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Date : 20060213

Dossier : IMM‑1541‑05

Référence : 2006 CF 186

Ottawa (Ontario), le 13 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von Finckenstein

 

ENTRE :

ALEXANDRA ILONA MURAI

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

CONTEXTE

[1]               La demanderesse, Alexandra Ilona Murai, est une citoyenne hongroise. En février 2001, la demanderesse est entrée au Canada sans visa, ce document n’étant pas obligatoire à l’époque. Sa demande de prorogation de son séjour au Canada a été refusée. La demande d’asile qu’elle a présentée par la suite a été refusée, et sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée. La demande qu’elle a présentée en vue de faire reporter l’exécution de la mesure de renvoi a été rejetée. Son examen des risques avant renvoi fait l’objet d’une décision défavorable et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été refusée. Sa demande d’autorisation fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) a été rejetée et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a également été refusée. Elle a quitté le Canada le 19 mai 2004.

 

[2]               La demanderesse est titulaire d’un baccalauréat en anglais et a reçu une formation d’aide familiale. Le 19 novembre 2004, la demanderesse a présenté une demande de permis de travail à titre d’aide familiale résidante. Elle a passé une entrevue le 18 janvier 2005 à l’ambassade du Canada à Budapest, en Hongrie, au sujet de son permis de travail. Sa demande a été rejetée le même jour parce que l’agent des visas (l’agent) n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, condition prévue à l’alinéa 183(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[3]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire du refus par l’agent de lui accorder un permis de travail.

 

NORME DE CONTRÔLE

[4]               Les deux parties invoquent Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, et conviennent que la présente affaire soulève une question mixte de fait et de droit et que la norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable simpliciter.

 

CADRE LÉGAL

[5]               Le régime prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), est très clair. Aux termes de l’alinéa 20b) de la Loi :

L’étranger […] qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver […] pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

            Et aux termes du paragraphe 22(1) de la Loi :

Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

 

            En outre, le paragraphe 22(2) de la Loi prévoit expressément :

L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

            Aux termes de l’article 26 de la Loi, des règlements peuvent être pris pour « régi[r] l’application des articles 18 à 25 ».

 

            L’article 112 du Règlement prévoit pour sa part :

Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a)        il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

b)        il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalant des études secondaires terminées avec succès au Canada;

c)         il a la formation ou l’expérience ci‑après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

            (i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

            (ii) une année d’emploi rémunérée à temps plein – dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur – dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

d)        il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

e)         il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

 

ANALYSE

[6]               La demanderesse répondait à toutes les conditions prévues par le Programme concernant les aides familiaux résidants. Elle n’a pas obtenu l’autorisation d’entrer au Canada parce que l’agent a estimé qu’elle ne répondait pas à la condition prévue au paragraphe 20(1) de la Loi, à savoir qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle « aura[it] quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ».

 

[7]               L’agent en est arrivé à cette conclusion en se fondant sur les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration. Comme l’agent l’a déclaré dans son affidavit :

            [traduction]

7.              La demanderesse est entrée au Canada avant décembre 2001, date à laquelle les Hongrois devaient obtenir un visa de visiteur.

8.              La demanderesse est entrée au Canada en février 2001, en qualité de visiteur, et a fait connaître son intention de s’établir en permanence au Canada. La demanderesse n’était toutefois pas en possession d’un visa d’immigrant avant de se présenter au point d’entrée.

9.              Le 7 août 2001, la demande de prorogation de son visa de visiteur a été refusée, parce qu’elle n’avait pas fourni aux agents d’immigration la preuve qu’elle possédait un passeport valide. De plus, la demanderesse n’avait pas fourni de preuve concernant sa situation financière ou une copie d’une lettre de soutien aux agents d’immigration.

10.           Malgré le fait qu’elle ait vu sa demande de prorogation de son visa de visiteur refusée, la demanderesse est demeurée au Canada pour présenter une demande d’asile ainsi qu’une demande pour contester cette décision, demande ayant été rejetée.

11.           Le 14 octobre 2003, la demanderesse a déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui visait la décision défavorable qu’avait prononcée à son sujet la Section de la protection des réfugiés le 2 octobre 2003. L’autorisation a été refusée le 12 janvier 2004.

12.           Le 12 mai 2004, la demanderesse a déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui visait le refus de reporter l’exécution de la mesure de renvoi, datée du 6 mai 2004. Le 22 octobre 2004, l’autorisation a été refusée.

13.           Le 12 mai 2004, la demanderesse a déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui visait la décision défavorable rendue le 28 avril 2004 relativement à l’examen des risques avant renvoi. L’autorisation a été refusée le 29 juillet 2004.

14.           Le 9 juin 2004, la demanderesse a déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui visait la décision défavorable rendue le 21 mai 2004 sur sa demande de visa fondée sur des considérations humanitaires. L’autorisation a été refusée le 21 octobre 2004.

15.           La demanderesse a finalement été renvoyée du Canada le 19 mai 2004 ou vers cette date.

16.           Étant donné que la demanderesse se trouvait au Canada en qualité de visiteur et que sa demande d’asile a été finalement rejetée, je ne suis pas convaincu qu’elle était une résidente temporaire de bonne foi aux termes des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[8]               L’inscription exacte qui figure dans les notes informatisées du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) du défendeur, qui se trouve à la page 13 du dossier de la demanderesse, est rédigée comme suit :

[traduction] d’après les antécédents d’immigration de l’intéressée, je ne suis pas convaincu qu’elle est une résidente temporaire de bonne foi ni qu’elle quitterait le canada si elle présentait une demande de résidence permanente tel que l’autorise le programme concernant les aides familiaux résidants. demande refusée.

 

[9]               Le Programme concernant les aides familiaux résidants dans le cadre duquel la demanderesse a présenté une demande a l’objectif suivant, comme l’indique le guide publié par le défendeur :

Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a mis sur pied ce programme afin de combler une pénurie d’aides familiaux résidants sur le marché du travail au Canada tout en offrant aux participants la possibilité de travailler et, par la suite, de demander la résidence permanente au Canada. (Page 34 du dossier des sources de la demanderesse.)

 

[10]           Le but est donc d’autoriser les aides familiaux à venir au Canada pour y passer ce qui constitue essentiellement une période de probation. Si ces personnes s’acquittent bien de leurs tâches, on les autorise, pour les récompenser d’avoir effectué un travail utile, à demander la résidence permanente. Il y a bien sûr toujours le risque que leur demande de résidence permanente ne soit pas acceptée et l’agent a pour tâche de vérifier que le candidat a bien l’intention de retourner dans son pays si sa demande est refusée.

 

[11]           Comment déterminer cette intention? Le guide relatif aux aides familiaux résidants expose de façon très succincte cette question (à la page 51 du dossier des sources de la demanderesse) :

Dans la mesure du possible, compte tenu de la difficulté d’établir ce qu’une personne a l’intention de faire à l’avenir, l’agent doit s’assurer qu’un candidat au Programme des aides familiaux résidants a l’intention de quitter le Canada dans le cas où sa demande de résidence permanente serait refusée. La question ne consiste pas tant à savoir si le requérant demandera la résidence permanente, mais s’il demeurera illégalement au Canada.

 

[12]           Existe‑t‑il de meilleures preuves que les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration, lorsqu’il y en a, pour connaître ses intentions? En l’espèce, ces preuves existent. Il a été établi qu’au cours de son dernier séjour, la demanderesse a quitté le pays comme elle était légalement tenue de le faire, après avoir certes épuisé tous les recours juridiques possibles. Elle n’est pas entrée dans la clandestinité et n’a pas essayé de demeurer au Canada en ayant recours à des moyens illégaux. Elle a obéi à l’avis de renvoi, elle s’est volontairement rendue à l’aéroport et a quitté le Canada. Cela ressort très clairement de la confirmation du départ qui figure dans le dossier SSOBL du défendeur.

 

[13]           Je pourrais également signaler que, lorsque la demande CH présentée par la demanderesse a été refusée, on a inscrit ce qui suit dans le dossier SSOBL : [traduction] « La capacité de s’établir au Canada n’empêche pas la demanderesse de présenter une demande à l’étranger selon la façon habituelle. »

 

[14]           Je constate que l’agent a pris une décision déraisonnable. Le dossier indique que la demanderesse est une citoyenne respectueuse des lois qui, après avoir épuisé ses recours, est retournée dans son pays d’origine et a par la suite présenté une demande dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants. Le programme est conçu pour que les personnes qui possèdent ses compétences puissent venir au Canada.

 

[15]           Le fait qu’elle ait antérieurement respecté le Règlement sur l’immigration conforte son affirmation selon laquelle :

a)      elle est respectueuse des lois;

b)      elle continuera à les respecter à l’avenir.

 

[16]           L’agent en question a mal formulé la question qu’il devait trancher. Au lieu de se demander « va‑t‑elle quitter le Canada une fois autorisée à y entrer? », comme il l’a fait (voir l’affidavit de Gregory Chubak, paragraphe 4), il aurait dû suivre le guide relatif aux aides familiaux résidants et se demander « cette personne demeurera‑t‑elle illégalement au Canada si elle n’est pas acceptée dans ce programme? » En se fondant sur les antécédents de la demanderesse, une personne raisonnable aurait répondu : « Non, elle ne restera pas au Canada illégalement. »

 

[17]           Par conséquent, la présente demande sera accueillie.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision de l’agent des visas du 18 janvier 2005 soit annulée et l’affaire renvoyée pour nouvel examen à un autre agent des visas.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1541‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   alexandra ilona murai

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 FÉVRIER 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Vanita Goela                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

Toronto (Ontario)                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

 

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