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Date : 20020725

Dossier : IMM-2479-01

Référence neutre : 2002 CFPI 821

ENTRE :

                                                   YANIQUE NOUTEPING NGOYI et

GUY PATRICE NOUTEPING MIETCHOP

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Yanique Nouteping Ngoyi, âgé de 21 ans et Guy Patrice Nouteping Mietchop, âgé de 19 ans, sont soeur et frère; ils sont nés à Douala au Cameroun et appartiennent au groupe ethnique Bamileké.


[2]                 Mademoiselle Ngoyi (la demanderesse) revendique la protection du Canada alléguant une crainte d'être persécutée par le chef du village de Bandja qui l'a désignée comme l'une de ses futures épouses. Elle craint un mariage forcé et d'être excisée comme le voudrait la coutume du village. Son frère allègue aussi craindre le chef du village puisqu'il s'est opposé à l'excision et au mariage forcé de sa soeur.

[3]                 Par sa décision du 24 avril 2001, la section du statut (le "tribunal") refuse de leur accorder le refuge. La Cour est saisie de leur demande de contrôle judiciaire.

[4]                 Le tribunal juge que les revendicateurs ne sont pas crédibles à cause d'invraisemblances, de contradictions et d'un "comportement mensongé" lorsqu'ils ont fait une demande de visa pour venir étudier au Canada, semble t-il afin d'éviter le mariage et l'excision.

[5]                 Le tribunal est d'avis que toute cette histoire est une pure invention pour pouvoir émigrer et rester au Canada. Selon lui, il y a d'autres moyens pour être accepté comme immigrant au Canada que la Commission du statut de réfugié.

[6]                 Le procureur des requérants soutient que le tribunal a commis les erreurs suivantes:

1.          Il a imposé aux revendicateurs un fardeau plus élevé que la loi et la jurisprudence exigent et, de ce fait, le tribunal a modifié la notion de crainte bien fondée de persécution. Le procureur reproche au tribunal de demander Mlle Ngoyi établisse une crainte bien fondée d'être excisée contre son gré, une forme particulière de persécution.


2.         Il a mal interprété la preuve en concluant que les revendicateurs n'avaient pas indiqué aux autorités canadiennes qu'ils craignaient la persécution au Cameroun. Cette crainte, selon leur procureur, a été dévoilée le 21 février 2000 dans l'avis de revendication des revendicateurs.

3.         Le tribunal a mal saisi la preuve lorsqu'il a conclu l'existence d'une contradiction dans la réponse donnée par Mlle Ngoyi de n'avoir déclaré aux autorités canadiennes la crainte de persécution au Cameroun parce qu'elle craignait que sa demande de visa serait refusée. Le procureur soutient que son comportement vis-à-vis les autorités canadiennes est basé sur sa crainte d'être persécutée et sa peur de ne pouvoir quitter le Cameroun sans le visa exigé; une réponse rationnelle et logique.

4.         Le tribunal avait tiré une invraisemblance que toute l'histoire des revendicateurs (la peur d'être excisée et la peur d'un mariage forcé) telle que décrite dans leurs formulaires de renseignements personnels se retrouve presque mots par mots dans un article du journal "Le jeune détective" publié à Douala. Le tribunal a aussi tiré une invraisemblance que cet article explique des coutumes à des Bamilekés qui seraient déjà connues par eux; le tribunal n'est pas satisfait des explications de Mlle Ngoyi. Le procureur prétend que ces invraisemblances sont tirées d'une façon abusive sans égard à la preuve devant lui.


5.         Le tribunal commet une autre erreur lorsqu'il conclut qu'aucun autre journal ou autre source ne fait état que des jeunes femmes (au début de l'âge adulte) seraient forcées contre leur gré à se marier à des chefs de village au Cameroun et que le gouvernement ne permettrait celà. Le procureur attire l'attention de la Cour à au moins deux sources documentaires, en preuve devant le tribunal, qui indiquent clairement un problème dans ce domaine.

ANALYSE

[7]                 Les erreurs soulevées par les demandeurs sont de différente nature. La première est reliée à l'interprétation de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 et, dans ce cas, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[8]                 Les autres erreurs alléguées touchent à des questions de crédibilité et de conclusion de fait où la norme d'un contrôle est celle prévue à l'article 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire, une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.

[9]                 Le juge L'Heureux-Dubé, au nom de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 à 844, écrit ceci quant à la norme de contrôle à la révision de conclusion de fait:


Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue... Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; [...]

[10]            Quant à une conclusion de manque de crédibilité, le juge McDonald, au nom de la Cour fédérale d'appel dans Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 à 620, écrit ceci:

Malgré les faiblesses du témoignage par ouï-dire du professeur Samatar mises en lumière par le juge président, le tribunal était en droit de juger ce témoignage crédible et digne de foi et de fonder sa décision sur ce témoignage. Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d'un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve. [...]

[11]            À mon avis le tribunal n'a pas commis d'erreur qui justifierait l'intervention de cette Cour.

[12]            Premièrement, je ne peux souscrire à la prétention du procureur des demandeurs que le tribunal a modifié la notion de réfugié au sens de la convention en imposant à Mlle Ngoyi l'obligation plus élevée d'établir une crainte avec raison d'être excisée et non simplement l'obligation selon Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.F.A.), de démontrer une possibilité raisonnable d'être persécutée si elle retournait dans son pays d'origine.

[13]            La distinction recherchée par le procureur des demandeurs, dans le contexte spécifique de la revendication de Mlle Ngoyi, est artificielle et sans fondement puisque la source même de sa crainte d'être persécutée est sa crainte d'être excisée. En d'autres mots, sa crainte d'être excisée et sa crainte d'être persécutée reviennent à la même chose.

[14]            Je ne vois pas comment je pourrais intervenir en cassant les conclusions de fait supposées erronées du tribunal. Ma lecture du procès-verbal de l'audience du 22 août 2000 me convainc que le tribunal a bien apprécié la preuve et, en réalité, ce que le procureur des requérants me demande c'est de soupeser à nouveau cette preuve et substituer ma vision des faits pour celle du tribunal, chose que je ne peux faire.

[15]            L'allégation que les demandeurs ont dévoilé leur crainte aux autorités canadiennes ne tient pas puisque ce que le tribunal leur reprochait c'était de n'avoir dévoilé leur crainte devant les autorités au Cameroun lorsqu'ils demandaient des visas canadiens. Que les demandeurs dévoilent leur crainte au Canada pour soutenir leur demande de refuge est évident.

[16]            Le tribunal pouvait tirer une invraisemblance autour de l'article dans "Le jeune détective". Mlle Ngoyi n'a pu expliquer comment son formulaire de renseignements personnels s'est retrouvé reproduit presque textuellement dans cette publication. Aussi, la preuve appuie la conclusion que les demandeurs n'ont pu expliquer la nécessité, dans cet article, de préciser les coutumes des Bamilekés.


[17]            Le tribunal tire certaines conclusions de fait quant à la dimension de la pratique de l'excision au Cameroun, le profil des jeunes filles assujetties à cette pratique, dans quelle région du pays on retrouve ce phénomène et l'étendue de la protection de l'État. Le tribunal avait devant lui une preuve documentaire et aussi le témoignage des demandeurs qui a largement corroboré cette preuve documentaire. Je ne peux écarter les conclusions du tribunal sur cette question.

[18]            Quant à la revendication de M. Mietchop, l'intervention de la Cour ne serait justifiée puisque l'attaque de son procureur est simplement sur le plan de l'appréciation des faits dont la preuve appuie.

[19]            En dernier lieu, je crois que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a décelé une contradiction de la réponse de Mlle Ngoyi d'avoir craint d'être refusé au Canada s'ils avaient déclaré leur crainte de persécution au Cameroun. Cette seule erreur dans le contexte d'une décision du tribunal bien fondée ne me permet pas de casser celle-ci.

[20]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'a été proposée.

(signé) François Lemieux

Juge

  

OTTAWA, Ontario

le 25 juillet 2002


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                 IMM-2479-01

INTITULÉ :             

                         YANIQUE NOUTEPING NGOYI et

GUY PATRICE NOUTEPING MIETCHOP

                                                                                              Demandeurs

                                                         et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

                                                                                                 Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              6 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                     25 juillet 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Michael Dorey                                               POUR LES DEMANDEURS

Me Daniel Latulippe                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michael Dorey                                               POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)


Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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