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     Date: 19990805

     Dossier: T-2521-97

OTTAWA (Ontario), jeudi le 5 août 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED



AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 7, 9, 19, 20, 22, 25, 50, 52, 53, 53.1 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce,

L.R.C. (1985), ch. T-13


ET AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 3, 5, 6, 13, 25, 27, et

34 à 39 de la Loi sur le droit d'auteur,

L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée

E N T R E :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD. et

     EMPRESSA CUBANA DEL TABACO faisant affaire sous les

     raisons sociales CUBATABACO et HABANOS S.A.,

     demanderesses,

     et

     M.UNTEL et MME UNETELLE et

     LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

     QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

     DISTRIBUENT, ANNONCENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

     HAVANA HOUSE NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES

     PERSONNES DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE "A" DES PRÉSENTES,

     défendeurs.


     ORDONNANCE


     ATTENDU la requête soumise au nom des demanderesses, par avis de requête présentable le lundi 7 juin 1999, visant l'examen de l'exécution de l'ordonnance rendue par Madame le juge Tremblay-Lamer le 23 novembre 1998 (l'ordonnance Anton Piller), la prorogation de l'injonction accordée dans ladite ordonnance contre MOHAMMAD-HASHEM TAHAEI et 2000 CIGAR INC. et le prononcé d'une ordonnance dispensant les demanderesses de se conformer à certaines des dispositions des Règles de la Cour fédérale entrées en vigueur le 25 avril 1998,

     LA COUR,

     VU la comparution de M. Tahaei pour son propres compte et pour celui de 2000 CIGAR INC.,

     APRÈS avoir entendu les arguments de l'avocat des demanderesses;

     ET APRÈS avoir pris connaissance des actes de procédure et des instances, y compris les affidavits de Daniel Ovadia souscrits le 31 mai 1999 et les observations de l'avocat des demanderesses déposées le 29 juin 1999,

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     1.      L'ordonnance demandée est refusée.
     2.      La requête est rejetée.
     3.      Les demanderesses doivent remettre les cigares saisis à M. Tahaei et l'indemniser, lui-même et 2000 Cigar Inc., des dommages subis par suite des actions des demanderesses.

                                 B. Reed

                                 Juge



Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.




     Date: 19990805

     Dossier: T-2521-97

OTTAWA (Ontario), jeudi le 5 août 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED



AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 7, 9, 19, 20, 22, 25, 50, 52, 53, 53.1 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce,

L.R.C. (1985), ch. T-13


ET AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 3, 5, 6, 13, 25, 27, et

34 à 39 de la Loi sur le droit d'auteur,

L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée

E N T R E :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD. et

     EMPRESSA CUBANA DEL TABACO faisant affaire sous les

     raisons sociales CUBATABACO et HABANOS S.A.,

     demanderesses,

     et

     M.UNTEL et MME UNETELLE et

     LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

     QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

     DISTRIBUENT, ANNONCENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

     HAVANA HOUSE NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES

     PERSONNES DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE "A" DES PRÉSENTES,

     défendeurs.


     ORDONNANCE

     ATTENDU la requête soumise au nom des demanderesses, par avis de requête présentable le lundi 7 juin 1999, visant l'examen de l'exécution de l'ordonnance rendue par Madame le juge Tremblay-Lamer le 23 novembre 1998 (l'ordonnance Anton Piller), la prorogation de l'injonction accordée dans ladite ordonnance contre SHAHDAD I. SHOAR et MAHMOUD RASHTI, faisant affaire sous le nom de CIGAR MARKET, et le prononcé d'une ordonnance dispensant les demanderesses de se conformer à certaines des dispositions des Règles de la Cour fédérale entrées en vigueur le 25 avril 1998,

     LA COUR,

     VU la comparution de MM. Shoar et Rashti,

     APRÈS avoir entendu les arguments de l'avocat des demanderesses,

     ET APRÈS avoir pris connaissance des actes de procédure et des instances, y compris les affidavits de Daniel Ovadia souscrits le 31 mai 1999 et les observations de l'avocat des demanderesses déposées le 29 juin 1999,

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     1.      L'ordonnance demandée est refusée.
     2.      La requête est rejetée.

     3.      Les demanderesses doivent remettre les cigares saisis à MM. Shoar et Rashti et les indemniser des dommages qu'ils ont subi par suite des actions des demanderesses.

                                 B. Reed

                                 Juge



Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.




     Date: 19990805

     Dossier: T-2521-97



AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 7, 9, 19, 20, 22, 25, 50, 52, 53, 53.1 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce,

L.R.C. (1985), ch. T-13


ET AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 3, 5, 6, 13, 25, 27, et

34 à 39 de la Loi sur le droit d'auteur,

L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée

E N T R E :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD. et

     EMPRESSA CUBANA DEL TABACO faisant affaire sous les

     raisons sociales CUBATABACO et HABANOS S.A.,

     demanderesses,

     et

     M.UNTEL et MME UNETELLE et

     LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

     QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

     DISTRIBUENT, ANNONCENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

     HAVANA HOUSE NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES

     PERSONNES DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE "A" DES PRÉSENTES,

     défendeurs.


     MOTIFS DES ORDONNANCES


LE JUGE REED

[1]      Le 7 juin 1999, à Vancouver, on m'a soumis pour examen cinq cas d'exécution d'une ordonnance Anton Piller, laquelle ordonnance avait été accordée aux demanderesses le 24 novembre 1997 et renouvelée le 23 novembre 1998.

[2]      Les cinq commerces contre lesquels l'ordonnance Anton Piller a été exécutée sont Michelle's Import, Vancouver Souvenirs, Mike Bains, Cigar Market et 2000 Cigar Inc.1 Les deux premiers défendeurs étaient représentés par avocat lors de leur comparution, et l'avocat a demandé un ajournement pour pouvoir se préparer. M. Lipkus, l'avocat des demanderesses, a demandé l'ajournement de la requête à l'égard de M. Bains parce que des négociations étaient en cours en vue d'un règlement. M. Bains a par la suite déposé un affidavit tendant à indiquer que le règlement ne s'est pas fait. Quoi qu'il en soit, la requête, quant à ces trois défendeurs a été ajournée au 28 juin 1998.

[3]      Par conséquent, les présents motifs ne concernent que l'approbation de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller visant Cigar Market (13 cigares Cohiba Esplendidos saisis) et 2000 Cigar Inc. (20 cigares Cohiba Esplendidos saisis). Les personnes en charge de ces commerces, qui sont aussi désignées comme défendeurs dans la requête des demanderesses, sont MM. Shoar et Raskiti de Cigar Market, et M. Tahaei, de 2000 Cigar Inc. Ils ont comparu le 7 juin 1999.

[4]      M. Tahaei a témoigné sous serment au sujet de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller le 7 juin 1999. M. Lipkus a demandé de pouvoir présenter un élément de preuve supplémentaire, savoir un affidavit de M. Ovadia, avocat à Montréal, pour réfuter le témoignage de M. Tahaei. M. Lipkus a demandé l'autorisation de déposer les affidavits de M. Leswick et de M. Shoreman expliquant pourquoi ils savaient qu'il s'agissait de cigares contrefaits. J'ai autorisé la production de l'affidavit de M. Ovadia. Relativement aux affidavits de MM. Leswick et de M. Shoreman, ainsi qu'à la requête dans son ensemble, j'ai déclaré que je rendrais décision plus tard.

[5]      Je répugnais à rendre décision immédiatement parce que je savais que les demanderesses étaient parties à d'autres litiges soumis à notre Cour, et qu'elles avaient été incapables d'établir les droits afférents aux marques de commerce qu'elles revendiquaient dans ces affaires. Je voulais examiner les dossiers en question et les décisions rendues. En outre, j'avais eu peu de temps pour étudier les documents au dossier avant d'entendre la requête. Comme on le sait, les documents afférents à ce type de requête ne sont mis à la disposition de la Cour que peu de temps avant l'audience. Il arrive que la documentation soit incomplète, et le temps réservé à l'examen est bref. Relativement à la requête prévue pour le 7 juin 1999, les cinq exécutions décrites ci-dessus faisaient partie d'un ensemble de plus de quatre-vingt exécutions, et l'avocat des demanderesses avait informé le greffe et la Cour que l'examen des cinq exécutions devait prendre en tout de cinq à dix minutes.

[6]      J'ai maintenant pris connaissance des dossiers de la Cour. Les demanderesses ont déposé plusieurs déclarations où elles tentent d'établir des droits afférents à des marques de commerce visant des cigares.

[7]      Le 27 septembre 1996, les demanderesses ont déposé une déclaration contre Skyway Cigar Store (T-2144-96), dans laquelle elles alléguaient que l'entreprise vendait des cigares contrefaits et usurpait ses marques de commerce. Les marques de commerce en cause étaient les suivantes :

     HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA
     MONTE CRISTO HABANA et Dessin
     MONTECRISTO
     ROMEO Y JULIETA
     H. UPMANN HABANA et Dessin (2 dessins, l'un enregistré, l'autre non).

[8]      Le 13 décembre 1996, elles ont déposé une déclaration contre Sally Saxby et al. (T-2740-96) où elles affirmaient qu'il y avait eu vente de cigares contrefaits et usurpation des marques de commerce. Il s'agissait, dans ce cas des marques de commerce suivantes :

     HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA
     MONTE CRISTO HABANA et Dessin
     MONTECRISTO
     ROMEO Y JULIETA
     PARTAGAS
     FLOR DE TABACOS DE PARTAGAS et Dessin
     H. UPMANN HABANA & Design (2 dessins, l'un enregistré, l'autre non).
     COHIBA
     COHIBA et Dessin

[9]      Les 17, 20 et 26 février 1997, les marques de commerce énumérées au paragraphe 8 ont également été revendiquées dans des actions intentées contre Ken Britton (T-265-97), Emile Lahoud (T-279-97) et Morino Naeini et al. (T-323-97). Le 21 mai 1997, les demanderesses ont poursuivi Les Marchands et al. (T-1079-97) et, le 29 janvier 1998, 9046-5030 Québec Inc. (T-150-98).

[10]      La Cour n'a rendu jugement qu'à l'égard de deux des revendications susmentionnées des demanderesses. Dans le dossier T-2144-96, elle a ordonné la radiation de quatre des marques de commerce à l'égard desquelles les demanderesses faisaient valoir des droits (Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store (1998), 81 C.P.R. (3d) 203)). La défenderesse a réussi à obtenir cette ordonnance par voie de jugement sommaire. Elle a également réussi à faire rejeter, à l'égard de la marque de commerce qui n'avait pas été radiée, la requête des demanderesses visant à obtenir contre elle une injonction permanente par jugement sommaire. C'est le juge Teitelbaum qui a rendu ces décisions le 19 mai 1998. Elles ont été portées en appel; les demandes d'audience ont été déposées, mais les appels n'ont pas encore été entendus.

[11]      Le juge a radié les quatre marques par jugement sommaire après avoir conclu que c'est à titre de distributeur que Havana House les utilisait, et qu'elle n'avait fait des marques de commerce aucune utilisation satisfaisant aux exigences de la Loi sur les marques de commerce :

     Il est évident que les marques de commerce ne permettent pas au consommateur de penser que le distributeur est le propriétaire des marques de commerce. Elles indiquent plutôt de façon claire que les marques proviennent du fabricant. Havana House distribue les produits en question au Canada au profit du propriétaire cubain de la marque de commerce. Elle n'a pas établi qu'elle a employé la marque de commerce au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce. En conséquence, Havana House n'avait pas le droit de faire enregistrer les marques de commerce en litige [à la p. 222].

[12]      Les cigares qui ont été saisis et qui sont visés par l'exécution de l'ordonnance Anton Piller en l'espèce portent la marque COHIBA, laquelle n'était pas en cause dans le dossier T-2144-96. Le propriétaire enregistré de la marque COHIBA est Empressa Cubana del Tabaco, la seconde défenderesse en l'espèce, et non Havana House. Par conséquent, on ne sait pas dans quelle mesure le raisonnement tenu dans le dossier T-2144-96 peut s'appliquer à la marque de commerce COHIBA et aux cigares présumés contrefaits vendus en l'espèce.

[13]      Relativement à la requête pour jugement sommaire que les demanderesses avaient présentée, dans le dossier T-2144-96, en vue de l'obtention d'une injonction permanente interdisant à la défenderesse d'employer la marque de commerce qui n'avait pas été radiée, le juge Teitelbaum a fait des commentaires au sujet de la source des cigares en cause et du fait qu'ils avaient pu provenir de points de vente licites à Cuba. Il s'exprime ainsi aux p. 227 et 228 :

     [77] [...] Les cigares sont fabriqués dans les usines cubaines, sont marqués par le fabricant et sont vendus à des propriétaires de points de vente de Cuba. La défenderesse les achète dans ces points de vente en vue de les revendre au Canada. La défenderesse n'a apposé aucune marque sur ces marchandises, mais s'est contentée de les revendre sans l'intervention de Havana House. La thèse des demanderesses est que le présumé mauvais contrôle de la qualité de la défenderesse porte atteinte aux droits que lui reconnaît la Loi sur les marques de commerce. La preuve présentée par les demanderesses n'est selon moi pas suffisante pour me permettre de tirer une telle conclusion dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Le seul élément de preuve que les demanderesses ont présenté au sujet du contrôle de la qualité dans les établissements de la défenderesse concerne les cigares que M. Lanteigne aurait achetés.
     [78]      Les cigares en question n'ont pas été examinés par un tiers indépendant, mais par M. Ortego. Les cigares se sont trouvés en la possession de M. Ortego ou de son avocat pendant une période de temps indéterminée avant d'être soumis à la Cour. Qui plus est, M. Ortego a déclaré lors de son interrogatoire préalable que, même avec le système de contrôle de la qualité des demanderesses, les cigares peuvent quand même souffrir d'infestations d'insectes. Je ne crois pas que cet élément de preuve prouve que le système de contrôle de la qualité de la défenderesse est insatisfaisant.
     [79]      De plus, la preuve est très floue en ce qui concerne les cigares que la défenderesse a achetés à Cuba. Les demanderesses ont présenté peu d'éléments de preuve pour m'aider à décider si la défenderesse a acheté les cigares dans un magasin de Habanos S.A. ou sur le marché noir. La défenderesse maintient que les cigares ont été achetés dans des points de vente légitimes et les demanderesses n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour contester cette affirmation. M. Ortego a déclaré, lors de son interrogatoire préalable, qu'on peut légitimement acheter des cigares dans des points de vente légitimes à Cuba et les ramener au Canada en payant les droits de douane applicables. [Non souligné dans l'original]

[14]      La Cour a également statué sur les droits des demanderesses dans une autre affaire, visant, celle-là, Morino Naeini et al, dossier T-323-97. La Cour a par deux fois refusé de prononcer une injonction interlocutoire contre les défendeurs, d'abord le 31 juillet 19972 puis le 12 février 19983. Ces deux décisions, contrairement à celle du dossier T-2144-96, concernent notamment la marque COHIBA.

[15]      Le premier refus était fondé sur la faiblesse de la preuve des demanderesses et sur leur omission de démontrer qu'elles subiraient un préjudice irréparable. L'un des principaux déposants pour les demanderesses était M. Ortego, directeur général de Havana House. Comme c'est moi qui ai refusé cette demande d'injonction interlocutoire, je m'attarderai plutôt au deuxième refus.

[16]      La seconde demande d'injonction interlocutoire reposait aussi sur l'affidavit de M. Ortego. Avait également été déposé au dossier un affidavit souscrit par M. Leswick, détective privé formé par M. Ortego dans la détection des cigares de contrefaçon. On peut lire ce qui suit dans le sommaire préparé par Quicklaw4 à l'égard de la décision rejetant la deuxième demande :

     [TRADUCTION]
         Demande rejetée. La preuve, parce qu'elle était de nature hypothétique, n'était pas suffisante. Aucune preuve n'a été déposée au sujet de plaintes formulées contre la mauvaise qualité ou saveur de cigares contrefaits achetés de Naeini. Havana n'était pas tenue de rechercher des gens qui avaient fumé les cigares de Naeini et avaient été insatisfaits. Toutefois, elle aurait dû produire la déposition de détaillants de véritables cigares ayant reçu des plaintes concernant la qualité et la saveur des cigares de contrefaçon. La preuve souffrait d'autres lacunes, et le préjudice irréparable n'a pas été établi. [Non souligné dans l'original]

[17]      En rendant cette décision, le juge Rothstein, en plus de faire état de la nature hypothétique de la preuve soumise à l'appui de la demande, a commenté la démarche procédurale adoptée par les demanderesses. Il a reproché à Havana House et à Empresa Cubana Del Tabaco d'avoir demandé une seconde injonction interlocutoire plutôt que de faire statuer sur leurs droits par l'instruction de l'affaire. Il a écrit, aux p. 500 et 5015 :

     [11] On aurait pensé que, si les demanderesses pouvaient faire valoir une question sérieuse et si elles subissaient un préjudice croissant avec l"écoulement du temps, que ce préjudice soit irréparable ou non, elle auraient, après avoir reçu une décision défavorable sur leur première demande d"injonction interlocutoire, tenté de faire instruire l"affaire de façon expéditive. L"avocat des demanderesses a déposé une lettre exposant en détail les démarches faites en l"espèce. L"information fournie par l"avocat confirme que le déroulement de l"instance a été plutôt décontracté.
     [12] Une injonction interlocutoire est un recours extraordinaire. Elle ne doit pas être considérée comme une fin en soi (quoique l"injonction prononcée mette parfois fin au litige). Par conséquent, lorsqu"elle est sollicitée longtemps après que l"action a été engagée, le comportement des demandeurs quant au déroulement de l"instance sera pertinent. La Cour aura une piètre opinion d"une seconde demande d"injonction interlocutoire si le demandeur n"a pas pris des mesures énergiques pour accélérer le déroulement de l"instance. Une partie serait mal avisée en pareilles circonstances de renouveler des demandes de réparation avant l"instruction de l"action.
     [13] La demande d"injonction interlocutoire est rejetée. Des dépens de 10 000 $, y compris les débours, sont adjugés aux défendeurs, quelle que soit l"issue de la cause, et sont exigibles immédiatement. [Non souligné dans l'original].

[18]      Entre le refus de leur première demande d'injonction interlocutoire, dans le dossier T-323-97, le 31 juillet 1997, et celui de leur seconde demande, le 12 février 1998, les demanderesses ont obtenu l'ordonnance Anton Piller dont l'exécution est actuellement examinée. Comme il en a été fait mention, l'ordonnance a été prononcée le 24 novembre 1997, sur la base d'affidavits souscrits respectivement par MM. Ortego et Leswick. Il s'agit en substance des affidavits qui ont été soumis au juge Rothstein avec d'autres éléments de preuve dans le dossier T-323-97, et que le juge a estimés insuffisants pour justifier le prononcé d'une injonction interlocutoire.

[19]      La durée prévue de l'ordonnance Anton Piller étant de treize mois, elle devait prendre fin au mois de décembre 1998. Les demanderesses ont sollicité le renouvellement de l'ordonnance, lequel leur a été accordé le 23 novembre 1998. À cette date, comme je l'ai déjà dit, la décision du juge Teitelbaum dans le dossier T-2144-96 (radiant quatre des marques de Havana House), et celle du juge Rothstein dans le dossier T-323-97 (refusant l'injonction interlocutoire) avaient toutes deux été rendues. La preuve présentée à l'appui de la requête en renouvellement de l'ordonnance Anton Piller se composait des affidavits de MM. Ortego et Leswick, lesquels avaient été déposés au mois de novembre de l'année précédente à l'appui de la demande initiale d'ordonnance.

[20]      Lors du renouvellement de l'ordonnance Anton Piller, le 23 novembre 1998, l'avocat a signalé à la Cour l'ordonnance rendue par le juge Teitelbaum le 19 mai 1998. Il n'a fait mention, toutefois, ni de la conclusion du juge Rothstein, dans le dossier T-323-97, selon laquelle les affidavits de MM. Ortego et Leswick étaient insuffisants pour fonder une injonction interlocutoire ni des critiques adressées par le juge aux demanderesses pour n'avoir pas tenté de faire statuer sur leurs droits dans le cadre d'une instruction. (Le juge qui a accordé le renouvellement a confirmé que rien de cela ne lui avait été signalé.) Le renouvellement demandé portait également sur les marques radiées par le juge Teitelbaum, mais il a été accordé moyennant l'engagement de ne pas exécuter l'ordonnance à l'égard de ces quatre marques. L'avocat déclare, et je n'ai aucun motif de mettre ses déclarations en doute, que l'ordonnance Anton Piller affirmant la propriété de ces marques a été signifié à de nombreux défendeurs, mais qu'aucune saisie de cigares portant ces marques n'a été effectuée.

[21]      Récemment, le juge en chef adjoint a décrit la genèse de l'ordonnance Anton Piller et les principes qui lui sont applicables dans la décision Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc. (T-2725-97, 27 avril 1999, aux par. 31 et ss.). Il n'y a donc pas lieu d'en reprendre ici la description. Il suffit, en l'espèce, de rappeler que les ordonnances Anton Piller ont pour objet de permettre à un demandeur de saisir des marchandises et du matériel connexe pour les utiliser comme éléments de preuve au procès, lorsque le demandeur craint que ces éléments soient détruits s'ils ne sont pas placés sous la garde de la Cour. Il s'agit d'une fiction car les ordonnances Anton Piller renouvelables servent en fait à d'autres fins. J'ai récemment fait état de l'utilisation qui en est faite dans une décision rendue dans une autre affaire (T-2027-97, 27 juillet 1999). Lorsque la personne faisant l'objet d'une saisie ne conteste pas l'action, l'ordonnance Anton Piller a pour effet de procurer au demandeur le redressement qu'il recherche sans avoir recours au procès. Lors de l'examen de l'exécution de l'ordonnance, le demandeur obtient généralement une injonction interlocutoire contre la personne saisie. Bien sûr, les personnes dont des biens ont été saisis peuvent comparaître devant la Cour et faire valoir que la saisie est mal fondée, mais elles peuvent décider de ne pas le faire soit parce qu'une telle intervention n'en vaudrait pas la peine ou parce qu'elles ne comprennent pas bien la situation et ne se rendent pas compte que la Cour n'a pas encore statué sur le droit revendiqué par le demandeur.

[22]      Les demanderesses se sont désistées de leur action dans le dossier T-323-97, le 15 juin 1998. Elles se sont désistées le 25 juin 1998 des appels qu'elles avaient formés contre le refus opposé à leur demande d'injonctions interlocutoires dans le dossier T-323-97. Les litiges mentionnés aux paragraphes 8 et 9 des présents motifs ont donné lieu à un désistement ou font l'objet d'un examen de l'état de l'instance. Il paraît assez clair que l'absence de concertation des demanderesses pour faire instruire le dossier T-323-97 et que l'inaction dont a fait état le juge Rothstein dans les motifs rendus en janvier 1998 (paragraphe 17 ci-haut) résultaient du fait qu'à cette date les demanderesses avaient obtenu une ordonnance Anton Piller qui leur permettait de jouir du redressement qu'elles recherchaient sans avoir à passer par un procès. L'ordonnance Anton Piller a été utilisée au moins 116 fois pour saisir des cigares et pour [selon toute vraisemblance] obtenir des injonctions interlocutoires contre les personnes saisies.

[23]      J'ai demandé à l'avocat d'expliquer pourquoi le juge saisi de la requête en renouvellement de l'ordonnance Anton Piller n'avait pas été mis au courant de l'existence de la décision du juge Rothstein. Il a répondu qu'il n'était pas l'avocat inscrit au dossier dans l'affaire T-323-97, qu'il n'avait pas été consulté à son sujet, qu'il n'avait pas dans ses dossiers de copie de la décision du juge Rothstein et qu'on ne lui en avait pas fourni de copie avant qu'il se présente devant la Cour, au mois de novembre 1998, pour obtenir le renouvellement de l'ordonnance Anton Piller.

[24]      Il a reconnu que ses clientes devaient avoir eu connaissance du fait que le juge Rothstein avait, dans le dossier T-323-97, statué que la preuve sur laquelle elles s'appuyaient pour solliciter l'ordonnance Anton Piller n'était pas suffisante pour justifier l'octroi d'une injonction interlocutoire. Il a allégué toutefois : (1) que le juge Rothstein s'était prononcé dans le cadre d'une action contestée et non à l'égard d'une ordonnance Anton Piller et que le juge qui avait rendu l'ordonnance Anton Piller initiale était manifestement convaincu que la portée élargie de l'atteinte potentielle décrite par M. Ortego justifiait l'octroi de l'ordonnance, (2) que les deux types d'instance différaient quant à leur nature et quant à la preuve et (3) que l'ordonnance Anton Piller avait été exécutée de nombreuses fois (97 fois avant d'être renouvelée) et que ces exécutions avaient été approuvées sans objection par la Cour.

[25]      Le fait que, mis à l'épreuve d'une instance contestée, les éléments de preuve qui étaient essentiellement les mêmes que ceux qui ont été déposés à l'appui de la demande d'ordonnance Anton Piller ont été jugés insuffisants pour fonder le prononcé d'une injonction interlocutoire, revêt une grande pertinence pour le renouvellement ou la poursuite de l'exécution de cette ordonnance. La requête visant l'octroi d'une ordonnance Anton Piller est entendue ex parte, et souvent à huis clos. L'obligation incombant à la partie requérant une ordonnance Anton Piller de communiquer tous les facteurs pertinents est de ce fait très lourde. La décision du juge Rothstein était un facteur pertinent. Ce n'est pas une justification convaincante de l'omission d'en informer le juge que d'invoquer le fait que l'instance dans laquelle elle a été rendue était contestée.

[26]      De fait, le juge Rothstein disposait d'une preuve plus exhaustive que celle qui avait été présentée au juge ayant accordé l'ordonnance Anton Piller et au juge l'ayant renouvelée. Dans l'instance contestée no T-323-97, les demanderesses avaient soumis des éléments de preuve qui n'ont pas été déposés pour l'obtention de l'ordonnance Anton Piller et, malgré tout, le juge a trouvé que la preuve n'était pas suffisante pour justifier l'octroi du recours (l'injonction interlocutoire) qui est accordé à l'issue de l'examen de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller. Dans le dossier T-323-97, les demanderesses avaient produit au soutien de leur demande, en plus des affidavits de MM. Ortego et Leswick, ceux de John Trifoli, John Broen, Frank Shoreman, Bruce McBean et Aaron van Pykstra ainsi que deux affidavits supplémentaires de M. Ortego.

[27]      À mon avis, la preuve nécessaire à l'obtention d'une ordonnance Anton Piller devrait être au moins aussi solide, sinon davantage, que celle qui est exigée pour le prononcé d'une injonction interlocutoire. Le juge en chef adjoint a signalé, dans la décision Adobe, que la preuve prima facie doit être extrêmement convaincante pour qu'une ordonnance Anton Piller soit prononcée. Il est bien établi qu'il suffit d'établir, dans le cas de l'injonction interlocutoire, qu'il existe une question sérieuse à instruire. Je ne suis pas convaincue que la norme de preuve applicable à l'ordonnance Anton Piller soit inférieure à celle qui régit le prononcé des injonctions interlocutoires.

[28]      L'avocat des demanderesses soutient que la preuve déposée à l'appui de la demande d'ordonnance Anton Piller faisait état d'usurpations par plus d'un défendeur et que cela a convaincu le juge saisi qu'il y avait lieu de rendre l'ordonnance Anton Piller. Toutefois, l'affidavit de M. Ortego a décrit dans les mêmes termes, dans les deux cas, le préjudice irréparable6. De plus, même si la preuve avait différé, cela n'aurait pas justifié le silence observé relativement à la décision du juge Rothstein, en particulier si l'on considère que le juge avait critiqué non seulement la suffisance de la preuve qui lui avait été présentée mais également sa qualité. Il aurait à tout le moins fallu que le juge entendant la demande de renouvellement de l'ordonnance Anton Piller fût mis au courant de l'existence de cette décision.

[29]      L'argument de l'avocat des demanderesses voulant que la Cour ait approuvé de nombreux cas d'exécution de l'ordonnance Anton Piller sans formuler de commentaires négatifs est un argument de poids. La courtoisie judiciaire est importante. Il faut se rappeler, toutefois, que c'est la procédure accusatoire qui forme la base de notre système judiciaire, et que le contexte dans lequel les demandes d'ordonnance Anton Piller et l'exécution de ces ordonnances sont examinées désavantage les juges (pour plus de détails, voir la décision rendue le 27 juillet 1999 dans le dossier T-2027-97). Dans ces circonstances, je n'incline pas à présumer que, lorsqu'ils ont examiné l'exécution d'ordonnances Anton Piller, d'autres juges connaissaient les points particuliers qui ont été portés à mon attention, s'en sont rappelés ou se sont penchés sur eux, en l'absence de toute observation écrite déposée devant la Cour sur cette question et de toute mention expresse aux juges.


[30]      Pour tous ces motifs, je ne suis pas disposée à approuver les exécutions des ordonnances Anton Piller qui m'ont été soumises. Je ne suis pas disposée à ajouter les intimés comme défendeurs à l'action ou à prononcer une injonction interlocutoire contre eux. Les demanderesses devront remettre les cigares saisis aux intimés et les dédommager de tout préjudice subi par suite de la perquisition et de la saisie. Les défendeurs n'étant pas représentés par avocats, il n'y a pas d'adjudication de dépens.


                             "B. Reed"

                                 Juge


Ottawa (Ontario)

Le 5 août 1999




Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-2521-97

INTITULÉ :                  HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD et al. c. M. Untel et Mme Unetelle et al.

LIEU DE L'AUDITION :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDITION :          LES 7 ET 28 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE REED


EN DATE DU              LE 5 AOÛT 1999


COMPARUTIONS :

M. LORNE M. LIPKUS                      pour les demanderesses

PERSONNE N'A COMPARU                  pour les défendeurs


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KESTENBERG SIEGAL LIPKUS                  pour les demanderesses

TORONTO (ONTARIO)


PERSONNE N'A COMPARU                  pour les défendeurs

__________________

     1      Dans trois cas, l'exécution a eu lieu samedi le 22 mai 1999; il s'agit de l'exécution visant Manmohan Bains et Mireine Holdings Ltd., au 925, rue Davie, Shahdad I. Shoar et Mahmoud Rashti, faisant affaire sous le nom Cigar Market, au 555, rue Dunsmuir, et Mohammad-Hashem Tahaei et 2000 Cigar Inc., au 881, rue Dunsmuir. Dans deux cas, elle s'est produite le lundi 24 mai 1999; il s'agit des exécutions visant Michelle's Import Plus Ltd., Rajesh Kumar Aggarwal, Paramjit Kaur Gill et Sukhdev Swani, au 57, rue Water, et visant Sukhdev Swani, Sunita Swani et Vancouver Souvenirs Ltd., au 175, rue Water.

     2      Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Naeini (1997), 75 C.P.R. (3d) 306; [1997] A.C.F., no 1059.

     3      Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Naeini (1998), 79 C.P.R. (3d) 496; [1998] A.C.F., no 240.

     4      [1998] A.C.F. no 240.

     5      (1998), 79 C.P.R. (3d) 496.

     6      L'affidavit déposé devant le juge Rothstein, dans le dossier T-323-97, et celui qui a été produit devant le juge en chef adjoint Jerome, dans le dossier T-2521-97, lorsqu'il a prononcé l'ordonnance Anton Piller, comprenaient tous deux le paragraphe suivant :
             [TRADUCTION]              48.      La fabrication, la vente et la distribution de cigares contrefaits et de cigares de contrefaçon au marché noir a causé des pertes financières importantes aux demanderesses, lesquelles sont privées du produit des ventes de tels produits. Point plus important encore, la mise en vente de ces cigares cause un préjudice grave et irréparable aux demanderesses pour les raisons suivantes :
                 a)      La saveur et la piètre qualité des cigares cubains contrefaits peuvent ne pas répondre aux attentes des personnes qui les achètent ou qui les fument, et ces dernières n"achèteront plus jamais de cigares Cohiba, Montecristo, Partagas ou Romeo y Julieta ou tout autre cigare cubain. Comme nous ignorons combien de ces cigares contrefaits sont vendus ou à qui ils le sont, il est impossible de calculer les dommages que causera la poursuite de leur importation et de leur vente au Canada;
                 b)      Quant aux cigares de contrefaçon vendus sur le marché noir, le problème est différent, mais le résultat identique. Les cigares cubains véritables étant des produits périssables, les cigares de contrefaçon vendus sur le marché noir se détériorent une fois soustraits au système de fabrication et de distribution contrôlé et de haute qualité des demanderesses. Résultat : les consommateurs se voient encore une fois refiler un cigare de qualité inférieure, alors qu"ils croient acquérir un produit de la plus haute qualité, répondant aux promesses des demanderesses. Comme dans le cas des cigares contrefaits, ces dernières n"ont aucun moyen de mesurer le volume des ventes de ces cigares ou l"étendue du préjudice qui en résulte pour le marché canadien. Le public croit et les défendeurs lui font croire que leurs cigares contrefaits et leurs produits de contrefaçon offerts sur le marché noir sont tout à fait conformes aux cigares cubains véritables portant les marques de commerce des demanderesses alors qu"en réalité, il n"en est rien.
                 Le préjudice causé par ces activités est réel mais impossible à mesurer.

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