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Date : 20050720

Dossier : IMM-7503-04

Référence : 2005 CF 1001

OTTAWA (Ontario), le 20 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                          VAN CHIEU NGYUEN

                                                                                                                                          demandeur

ET :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d'une décision de Puttaveeraiah Prabhakara, un membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 11 août 2004, décision par laquelle la Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention (la décision).


[2]                Le demandeur est un ressortissant vietnamien âgé de 41 ans. Il craint le gouvernement vietnamien en raison de sa participation à une pétition déposée après que sa terre ainsi que d'autres furent expropriées. Il craint aussi des représailles par suite de sa désertion d'un navire à Vancouver, en plein milieu d'un marché adjugé par le gouvernement vietnamien pour ce navire.

[3]                En 1993, le demandeur et son frère ont acheté ensemble une terre au Vietnam. Au fil du temps, la valeur de la terre s'est appréciée. À la fin de 2000, il est allégué que l'administration locale de Hai Phong a voulu exproprier la terre du demandeur et de son frère, ainsi que les terres de 21 autres familles habitant la région, sans leur verser une indemnité suffisante. Le demandeur s'est joint à une pétition de propriétaires opposés à l'expropriation. Les habitants ont été menacés d'emprisonnement ou de mort s'ils ne se pliaient pas aux volontés du gouvernement. L'expropriation s'est achevée au début de 2001.


[4]                Le demandeur a travaillé sur des navires comme ingénieur mécanicien pour la société Vietnamese Ocean Shipping Company (VOSCO), une société d'État. En avril 2001, il a été engagé par une société japonaise, la NISHO. Au début de septembre 2001, alors que le navire était amarré à Vancouver, le demandeur l'a déserté pour rester au Canada. Vers la même époque, le demandeur aurait semble-t-il appris, au cours d'une conversation téléphonique avec son frère, que le gouvernement de Hai Phong avait ordonné l'arrestation du demandeur en août pour son rôle dans le différend foncier. La VOSCO exigeait aussi que l'épouse du demandeur paie une amende de 15 000 $US, somme prétendument perçue contre la société par le gouvernement du Canada lorsque le demandeur avait déserté le navire. Le demandeur a aussi appris qu'il pouvait s'attendre à un emprisonnement pour avoir trahi son pays.

[5]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Selon elle, le demandeur n'était pas crédible et il n'avait pas établi une crainte subjective ou objective de retourner au Vietnam.


[6]                La Commission a attaqué la crédibilité du demandeur sur une foule de motifs, dont la majorité seront résumés ici. La Commission a dit que le témoignage du demandeur était imprécis, évasif et avare de détails. Le demandeur n'a pas produit de documents importants qui auraient pu appuyer sa demande d'asile, et tout particulièrement la pétition et l'avis du gouvernement qui l'expulsait de sa terre. Le demandeur n'a pas non plus produit la preuve de l'amende de 15 000 $ censément perçue par le gouvernement canadien et pour laquelle il craint aujourd'hui des représailles. Le demandeur n'a pu se rappeler la date précise de la confiscation de sa terre, ni réciter avec le moindrement de détails le contenu de la pétition dont il prétendait être à l'origine. La Commission a jugé invraisemblable que le gouvernement vietnamien autorise le demandeur à voyager en dehors du pays à la faveur d'un contrat public s'il s'intéressait véritablement à lui, et, selon elle, il était invraisemblable également que les autorités attendent jusqu'à août 2001 pour procéder à l'arrestation du demandeur alors que la pétition incriminée datait de janvier ou février. La Commission a tiré une conclusion défavorable de ce que la version originale de son FRP ne faisait nullement état du mandat d'arrestation du demandeur lancé au mois d'août, faisant observer que cette mention du mandat d'arrestation avait été ajoutée au FRP plus d'un an plus tard. Le demandeur a aussi déclaré dans son témoignage que son épouse avait été congédiée en mai 2003 en rapport avec l'amende de 15 000 $. La Commission a refusé de croire qu'une telle mesure ait pu avoir lieu seulement en mai 2003, alors que le demandeur avait déclaré auparavant que son épouse avait été priée la première fois de payer l'amende en octobre 2001.

[7]                La Commission a relevé que trois ans s'étaient écoulés depuis que le demandeur avait signé la pétition et qu'il n'était pas établi que les 21 autres familles qui s'étaient prétendument jointes à la pétition avaient rencontré des difficultés depuis.

[8]                La Commission a aussi trouvé que la lenteur du demandeur à présenter une demande d'asile amoindrissait l'existence d'une crainte subjective. Elle a relevé que, même si elle admettait que les craintes du demandeur s'étaient matérialisées en septembre 2001, le demandeur avait attendu encore quatre mois et demi avant d'amorcer sa demande d'asile.

[9]                Le demandeur dit que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a mal interprété son témoignage et qu'elle l'a privé d'une équité procédurale car, d'une part, elle lui a refusé le droit à un ajournement et à un avocat et, d'autre part, l'interprète n'avait pas fait un bon travail durant l'audition de sa demande d'asile. J'examinerai d'abord les questions de procédure.


[10]            L'audition du demandeur a été ajournée deux fois, le 26 novembre 2003 et le 16 février 2004. Aux deux dates, le demandeur était prêt à aller de l'avant et son avocat était présent. Malheureusement, aucun agent de protection des réfugiés n'était disponible et les audiences ont été ajournées.

[11]            L'audience a finalement eu lieu le 6 avril 2004. Il y a eu une certaine confusion entre le demandeur et son avocat avant l'audience. Quelques jours seulement avant l'audience, la SPR avait été informée, par lettre datée du 2 avril, que l'avocate du demandeur cesserait de le représenter parce qu'elle ne pouvait pas communiquer avec lui. Le demandeur prétend qu'il s'est rendu de Toronto à Windsor le 2 avril dans un ultime effort pour communiquer avec son avocate, mais il a finalement été informé le 5 avril des mesures prises pour retirer son avocate du dossier. Quoi qu'il en soit, le demandeur a comparu devant la Commission le 6 avril, sans être représenté.


[12]            Le demandeur admet que la Commission lui a demandé, officieusement, s'il souhaitait un ajournement, et le demandeur a répondu non. Toutefois, selon le demandeur, la Commission n'a pas dit qu'elle aurait été disposée à accorder l'ajournement et n'a pas informé le demandeur que, d'après l'article 167 de la LIPR, il avait droit à un conseil. Le demandeur dit que, eu égard aux circonstances de cette affaire, la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne l'a pas pleinement informé de ses droits. Le demandeur prétend avoir été lésé parce que son avocate n'était pas là pour répondre adéquatement aux questions concernant les modifications apportées à son FRP. Il dit que les modifications en question lui étaient étrangères et qu'elles avaient été apportées à l'instigation de son avocate.

[13]            Le demandeur invoque la décision Nemeth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 776, pour dire que, même si un demandeur d'asile accepte de procéder sans être représenté, l'audience peut ne pas être équitable si l'effet cumulatif d'une procédure conduite sans conseil lui cause un préjudice.

[14]            Selon le défendeur, les circonstances de la présente affaire sont distinctes de celles de la décision Nemeth. Dans cette décision, la Commission n'avait pas répondu à une demande écrite d'ajournement et avait conduit l'audience en dépit d'une réponse équivoque des demandeurs d'asile après qu'on leur eut demandé s'ils étaient prêts à procéder. D'ailleurs, les demandeurs d'asile dans cette affaire étaient à l'évidence non préparés et devaient, seuls, plaider un point d'interprétation juridique qui dépassait leur entendement. Le défendeur relève que, en l'espèce, il n'y a eu aucune demande d'ajournement, écrite ou autre (en fait, le demandeur a expressément refusé un ajournement), et aucun point de droit ne requérait d'être plaidé.


[15]            Le défendeur dit aussi que la Commission n'avait aucune obligation en droit d'informer le demandeur qu'un ajournement était possible. En tout état de cause, il est raisonnable de penser que le demandeur était au courant de la possibilité d'un ajournement et de son droit général à un conseil, étant donné l'historique des deux ajournements antérieurs dans son dossier et, en particulier, le fait que, lorsqu'on lui avait demandé expressément s'il souhaitait un ajournement, il avait répondu « non » en ajoutant qu'il était fatigué de toute cette affaire et qu'il souhaitait que l'audience ait lieu.

[16]            Dans ses arguments et dans son affidavit, le demandeur dit lui-même qu'on lui avait demandé s'il allait solliciter un ajournement et qu'il avait répondu non parce qu'il [traduction] « était trop fatigué de toute cette affaire et qu'il souhaitait en finir » (affidavit du demandeur, paragraphe 9). On peut déduire de ces propos que le demandeur savait qu'un ajournement était possible. Quant à savoir si la Commission aurait dû informer le demandeur qu'une demande d'ajournement aurait été accordée, il m'est impossible de souscrire à cette affirmation. Il est possible en effet qu'une telle demande n'aurait pas été accordée. Nous ne le saurons jamais puisque le demandeur a refusé de demander l'ajournement. Je partage d'ailleurs l'avis du défendeur, pour qui les circonstances de l'affaire Nemeth ne sont pas analogues à celles de la présente affaire. La Commission n'a pas agi d'une manière inéquitable sur la question d'un possible ajournement dans la présente affaire.

[17]            La Commission n'a pas l'obligation de tenir lieu de procureur pour un demandeur d'asile qui refuse de s'adresser à un avocat. Elle n'est pas tenue de dire au demandeur d'asile qu'il peut demander l'ajournement de l'audience et elle n'est pas tenue d' « instruire » le demandeur d'asile de tel ou tel point de droit soulevé par sa demande.


[18]            La Commission a pour mandat d'entendre des arguments, de décider des points de droit, puis de rendre une décision d'une manière équitable.

[19]            Le demandeur dit qu'il a été lésé durant l'audience par une interprétation qui laissait à désirer. Le demandeur parle un dialecte du Vietnam du Nord, mais l'interprète s'exprimait dans un dialecte du Vietnam du Sud. Le demandeur dit que ces deux dialectes sont différents et qu'il a donc été difficile pour lui de comprendre le déroulement de l'audience. Il dit que durant l'audience, il avait informé la Commission de ses difficultés de compréhension et que la Commission avait réagi en demandant simplement à l'interprète de répéter la question. Le demandeur affirme que, même après l'audience, alors qu'il conférait avec son nouvel avocat, il ne comprenait pas que le « délai » dont il s'agissait, c'était son retard à présenter une demande d'asile à son arrivée au Canada, croyant plutôt que le mot « délai » faisait référence aux nombreux ajournements de l'audience.

[20]            Selon le défendeur, le demandeur n'a pas donné d'exemples précis des difficultés de compréhension qu'il avait rencontrées durant l'audience. Les exemples qu'il indique n'ont aucune conséquence pour un quelconque aspect de sa demande d'asile. Le défendeur dit que le demandeur n'a prouvé aucun préjudice réel ni aucun déni de participation à l'audience par suite d'une interprétation de mauvaise qualité.


[21]            Je partage l'avis du défendeur sur ce point. Une lecture de la transcription révèle que l'interprétation n'a pas toujours été parfaite. Toutefois, si l'interprétation a causé au demandeur de réelles difficultés, alors il lui appartient de prouver le préjudice qu'il a subi ou, du moins, le risque de préjudice. (Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.), et Mosa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 154 N.R. 200 (C.A.F.).) Aucune preuve de cette nature n'a été produite. On n'a pas non plus proposé que les bandes magnétiques soient réentendues par un autre interprète. Une lecture de la transcription révèle que la question du délai a été débattue à fond et sans qu'il en résulte une confusion chez le demandeur durant l'interrogatoire (voir les pages 30 à 34 de la transcription). Je reconnais que le demandeur et l'interprète ne se sont pas toujours bien compris, mais, après lecture de la transcription, je suis d'avis que ce que l'on voulait dire a finalement été compris par toutes les parties, y compris par le commissaire.

[22]            Le demandeur allègue aussi dans ses observations écrites que la Commission a mal interprété son témoignage à six reprises, mais il n'a pas soulevé ces points devant moi. Je ne crois pas nécessaire de m'exprimer sur cette question, si ce n'est pour dire que la compréhension qu'en a eue la Commission n'était pas manifestement déraisonnable.


[23]            Je suis d'avis que l'audience s'est déroulée d'une manière équitable. La décision de la Commission était raisonnable, eu égard à la preuve dont elle disposait. Les erreurs de compréhension de la preuve ne sont pas importantes au point de justifier l'annulation de la décision.

[24]            Le demandeur dit qu'il a été traité injustement parce qu'on ne lui a pas donné l'occasion de se réinterroger. À la fin de l'audience, la Commission a invité le demandeur à dire s'il avait d'autres observations à faire et le demandeur était alors à même d'avancer de nouveaux arguments.

[25]            Le demandeur n'a pas avancé de nouveaux arguments, ce qui fait qu'il n'avait rien d'autre à dire.

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n'a été proposée à la Cour.

                                                                                                                         « Max M. Teitelbaum »                    

                                                                                                                                                     Juge                                   

OTTAWA (Ontario)

le 20 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7503-04

INTITULÉ :                                                    VAN CHIEU NGYUEN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Ron Poulton                                                      POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann et Associés                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocats

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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