifiée que si ma décision repose sur la norme applicable. Or, tel n'est pas le cas et aucune question n'est certifiée.

[12]            Au début de l'audience, l'avocat du défendeur a demandé que l'intitulé soit modifié pour indiquer que le solliciteur général du Canada était le défendeur. Le demandeur ne s'est pas objecté. L'intitulé sera modifié tel que demandé.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE

1.          La demande est rejetée.                        

2.          Aucune question d'importance générale n'est certifiée.

3.          L'intitulé est modifié de manière à remplacer le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration par le solliciteur général du Canada.

                                                                                                                              « Judith A. Snider »             

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3102-03

INTITULÉ :                                                    JUVY LINAOGO

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 24 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Peter Golden                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Keith Reimer                                                     POUR LE DÉFENDEUR        

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Golden                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Victoria (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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