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Date : 20021004

Dossier : IMM-4005-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1040

Ottawa (Ontario), le vendredi 4 octobre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                       JATINDER KAUR

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    Jatinder Kaur cherche à obtenir un bref de mandamus enjoignant à l'agent d'immigration chargé de l'examen de la demande d'établissement au Canada qu'elle a présentée en qualité de réfugiée au sens de la Convention en vertu de l'article 46.04 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), de statuer sur cette demande.


[2]    Mme Kaur invoque sous serment les faits suivants au soutien de sa demande de mandamus :

·           elle est arrivée au Canada il y a 11 ans, en 1991;

·           elle s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1994;

·           elle a présenté sa demande d'établissement en 1994;

·           elle a subi les examens médicaux requis;

·           elle a obtenu une autorisation de sécurité du SCRS le 11 octobre 2000;

·           aucune explication raisonnable ne lui a été donnée au sujet du délai dans le traitement de sa demande d'établissement.

[3]    Pour sa part, le ministre soutient que Mme Kaur n'a pas rempli les conditions afférentes à une ordonnance de la nature d'un mandamus.

ANALYSE

[4]    Les critères suivants doivent être remplis pour que la Cour accorde un bref de mandamus :


(a)         il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

(b)         l'obligation doit exister envers le demandeur;

(c)         il doit exister un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation et, en particulier, le demandeur doit avoir rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

(d)         le demandeur n'a aucun autre recours;

(e)         l'ordonnance sollicitée doit avoir une incidence sur le plan pratique;

(f)          dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit être d'avis que, en vertu de l'équité, rien n'empêche le demandeur d'obtenir le redressement demandé;

(g)         compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

Voir Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.), au paragraphe 11.

[5]                 Chaque demande de mandamus dépend des faits en cause. En l'espèce, les critères qui posent problème sont ceux qui sont mentionnés aux points (c), (f) et (g) ci-dessus.


(i) Existe-t-il un droit clair d'obtenir l'exécution de l'obligation, et Mme Kaur a-t-elle rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation?

[6]                 À l'époque pertinente, l'article 46.04 de la Loi régissait les demandes d'établissement présentées par des personnes qui s'étaient vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Les paragraphes 46.04(3) et 46.04(6) sont particulièrement pertinents :


46.04 (3) Malgré les autres dispositions de la présente loi mais sous réserve des paragraphes (3.1) et (8), l'agent d'immigration accorde le droit d'établissement à l'intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, s'il est convaincu qu'aucun d'entre eux n'est visé à l'un des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou n'a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

a) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée;

b) soit passible d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

46.04 (3) Notwithstanding any other provision of this Act, but subject to subsections (3.1) and (8), an immigration officer to whom an application is made under subsection (1) shall grant landing to the applicant, and to any dependant for whom landing is sought if the immigration officer is satisfied that neither the applicant nor any of those dependants is a person described in paragraph 19(1)(c.1), (c.2), (d), (e), (f), (g), (j), (k) or (l) or a person who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of

(a) more than six months has been imposed; or

(b) five years or more may be imposed.

[...]

[...]

(6) L'agent d'immigration rend sa décision le plus tôt possible et en avise par écrit l'intéressé.

(6) An immigration officer to whom an application is made under subsection (1) shall render the decision on the application as soon as possible and shall send a written notice of the decision to the applicant.


[7]                 Les éléments importants de ces dispositions sont le fait qu'un agent d'immigration à qui une demande d'établissement est présentée doit, sous réserve de certaines dispositions de la Loi, accorder le droit d'établissement et le fait qu'une décision doit être rendue le plus tôt possible.


[8]                 En ce qui concerne le sens de l'expression « le plus tôt possible » , la Cour a déjà statué qu'un délai dans l'exécution d'une obligation légale ne peut être considéré comme déraisonnable que si toutes les conditions suivantes sont réunies :

(i)          le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exigeait prima facie;

(ii)         le demandeur et son conseil n'en sont pas responsables;

(iii)        l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

Voir, par exemple, Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1677 (1re inst.), et Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.).

[9]                 Il faut maintenant appliquer ces facteurs à la présente affaire. Même si Mme Kaur a présenté sa demande d'établissement en 1994, son avocat reconnaît que celle-ci n'a été mise en état qu'en octobre 2000. Il fait valoir que Mme Kaur avait alors subi les examens médicaux requis, produit un passeport valide et obtenu l'autorisation de sécurité.


[10]            L'avocat du ministre soutient que, compte tenu de ces faits, il n'y a pas eu de délai déraisonnable dans le traitement de la demande, Mme Kaur était responsable en partie du délai subséquent dans le traitement de sa demande et, par-dessus tout, la raison donnée pour expliquer le délai est plus que satisfaisante.

[11]            En ce qui concerne la responsabilité de Mme Kaur pour ce qui est du délai subséquent, celle-ci a avisé le ministre, par une lettre datée du 28 septembre 2000, qu'elle voulait ajouter son mari, Parmod Verma, à sa demande d'établissement. Elle a joint à la lettre son certificat de mariage, lequel indiquait qu'elle et son mari s'étaient mariés le 7 août 1999. Cela posait problème car, dans sa nouvelle demande d'établissement présentée le 8 janvier 2000, Mme Kaur avait indiqué qu'elle n'avait jamais été mariée.

[12]            Une mesure d'interdiction de séjour a été prise contre M. Verma le 5 août 1999, soit deux jours avant le mariage. M. Verma a ensuite été arrêté en septembre 2000 pour avoir contrevenu à la Loi, et il a été renvoyé du Canada en janvier 2001. Dans une lettre datée du 14 août 2001, Mme Kaur a demandé que son mari soit rayé de sa demande d'établissement.

[13]            Mme Kaur a demandé que son mari soit ainsi rayé de sa demande parce que, selon ce qu'a dit son conseil à l'époque, [traduction] « elle croit que le traitement de sa demande prendra juste plus de temps si elle y ajoute maintenant son mari » . J'admets que tout délai d'octobre 2000 au 14 août 2001 était à tout le moins attribuable à Mme Kaur et à l'ajout de son mari à sa demande.


[14]            En ce qui concerne les raisons données pour le compte du ministre pour expliquer le délai, la police régionale de Peel a exécuté un mandat de perquisition chez Mme Kaur le 20 septembre 2000, alors que celle-ci était chez elle. En plus de données concernant des cartes de crédit volées et de cartes de crédit contrefaites, la police a trouvé 17 passeports indiens, 12 tampons d'immigration indiens et un certain nombre de formulaires IMM1000 volés. La photographie de Mme Kaur figurait dans trois passeports indiens différents, dont deux étaient à son nom et l'autre, au nom de Gurjinder Kaur. Un quatrième passeport, qui semblait être le passeport original délivré à la véritable Gurjinder Kaur, a aussi été trouvé. Il y avait dans le passeport portant la photographie de Mme Kaur mais le nom de Gurjinder Kaur un timbre qui aurait été apposé par des agents à New Delhi le 28 février 1999. Les frères de Mme Kaur ont été accusés de différentes infractions en matière de fraude sur la foi des éléments de preuve trouvés lors de cette perquisition. Mme Kaur n'a pas été accusée.

[15]            En décembre 2000, Citoyenneté et Immigration a reçu de l'information indiquant que Mme Kaur était impliquée dans une fraude de plusieurs millions de dollars. Par conséquent, il fallait refaire les vérifications en matière de criminalité et de sécurité.

[16]            Un agent régional du renseignement de Citoyenneté et Immigration a déclaré dans un affidavit produit dans le cadre de la présente instance :


[traduction]

2.              Le récent délai dans le traitement de la demande de la demanderesse est attribuable à l'enquête sur le rôle qu'elle et sa famille ont joué dans les activités illégales décrites dans le dossier du tribunal.

[17]            C'est là toute la preuve fournie par l'agent dans son affidavit. Le dossier du tribunal renferme cependant d'autres renseignements.

[18]            Lors de son contre-interrogatoire, l'agent a indiqué sous serment que le fait que Mme Kaur avait été reconnue coupable d'un vol de moins de 5 000 $ en avril 1998 et le fait qu'elle avait ajouté son mari à sa demande ont certainement contribué au délai dans le traitement de sa demande d'établissement, mais, selon lui, le délai était attribuable surtout à la participation de membres de la famille de Mme Kaur à des activités illégales relatives à des cartes de crédit et à des passeports. À son avis, [traduction] « l'un des principaux problèmes est que certains passeports sont actuellement entre les mains de la Cour supérieur de Brampton » et qu'il ne pouvait pas y avoir accès parce que la Cour les considérait comme des éléments de preuve. Les passeports en question sont ceux qui concernaient Mme Kaur et qui ont été saisis en septembre 2000. Lors de son contre-interrogatoire, l'agent s'est dit préoccupé par la possibilité que Mme Kaur se soit servie du passeport portant sa photographie mais pas son nom pour voyager à l'extérieur du Canada, ce qui obligerait Mme Kaur à subir de nouveau les examens médicaux et les vérifications en matière de criminalité et de sécurité.


[19]            Selon un rapport médico-légal de la GRC versé au dossier du tribunal, les passeports concernant Mme Kaur qui ont été saisis sont des passeports authentiques. Cependant, l'un des tampons saisis chez Mme Kaur correspondait probablement au timbre figurant dans le passeport valide délivré au nom de « Jatinder Kaur » . Cela indiquerait que le timbre apparaissant dans le passeport valide portant la photographie de Jatinder Kaur mais le nom de Gurjinder Kaur était authentique puisque le rapport ne concluait pas qu'il correspondait à l'un des tampons saisis chez Mme Kaur. Cet élément semble être une preuve supplémentaire du fait que Mme Kaur a voyagé à l'extérieur du Canada, de sorte qu'une enquête additionnelle est raisonnablement nécessaire.

[20]            Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que le délai d'août 2001 (lorsque Mme Kaur a rayé le nom de son mari de sa demande) et les questions restées sans réponse concernant le passeport valide qui porte la photographie de Mme Kaur mais pas son nom et qui est actuellement l'objet d'une enquête rendent le délai dans le traitement de la demande suffisamment déraisonnable pour justifier la délivrance d'un bref de mandamus.


[21]            Cela étant dit, certains aspects de la thèse du ministre sont troublants. Le représentant du ministre laisse entendre qu'il serait déraisonnable de traiter la demande d'établissement de Mme Kaur tant que les [traduction] « répercussions » éventuelles du procès criminel de ses frères ne se seront pas fait sentir. Comme Mme Kaur n'a pas été accusée au cours des deux années qui ont suivi les événements ayant mené à la mise en accusation de ses frères, attendre l'issue des poursuites criminelles intentées contre eux pourrait bien ne pas être raisonnable. Quoi qu'il en soit, la Cour ne devrait pas être obligée d'échafauder des hypothèses sur les raisons pour lesquelles il faudrait ainsi attendre, et le ministre n'a pas démontré pourquoi il faudrait le faire.

[22]            Ayant conclu que Mme Kaur n'a pas convaincu la Cour que le délai dans l'exécution de l'obligation légale était déraisonnable, il n'est pas nécessaire de traiter des obstacles empêchant l'obtention du redressement demandé en équité ou de la prépondérance des inconvénients.

(ii) Dépens

[23]            Le ministre cherche à obtenir ses dépens en raison de ce qu'il appelle les circonstances spéciales et uniques de la demande.

[24]            Je ne vois aucune raison qui justifie l'adjudication des dépens. L'issue de la présente instance n'était pas du tout certaine. Par ailleurs, il ne faudrait pas considérer que la présente décision défavorable empêche la demanderesse de présenter une nouvelle demande de mandamus si jamais il y a un nouveau délai dans le traitement de sa demande.

[25]            Comme les avocats n'ont pas proposé de question à des fins de certification, aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE QUE

1.    la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  

                                                                              « Eleanor R. Dawson »          

ligne

                                                                                                             Juge                         

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 IMM-4005-01

INTITULÉ :                                                JATINDER KAUR c. MCI

   

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 20 juin 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                           Le 4 octobre 2002

   

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Greg G. George                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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