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Date : 20010515

Dossier : T-1259-99

Référence neutre : 2001 CFPI 481

ENTRE :

                    ANHEUSER-BUSCH, INCORPORATED

                                                                                          demanderesse

ET :

                     MOOSEHEAD BREWERIES LIMITED

                                                                                           défenderesse

   DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ALINÉA 300d)

          des Règles de la Cour fédérale et de l'article 56 de la

Loi sur les marques de commerce, L.R.C (1985), ch. T-13, modifiée

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    La Cour est saisie d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), de la décision en date du 10 mai 1999 par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté l'opposition de la demanderesse à la demande no 764 928 présentée par la défenderesse Moosehead Breweries Ltd. en vue de faire enregistrer sa marque de commerce A & Moosehead Design (marque formée de la lettre A et du dessin de la tête d'un orignal).


[2]    La demanderesse sollicite une ordonnance faisant droit au présent appel et enjoignant au registraire des marques de commerce de refuser la demande d'enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse. La demanderesse demande également à la Cour de condamner la défenderesse aux dépens.

[3]    Voici les dispositions applicables de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 :

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus ;

                 b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage ;

                 c) le genre de marchandises, services ou entreprises ;

                 d) la nature du commerce ;

                 e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée ; [...]

[4]    Le 20 septembre 1994, la défenderesse a déposé une demande en vue de faire enregistrer sa marque de commerce A & Moosehead Design relativement aux marchandises suivantes :

[TRADUCTION]


[...] des vêtements, à savoir des blousons, des tee-shirts, des polos de golf, des sweatshirts, des casquettes, des chapeaux, des tuques en laine, des maillots d'équipe, des maillots de rugby ; des souvenirs, à savoir des bâtons de hockey, des rondelles de hockey, des chaînes de porte-clés, des épinglettes, des montres, des verres à bière en plastique, des chopes, des sacs pour articles de sport, des affiches ;

et aux services suivants :

[TRADUCTION]

organisation de matchs de hockey et promotion d'équipes de hockey au moyen d'activités connexes, à savoir des dîners, des danses, des campagnes de collecte de fonds, des activités de patinage sur glace et des activités familiales.

La demande était fondée sur l'emploi projeté de la marque au Canada par la défenderesse ou par un licencié. La demande a été annoncée le 10 mai 1995 aux fins d'opposition.

[5]                 La demanderesse a déposé une déclaration d'opposition le 10 octobre 1995. Voici les motifs d'opposition qu'elle a invoqués :

(i) la demande n'était pas conforme aux exigences de l'alinéa 30i) de la Loi, parce que la défenderesse ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la marque de commerce au Canada ;

(ii) la marque de commerce n'était pas enregistrable aux termes de l'alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu'elle créait de la confusion avec cinq marques de commerce enregistrées appartenant à l'opposante (enregistrements nos UCA17982, 332 251, 429 784, 445 757 et 415 990) ;


(iii)             la défenderesse n'avait pas droit à l'enregistrement de la marque de commerce parce qu'à la date du dépôt, la marque de commerce créait de la confusion avec les marques de commerce susmentionnées que la demanderesse avait déjà utilisées et fait connaître au Canada en liaison avec les diverses marchandises susmentionnées visées par l'enregistrement et avec [TRADUCTION] « des services et des accessoires promotionnels se rapportant au sport du hockey » ;

(iv)             la marque de commerce n'était pas distinctive parce qu'elle créait de la confusion avec les marques de la demanderesse.

[6]                 La demanderesse a déposé en preuve les affidavits de Todd Douglas Bailey, de Kimberly L. Townley-Smith, de Daniel B. Brown et de William S. Campbell. La défenderesse a déposé une contre-déclaration et a produit en preuve les affidavits souscrits respectivement par Donna J. Harris, Karen Louise Pratt et Paul H. McGraw. Comme contre-preuve, la demanderesse a soumis l'affidavit de Peter Eliopoulos.

[7]                 Le 10 mai 1999, le commissaire David J. Martin, de la Commission des oppositions des marques de commerce, a rejeté l'opposition de la demanderesse. En ce qui concerne le premier motif d'opposition, M. Martin s'est dit d'avis que la demanderesse n'avait pas réussi à avancer quelque allégation de fait que ce soit pour appuyer son argument que la défenderesse ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la marque de commerce au Canada. En conséquence, le premier motif a été jugé mal fondé.


[8]                 Quant au deuxième motif, le volet de ce motif qui concernait l'enregistrement no 332 251 a été écarté au motif que cette marque avait été radiée en août 1996. En ce qui concerne l'enregistrement no UCA17982, étant donné que la demanderesse n'avait pas réussi à établir qu'elle avait employé cette marque, que les marchandises étaient différentes de celles dont il était question dans la demande de la défenderesse et qu'il existait des différences marquées entre les marques en litige, le commissaire Martin a conclu que la marque de la défenderesse ne créait pas de confusion avec la marque enregistrée.

[9]                 Les trois autres enregistrements ont été examinés ensemble, étant donné qu'ils visaient essentiellement la même marque. Le commissaire Martin a examiné les circonstances de l'espèce dont il est question au paragraphe 6(5) de la Loi et dont il faut tenir compte pour appliquer le critère de la confusion. Ses conclusions peuvent être résumées de la façon suivante :


*    Caractère distinctif inhérent (6(5)a)) : Les marques de deux parties ont un caractère distinctif inhérent. Étant donné que la seule preuve d'utilisation de la marque de la défenderesse est le logo d'un club de hockey junior d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, la marque est devenue connue dans cette région où elle était associée à l'exploitation d'un club de hockey. La marque enregistrée de la demanderesse ne semble être qu'un élément très mineur sur ses étiquettes de bière. Les éléments de preuve présentés par la demanderesse lui ont seulement permis d'établir que sa marque enregistrée a acquis une certaine notoriété au Canada en liaison avec de la bière et, dans une moindre mesure, avec des accessoires promotionnels dans la région de Toronto. La demanderesse n'a pas réussi à démontrer que sa marque s'était acquise une réputation appréciable au Canada en liaison avec le hockey ou avec des parcs thématiques aux États-Unis.

*    Durée de l'utilisation (6(5)b)) : La période pendant laquelle les marques ont été en usage favorise la demanderesse, mais le seul produit dont l'utilisation prolongée a été démontrée est la bière.

*    Nature des marchandises, des services ou de l'entreprise (6(5)c)) : Les services de la défenderesse diffèrent des marchandises de la demanderesse et les marchandises de la défenderesse diffèrent des marchandises de la demanderesse comme la bière et la bière sans alcool. Il y a toutefois un chevauchement direct des marchandises de la défenderesse et des marchandises de la demanderesse visées par l'enregistrement no 429 784.


*    Nature du commerce (6(5)d)) : La nature du commerce des parties est semblable, étant donné qu'elles brassent et vendent toutes les deux de la bière et des accessoires promotionnels. Il peut y avoir un chevauchement du commerce des parties en ce qui concerne les articles promotionnels, étant donné que ces articles sont vendus par l'intermédiaire de magasins de bières, de magasins appartenant à une société, de magasins d'articles de sport et de magasins spécialisés dans la vente de produits fabriqués sous licence. En ce qui concerne les services de la défenderesse, il n'y a pas chevauchement du commerce des parties.

*    Degré de ressemblance (6(5)e)) : Les marques se ressemblent passablement, car leur caractéristique la plus frappante est la présence de la lettre A et la représentation d'un animal. Mais elles présentent aussi des différences : on constate en effet que la lettre A est d'un style différent et que l'animal représenté est un aigle dans le cas de la marque de la demanderesse, alors qu'il s'agit de la tête d'un original dans le cas de la marque de la défenderesse. De plus, la marque de la demanderesse est plus étudiée, étant donné qu'elle comporte d'autres éléments.


*    Autres circonstances de l'espèce : La défenderesse se fonde sur l'état du registre des marques de commerce et a soumis des éléments de preuve concernant des marques déposées relatives à des marques analogues dont une des caractéristiques principales est la présence de la lettre A. Il est donc courant chez les négociants en vêtements, casquettes, chopes et autres articles promotionnels de recourir à des marques de commerce mettant en vedette la lettre A, et les consommateurs sont habitués à voir ces marques et ils accorderaient plus d'importance aux autres caractéristiques de ces marques pour les distinguer. Qui plus est, comme la défenderesse a fait la preuve d'une utilisation substantielle de sa marque de commerce MOOSEHEAD, les consommateurs associeraient probablement la marque de la défenderesse avec la défenderesse parce que le dessin de la tête de l'orignal leur est familier à cause de la réputation associée à ce dessin par suite des ventes appréciables de bière de marque MOOSEHEAD.

[10]            En conséquence, compte tenu des conclusions qui précèdent et en l'absence d'une réputation bien établie au Canada en ce qui concerne la marque de la demanderesse en liaison avec des accessoires promotionnels, vu l'utilisation courante de marques et de dessins comportant la lettre A par d'autres commerçants dans le domaine et compte tenu de la réputation du dessin MOOSEHEAD de la défenderesse, le commissaire Martin a conclu que la défenderesse s'était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la marque dont elle demandait l'enregistrement ne créait pas de confusion avec la marque de la demanderesse formée de la lettre A et d'un dessin. Le deuxième motif d'opposition a donc été rejeté.


[11]            En ce qui concerne le troisième motif, le commissaire Martin s'est dit d'avis que la demanderesse n'avait pas réussi à démontrer qu'elle avait fait connaître ses marques avant la date à laquelle la défenderesse avait déposé sa demande. Il a conclu que la demanderesse n'avait de toute évidence pas réussi à établir qu'elle avait utilisé l'une ou l'autre de ses marques relativement à des grignotines ou à des accessoires promotionnels et qu'elle n'avait pas non plus réussi à démontrer qu'elle avait déjà utilisé ses marques en liaison avec « des services et des accessoires promotionnels se rapportant au sport du hockey » . La demanderesse avait seulement fait la preuve de l'utilisation antérieure de sa marque formée de la lettre A et d'un dessin en liaison avec de la bière. En ce qui concerne cet aspect, le commissaire a conclu que, compte tenu des différences qui existaient entre les marchandises des parties et de l'adoption commune de marques composées de la lettre A et d'un dessin par d'autres entreprises dans le domaine, ainsi que de la réputation liée à la bière qui était associée à la composante MOOSEHEAD de la marque de la demanderesse, la défenderesse s'était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la marque dont elle demandait l'enregistrement ne créait pas de confusion avec la marque de commerce formée de la lettre A et d'un dessin que la demanderesse avait antérieurement utilisée au Canada. Le troisième motif a donc été rejeté.

[12]            Finalement, en ce qui concerne le quatrième motif, le commissaire Martin s'est dit d'avis que, comme le moyen tiré de l'absence de caractère distinctif tournait autour de la question de la confusion entre les marques, ses conclusions au sujet des deuxièmes et troisièmes motifs s'appliquaient et que par conséquent, le quatrième motif devait aussi être rejeté. Le commissaire Martin a donc rejeté l'opposition de la demanderesse.

[13]            Comme les éléments de preuve qui sont soumis sont déterminants dans les affaires concernant les marques de commerce et qu'il est par ailleurs important de déterminer la norme de contrôle applicable, je vais résumer brièvement la preuve qui a été soumise par les deux parties dans la présente instance.


PREUVE DE LA DEMANDERESSE

A. Devant le registraire

[14]            Affidavit de Todd Douglas Bailey : M. Bailey, étudiant en droit stagiaire chez Bereskin & Parr, le cabinet d'avocats de la demanderesse, a témoigné que :

-         la marque de commerce formée de la lettre A et du dessin d'un aigle figuraient sur les articles promotionnels qu'il a pu acheter ou voir offerts en vente dans divers magasins de la région de Toronto en mars et en juin 1996 ;

-          l'annexe B montre un sweatshirt, un tee-shirt, et une chope que M. Bailey a achetés à Etobicoke (Ontario) et qui portent la marque de commerce A et le dessin d'un aigle ;

-          L'annexe F montre un polo de golf et une chaîne de porte-clés que M. Bailey a achetés à Mississauga (Ontario) et qui portent la marque de commerce A et le dessin d'un aigle.

[15]            Affidavit de Kimberly L. Townley-Smith : Me Townley-Smith, du cabinet Bereskin & Parr, le cabinet d'avocats de la demanderesse, a témoigné que :

-          lors de la diffusion des matchs de hockey de la Ligue nationale de hockey, elle a vu de nombreux messages publicitaires de fabricants de bière sous diverses formes, notamment sur les panneaux publicitaires encerclant la glace, sur des panneaux-réclame situés un peu partout dans le stade, sur du matériel publicitaire remis aux supporters qui assistaient aux matchs, etc. ;


-          lors de la télédiffusion des matchs de hockey disputés dans des stades américains, elle a vu de nombreux messages publicitaires concernant les produits et services liés à la bière Anheuser-Busch.

[16]            Affidavit de Daniel B. Brown : Voici ce qu'a témoigné M. Brown, directeur de la qualité et adjoint administratif chez Busch Entertainment Corporation :

-          Busch Entertainment Corporation exploite neuf parcs thématiques aux États-Unis (les parcs thématiques Anheuser-Busch) ;

-          la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle est couramment utilisée dans la publicité des parcs thématiques Anheuser-Busch et dans les parcs eux-mêmes ;

-          beaucoup de Canadiens qui voyagent aux États-Unis visitent les parcs thématiques Anheuser-Busch. Au cours des cinq années qui ont précédé l'année 1996, on estimait à 375 000 par année le nombre moyen de visiteurs canadiens ;

-          L'annexe A montre des échantillons représentatifs de brochures relatives aux parcs thématiques Anheuser-Busch portant la marque de commerce A et le dessin d'un aigle ;

[17]            Affidavit deWilliam S. Campbell : Voici ce qu'a témoigné M. Campbell, directeur du marketing pour le Canada chez Anheuser-Busch International, Inc. :

-          Anheuser-Busch est propriétaire de cinq enregistrements de marques de commerce canadiens portant sur la marque A et le dessin d'un aigle ;


-          la marque A et le dessin d'un aigle est le symbole d'Anheuser-Busch et sont employés au Canada depuis des décennies en liaison avec de la bière ;

-          la marque A et le dessin d'un aigle figure sur le papier à en-tête d'Anheuser-Busch et sur bon nombre des produits de la bière et des produits connexes d'Anheuser-Busch ;

-          Le produit le plus populaire et le mieux connu d'Anheuser-Busch est la bière BUDWEISER ;

-          La bière BUDWEISER est la marque de bière la plus vendue dans le monde. Elle fait partie des bières les plus vendues au Canada, où elle est vendue depuis plus de 100 ans ;

-          La bière BUDWEISER est vendue au Canada en liaison avec la marque composée de la lettre A et du dessin d'un aigle ;

-          depuis 1992, les ventes de bière BUDWEISER au Canada dépassent 850 000 barils par année (environ 100 millions de dollars US par année) ;

-          la marque composée de la lettre A et du dessin d'un aigle figure sur une vaste gamme d'articles promotionnels qui sont vendus au Canada et qui ont bénéficié de ventes substantielles au Canada ;

-          L'annexe F montre les étiquettes utilisées sur les bouteilles de bière BUDWEISER vendues au Canada ;


-          L'annexe G montre des copies d'échantillons représentatifs d'articles promotionnels figurant la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle d'Anheuser-Busch, Inc. ;

-          Les annexes H et I montrent la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle qui figure sur les marchandises pour lesquelles Anheuser-Busch, Inc. a octroyé une licence.

[18]            Affidavit de Peter Eliopoulos: M. Eliopoulos, un étudiant qui occupe un emploi d'été chez Bereskin & Parr, le cabinet d'avocats de la demanderesse, a témoigné que le pygargue à tête blanche est le symbole national des États-Unis d'Amérique.

B. Nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour

[19]            À l'appui du présent appel, la demanderesse a déposé comme preuve complémentaire les affidavits de Paul Casuccio et de Christopher Frederick Effer, en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi.

[20]            Affidavit de Paul Casuccio : M. Casuccio, étudiant en droit stagiaire chez Bereskin & Parr, le cabinet d'avocats de la demanderesse a témoigné que :

-          il avait pu acheter divers produits de bière de la demanderesse (BUDWEISER, BUD LIGHT, BUSCH, BUSCH LIGHT et MICHELOB) à Toronto et à Thornhill, en Ontario ;


-          les annexes de son affidavit montrent les étiquettes des produits arborant la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle.

[21]            Affidavit de Christopher Frederick Effer : Voici ce qu'a témoigné M. Effer, directeur national pour le Canada chez Anheuser-Busch International Inc. :

-          Les produits Anheuser-Busch font l'objet au Canada d'une vaste publicité dans divers médias, dont la presse et la télévision ;

-          depuis 1993, les dépenses publicitaires totales engagées au Canada pour les bières BUDWEISER et BUD LIGHT dépassent 10 millions de dollars par année ;

-          L'annexe A est une bande vidéo montrant des extraits de messages publicitaires télévisés relatifs à des produits portants une ou plusieurs des marques de commerce appartenant à la demanderesse, dont la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle. Ces messages publicitaires ont été diffusés entre 1993 et 1996 à la télévision canadienne, notamment sur le réseau de télévision Global ;

-          la demanderesse dépense des sommes encore plus élevées pour ses produits BUDWEISER aux États-Unis en annonces publicitaires et en promotions dont certaines atteignent le Canada ;

-          la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle figure depuis aussi longtemps que 1911 sur les capsules des bouteilles de bière BUDWEISER (l'annexe B de son affidavit montre un échantillon de ces capsules de bouteille), et cette utilisation est continue au Canada depuis les années quarante ;


-          l'étiquette de base BUDWEISER sur laquelle apparaît à deux endroits la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle est utilisée sous la même forme ou sous une forme analogue sur les bouteilles et cannettes de BUDWEISER vendues au Canada depuis au moins 1957;

-          la marque formée de la lettre A et du dessin d'un aigle figure de façon continue sur les étiquettes des produits Anheuser-Busch suivants depuis les dates suivantes : cannettes de bière BUDWEISER (1950), bouteilles de bière BUDWEISER (1950), capsules de bouteilles de bière BUDWEISER (1940), bouteilles de bière BUD LIGHT (1990), cannettes de bière BUD LIGHT (1990), bouteilles de bière MICHELOB (1980), cannettes de bière BUSCH (1990) et cannettes de bière BUSCH LIGHT (1992).

                                                         

PREUVE DE LA DÉFENDERESSE

A. Devant le registraire

[22]            Affidavit de Karen Louise Pratt : Mme Pratt, agente adjointe des marques de commerce chez McDermid and Company, a essentiellement témoigné qu'elle avait acheté des vêtements arborant des logos d'équipes sportives constitués de la lettre A et d'un dessin (elle a annexé des photos des articles achetés à son affidavit). Mme Pratt a annexé des copies d'articles de journaux montrant des logos de diverses équipes sportives constitués de la lettre A et d'un dessin, ainsi que des copies de magazines montrant la marque de commerce HEAD OF MOOSE de la défenderesse.


[23]            Affidavit de Paul H. McGraw : M. McGraw, vice-président aux finances et secrétaire général de Moosehead Breweries Limited, a témoigné que :

-          depuis 1938, la défenderesse brasse, embouteille et emballe des boissons alcoolisées sous sa marque de commerce MOOSEHEAD ;

-          la défenderesse a utilisé pour la première fois en 1931 la représentation d'une tête d'orignal dans une marque de commerce sur ses boissons alcooliques fermentées au Canada ;

-          l'annexe C illustre les diverses représentations de la tête d'orignal qui figurent sur les étiquettes de bière de la défenderesse depuis 1931 ;

-          la défenderesse est propriétaire de plusieurs marques de commerce constituées du dessin d'une tête d'orignal, ainsi que des marques de commerce MOOSEHEAD, MOOSE et THE MOOSE IS LOOSE, qui sont employées en liaison notamment avec des boissons alcooliques fermentées et avec des articles promotionnels connexes qui sont connus au Canada et à l'échelle internationale ;

-          la défenderesse est également propriétaire des marques de commerce A & ALPINE et dessin employées en liaison avec des boissons alcooliques fermentées et avec divers articles promotionnels ;

-          la défenderesse est également propriétaire des marques de commerce et des dessins HALIFAX MOOSEHEADS et H & HEAD OF MOOSE portant sur des marchandises et des services identiques à ceux qui sont énumérés dans la demande en litige dans la présente instance ;


-          la défenderesse emploie la marque figurative HEAD OF MOOSE, la marque de commerce MOOSEHEAD et la marque figurative ALPINE A en liaison avec de la bière et avec divers articles promotionnels ;

-          la marque de commerce qui fait l'objet de la présente instance figure sur le maillot d'une équipe de hockey parrainée par la défenderesse, les « MOOSEHEADS » de Hamherst ;

-          sont également annexés quelques photos d'accessoires sur lesquels figure le dessin de la tête d'orignal, quelques annonces publicitaires de la famille de marques de commerce HEAD OF MOOSE, ainsi que des articles de journaux et de magazines attestant la popularité des bières de la défenderesse.

[24]            Affidavit de Donna J. Harris : Mme Harris, recherchiste en matière de marques de commerce, a témoigné ce qui suit :

-          elle a procédé à une recherche dans le registre des marques de commerce en janvier 1997 pour trouver des enregistrements et des demandes de marques de commerce semblables à la marque de commerce formée de la lettre A et du dessin d'une tête d'orignal et qui comprenaient un dessin formé de la lettre A ;

-          l'annexe A comprend des copies de 21 enregistrements et demandes de marques de commerce qu'elle a retenus parce qu'ils offraient le plus de ressemblance à la marque de commerce formée de la lettre A et du dessin d'une tête d'original, après avoir exclu les marques appartenant à Anheuser-Busch Inc. ;


-          l'annexe B renferme des copies de plusieurs marques de commerce inscrites au registre qui appartiennent à la défenderesse et qui sont formées du mot MOOSEHEAD ou d'un dessin d'une tête d'original.

B. Éléments de preuve complémentaires soumis à la Cour

[25]            La défenderesse n'a soumis aucun élément de preuve complémentaire à la Cour.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A. Prétentions et moyens de la demanderesse

[26]            La demanderesse affirme que le registraire a commis une erreur en concluant que la marque A & Mooshead Design ne créait pas de confusion avec les marques enregistrées A & Eagle Design de la demanderesse, tant en ce qui concerne les vêtements et les souvenirs qu'en ce qui a trait aux services liés à l'équipe de hockey. La demanderesse soutient que l'erreur du registraire est attribuable aux éléments suivants :

a) sa conclusion erronée que la marque A & Eagle Design n'est devenue connue que jusqu'à un certain point au Canada en liaison avec de la bière :

b) l'importance exagérée que le registraire a accordée au facteur de l' « étendue de la notoriété » pour se prononcer sur la question de la confusion crée avec les marques de la demanderesse, de sorte que le critère prévu à l'alinéa 12(1)d) de la Loi a été appliqué comme s'il s'agissait du critère de l'imitation frauduleuse ;


c) l'importance exagérée qu'il a accordée à des différences négligeables qui existaient entre les marques pour appliquer le critère du « degré de ressemblance » prévu à l'alinéa 6(5)e) de la Loi ;

d) l'importance exagérée qu'il a accordée aux éléments de preuve relatifs à l' « état du marché » ;

e) sa conclusion erronée que les consommateurs associeraient le dessin formé de la lettre A et d'une tête d'orignal à la défenderesse parce qu'ils connaissent bien le dessin de la tête d'orignal.

[27]            La demanderesse affirme que, comme le registraire s'est trompé dans son application du critère de la confusion et dans son appréciation des éléments de preuve présentés par la demanderesse, il est loisible à la Cour de remplacer la conclusion du registraire par la sienne, compte tenu surtout des nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés au cours du présent appel. La demanderesse affirme que ces nouveaux éléments de preuve sont importants et que la situation de fait sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer est par conséquent très différente de celle qui était soumise au registraire ((London Life Insurance Co. c. Manufacturers Life Insurance Co., (1999), 87 C.P.R. (3d) 240 (C.F. 1re inst.), Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] F.C.J. 1763 (C.F. 1re inst.), Oshawa Group Ltd. v. Creative Resources Co. Ltd., (1982), 61 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.)


[28]            La demanderesse soutient que, pour décider si l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque, l'emploi des deux marques dans la même région et de la même façon est susceptible de donner l'impression que les marchandises ou les services reliés à ces marques sont fournis par la même personne (Miss Universe c. Bohna, (1994), 58 C.P.R. (3d) 381 (C.A.F.)). L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. Le critère applicable est un critère théorique qui ne dépend pas de l'existence d'éléments de preuve tendant à démontrer une utilisation effective des marques en litige dans la même région (paragraphe 6(2) de la Loi, Oshawa Holdings Ltd c. Fjord Pacific Marine Industries Ltd. (1981), 55 C.P.R. (2d) 39 (C.A.F.), Canadian Tire Corp. c. Cooper Tire & Rubber (1994), 59 C.P.R. (3d) 402 (C.O.M.C.). La demanderesse affirme également que la confusion doit être évaluée à la lumière de toutes les circonstances de l'espèce, y compris des critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi.


[29]            La demanderesse affirme que le registraire a commis une erreur en concluant que les consommateurs associeraient le dessin formé de la lettre A et d'une tête d'orignal à la défenderesse parce qu'ils connaissent bien le dessin de la tête d'orignal de la défenderesse Moosehead. La demanderesse soutient que cette conclusion est d'ordre spéculatif et qu'elle n'est pas appuyée par les éléments de preuve requis.


[30]            La demanderesse soutient en outre que le registraire a commis une erreur en déterminant la mesure dans laquelle la marque A & Eagle Design de la demanderesse était devenue connue. Elle soutient que les nouveaux éléments de preuve de MM. Effer et Casuccio confirment qu'on aurait dû conclure que la marque A & Eagle Design était devenue bien connue au Canada. Suivant la demanderesse, le registraire a accordé beaucoup d'importance à l'ampleur des éléments de preuve portant sur l'utilisation de la marque de la demanderesse relativement aux marchandises énumérées dans l'enregistrement no 429 784 (c.-à-d. les vêtements et les articles promotionnels) pour conclure qu'il n'y avait pas de risque de confusion. L'importance ainsi accordée au facteur de l' « étendue de la notoriété » a eu pour effet de ramener le critère de la confusion d'une marque avec une marque enregistrée à un critère d'imitation frauduleuse, suivant lequel la partie qui affirme qu'il y a confusion doit faire la preuve de la notoriété de sa marque dans la région dans laquelle les deux marques sont effectivement utilisées. La demanderesse soutient que cette méthode n'est pas la bonne, étant donné qu'elle prive le propriétaire d'une marque enregistrée de l'avantage de l'enregistrement conféré par l'alinéa 12(1)d) de la Loi.

[31]            La demanderesse soutient en outre que le registraire a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas lien entre les marchandises visées par les enregistrements de la demanderesse et les services visés par la demande. La demanderesse soutient que les messages publicitaires de bière occupent une grande place dans les matchs de hockey diffusés à la télévision et que les consommateurs canadiens sont susceptibles d'associer la bière à des services liés au hockey et en particulier à la commandite d'équipes de hockey. La demanderesse soutient en outre que le registraire a commis une erreur en attribuant peu de poids au témoignage de Kimberly Townley-Smith. Suivant la demanderesse, ce témoignage démontre qu'il existe des rapports étroits entre, d'une part, la bière visée par les marques de commerce UCA17982 et 445 757 de la demanderesse et, d'autre part, le hockey (les services énumérés dans la demande en litige).


[32]            La demanderesse fait en outre valoir que, pour appliquer le volet de la ressemblance du critère de la confusion, il faut examiner les marques comme un tout et éviter de les scinder en plusieurs éléments (Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)). La demanderesse affirme donc qu'en comparant les marques point par point, le registraire a commis une erreur en concluant que les marques n'offraient pas suffisamment de similitudes pour justifier une conclusion de confusion. Lorsqu'on les examine comme un tout, les marques sont très semblables. Elles se caractérisent toutes les deux par l'utilisation de la lettre A et par le dessin d'un animal se détachant sur cette lettre. Dans les deux cas, l'animal est un symbole national.

[33]            Finalement, la demanderesse soutient que le registraire a commis une erreur en acceptant les éléments de preuve de la défenderesse montrant l'état du marché à la date du dépôt de la demande. Une grande partie des éléments de preuve relatifs à l'état du marché ont été recueillis deux ans après la date du dépôt et ils n'établissent donc pas l'état du marché à la date du dépôt. La demanderesse soutient que les mêmes considérations valent pour ce qui est de la question de la confusion, mais que la date critique est celle de l'opposition.

B. Prétentions et moyens de la défenderesse                


[34]            La défenderesse fait valoir que la norme de contrôle actuellement applicable lorsque les éléments de preuve complémentaires qui ont été présentés ne sont pas significatifs est la norme du « caractère raisonnable » . Elle soutient que lorsque les éléments de preuve complémentaires ne sont qu'une simple répétition des éléments de preuve soumis au registraire ou que ces éléments de preuve n'auraient pas modifié de façon appréciable les conclusions du registraire, la Cour ne doit modifier la décision du registraire que lorsque celle-ci est « manifestement erronée » (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée., précité, Garbo Creations Inc. c. Harriet Brown & Co., (2000), 3 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.)).

[35]            La défenderesse affirme en outre que, si les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés vont au-delà de ceux qui ont été soumis au registraire, la Cour devrait se demander si, compte tenu de ces éléments, le tribunal administratif a rendu une décision erronée sur la question à laquelle ces éléments de preuve se rapportent. Par conséquent, les conclusions du registraire pour lesquels aucun élément de preuve complémentaire n'a été présenté justifient une grande retenue judiciaire (Garbo Creations, précité).

[36]            La défenderesse soutient que les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse n'ajoutent rien d'appréciable et qu'ils constituent une simple répétition des éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance du registraire. La défenderesse affirme aussi qu'il n'y a aucun risque que le consommateur moyen mis en présence des marques de commerce des parties en vienne à la conclusion qu'elles proviennent de la même source. En conséquence, la défenderesse affirme que le registraire n'a commis aucune erreur justifiant un contrôle judiciaire en vertu de l'une ou l'autre des normes de contrôle judiciaire lorsqu'il a conclu qu'il n'existait aucun risque de confusion entre les marques de commerce en litige.


[37]            En ce qui concerne la confusion, la défenderesse soutient que les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne se voient pas nécessairement attribuer le même poids, et que chaque cas précis de confusion pourrait justifier que l'on accorde une plus grande importance à un critère plutôt qu'aux autres (United Artists c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.), SkyDome Corp. c. Toronto Heart Indutries Ltd. (1997), 72 C.P.R. (3d) 546 (C.F. 1re inst..). La défenderesse soutient en outre que le poids qu'il convient d'accorder aux divers facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi est une question qui relève directement de la compétence spécialisée du registraire et que notre Cour devrait beaucoup hésiter à intervenir en pareil cas (Van Melle Nederland B.V. c. Maple Leaf Meats Inc., [2000] F.C.J. No. 182 (C.F. 1re inst.)).

[38]            Pour ce qui est de la question du caractère distinctif, la défenderesse affirme que rien ne justifie de conclure que la conclusion que le registraire a tirée au sujet du caractère distinctif était erronée, et encore moins déraisonnable. La défenderesse affirme que, contrairement à ce que la demanderesse soutient, le registraire n'a pas appliqué un critère d' « imitation frauduleuse » en ce qui concerne le facteur de l' « étendue de la notoriété » , mais que la demanderesse confond le « caractère distinctif inhérent » et le « caractère distinctif » , qui sont des concepts analogues mais distincts (Van Melle Nederland B.V., précité).


[39]            La défenderesse soutient en outre que le registraire n'a pas commis d'erreur en concluant que, bien que les marchandises des parties se chevauchent jusqu'à un certain point pour ce qui est des articles promotionnels, il n'existe aucun risque de confusion. La défenderesse affirme qu'elle cherche à faire protéger sa marque en ce qui concerne l'organisation et la promotion d'une équipe de hockey et des marchandises associées, et non en ce qui concerne de la bière. Les articles promotionnels de la défenderesse seront utilisés en liaison avec une équipe de hockey junior de Amherst, en Nouvelle-Écosse et ils circuleront dans un marché qui connaît très bien le dessin MOOSEHEAD. Suivant la défenderesse, l'idée qu'il pourrait y avenir à l'avenir un chevauchement du commerce respectif des parties est insuffisante pour justifier une conclusion de confusion (McDonald's Corp. c. Coffee Hut, (1994), 55 C.P.R. (3d) 463 (C.F. 1re inst.)).

[40]            La défenderesse soutient en outre que le registraire a appliqué les bons principes lorsqu'il a examiné le degré de ressemblance entre les deux marques de commerce. Elle affirme que, pour comparer les deux marques de commerce, la Cour ne doit pas les scinder en différentes parties, mais qu'il faut les examiner comme un tout (SkyDome Corp., précité, Molson Companies Ltd. c. John Labatt, (1994), 58 C.P.R. (3d) 527 (C.A.F.)). La défenderesse affirme que, lorsqu'on examine les marques de commerce en litige en l'espèce comme un tout, il est évident qu'il existe entre les deux marques de commerce des différences marquées qui contribuent à diminuer les risques de confusion.


[41]            La défenderesse affirme également que, bien que les marques de commerce doivent être examinées comme un tout, il est quand même possible de s'attacher à des caractéristiques particulières de la marque qui sont susceptibles d'avoir une influence déterminante sur la perception que le public a de la marque (United Artists Corp., précité). La défenderesse soutient également que, lorsque seulement un élément de la marque de commerce est commun aux deux marques, et que les différences l'emportent sur les éléments communs, les risques de confusion s'en trouvent d'autant diminués (California Fashion Industries Inc. c. Reitmans (Canada) Ltd., (1991), 38 C.P.R. (3d) 439 (C.F. 1re inst.)). La défenderesse fait valoir que la caractéristique la plus frappante de la marque de la demanderesse est l'aigle, tandis que la caractéristique dominante de la marque de la défenderesse est la tête d'un original, qui est extrêmement bien connue et reconnaissable au Canada. La défenderesse soutient en conséquence que la preuve appuie la conclusion du registraire suivant laquelle le consommateur moyen associerait probablement la marque de la défenderesse avec la défenderesse, compte tenu de la solide réputation qu'elle s'est acquise au Canada en ce qui concerne sa marque de commerce illustrant la tête d'un orignal. La défenderesse souscrit à la conclusion du registraire suivant laquelle le degré de ressemblance entre les marques de commerce favorise la défenderesse.


[42]            Pour ce qui est des circonstances de l'espèce, la défenderesse soutient que la présence d'un élément commun dans les marques de commerce qui se retrouve également dans plusieurs autres marques de commerce dans le même marché a des incidences importantes sur la question de la confusion (Kellogg Salada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd., (1992), 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.)). Suivant la défenderesse, l'état du registre peut indiquer qu'il existe une foule de marques de commerce qui possèdent les mêmes caractéristiques, attestant ainsi l'usage répandu de ces caractéristiques, et que la fréquence de ces caractéristiques sur le marché fait en sorte que les consommateurs accordent une plus grande attention aux autres caractéristiques -- les caractéristiques qui ne sont pas communes -- des marques de commerce respectives et à distinguer ces dernières en fonction de ces autres caractéristiques.


[43]            Selon la défenderesse, dans ces conditions, des différences négligeables entre les marques de commerce suffiront à éviter la confusion. Conclure autrement donnerait à la demanderesse un droit de propriété exclusif sur la lettre A en ce qui concerne les produits promotionnels en question (Kellogg Salada, précité, Molson Companies, précité). La défenderesse soutient qu'il ressort de la preuve qu'il existe 21 enregistrements portant sur des marques figuratives employant la lettre A sous une forme standard ou sous une forme plus fantaisiste en ce qui concerne le hockey ou les sports en général. Le registraire a tenu dûment compte des éléments de preuve relatifs à l'état du registre. Il ressort en outre de la preuve que la défenderesse est propriétaire d'une autre marque de commerce composée de la lettre A et d'un dessin, qu'elle emploie en liaison avec sa bière de marque ALPINE et avec divers articles promotionnels. La défenderesse affirme donc que son utilisation de la marque de commerce formée de la lettre A et d'un dessin est une autre des « circonstances de l'espèce » qui jouent contre une conclusion de risque de confusion.

ANALYSE

[44]            À mon avis, le présent appel devrait être rejeté. La demanderesse n'a pas établi que la décision du registraire était déraisonnable et que notre Cour devrait intervenir.

A. La norme de contrôle

[45]            La Cour d'appel fédérale a récemment examiné la question de la norme de contrôle applicable en matière d'appels des décisions du registraire des marques de commerce dans l'affaire Brasseries Molson c. John Labatt Ltée., [2000] F.C.J. No. 159 (C.A.F.). Le juge Rothstein a résumé les principes régissant la norme de contrôle judiciaire et a déclaré ce qui suit aux paragraphes 46 à 51 :

Du fait qu'il offre l'opportunité de produire une nouvelle preuve, l'appel prévu à l'article 56 n'est pas une disposition d'appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l'objet de l'appel. Un appel régulier n'est pas interdit si aucune preuve additionnelle n'est produite, mais il n'y a aucune obligation de procéder ainsi. L'appel prévu n'est pas non plus un « procès de novo » au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d'un tout nouveau dossier, comme s'il n'y avait pas eu de procès en première instance. Ainsi, dans un procès de novo, la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures.

[...]

Un appel sous le régime l'article 56 implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Du fait que les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues, ses décisions méritent une certaine déférence. Dans l'affaire Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation [[1969] R.C.S. 192], le juge Ritchie a déclaré ceci à la page 200:


[TRADUCTION] À mon avis la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce créée de la confusion doit être considérée comme étant d'un grand poids et la conclusion d'un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d'autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l'a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l'Échiquier, dans l'affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al:

[. . .] le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu'à décharger le juge qui entend l'appel de cette décision de l'obligation de trancher la question en tenant compte des circonstances de l'espèce.

Dans l'affaire McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd.[(1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), à la page 201], le juge Strayer (alors juge puiné), commentant cette citation du juge Ritchie, a expliqué que, bien que la Cour doive demeurer libre de revoir la décision du registraire, cette décision ne doit pas être rejetée à la légère.

Il semble clair qu'en matière d'oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionelles : voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3e) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s'il avait simplement « eu tort » , il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui [conf. à (1992), 41 C.P.R. (3d) 67 (C.A.F.).] .

La décision McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd., rendue en 1989, est bien antérieure à la jurisprudence récente de la Cour suprême établissant le continuum moderne des critères de contrôle, à savoir la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable; voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc, [[1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 776 et 777]. Du fait que le juge Strayer était disposé à faire preuve d'une certaine déférence à l'égard du registraire, je ne considère pas que l'utilisation qu'il fait du terme « correct » reflète la norme de contrôle sans retenue et rigoureuse qui est de nos jours associée aux termes « correct » ou « décision correcte » .


Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire. (Non souligné dans l'original).

[46]            À mon avis, comme l'arrêt Brasseries Molson, précité, a été suivi par la suite par la Cour d'appel fédérale et par la Section de première instance de la Cour fédérale, le raisonnement du juge Rothstein doit être appliqué. La norme de contrôle judiciaire de la décision du registraire est celle du caractère raisonnable simpliciter, à moins que ne soient présentés des éléments de preuve complémentaires qui auraient pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, auquel cas la norme de contrôle applicable est celle du bien-fondé de la décision. En conséquence, compte tenu de ces principes, la question en litige est celle de savoir si les éléments de preuve complémentaires présentés par la demanderesse en l'espèce suffisent pour élever la norme de contrôle judiciaire à celle du bien-fondé de la décision.


[47]            À mon avis, les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse n'auraient pas pu avoir un effet sur la conclusion de fait du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que les nouveaux éléments de preuve n'ajoutent rien d'appréciable et qu'ils sont une simple répétition des éléments de preuve dont le registraire disposait déjà. Les nouveaux éléments de preuve démontrent la vaste publicité télévisée dont la bière de la défenderesse a fait l'objet. Il convient toutefois de signaler que la lettre A et le dessin de l'aigle occupent une place très discrète dans les messages publicitaires. Ils démontrent également que la lettre A et le dessin de l'aigle apparaissent sur les étiquettes de bière de la demanderesse. La preuve confirme tout simplement la conclusion du registraire suivant laquelle la marque de commerce de la demanderesse formée de la lettre A et du dessin d'un aigle ne constitue qu'un élément très mineur de l'étiquette apposée sur la bière BUDWEISER de la demanderesse et que la marque de commerce BUDWEISER de la demanderesse est devenue bien connue au Canada. À la lumière des éléments de preuve antérieurement présentés, le registraire a déjà conclu que la marque de commerce A & Eagle Design de la demanderesse a acquis une certaine notoriété au Canada en liaison avec de la bière. J'estime que les nouveaux éléments de preuve démontrent avec encore plus de force que la marque est employée en liaison avec de la bière et non avec des souvenirs, des articles promotionnels ou des services liés à une équipe de hockey. Ces éléments de preuve ne démontrent pas non plus que le public associe la marque A & Eagle Design à la demanderesse.

[48]            J'estime donc que la norme de contrôle judiciaire de la décision du registraire doit être celle du caractère raisonnable simpliciter.


B. Caractère raisonnable de la décision du registraire

[49]            Je suis d'avis que la décision du registraire était raisonnable. En ce qui concerne la question de la confusion, le registraire a appliqué le bon critère, à savoir celui de la première impression et du souvenir imparfait, et il a tenu compte des circonstances de l'espèce, et notamment de chacun des critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne se voient pas nécessairement attribuer le même poids, et que le poids qu'il convient d'accorder à chaque facteur est une question qui relève directement de la compétence spécialisée du registraire, ainsi que le juge Pelletier l'a confirmé dans le jugement Van Melle Nederland B.V., précité, au paragraphe 11.


[50]            À mon avis, il était raisonnable de la part du registraire, au vu de la preuve, de conclure que la marque A & Eagle Design n'avait acquis une certaine notoriété au Canada qu'en liaison avec de la bière, étant donné que la preuve soumise par la demanderesse démontrait presque exclusivement que la marque était employée en liaison avec de la bière, et étant donné que la marque A & Eagle Design n'occupe qu'une place très discrète sur la bière. Je ne souscris pas à l'argument de la demanderesse que l'importance que le registraire a accordée au facteur de l' « étendue de la notoriété » pour conclure qu'il n'y avait pas de confusion ramenait le critère de la confusion à un critère d'imitation frauduleuse. Ainsi qu'il a déjà été signalé, c'est au registraire qu'il appartient de déterminer le poids à accorder aux différents critères dans chaque cas. Je ne puis conclure que l'importance qu'il a accordée à ce facteur était déraisonnable.

[51]            Il n'était par ailleurs pas déraisonnable selon moi de la part du registraire d'accorder peu de poids au témoignage de Kimberley Townley-Smith. Je ne suis pas d'accord avec la demanderesse pour dire que l'affidavit de Kimberley Townley-Smith démontrait qu'il existait des rapports étroits entre, d'une part, la bière visée par deux des enregistrements de la demanderesse et, d'autre part, le hockey. De plus, cet affidavit ne démontrait certainement pas l'existence de rapports étroits entre la marque A & Eagle Design et le hockey.

[52]            Pour ce qui est des critères énumérés à l'alinéa 6(5)e) de la Loi, la conclusion du registraire suivant laquelle les marques n'étaient pas assez semblables pour justifier une conclusion de confusion est raisonnable. Je ne suis pas d'accord avec la demanderesse pour dire que le registraire s'est livré à une comparaison de chacune des caractéristiques des marques et qu'il a accordé une importance exagérée aux différences négligeables qui existaient entre les marques. Ainsi que la défenderesse l'a rappelé, dans l'arrêt United Artists c. Pink Panther Beauty Corp., (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.), le juge Linden a déclaré ce qui suit, à la page 263 :


Même s'il faut examiner la marque comme un tout (et non la disséquer pour en faire un examen détaillé), il est tout de même possible d'en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public.

À mon avis, le registraire a apprécié les marques comme un tout et a eu raison de conclure que le dessin de la tête d'orignal jouerait un rôle déterminant dans la perception du public.

[53]            En ce qui concerne l'état du marché, il était raisonnable de la part du registraire d'en tenir compte, étant donné qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce lorsqu'on se prononce sur la question de la confusion. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que le registraire a tenu dûment compte de la question de l'état du marché parmi les circonstances de l'espèce. Je ne souscris pas à l'affirmation de la demanderesse que le registraire a accordé une importance disproportionnée à l'état du marché.

[54]            Finalement, je crois qu'il était raisonnable de la part du registraire de conclure que les consommateurs associeraient la marque A & MOOSEHEAD Design à la défenderesse parce que le dessin de la tête d'orignal leur était familier. La défenderesse a soumis une preuve abondante au sujet de son utilisation du dessin de la tête d'orignal et de marques semblables, surtout dans les Maritimes, où la marque de commerce demandée serait employée en liaison avec une équipe de hockey junior. Force m'est de souscrire à la conclusion du registraire suivant laquelle les consommateurs associeront fort probablement la marque de la défenderesse à la défenderesse.


DISPOSITIF

[55]            En conclusion donc, le présent appel devrait être rejeté et les dépens devraient être adjugés à la défenderesse.

                                                                                                                   Marc Nadon

                                                                                                                               JUGE

O T T A W A (Ontario)

Le 15 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  T-1259-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : Anheuser-Busch, Incorporated c. Moosehead Breweries Limited

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 7 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Nadon le 15 mai 2001

ONT COMPARU :

Me Mark L. Robbins                                                                      pour la demanderesse

Me R. Aaron Rubinoff                                                        pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                                                                             pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Perley-Robertson, Hill & McDougald                              pour la défenderesse

Ottawa (Ontario)

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