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Date : 20010605

Dossier : T-2408-91

Référence neutre : 2001 CFPI 589

E n t r e :

                                  MERCK & CO. INC. et

                       MERCK FROSST CANADA & CO.

                                                                                     demanderesses

                                                     

                                                  - et -

                                          APOTEX INC.

                                                                                        défenderesse

             MOTIFS DU JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE

LE JUGE MacKAY


[1] Par jugement daté du 7 mars 2000, la Cour a déclaré la défenderesse Apotex Inc. et son président, M. Bernard Sherman, coupables d'outrage au tribunal. Dans les conclusions des motifs du jugement du 7 mars 2000, conclusions qui sont énoncées de façon plus précise dans le dispositif qui porte la même date, la Cour a déclaré ce qui suit (aux paragraphes 60 et 61) :

Je conclus qu'Apotex Inc., en vendant les 15 et 16 décembre 1994 le produit Apo-Enalapril, produit dont on avait jugé qu'il contrefaisait le brevet de Merck, ainsi qu'il appert des motifs du jugement datés du 14 décembre 1994, et M. Bernard Sherman, alors président et chef de la direction d'Apotex, en autorisant ces ventes, après avoir lu les motifs du jugement, ont tous deux agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour d'une manière constituant un outrage au tribunal.

En outre, je conclus qu'Apotex Inc., par les agissements de son vice-président, Ventes et marketing, M. Richard Barbeau, et de son personnel, en facilitant les ventes entre tiers vendeurs et acheteurs d'Apo-Enalapril après le 9 janvier 1995, en autorisant des remises de distribution et autres réductions, a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour, minant le processus judiciaire et commettant un outrage au tribunal.

[2] En février 2001, la Cour a entendu les observations des parties au sujet de la peine et des frais qu'il convenait de fixer compte tenu des circonstances de l'espèce. La Cour tient à remercier tous les avocats -- ceux des demanderesses, de la défenderesse Apotex et de M. Bernard Sherman -- pour leur aide. Les observations qu'ils ont alors formulées -- et en particulier leur analyse des principes généraux applicables et de la preuve versée au dossier -- ont aidé la Cour à fixer la peine appropriée.

[3] Le présent jugement supplémentaire prévoit les peines suivantes :

La Cour condamne Apotex Inc. à une amende de 250 000 $ qu'elle devra payer sans délai par suite de l'outrage au tribunal qu'elle a commis :

a)          en agissant de façon à entraver la bonne administration de la justice en vendant, après que la Cour eut prononcé son jugement le 14 décembre 1994, un produit que la Cour avait jugé contrefaire le brevet des demanderesses,


b)          et en autorisant des remises de distribution et autres réductions pour faciliter les ventes entre tiers vendeurs et acheteurs d'Apo-Enalapril après le 9 janvier 1995, date à laquelle l'injonction et le jugement en date du 22 décembre 1994 sont devenus pleinement exécutoires, entravant ainsi la bonne administration de la justice et portant atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour, minant le processus judiciaire et commettant un outrage au tribunal.

La Cour condamne le président d'Apotex Inc., M. Bernard Sherman, à une amende de 4 500 $ qu'il devra payer sans délai pour avoir, en sa qualité de président directeur général d'Apotex, autorisé celle-ci, les 15 et 16 décembre 1994, à vendre le produit contrefait après avoir pris connaissance du jugement rendu le 14 décembre et après avoir consulté l'avocat d'Apotex, entravant ainsi la bonne administration de la justice et portant atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour.


[4]         Lorsque les agissements qui ont été jugés constituer un outrage au tribunal ont été commis, l'article 355 des Règles de la Cour fédérale, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoyait certaines peines en cas d'outrage au tribunal. Dans le cas d'une personne morale, le montant de l'amende n'était pas limité, et dans le cas d'une personne physique, la peine prévue était une amende ne devant pas dépasser 5 000 $ ou une peine d'emprisonnement maximal d'un an. Bien que, dans le cas d'une personne physique, l'article 472 des Règles de la Cour fédérale (1998) ne prévoit plus de limite en ce qui concerne le montant de l'amende et bien que la durée maximale de l'incarcération soit limitée à cinq ans, ce sont les peines qui étaient prévues par les Règles qui étaient en vigueur au moment où les actes reprochés ont été commis qui s'appliquent en l'espèce (Coca-Cola Ltée. c. Pardhan (faisant affaire sous la raison sociale d'Universal Exporters) (2000), 181 FTR 80 (C.F. 1re inst.)).

[5]         Voici les observations que les parties ont formulées au sujet des peines qu'il convient d'imposer :

a)          Les demanderesses exhortent la Cour à condamner Apotex Inc. à une amende de quinze millions de dollars et de condamner M. Sherman à une peine d'emprisonnement d'au moins 60 jours. Elles ajoutent que, si la Cour décide d'accorder un sursis à M. Sherman, elle devrait obliger M. Sherman et toute société dont il a le contrôle à démontrer par attestation semestrielle à la Cour et aux demanderesses qu'ils obéissent à l'injonction en cours et ce, jusqu'à l'expiration du brevet no 1 275 349 des demanderesses.

b)          La défenderesse Apotex Inc. affirme qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, aucune peine ne devrait être infligée, mais que, si la Cour juge qu'il y a lieu d'infliger une peine, seulement une amende minime ou symbolique est justifiée.

c)          M. Sherman, qui a, lors de l'audience relative à la peine, soumis une lettre d'excuse officielle au nom d'Apotex Inc. et en son nom personnel, soutient qu'il serait inopportun et injustifié de lui infliger une peine privative de liberté.


[6]         Voici le texte de la lettre d'excuse que M. Sherman a soumise lors de l'audience relative à la peine :

[TRADUCTION] Au nom d'Apotex Inc. et en mon nom personnel, je tiens à vous présenter mes excuses, ainsi qu'à la Cour pour les actes que nous avons commis après le prononcé du jugement de la Cour le 14 décembre 1994 dans l'affaire Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., et qui ont été jugés constituer une entrave à la bonne administration de la justice et une atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour.

En mon nom personnel et au nom de ma compagnie, je tiens à vous assurer et à assurer la Cour que nous n'avons jamais voulu manquer de respect et que nous avons toujours désiré mener nos affaires conformément aux directives de la Cour. Je n'ai jamais personnellement souhaité et ne souhaiterai jamais, et ce n'est pas la politique de toute personne morale dont je fais partie, d'agir contrairement aux directives de tout tribunal ou de faire volontairement défaut de respecter une prescription de la loi.

Je crois fermement que nous devons être régis par le principe de la primauté du droit et nous adhérons entièrement à ce principe.

[7]         Au nom de la Cour, j'accepte ces excuses telles qu'elles sont rédigées, tout en reconnaissant que la conclusion d'outrage peut encore faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Je tiens par ailleurs à souligner que les assurances données et les convictions professées aux deuxième et troisième paragraphes de la lettre suppose que des engagements devront être pris pour respecter intégralement les directives de notre Cour ou de tout autre tribunal. Ces engagements sont importants non seulement pour notre système judiciaire, mais aussi pour Apotex elle-même, qui s'en remet à la loi et à la justice pour faire définir ses droits et ses obligations et ceux de ses concurrents.


[8]         Ces excuses officielles constituent un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour déterminer les peines qu'il convient d'appliquer. Il en va de même pour les activités des auteurs de l'outrage au tribunal. Il est vrai que l'outrage au tribunal dont Apotex a été reconnue coupable relativement aux actes qu'elle a commis les 15 et 16 décembre 1994 après avoir pris connaissance du jugement de la Cour visait surtout la vente du produit contrefait, mais les activités établies en preuve au procès comprenaient aussi les démarches entreprises par les préposés aux ventes d'Apotex pour communiquer avec tous les clients le 15 décembre ainsi que les diverses mesures prises pour mousser les ventes. En conséquence, le 15 décembre, jusqu'à la fin de l'après-midi, et au cours de l'après-midi du 16 décembre, après que les ventes ont repris après une brève interruption, un chiffre d'affaires de plus de neuf millions de dollars a été réalisé, c'est-à-dire plus que le chiffre de ventes mensuel moyen. Les livraisons faisant suite à ces ventes ont été effectuées en soirée le 15 décembre, le 16 décembre et au cours des jours qui ont suivi.


[9]         Le jugement formel a été rendu le 22 décembre 1994 et son exécution a été suspendue jusqu'au 9 janvier 1995 aux termes d'une ordonnance prononcée par la Cour. À partir du 22 décembre, il n'y avait pas d'incertitude en ce qui concerne les modalités du jugement, l'injonction permanente, l'ordre de remise du produit contrefait et le droit de Merck à des dommages-intérêts ou aux profits. Cette injonction visait les dirigeants et les employés d'Apotex et pourtant, au cours des mois qui ont suivi le 9 janvier, les préposés aux ventes d'Apotex ont, en vertu de dispositions supervisées par le vice-président aux ventes de la compagnie, M. Barbeau, facilité et encouragé la vente d'Apo-Enalapril en autorisant des remises de distribution et d'autres réductions accordées par Apotex. Notre Cour a estimé que ces activités entravaient l'administration de la justice et portaient atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour, minant ainsi le processus judiciaire et constituant un outrage au tribunal. À mon avis, ces agissements postérieurs au 9 janvier 1995 frisent le mépris délibéré du jugement de la Cour, en esprit du moins, car ce jugement reposait principalement sur la reconnaissance du droit exclusif de Merck à son invention brevetée, pour la protection de laquelle la Cour avait accordé certaines réparations.

[10]       Ce qu'on peut dire pour minimiser les agissements d'Apotex les 15 et 16 décembre ne saurait valoir pour ses activités après le 9 janvier. Je ne suis pas d'accord pour qu'on interprète l'ordonnance prononcée par la Cour le 9 janvier comme signifiant que la vente du produit contrefait à des tiers ne serait pas réputé constituer de la contrefaçon et serait une circonstance atténuante lorsqu'il s'agit de déterminer la peine à infliger à Apotex. J'ai la certitude qu'il était évident pour les avocats des deux parties que l'ordonnance en question visait à protéger les tiers de toute poursuite en contrefaçon. Elle ne visait pas à protéger Apotex contre toute réclamation.


[11]       La nature et la gravité de l'outrage au tribunal qui a été commis en l'espèce sont qualifiées d'extraordinaires et d'uniques. Même si, comme je le crois, c'est effectivement le cas, du moins lorsqu'on tient compte de la quantité et de la valeur du produit contrefait qui a fait l'objet des activités qui ont été jugées constituer un outrage au tribunal, il ne s'agit là que d'un des facteurs qui entre en ligne de compte. Les demanderesses devraient pouvoir être indemnisées du préjudice que ces activités leur ont causé au moyen de dommages-intérêts ou d'une restitution des profits. Dans un cas d'outrage au tribunal en matière civile comme celui-ci, ce dont la Cour doit se préoccuper, c'est la désobéissance à ses actes.

[12]       Apotex et M. Sherman n'ont pas d'antécédents d'actes de désobéissance avant ceux qui nous occupent en l'espèce et il n'y a pas de raison de s'attendre à ce que ces agissements se reproduisent. M. Sherman s'y est formellement engagé et lui et Apotex sauront qu'on ne pourra pas dire désormais qu'ils n'ont jamais été reconnus coupables d'outrage au tribunal. À mon avis, il y a lieu de tenir compte de l'effet dissuasif de ce genre de décision sur Apotex et sur d'autres personnes, mais ce n'est pas un facteur auquel il convient d'accorder beaucoup de poids lorsqu'il s'agit de fixer la peine à infliger en l'espèce.


[13]       J'ai attentivement examiné les divers facteurs mentionnés par les avocats des parties, tant ceux qui militent en faveur de lourdes peines que ceux qui sont proposés pour les atténuer. Je suis persuadé qu'un des facteurs les plus importants, tant pour Apotex que pour M. Sherman, en ce qui concerne leurs activités des 15 et 16 décembre, est le fait que M. Sherman a décidé de continuer à vendre le produit après avoir consulté un avocat au sujet des mesures qui pouvaient être prises après avoir pris connaissance du jugement du 14 décembre 1994. Le lendemain 15 décembre, en fin d'après-midi, il a donné l'ordre de cesser la vente après avoir reçu d'autres conseils de son avocat. La vente a été reprise le 16 décembre sur le conseil de son avocat et a finalement été stoppée plus tard le même jour encore sur le conseil de son avocat. Bien que ces conseils n'aient pas été mis en preuve, sauf en ce qui concerne les conséquences perçues par d'autres personnes, je conclus que M. Sherman n'a pas agi d'une façon qui démontrait son intention de faire fi du jugement de la Cour tel qu'il le comprenait à ce moment-là. Pourtant, les agissements d'Apotex et de M. Sherman ne constituent pas un simple outrage technique, car je crois que la loi était limpide après l'arrêt rendu en 1983 par la Cour suprême dans l'affaire Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388, mais je ne suis pas persuadé que leurs agissements démontrent qu'ils ont fait totalement fi des conclusions et des instructions de la Cour au point de justifier l'infliction de peines extraordinaires.

[14]       La situation de la personnelle morale défenderesse et de M. Sherman est un facteur pertinent lorsqu'il s'agit de fixer la peine, mais seulement de façon accessoire. À mon avis, tout commentaire à leur sujet, même tiré d'une décision publiée, n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer la peine qu'il convient d'infliger en l'espèce pour sanctionner leur outrage au tribunal. Le fait que la Cour d'appel a modifié par la suite le jugement du 14 décembre 1994 n'est pas non plus pertinent.

[15]       Pour déterminer la peine qu'il convient d'imposer en l'espèce, j'estime que le fait de condamner à une amende pour outrage au tribunal revêt plus d'importance que le montant de l'amende elle-même, surtout en cas d'outrage au tribunal pour entrave à la bonne administration de la justice et d'atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour.


[16]       Je fixe à 250 000 $ l'amende à laquelle Apotex doit être condamnée pour les deux activités qui constituent un outrage au tribunal, en l'occurrence la vente du produit contrefait les 15 et 16 décembre après avoir encouragé cette vente, et la poursuite de cette vente après le 9 janvier 1995 pour faciliter la vente chez des tiers en leur accordant des réductions. Cette dernière activité témoigne à mon avis d'un manque de respect envers la décision de la Cour et d'une méconnaissance du fait que cette décision était fondée sur la reconnaissance du droit exclusif des demanderesses d'utiliser ou de vendre le fruit de leur invention brevetée.

[17]       Dans le cas de M. Sherman, il convient à mon avis d'imposer une amende moindre que le maximum de 5 000 $. Il a agi les 15 et 16 décembre après avoir consulté son avocat, démontrant ainsi qu'il respectait jusqu'à un certain point les directives de la Cour même si les conseils que lui avait donnés son avocat étaient erronés. Les circonstances de l'espèce ne justifient pas l'incarcération, une peine qui ne doit être infligée que dans les cas les plus flagrants et en dernier recours, particulièrement pour s'assurer que l'intéressé obtempère à l'avenir aux ordonnances et aux jugements de la Cour. Or, en l'espèce, M. Sherman a donné ces assurances dans une lettre. J'estime donc que la peine appropriée dans le cas de M. Sherman est de le condamner à une peine de 4 500 $ payable sans délai.

Dépens


[18]       Je passe à la question des dépens. Les demanderesses souhaitent que la Cour les fixe au tarif des frais extrajudiciaires. À l'appui de leur demande, elles soumettent le mémoire de frais de 1 824 391,10 $ que leur a présenté leur avocat pour ses honoraires et les débours. Ces frais ont été engagés à l'occasion de l'instance pour outrage au tribunal portant sur la requête en justification instruite le 23 avril 1995 et jusqu'à la date du jugement du 7 mars 2000 dans lequel la Cour a reconnu la défenderesse et M. Sherman coupables d'outrage au tribunal. Les demanderesses sollicitent également les dépens selon le même tarif, celui des frais extrajudiciaires, pour les honoraires des avocats et les débours, y compris ceux qui ont été payés pour les services des comptables judiciaires, lors de l'instance concernant la fixation de la peine et des dépens.

[19]       La défenderesse Apotex s'oppose à cette demande et propose comme solution de rechange que, si les dépens sont adjugés à Merck, qu'ils le soient au tarif des dépens entre parties conformément à la colonne IV du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998), moins 50 %, et que le montant des dépens soit déterminé lors de la liquidation sur production de pièces à l'appui. L'avocat de M. Sherman demande que celui-ci ne soit pas condamné aux dépens.


[20]       Je condamne la défenderesse Apotex Inc. et M. Sherman aux dépens extrajudiciaires. La défenderesse Apotex Inc. et M. Sherman seront solidairement responsables du paiement de cette somme aux demanderesses et ce, malgré l'argument d'Apotex suivant lequel chacune des parties a obtenu partiellement gain de cause dans l'instance relative à l'outrage au tribunal en ce sens que ce ne sont pas toutes les allégations articulées dans l'ordonnance de justification qui ont été prouvées, que le libellé de l'ordonnance était trop large et qu'il englobait au départ M. Kay au nombre des personnes nommément désignées, alors que les allégations formulées contre lui ont par la suite été retirées, et que la Cour n'a pas conclu à la « désobéissance » . Aucun de ces arguments ne justifie d'adjuger les dépens selon un autre tarif que celui des dépens extrajudiciaires. À moins que les demanderesses ne se chargent de veiller au respect des ordonnances de la Cour et des directives contenues en l'espèce dans la décision du 14 décembre 1994, il n'y a aucune garantie que les décisions qui ont été rendues dans la présente instance civile ou dans toute autre procédure seront effectivement respectées et observées. La partie qui assume cette responsabilité ne devrait pas avoir à supporter les frais engagés pour établir l'existence d'un outrage au tribunal lorsque la Cour conclut effectivement qu'il y a eu outrage au tribunal.


[21]       La défenderesse Apotex Inc. soutient que les demanderesses n'ont pas fait la preuve des frais, car elles n'ont pas produit de pièces à l'appui ou de factures détaillant les services fournis et leur but et qu'il en est de même pour les débours. Mais suivant la preuve les demanderesses ont produit un mémoire des frais facturés par leur avocat dans lequel les frais en question sont expliqués avec pièces à l'appui. L'avocat des demanderesses a offert il y a quelques mois de donner à l'avocat de la défenderesse l'occasion d'examiner, à son cabinet d'Ottawa, les pièces à l'appui qui justifient le mémoire de frais. L'avocat de la défenderesse a décliné cette invitation et a demandé à l'avocat des demanderesses de lui envoyer une copie des pièces en question pour qu'il les examine. Il a toutefois refusé de payer les frais de reprographie à ce moment-là. L'avocat des demanderesses a de nouveau offert à son homologue la possibilité d'examiner les pièces en question à Toronto au moment où les avocats ont formulé leurs observations au sujet des peines et des dépens. L'avocat de la défenderesse a une fois de plus décliné cette invitation. La Cour n'a pas intérêt à encourager ce petit jeu. À mon avis, l'avocat des demanderesses a satisfait aux exigences des Règles de la Cour et a offert à l'avocat de la défenderesse une occasion raisonnable d'examiner les pièces à l'appui et même de les copier aux frais de la défenderesse.

[22]       Je ne suis pas convaincu que la Cour ne peut pas fixer les dommages-intérêts en l'absence de pièces justifiant en détail les dépens réclamés. Voici à cet égard un extrait de l'article 400 des Règles :

400 (1). La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

[...]

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[23]       À mon avis, l'article 400 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire, lorsque les conditions applicables sont réunies, d'adjuger une somme globale au lieu des dépens taxés. Il y a lieu de prendre cette mesure en l'espèce. En gros, plus de 40 jours ont déjà été consacrés à l'audition de la présente affaire par notre Cour, par la Cour d'appel et par la Cour suprême du Canada. Cela suffit.


[24]       La seule question à trancher est le montant des dépens à adjuger. Les avocats d'Apotex soutiennent que les frais que l'avocat de Merck a facturés ne sont pas raisonnables pour diverses raisons qu'il n'est pas nécessaire de répéter ici. Cet argument est surtout un argument de principe, car les avocats d'Apotex affirment ne pas comprendre les précisions fournies au sujet des frais réclamés. Quant à l'argument que l'avocat de Merck a consacré inutilement du temps à produire des éléments de preuve qui n'avaient aucun rapport avec les conclusions de la Cour, je ne suis tout simplement pas persuadé que c'est effectivement ce qui s'est passé. L'argument général suivant lequel un trop grand nombre d'avocats sont intervenu au nom de Merck ne me convainc pas non plus. Un des aspects inusités de la présente affaire, à mon avis, est le fait que les éléments de preuve documentaire essentiels pour faire la preuve des agissements d'Apotex se trouvaient en la possession de cette dernière ou de tiers, qu'ils ont été produits en vertu d'un subpoena duces tecum, surtout au début du procès, et qu'ils aient été produits en grande quantité sous forme de factures et de documents d'expédition, ce qui a nécessité beaucoup de travail pour déterminer leur utilité possible au procès. Le temps qui a été consacré à la présente instance n'était pas exclusivement le résultat de l'initiative des demanderesses. Je ne suis pas convaincu que l'avocat de Merck a consacré un nombre d'heures exagéré à ce dossier.


[25]       Avant de fixer la somme à accorder au lieu des dépens, j'exhorte les avocats des deux parties à se consulter sur la possibilité de s'entendre sur un montant fixe de dépens que la Cour pourrait entériner. Si les avocats ne parviennent pas à s'entendre d'ici le 15 juin 2001, l'avocat des demanderesses devra en informer la Cour. Par la suite, chacun des avocats devra soumettre à la Cour au plus tard le 25 juin 2001 ses observations au sujet du montant à fixer. Les demanderesses peuvent inclure dans ce chiffre un montant pour les dépens extrajudiciaires pour les services et les débours engagés lors de la phase de l'instance en outrage au tribunal qui a été consacrée à la détermination de la peine et des frais. Comme Apotex et M. Sherman sont condamnés solidairement aux dépens, ils peuvent présenter conjointement leurs observations au sujet du montant à fixer à titre de dépens.

Dispositif

[26]       Par son jugement supplémentaire, la Cour condamne Apotex Inc. et M. Bernard Sherman aux peines susmentionnées pour l'outrage au tribunal que la Cour a conclu qu'ils avaient commis dans son jugement du 7 mars 2000. Le jugement supplémentaire prévoit également l'adjudication des dépens aux demanderesses selon le montant susmentionné fixé par la Cour au tarif des dépens extrajudiciaires.

« W. Andrew MacKay »

                                                                                               J.C.F.C.                 

Toronto (Ontario)

Le 5 juin 2001.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                             T-2408-91

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          MERCK & CO. INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.

                                                                                     demanderesses

                                                     

- et -

APOTEX INC.

                                                                                       défenderesse

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE MARDI 5 JUIN 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE DU JUGE MacKAY

EN DATE DU :                                                 MARDI 5 JUIN 2001

                                  

ONT COMPARU :                                         Me G. Alexander Macklin, c.r.

Me Constance Too

pour les demanderesses (Merck & Co.             Inc. et Merck Frosst Canada & Co.)

                       Me Harry Radomski

Me Daniela Bassan

pour la défenderesse Apotex Inc.

Me Brian H. Greenspan

Me Sharon E. Lavine

                                                     

pour le défendeur Bernard Sherman)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        Gowlings Lafleur Henderson LLP

Avocats et procureurs

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario)

K1P 1C3


pour les demanderesses (Merck & Co. Inc.

et Merck Frosst Canada & Co.)

Goodmans LLP

Avocats et procureurs

250, rue Yonge, bureau 2400

C.P. 24

Toronto (Ontario)

M5B 2M6

pour la défenderesse Apotex Inc.

Greenspan Humphrey Lavine

Procureurs

130, rue Adelaide Ouest, bureau 2714

Toronto (Ontario)

M5H 3P5         

pour le défendeur Bernard Sherman


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010605

                                                               Dossier : T-2408-91

E n t r e :

MERCK & CO. INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.

                                                                                  demanderesses

                                                     

- et -

APOTEX INC.

                                                                                     défenderesse

                                                                       

MOTIFS DU JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE

                                                                                                          


Date : 20010605

Dossier : T-2408-91

TORONTO (ONTARIO), LE MARDI 5 JUIN 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

E n t r e :

                                  MERCK & CO. INC. et

                       MERCK FROSST CANADA & CO.

                                                                                     demanderesses

                                                  - et -

                                          APOTEX INC.

                                                                                                           défenderesse

                                 JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE

LA COUR, après avoir entendu à Toronto les 19, 20 et 21 février 2001 les observations de l'avocat des demanderesses, de l'avocat de la personne morale défenderesse et de l'avocat du président d'Apotex Inc., M. Bernard Sherman, au sujet de la peine appropriée et des dépens à adjuger par suite du jugement en date du 7 mars 2001 par lequel la Cour a déclaré Apotex Inc. et M. Bernard Sherman coupables d'outrage au tribunal ;


APRÈS avoir remis sa décision au sujet de la peine et des dépens appropriés jusqu'à ce qu'elle ait entendu les avocats et après avoir examiné les observations que ceux-ci ont formulées :

1. CONDAMNE Apotex Inc. à une amende de 250 000 $ qu'elle devra payer sans délai par suite de l'outrage au tribunal qu'elle a commis :

a)          en agissant de façon à entraver la bonne administration de la justice en vendant, après que la Cour eut prononcé son jugement le 14 décembre 1994, un produit que la Cour avait jugé contrefaire le brevet des demanderesses,

b)          et en autorisant des remises de distribution et autres réductions pour faciliter les ventes entre tiers vendeurs et acheteurs d'Apo-Enalapril après le 9 janvier 1995, date à laquelle l'injonction et le jugement en date du 22 décembre 1994 sont devenus pleinement exécutoires, entravant ainsi la bonne administration de la justice et portant atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour, minant le processus judiciaire et commettant un outrage au tribunal ;

2. CONDAMNE le président d'Apotex Inc., M. Bernard Sherman, à une amende de 4 500 $ qu'il devra payer sans délai pour avoir, en sa qualité de président directeur général d'Apotex, autorisé celle-ci, les 15 et 16 décembre 1994, à vendre le produit contrefait après avoir pris connaissance du jugement rendu le 14 décembre et après avoir consulté l'avocat d'Apotex, entravant ainsi la bonne administration de la justice et portant atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour ;


           3.          ADJUGE les dépens extrajudiciaires aux demanderesses pour tous les frais qu'elles ont raisonnablement engagés, selon le montant que la Cour fixera après que l'avocat des demanderesses l'aura informée, au plus tard le 15 juin 2001, du montant conjointement recommandé par les deux parties, à défaut de quoi, ce montant sera fixé par la Cour après examen des observations formulées d'ici le 15 juin 2001 pour le compte de l'une ou l'autre des parties au sujet du montant forfaitaire que la Cour pourra fixer à titre de dépens extrajudiciaires.

« W. Andrew MacKay »

                                                                                                                 J.C.F.C.                   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

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