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Date : 20050201

Dossier : DES-3-03

Référence : 2005 CF 149

ENTRE :

                                             DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi

sur l'immigration et la protection des réfugiés,

signé par le Ministre de l'immigration et le Solliciteur

général du Canada ("les Ministres")

L.C. 2001, ch. 27 (la « L.I.P.R. » )

impliquant M. Adil Charkaoui ("M. Charkaoui")

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt

de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en

vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et

80 de la L.I.P.R.;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour

l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle

des motifs justifiant le maintien en détention en vertu

des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

une requête demandant l'annulation du certificat et

en conséquence la remise en liberté de M. Charkaoui et de façon

subsidiaire l'exclusion du résumé de la preuve des renseignements

additionnels en date du 6 janvier 2005


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

[1]                Ces motifs font suite à l'ordonnance signée le 20 janvier 2005.

INTRODUCTION

[2]                Dans le cadre de la quatrième revue de la détention de M. Charkaoui (voir l'article 83(2) de la L.I.P.R.), ce dernier présente une requête à deux volets : le premier demandant l'annulation du certificat et sa remise en liberté, et l'autre, subsidiairement, demandant d'exclure le résumé des renseignements additionnels étant la nouvelle preuve du 6 janvier 2005.

[3]                Brièvement, la première demande a comme base factuelle la communication en date du 5 janvier 2005 à M. Charkaoui d'un sommaire d'entrevues (ayant eu lieu les 31 janvier et 2 février 2002) que M. Charkaoui a eu avec un ou des représentants du Service canadien de renseignements de sécurité (ci-après "le S.C.R.S."), la raison étant qu'il n'y avait pas de notes ou d'enregistrements des entrevues en possession du S.C.R.S. (la politique du S.C.R.S. étant à l'effet que lorsque le rapport est finalisé, les notes et enregistrements sont détruits). L'avocate de M. Charkaoui argumente que ceux-ci constituent un bris au principe de l'équité procédurale en ce que M. Charkaoui ne peut pas bénéficier de toute l'information communiquée lors de ces entrevues y incluant l'information favorable, et que ceci irait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe "B" de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (ci-après "la Charte").


[4]                Subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour ne retenait pas la première demande, la deuxième demande veut, sommairement, que le résumé de renseignements additionnels communiqué à M. Charkaoui (conformément à l'article 78(h) de la L.I.P.R.) le 6 janvier 2005 soit exclus du dossier pour les raisons suivantes :

-           les renseignements supplémentaires ont été communiqués tardivement, causant ainsi un préjudice à M. Charkaoui;

-           ils n'ont pas été examinés à la lumière d'éléments qui permettent de douter de sa fiabilité;

-           ils ne sont pas fiables, crédibles et ont été obtenus par ouï-dire;

-           cette communication tardive cause un préjudice qui surpasse démesurément la valeur probante que pourraient avoir les renseignements;

[5]                Pour les motifs exprimés ci-après, la Cour en arrive à la conclusion que les demandes de M. Charkaoui devraient être rejetées.


La demande d'annulation du certificat et en conséquence la remise en liberté de M. Charkaoui

[6]                Dès le début du dépôt du certificat et de l'arrestation de M. Charkaoui (en mai 2003), un résumé des informations à l'appui de l'émission du certificat et de l'arrestation fut préparé et le soussigné, après examen du dossier, autorisait la communication dudit résumé. Parmi ces documents se retrouvaient tous les sommaires d'entrevues que M. Charkaoui avait eu avec les représentants du S.C.R.S. (le 27 février et 14 septembre 2001 et le 26 juillet 2002).

[7]                Le 5 janvier 2005, au début de l'audience demandée par les Ministres en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocates, le tout conformément à l'article 78e) de la L.I.P.R., les avocats des Ministres informèrent le soussigné que lors de la préparation de l'audience, le S.C.R.S. avait découvert dans un autre document, un sommaire de deux entrevues de M. Charkaoui, avec le S.C.R.S. (en date du 31 janvier et 2 février 2002) qui n'avait pas été communiqué en mai 2003.

[8]                Pour les fins de compréhension de la demande ainsi que de la décision, le sommaire des entrevues se lit ainsi :

"INTRODUCTION


Adil CHARKAOUI a été vu les 2002 01 31 et 2002 02 02. Au premier contact, CHARKAOUI s'est dit prêt à clarifier point par point ce que le Service pourrait retenir contre lui. Il se disait prêt à passer un polygraphe, bien qu'il se moquait de cette outil. Au second contact, CHARKAOUI reviendra à son mode défensif, se disant persécuté par les autorités, par le Service. Disant qu'il n'a jamais rien fait de mal, il refute nos allégations à l'effet que des accusés comme RESSAM l'aurait reconnu. Il dit cette fois qu'il refuse de passer un polygraphe et sort en trombe. CHARKAOUI a laissé bien des points à régler, exemple: CHARKAOUI dit n'être jamais allé en Afghanistan, mais il admet être allé au Pakistan, sans rien laisser entrevoir de ce qu'il y faisait. À moins d'une réflexion et d'un changement d'attitude, CHARKAOUI ne nous a pas laissé sous l'impression qu'il reverrait le Service."

[9]                Suite à cette communication, le tribunal vérifia ledit document (dans lequel on retrouve le sommaire cité précédemment) qui est de plusieurs pages et fut à même de constater qu'il s'agissait d'un document qui contenait plusieurs sommaires d'entrevues avec plusieurs individus et que l'identification d'une entrevue en particulier n'était pas évidente en soi. De plus, il fut ordonné de communiquer immédiatement à l'avocate de M. Charkaoui (ci-après "Me Larochelle") copie du sommaire des entrevues impliquant M. Charkaoui, ce qui fut fait le 5 janvier 2005.


[10]            Me Larochelle argumente que la non communication du sommaire en temps opportun et le fait que les notes d'enquêteurs et la copie de l'enregistrement (si tel est le cas) ont été détruites selon une politique du S.C.R.S., créaient un préjudice à M. Charkaoui. Elle estime que ceux-ci indiquent que toute l'information découlant de ces entrevues n'a pas été communiquée aux Ministres lors de la prise de décision initiale (c'est-à-dire, quand le certificat et le mandat d'arrestation furent signés). Donc, ceux-ci ne pouvaient pas avoir toute l'information nécessaire pour prendre une telle décision. De plus, l'information "favorable" découlant de ces entrevues n'y apparaît pas. Elle considère que ceci crée un bris à l'équité procédurale et donc aux principes reconnus par l'article 7 de la Charte. Elle ajoute que le S.C.R.S., étant un organisme gouvernemental, est assujetti aux règles de justice naturelle et en conséquence, qu'il doit agir dans le cadre des enquêtes avec objectivité et dans le respect des droits fondamentaux prévus par la Charte.

[11]            Les avocats des Ministres répliquent en disant qu'il s'agit d'un oubli sans intention et que dès la découverte du sommaire, le nécessaire a été fait et des explications ont été communiquées à M. Charkaoui. De plus, ils ajoutent que le sommaire n'a que très peu d'importance si l'on prend en considération l'ensemble du dossier. Ils considèrent que la communication tardive du sommaire ne crée pas de préjudice et que M. Charkaoui peut témoigner au sujet de ces deux entrevues et que son témoignage sera le reflet le plus complet des entrevues. Ils expliquent que le S.C.R.S. a un mandat particulier, soit celui de mener des enquêtes en autant que celles-ci sont nécessaires, et qu'il ne peut garder l'information collectée dans le cours d'enquêtes sauf celle qui est essentielle pour les fins du mandat (voir l'article 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23, tel que modifié).


[12]            Tel que mentionné, dès la communication de cette information lors des audiences du 5 et 10 janvier 2005, le soussigné trouve regrettable une telle situation. Il est important que toute l'information qui peut être dévoilée soit communiquée dès le début des procédures sauf celle qui prend naissance dans le cours d'enquêtes continue et qui devient communicable en autant qu'un juge désigné l'autorise, le tout en tenant compte de l'obligation statutaire de ce dernier de : "...garantir la confidentialité des renseignements ... dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui" (voir l'article 78b) de la L.I.P.R.). Le sommaire des entrevues de janvier et février 2002 aurait dû être communiqué en mai 2003.    Toutefois, l'erreur est humaine ce qui explique la tardivité à communiquer le sommaire des entrevues.

[13]            Lors de l'audience publique concernant la revue de la détention, le tribunal informa M. Charkaoui et ses avocates qu'il ne voulait pas que ce dernier subisse un préjudice en témoignant à ce moment-ci compte tenu de la communication tardive du sommaire des entrevues et de la communication du résumé des renseignements supplémentaires quelques jours ouvrables avant le début de l'audience de la revue de la détention de M. Charkaoui. Le contenu de ce résumé sera discuté dans le cadre de la deuxième demande. Le tribunal croit qu'une courte période de temps pour assimiler les nouveaux éléments de la preuve est nécessaire et qu'il était dans l'intérêt de M. Charkaoui de témoigner plus tard que plus tôt contrairement à ce que Me Larochelle avait annoncé initialement. L'objectif de cette recommandation était de neutraliser le préjudice, s'il y en avait un.


[14]            Le tribunal a analysé les arguments de M. Charkaoui sous tout leurs angles mais la conclusion recherchée n'est pas celle retenue. Il n'y a pas d'atteinte à l'équité procédurale (si tel est le cas) à laquelle on ne peut pas remédier. M. Charkaoui peut témoigner au sujet de ces entrevues et communiquer sa version. Celle-ci serait la version qui refléterait le plus adéquatement les entrevues. Donc, il ne peut pas y avoir préjudice dans de telles circonstances et s'il y avait atteinte à l'équité procédurale, elle serait neutralisée.

[15]            Tel que mentionné lors de l'audience, le tribunal ne se voit pas annuler le certificat sur la base d'un document d'une page en tenant compte autant de l'ensemble de la preuve très volumineuse communiquée que celle protégée pour des fins de sécurité nationale. Il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de prendre une telle décision. De plus, une lecture attentive de la preuve (publique ainsi que protégée) permet de constater que les faits et allégations à la base du certificat et de la mise en détention ne prennent aucunement leur origine dans les sommaires d'entrevues mais plutôt ailleurs dans la preuve. Certes, ces sommaires font partie de la preuve mais ils ne sont pas utiles pour démontrer directement ou indirectement le fondement des faits et des allégations à la base de la procédure.


[16]            Me Larochelle plaide que le devoir du S.C.R.S. est de présenter aux Ministres, sans réserve et avant la prise de décision au sujet du certificat, toute l'information (favorable et défavorable) qu'il détient et que la destruction des notes et de la copie de l'enregistrement (s'il y en avait eu un) enlève la possibilité de communiquer toute l'information. Le tribunal est d'accord avec une partie de l'argument à l'effet que toute l'information colligée par le S.C.R.S. et pertinente pour les fins de la procédure doit être communiquée aux Ministres. Toutefois, le présent dossier démontre, tel que mentionné précédemment, que les sommaires d'entrevues n'ont aucune signification quant au fondement des faits et allégations à la base du certificat et de la mise en détention. Les mêmes allégations et faits se retrouvent ailleurs dans la preuve. Une lecture des résumés des renseignements communiqués à M. Charkaoui est édifiante à cet égard. Certes, on y retrouve des références aux sommaires d'entrevues mais ceux-ci ne sont pas créateur de faits appuyant les allégations.

[17]            Tenant compte de ce qui est mentionné ci-haut, il n'est pas nécessaire de traiter des autres arguments car il n'y a pas eu bris à l'équité procédurale tel que défini à l'article 7 de la Charte, lesdits sommaires n'étant pas à la base des faits et allégations de la présente procédure. Quant au rôle du S.C.R.S. dans le cours d'enquête, pour les mêmes raisons, il n'est pas nécessaire d'en traiter sauf pour indiquer que le S.C.R.S. n'est pas un organisme policier et que son rôle n'est pas de porter des accusations. À ce titre, on ne peut lui imposer les mêmes obligations que celles attribuées à un corps policier. De plus, nous ne sommes pas en droit criminel mais plutôt en droit de l'immigration. La perspective de vue est différente : voir Blencoe c. Colombie-Brittanique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307 au par. 88, dans laquelle le juge Bastarache, au nom de la majorité, indique : "Notre Cour a souvent fait des mises en garde contre l'application directe en droit administratif des normes de la justice criminelle. Nous devrions éviter de confondre des notions qui, suivants notre Charte, sont clairement distinctes." Voir aussi Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.

[18]            Alors, la demande d'annulation du certificat, et en conséquence la libération de M. Charkaoui, ne peut pas être accordée.

La demande d'exclusion du résumé de renseignements supplémentaires en date du 6 janvier 2005

[19]            Le 30 décembre 2004, les avocats des Ministres demandaient une audience en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocates, étant donné qu'ils avaient de la nouvelle information à communiquer sous le sceau de la sécurité nationale (voir l'article 78e) de la L.I.P.R.). Étant informée de cette demande, Me Larochelle s'y objecta.

[20]            Le soussigné, après avoir examiné et analysé l'information soumise par les Ministres, convoquait une telle audience, en l'absence de M. Charkaoui et ses avocates, pour le 5 janvier 2005.

[21]            Lors de l'audience, le soussigné interrogea deux (2) témoins pendant plusieurs heures dans le but de vérifier la fiabilité des faits en tenant compte entre autres du moment et du temps de l'obtention de ceux-ci, de la source (ou les sources) de ces faits, du type de source(s) ainsi que de la vérification documentaire tenant compte de l'ensemble du dossier. (Le rôle du juge désigné dans une telle procédure est expliqué en détail dans l'arrêt Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528 (C.F.) aux pars. 36-46.)


[22]            Ayant fait cet exercice laborieux, le tribunal consacra ses énergies à identifier ce qui pourrait être communiqué à M. Charkaoui et ses avocates pour leur permettre d'être suffisamment informés de ces faits, y incluant les allégations qui en découlent, tout en préservant la confidentialité de ceux-ci en tenant compte de la sécurité nationale et de la sécurité d'autrui (voir articles 78b) et 78h) de la L.I.P.R.).

[23]            Le résultat de cette démarche produisait un résumé des renseignements supplémentaires.

[24]            Ce résumé fut communiqué à Me Larochelle le 6 janvier 2005 (un (1) jour ouvrable avant le début de l'audience de la revue de la détention). Le tribunal vérifia si ces nouveaux faits et allégations auraient pu être communiqués avant. Ils auraient pu être communiqués mais l'enquête ayant produit ces faits aurait été incomplète. L'origine de ces nouveaux faits date de la fin février 2004 et ce n'est qu'à la fin novembre 2004 que cette partie de l'enquête continue fut terminée.


[25]            Ayant à l'esprit le peu de temps alloué à M. Charkaoui et ses avocates pour étudier et analyser ces nouveaux faits d'ici le début de l'audience où il était annoncé qu'il témoignerait, le tribunal informa les avocates de M. Charkaoui qu'il ne voulait pas que M. Charkaoui en subisse un préjudice et que si une demande de remise était demandée, il serait tout à fait approprié de l'accorder. Les Ministres informèrent qu'ils ne s'objecteraient pas à une telle demande. Étant donné la présentation de la présente requête, M. Charkaoui n'a pas témoigné.

[26]            Dans un but de transparence tout en tenant compte des contraintes imposées par la L.I.P.R., le résumé indique que l'information dévoilée est corroborée par d'autres moyens et/ou sources que les articles de journaux incluent en annexe. De plus, l'information dévoilée représente environ 95% des allégations et/ou faits dévoilés au soussigné lors de l'audience du 5 janvier 2005.

[27]            Sommairement, le résumé de la preuve dévoile ce qui suit :

-           l'enquête sur M. Charkaoui est continue;

-           les autorités marocaines ont identifié M. Charkaoui comme étant membre du Groupe islamique combattant marocain (G.I.C.M.);

-           le G.I.C.M. est un groupe lié à Al-Qaïda et il aurait signé les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et du 11 mars 2004 à Madrid;

-           lors d'un voyage en Afghanistan au début de 1998, M. Charkaoui aurait suivi un stage militaire et une formation théologique dans l'institut de charia à Khalden;

-           l'émir du G.I.C.M. Noureddine Nafia, détenu au Maroc, révèle que M. Charkaoui aurait été endoctriné par un imam libyen;


-           il y aurait eu des fonds collectés pour implanter des cellules au Canada, Pakistan, Allemagne, France et Royaume-Uni;

-           M. Charkaoui a maintenu contact et aurait transmis une somme de 2 000.00 $ (CAN) au G.I.C.M. et il aurait remis un ordinateur portatif à un membre du G.I.C.M.;

[28]            M. Charkaoui, par l'entremise de son avocate, demande l'exclusion du résumé pour les raisons mentionnées au paragraphe 4 de la présente.

[29]            De façon plus détaillée, Me Larochelle se plaint du fait que lors de deux conférences téléphoniques (le 26 novembre et 7 décembre 2004), les avocats des Ministres ne l'ont pas informée que de nouveaux faits seraient communiqués au tribunal sous le sceau de la sécurité nationale et que la communication tardive du sommaire de deux entrevues (le 5 janvier 2005) et celle du résumé des renseignements supplémentaires (le 6 janvier 2005) à quelques jours du début de l'audience prévue pour le 10 janvier 2005 créait un préjudice certain à M. Charkaoui.

[30]            L'autre argument vise la non-fiabilité des faits et allégations contenus dans le résumé. Les références sont des sources journalistiques ayant peu, sinon aucune crédibilité. De plus, le consul du Maroc à Montréal (Mme Souriya Otmani) a été rencontrée par M. Mohammed Charkaoui et Mme Hind Charkaoui, respectivement père et soeur de M. Charkaoui, le 23 décembre 2004, et elle les informa que ce dernier n'est pas recherché par les autorités marocaines et qu'il n'y avait aucun mandat d'arrestation émis contre lui.

[31]            De plus, il est plaidé qu'en plus d'être ni fiables ni crédibles, les faits communiqués dans le résumé sont du ouï-dire et que bien que ce type de preuve soit recevable et admissible dans ce genre de procédure (voir l'article 78j) de la L.I.P.R.), la situation est différente dans le présent cas étant donné que les faits à la base du ouï-dire n'ont aucune garantie de fiabilité.

[32]            Les Ministres répondent à ces arguments de la façon suivante :

a)         Il n'était pas possible de déposer les nouvelles informations avant le 6 janvier 2005;


b)         Le rôle du S.C.R.S. est d'enquêter; cependant, celles-ci ne sont pas des enquêtes criminelles mais des enquêtes ayant comme objectif de prévoir la menace et de la prévenir;

c)         Dans le cadre de procédures sous le chef de la Section 9 de la L.I.P.R., le S.C.R.S. dépose de la preuve corroborée dans la mesure du possible, ceci expliquant en partie le délai;

d)         De plus, le S.C.R.S. a la lourde tâche de protéger l'information associée à la sécurité nationale et l'objectif législatif de remettre un résumé permettant d'être suffisamment informé ne s'assume pas facilement (voir article 78h) de la L.I.P.R.);


[33]            Avant de commenter les arguments présentés par les deux parties, il est important de rappeler que le législateur a prévu la possibilité pour les Ministres de déposer devant le tribunal de nouveaux faits à l'appui des allégations (voir article 78e) de la L.I.P.R.). Le texte anglais est plus explicite lorsqu'il précise : "On each request ... made at anytime during the proceedings ...". Ce dernier élément n'apparaît pas dans le texte français. Ainsi, pendant les procédures, les Ministres informent le tribunal de nouveaux faits (favorables ou défavorables) découlant de l'enquête continue. En conséquence, un résumé de renseignements peut divulguer de l'information afin d'informer l'individu des circonstances ayant donné lieu à la transmission d'information des Ministres au tribunal, mais celui-ci ne doit pas porter atteinte à la sécurité nationale. Ceci veut donc dire que le juge désigné peut détenir plus d'informations que les Ministres en avaient lors de la prise de décision initiale.

[34]            Toutefois, la transmission du résumé d'information, non encore dévoilée, ne doit pas être faite de telle façon qu'elle créerait en conséquence un préjudice à la personne impliquée. Le tribunal doit être aux aguets d'une telle possibilité et neutraliser ce préjudice, si telle est la situation, en accordant une remise si elle est appropriée ou encore en palliant par d'autres moyens. Tenant compte des particularités exceptionnelles des présentes procédures, le tribunal doit tendre la perche pour éviter une telle situation.

[35]            Le tribunal, de par sa connaissance du dossier dans son ensemble, sait que les Ministres par l'entremise du S.C.R.S., détenaient l'ensemble de la nouvelle information à la fin novembre 2004. Il fut donc possible de communiquer au minimum à Me Larochelle l'intention de demander une telle audience lors de la conférence téléphonique du 7 décembre 2004. Ayant une certaine connaissance du dossier, le tribunal considère que les avocats des Ministres auraient dû informer Me Larochelle dès que les Ministres envisageaient la sérieuse possibilité de demander une audience selon l'article 78h) de la L.I.P.R.


[36]            Ayant à l'esprit les propos de l'ex-juge Arbour dans l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général) [2002] 4 R.C.S. 3, précité, aux paragraphes 27 et 47, et ceux du juge en chef Richard de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Charkaoui, (Re), [2004] A.C.F. No. 2060 (C.A.F.) aux paragraphes 153-154, les Ministres, le S.C.R.S. et leurs avocats doivent être plus que transparents dans ce type exceptionnel de procédure. À mon humble avis, cette obligation extraordinaire existe tant à l'égard du tribunal que de la personne impliquée et de ses avocats. Le tribunal ne veut pas spéculer (et ce n'est pas son rôle) quant aux raisons ayant guidé les avocats des Ministres à transmettre la demande d'une audition en l'absence de la personne impliquée et de ses avocates à Me Larochelle seulement le 30 décembre 2004 plutôt que le 7 décembre lors de la conférence téléphonique (ou entre le 7 et 30 décembre), mais il demeure que cette information aurait dû lui être transmise avant cette date de fin d'année.

[37]            Ayant dit ceci, le tribunal considère que la présentation de la présente requête permet à M. Charkaoui et à ses avocates d'étudier et d'analyser le résumé et d'être prêt à témoigner lors d'une prochaine audience concernant la révision de la détention (si tel est son choix) en prenant en considération l'ensemble du dossier. Le préjudice qui aurait existé si M. Charkaoui avait témoigné dans les jours suivant la communication du résumé est neutralisé. En effet, les dates du 7 et 8 février 2005 ont été choisies pour la continuation de la revue de la détention. L'ordonnance a été communiquée verbalement lors de l'audience du 18 janvier 2005, ce qui donne à M. Charkaoui et ses avocates près de trois (3) semaines pour se préparer.


[38]            Quant à l'autre argument concernant la non fiabilité des faits et des allégations et de la non crédibilité de ceux-ci, le tribunal répète qu'il a recherché, lors de l'audition tenue en présence seulement des avocats des Ministres et leurs témoins, si les faits provenaient d'une seule source ou de plusieurs sources ou s'il y avait d'autres moyens de corroboration à l'appui des faits. Le résultat de l'exercice est que les faits provenaient de plusieurs sources et que d'autres moyens furent utilisés pour leur donner une fiabilité. C'est la raison pour laquelle le tribunal voulait insérer dans le résumé à la première page que :

"De plus, l'information contenue au présent rapport y incluant les références à l'appui de celle-ci est corroborée par d'autres moyens et (ou) sources"

[39]            Ayant dit ceci, le soussigné précise qu'il est impossible à ce moment-ci d'avoir une détermination finale quant à la fiabilité et crédibilité des faits. Ce n'est qu'après avoir entendu l'ensemble de la preuve des deux parties que le tribunal pourra se prononcer de façon définitive.


[40]            Les commentaires du tribunal au paragraphe 38 ne remettent pas en question les propos du consul du Maroc tenus lors de la réunion du 23 décembre 2004. Une lecture attentive de la note diplomatique No. Agh 0080 du Ministère des affaires étrangères et du commerce international du gouvernement du Canada en date du 18 février 2004 et de la réponse du Ministère des affaires étrangères et de la coopération du Royaume du Maroc sous le couvert de l'ambassade marocaine en date du 18 avril 2004 indique que ces échanges se préoccupent du traitement de M. Charkaoui au cas où il retournerait dans son pays natal. Plus précisément, on recherche des assurances pour qu'il soit traité de façon humaine et qu'il ne serait pas soumis à la torture ou à d'autres actes cruels, inhumains ou dégradants et qu'il ne serait pas soumis à la peine capitale ou encore que des mesures soient prises pour qu'une telle sentence ne soit pas exécuté. Tout en se disant lié par l'article 10 de la Constitution Marocaine, les lois du Royaume du Maroc ainsi que les conventions internationales auxquelles le Maroc est signataire, la note diplomatique indique que M. Charkaoui ne fait l'objet ni de recherche, ni d'aucune poursuite judiciaire au Maroc et le gouvernement n'a pas entrepris de demander son extradition. Quant au poids à donner au commentaire contenu dans la note diplomatique, le soussigné entend réserver le tout lorsqu'il aura entendu la preuve des deux parties au sujet de cette documentation, ce qui aura lieu ultérieurement dans le cours des procédures découlant de la Section 9 de la L.I.P.R.

[41]            En ce qui concerne le dernier argument, sans vouloir confirmer si les nouveaux faits ont été obtenus sous la forme de ouï-dire ou pas et sans vouloir généraliser quant aux particularités de ces faits, le tribunal note que l'article 78j) de la L.I.P.R. permet : " ... de recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice - et (le juge désigné) peut fonder sa décision sur celui-ci" (voir le paragraphe 37 de la présente).

[42]            Pour toutes ces raisons, la demande de l'exclusion du résumé des renseignements supplémentaires en date du 6 janvier 2005 est refusée.


[43]            La continuation de l'audience concernant la revue de la détention de M. Charkaoui peut donc reprendre et les dates du 7 et 8 février 2005 sont choisies.

                 "Simon Noël"                

Juge

Ottawa (Ontario)

le 1er février 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                DES-3-03

INTITULÉ :              

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi

sur l'immigration et la protection des réfugiés,

signé par le Ministre de l'immigration et le Solliciteur

général du Canada ("les Ministres")

L.C. 2001, ch. 27 (la « L.I.P.R. » )

impliquant M. Adil Charkaoui ("M. Charkaoui")

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le

dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada

en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78

et 80 de la L.I.P.R.;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le

mandat pour l'arrestation et la mise en détention

ainsi que le contrôle des motifs justifiant

le maintien en détention en vertu des

paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

une requête demandant l'annulation du certificat et

en conséquence la remise en liberté de M. Charkaoui et de façon

subsidiaire l'exclusion du résumé de la preuve des renseignements

additionnels en date du 6 janvier 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 18 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR :             le 1er février 2005

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :        LE JUGE SIMON NOËL


COMPARUTIONS:

Daniel Roussy

Luc Cadieux

POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

Daniel Latulippe

POUR LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Dominique Larochelle

Karine Giguère

POUR ADIL CHARKAOUI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                          

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Des Lonchamps, Bourassa, Trudeau et Lafrance

Montréal (Québec)

POUR ADIL CHARKAOUI


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