Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050419

Dossier : T-1716-01

Référence : 2005 CF 528

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2005

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

                      LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS   

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE DU CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

KICKS ROADHOUSE INC., faisant affaire

sous le nom de HOW-DEE'S, et ANDREW CZARNOGORSKI

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique du Canada (SOCAN) est un organisme à but non lucratif constitué sous le régime des lois du Canada et dont le siège social est à Toronto, en Ontario. Le mandat de la SOCAN est d'accorder des licences pour l'exécution en public et la communication au public par télécommunication au Canada d'oeuvres musicales et dramatico-musicales.


[2]                La défenderesse, Kicks Roadhouse Inc. (KICKS), est constituée en personne morale sous le régime des lois de l'Ontario. Elle exerce principalement ses activités au 2200, chemin Rymal Est (Gateway Plaza), à Hamilton en Ontario (les locaux), où, sous le nom de HOW-DEE'S, elle offre des services de restauration, de bar, de boîte de nuit ou de tout autre établissement semblable. Dans ses locaux, la défenderesse présente au public des oeuvres musicales sous forme de musique enregistrée pour la danse.

[3]                Le défendeur Andrew Czarnogorski (M. Czarnogorski), qui réside en Ontario, est et a été en tout temps le président ainsi qu'un administrateur et membre de la direction de la défenderesse KICKS. Pendant toute la période en cause, et au moins depuis 1997, M. Czarnogorski a exploité, géré ou dirigé l'entreprise décrite au paragraphe 2 ci-dessus.


[4]                La demanderesse est une société de gestion aux termes de l'article 67 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42. En vertu du paragraphe 68.2(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, la demanderesse peut percevoir les redevances figurant au tarif homologué ou, le cas échéant, en poursuivre le recouvrement en justice, indépendamment de tout autre recours à sa disposition. Ces redevances sont approuvées d'année en année par la Commission du droit d'auteur, conformément aux dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, précitée. La demanderesse est propriétaire au Canada du droit exclusif de représentation publique, du droit d'autoriser ces représentations ainsi que du droit d'action pour violation de ces droits d'auteur (désignés dans leur ensemble par « droits d'exécution » ) pour presque toutes les oeuvres de musique populaire actuellement en usage au Canada.

[5]                Dans sa déclaration, la demanderesse réclame ce qui suit :

1.          une déclaration selon laquelle les défendeurs ont violé les droits d'auteur de la demanderesse;

2.          des dommages-intérêts, y compris des dommages exemplaires, pour les violations du droit d'auteur ainsi qu'un renvoi pour en déterminer le montant;

3.          une restitution des bénéfices réalisés par les défendeurs en violation des droits d'auteur de la demanderesse, ces bénéfices devant être déterminés dans le cadre d'un renvoi;

4.          une injonction empêchant les défendeurs - que ce soit par eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - d'exécuter, d'autoriser ou de faire exécuter dans des locaux sous leur contrôle des oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'ils n'aient obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'ils en respectent les modalités;


5.          une injonction empêchant les défendeurs - que ce soit par eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - de permettre, pour leur profit personnel, qu'un lieu de divertissement soit utilisé pour l'exécution en public d'oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'ils n'aient obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'ils en respectent les modalités;

6.          Subsidiairement aux éléments 1 à 5 ci-dessus, au choix de la demanderesse, l'octroi des redevances auxquelles elle a droit en vertu de l'article 68.2 de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, à l'égard de toute exécution décrite précédemment;

7.          des intérêts avant jugement et après jugement;

8.          les dépens de la présente action sur la base et en fonction des barèmes que la Cour estimera justes.

[6]                La défenderesse, KICKS, a été acquise par le défendeur, M. Czarnogorski, et d'autres personnes qui l'ont renommée HOW-DEE'S et l'ont exploitée comme boîte de nuit.

[7]                HOW-DEE'S a ouvert ses portes en mai 1997 et a été exploitée jusqu'en mai 2001 approximativement.

[8]                HOW-DEE'S faisait jouer de la musique enregistrée pour la danse.

[9]                Selon la demanderesse, la défenderesse KICKS a omis d'obtenir une licence pour faire jouer en public de la musique enregistrée pour la danse. La demanderesse a déclaré que KICKS n'a pas payé les redevances dues pour l'exécution d'une oeuvre musicale devant public.

[10]            La demanderesse prétend que le défendeur Czarnogorski est également responsable d'avoir permis ou autorisé la prestation de musique enregistrée.

Questions en litige                 

[11]            Les questions en litige telles que formulées par la demanderesse sont les suivantes :

1.          Les oeuvres musicales de la demanderesse ont-elles été exécutées en public au HOW-DEE'S sans son consentement?

2.          M. Czarnogorski ou KICKS ou les deux ont-ils « autorisé » ces exécutions en public, en contravention des paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, et ainsi violé les droits d'auteur de la demanderesse?

3.          M. Czarnogorski ou KICKS ou les deux ont-ils permis, dans un but de profit, l'utilisation d'un « lieu de divertissement » pour l'exécution en public des oeuvres musicales en cause, en contravention du paragraphe 27(5) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, et ainsi violé les droits d'auteur de la demanderesse?

4.          En ce qui concerne tout ou partie des violations de KICKS, M. Czarnogorski, en sa qualité d'administrateur de la société, s'est­-il délibérément, intentionnellement et consciemment livré à des actes qui constituaient vraisemblablement une violation des droits d'auteur de la demanderesse, ou qui affichaient de l'indifférence devant ce risque?


Dispositions légales pertinentes

[12]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, prévoient :

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif:

. . .

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.

27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.

. . .

(5) Constitue une violation du droit d'auteur le fait, dans un but de profit, de permettre l'utilisation d'un théâtre ou d'un autre lieu de divertissement pour l'exécution en public d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur sans le consentement du titulaire du droit d'auteur, à moins que la personne qui permet cette utilisation n'ait ignoré et n'ait eu aucun motif raisonnable de soupçonner que l'exécution constituerait une violation du droit d'auteur.

3. (1) For the purposes of this Act, "copyright", in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

. . .

and to authorize any such acts.

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

. . .

(5) It is an infringement of copyright for any person, for profit, to permit a theatre or other place of entertainment to be used for the performance in public of a work or other subject-matter without the consent of the owner of the copyright unless that person was not aware, and had no reasonable ground for suspecting, that the performance would be an infringement of copyright.


Analyse et décision

[13]            Première question

Les oeuvres musicales de la demanderesse ont-elles été exécutées en public au HOW-DEE'S sans son consentement?

Je suis convaincu que les oeuvres musicales de la demanderesse ont été exécutées en public au HOW-DEE'S sans son consentement. Les défendeurs ont reconnu dans leur réponse à la demande d'aveux que la demanderesse est la propriétaire du droit exclusif d'exécution publique des oeuvres musicales énumérées au paragraphe 13 de la déclaration. Ils ont également admis que les oeuvres musicales de la demanderesse ont été exécutées en public au HOW-DEE'S entre 1997 et 2001 (premier paragraphe de la réponse à la demande d'aveux). Selon le témoignage du représentant de la demanderesse qui était sur les lieux, toutes les chansons énumérées au paragraphe 13 de la déclaration ont été jouées au HOW-DEE'S. Le témoignage de Mme Paula Shallow au procès a établi que les oeuvres musicales ont été exécutées en l'absence de licence accordée par la demanderesse.

[14]            Deuxième question

M. Czarnogorski ou KICKS ou les deux ont-ils « autorisé » ces exécutions en public, en contravention des paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, et ainsi violé les droits d'auteur de la demanderesse?


Sur cette question, je suis d'avis que KICKS a violé les droits d'auteur de la demanderesse en exécutant de la musique enregistrée en public en l'absence d'une licence lui permettant de le faire. De plus, il ne fait aucun doute que KICKS a autorisé l'exécution de la musique enregistrée en public sans le consentement de la demanderesse. Encore une fois, il s'agit d'une violation des droits d'auteur de la demanderesse visés aux paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée. Les défendeurs ont reconnu que les oeuvres musicales enregistrées en question ont été jouées au HOW-DEE'S dès 1997, et ce, jusqu'en mai 2001. Les défendeurs ont également admis que ce sont des disc-jockeys embauchés et payés ou employés et payés par KICKS qui les ont fait jouer.

[15]            En ce qui concerne le défendeur M. Czarnogorski, la demanderesse convient qu'il n'a pas entrepris d'exécuter les oeuvres musicales enregistrées, soutenant plutôt qu'il a, par sa conduite et son association avec KICKS, permis qu'il en soit ainsi. Il n'appert pas de la preuve que M. Czarnogorski prenait part à la gestion quotidienne de l'entreprise.

[16]            Les éléments de preuve établissent que la gestion quotidienne de l'entreprise relevait de différents gérants. Les propriétaires n'avaient accès ni aux ordinateurs ni à l'argent comptant. De plus, un gérant général chapeautait l'entreprise.


[17]            Il ne fait aucun doute que M. Czarnogorski savait qu'on jouait de la musique enregistrée au HOW-DEE'S, mais certaines preuves établissent également qu'il croyait que son gérant général, M. Sharpe, s'était occupé des questions relatives à la SOCAN. Le témoignage de M. Czarnogorski, reproduit aux pages 417 et 418 de la transcription, se lit comme suit :

[traduction]

R.            Ce n'est pas comme ça qu'il me l'a demandé.

Il m'a demandé si je savais quoi que ce soit à propos des redevances payables à la SOCAN pour l'exécution d'oeuvres musicales en direct ou je ne sais trop comment il l'a formulé.

Et je lui ai dit qu'il devait contacter quelqu'un, peut-être à Buffalo, ils en savent peut-être plus. Ou de contacter directement la SOCAN, c'est ce que j'ai suggéré.

Q.            Vous a-t-il mentionné autre chose à propos de la SOCAN à ce moment-là?

R.            Non.

Q.            Ou à tout autre moment?

R.            Plus tard, vers le mois de décembre, je me souviens d'une autre conversation et je me souviens de lui avoir demandé : « Comment avez-vous réglé le problème de la musique en direct, est-ce que c'est réglé avec la SOCAN? »

Il m'a répondu : « Je m'en occupe » .

Q.             Donc, en décembre, il s'en occupait?

R.             Soit novembre, soit décembre.

Q.            Encore une fois, de quoi s'occupait-il?

R.             De la question des redevances.

Q.            Donc, à ce moment, vous vous rendez compte, qu'il y a des redevances à verser?

R.             Bien, évidemment qu'il y a des redevances, oui.

Q.             Quand avez-vous découvert qu'il y avait des redevances?

R.             Au moment où M. Sharpe m'a approché pour m'en parler.


Q.             Et c'était autour du 30 octobre 1997?

R.             C'était quelque part en octobre ou en novembre.

Q.             Je ne vois rien dans cette lettre qui concerne la musique en direct, et vous?

R.             Moi non plus.

Q.             Après le mois de décembre, avez-vous eu l'occasion de revenir avec M. Sharpe sur la question des redevances impayées que vous décriviez?

R.             Non, seulement la fois où il a dit qu'il s'en occupait.

Dans son témoignage, M. Sharpe a confirmé qu'il s'occupait de la même question.

[18]            Au vu de la preuve, je suis d'avis que M. Czarnogorski n'a pas autorisé les exécutions en public des oeuvres en contravention des paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée.

[19]            Troisième question

M. Czarnogorski ou KICKS ou les deux ont-ilspermis, dans un but de profit, l'utilisation d'un « lieu de divertissement » pour l'exécution en public des oeuvres musicales en cause, en contravention du paragraphe 27(5) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, et ainsi violé les droits d'auteur de la demanderesse?


Pour les mêmes motifs que ceux énumérés aux paragraphes 14 à 17 des présents motifs, je suis d'avis que la défenderesse KICKS, mais non le défendeur M. Czarnogorski, a permis, dans un but de profit, l'utilisation d'un « lieu de divertissement » pour l'exécution en public des oeuvres musicales en cause, contrevenant ainsi au paragraphe 27(5) de la Loi sur le droit d'auteur, et violant de ce fait les droits d'auteur de la demanderesse.

[20]            Quatrième question

En ce qui concerne tout ou partie des violations de KICKS, M. Czarnogorski, en sa qualité d'administrateur de la société, s'est-il délibérément livré à des actes qui constituaient vraisemblablement une violation des droits d'auteur de la demanderesse, ou qui affichaient de l'indifférence devant ce risque?

La demanderesse prétend qu'elle a démontré que M. Czarnogorski, une des têtes dirigeantes de la société, a participé en tant qu'administrateur aux actes de violation commis par la société défenderesse KICKS et pour lesquels il devrait être tenu responsable.

[21]            Le droit concernant la responsabilité des administrateurs pour les actes de contrefaçon commis par une société a été établi dans Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. (1978), 40 C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.). La Cour déclare aux paragraphes 17 à 19 :

Le juge de première instance a conclu que « Goldenberg et Berkowitz (étaient) à la source des politiques et directives pratiques, commerciales, financières et administratives qui (avaient) finalement résulté dans l'assemblage et la vente de certaines marchandises (de l'inventaire global de National) empiétant ainsi sur les droits du demandeur » , mais que ce fait ne suffisait pas pour rendre Goldenberg personnellement responsable de la contrefaçon. Il a exposé le critère à appliquer dans l'extrait suivant de ses motifs de jugement :


À mon avis, il doit y avoir certains éléments prouvant l'intention (ou une preuve conduisant à une conclusion raisonnable) que Goldenberg (ou Goldenberg et Berkowitz ensemble) s'est délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines opérations en se servant de la compagnie comme instrument, dans le but de s'assurer des profits ou une clientèle qui appartenait de droit aux demanderesses. J'ajoute que je fais une distinction entre l'intention dont j'ai parlé lorsque j'ai traité de la responsabilité d'une personne à titre d'administrateur et l'intention prise dans son sens global concernant la contrefaçon en général. Ce dernier aspect a été examiné dans Fox (supra) à la page 381 :

[...] (TRADUCTION) ... L'intention d'un contre-facteur ne compte pas. La contrefaçon est autant le produit de l'ignorance que de la véritable intention. On présume que toute personne est au courant des nouveaux brevets d'invention mais cependant, un brevet d'invention peut être contrefait par une personne ignorante de son existence. Tel qu'il a été déclaré dans Stead v. Anderson, la question de la contrefaçon ne dépend pas de ce que le défendeur a l'intention de faire mais de ce qu'il fait. Ainsi, dans Young v. Rosenthal, le juge Grove a déclaré: « L'intention ne fait pas partie de la contrefaçon. Un homme peut contrefaire un brevet d'invention tout en ignorant comment il l'a contrefait, puisqu'un breveté peut revendiquer la paternité d'une nouveauté qui en fait n'est pas nouvelle. Mais alors, si ce n'est pas une nouveauté, il doit en subir les conséquences; et si un homme se rend coupable de contrefaçon, il doit en subir les conséquences, qu'il l'ait fait intentionnellement ou non.. »

Le premier juge en est arrivé à la conclusion que la preuve était insuffisante pour permettre de déduire que Goldenberg s'était « délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines opérations en se servant de la compagnie comme instrument, dans le but de s'assurer des profits ou une clientèle qui appartenait de droit aux demanderesses. »

Les appelantes font valoir, d'une part, que le juge de première instance a commis une erreur de droit en appliquant ce critère, et, d'autre part, que même si ce critère est bon, il est manifeste que le juge a eu tort de conclure que la preuve ne permettait pas une telle déduction.

Elle ajoute au paragraphe 21 :

Le juge de première instance a exposé le droit applicable en ces termes :

La loi concernant la responsabilité des administrateurs ou des dirigeants pour les actes délictueux commis par la compagnie est, à mon avis, très bien interprétée par le lord juge Atkin dans Performing Right Society c. Ciryl Theatrical Syndicate (1924) 1 K.B. 1 pp. 14-15 :


(TRADUCTION) Un administrateur n'est pas responsable prima facie des actes délictueux accomplis par des employés de la compagnie à moins qu'il ne participe lui-même à ces actes, ce qui veut dire qu'il donne des ordres ou qu'il fasse en sorte qu'ils soient exécutés. Ce principe est énoncé dans une affaire qui fait autorité, soit Rainham Chemical Works v. Belvedere Guano Co. [Voir Note 1 ci-dessous], où l'on cherchait à rendre la compagnie responsable d'une explosion qui s'était produite au cours des travaux de fabrication d'explosifs puissants. La compagnie a été tenue responsable en vertu du principe défini dans Rylands v. Fletcher. On cherchait aussi à tenir deux administrateurs responsables. Ils ont été déclarés responsables parce qu'ils étaient en fait présents sur les lieux.On a prétendu qu'ils étaient responsables parce qu'ils dirigeaient la compagnie, que la compagnie était sous leur unique contrôle à titre de gestionnaires et qu'ils étaient responsables du travail exécuté par leurs employés. Lord Buckmaster a déclaré: « Je ne partage pas ces opinions. Si la compagnie opérait vraiment de façon indépendante pour son propre compte, le fait qu'elle était dirigée par MM. Feldman et Partridge ne les rend pas responsables des actes délictueux de celle-ci à moins, évidemment, qu'ils ne les aient ordonnés. Lorsqu'une compagnie est constituée dans l'unique but d'accomplir un acte illégal ou lorsque, après avoir été constituée, ceux qui la contrôlent ordonnent expressément qu'un acte illégal soit exécuté, ces personnes, de même que la compagnie sont responsables des conséquences, mais en l'espèce, rien ne prouve que la responsabilité incombe à l'une ou l'autre personne. »    Ce jugement est encore plus précis du fait qu'il ne constitue pas une décision générale sans référence à une affaire particulière; puisque, selon moi, il n'est pas nécessaire qu'il ait eu un ordre exprès. Si les administrateurs ont eux-mêmes ordonné l'acte délictueux ou ont participé à son accomplissement, ils seront tenus responsables quelle qu'ait été leur intention, qu'ils l'aient fait expressément ou tacitement.

De plus, elle affirme aux paragraphes 23 à 25 et 28 :

La présente affaire soulève une délicate question de principe. D'une part, il y a le principe voulant qu'une société soit distincte, aux yeux de la loi, de ses actionnaires, administrateurs et dirigeants, et l'intérêt des buts commerciaux poursuivis par l'entreprise exige que ces personnes jouissent, en règle générale, du bénéfice de la responsabilité limitée qu'offre la constitution en société. D'autre part, il y a la règle selon laquelle chacun doit répondre de ses actes délictueux. Dans le domaine de la violation de brevet, la conciliation de ces deux principes est particulièrement difficile. En effet, la fabrication et la vente qu'un tribunal tient finalement pour des actes de contrefaçon participent de l'activité commerciale générale d'une société que les administrateurs et dirigeants de celle-ci peuvent être présumés avoir ordonnée ou autorisée, du moins de façon générale. Les questions de validité et de contrefaçon sont souvent fort confuses et leur résolution exige de longs et coûteux procès. Cela rendrait les postes d'administrateur ou de dirigeant principal excessivement hasardeux si le degré d'administration normalement requis en matière de fabrication et de vente dans une société pouvait par lui-même rendre l'administrateur ou le dirigeant personnellement responsable des actes de contrefaçon de sa société.


Il s'agit là d'un principe qui devrait, à mon avis, s'appliquer non seulement à une grande société, mais aussi à une petite société dont les actions sont concentrées en quelques mains. Il n'y a pas de raison pour qu'une petite société à dirigeant unique ou dirigée par deux personnes ne soit régie par des principes de responsabilité différents du seul fait que ses actionnaires et administrateurs jouent généralement, par la force des choses, un rôle direct et actif plus grand dans la gestion des affaires de la société. J'estime que cette opinion est confirmée par la jurisprudence. Il a déjà été jugé que le fait que des défendeurs étaient les deux seuls actionnaires et administrateurs d'une société n'autorisait pas à lui seul à conclure que la société était leur mandataire ou instrument dans la perpétration des actes de contrefaçon, ou qu'ils avaient autorisé ces actes et engagé leur responsabilité personnelles (British Thomson-Houston Company Ltd. v. Sterling Accessories Ltd. (1924), 41 R.P.C. 311; Prichard & Constance (Wholesale) Ltd. v. Amata Ltd., (1925), 42 R.P.C. 63). Il s'ensuit nécessairement, à mn avis, que l'existence des ordres ou autorisations formels requis pour que soit engagée la responsabilité personnelle non seulement ne sera pas déduite du contrôle exercé sur une société, mais ne sera non plus déduite de l'exercice indispensable par ceux qui ont ce contrôle d'un pouvoir général de direction des affaires de celle-ci.    Je me vois donc forcé de conclure que c'est à raison que le juge de première instance a décidé que le fait que « Goldenberg et Berkowitz (étaient) à la source des politiques et directives pratiques, commerciales, financières et administratives qui (avaient) finalement résulté dans l'assemblage et la vente de certaines marchandises (de l'inventaire global de National) empiétant ainsi sur les droits du demandeur » ne suffisait pas à donner lieu à leur responsabilité personnelle.

Mais quand donc la participation aux actes de la société engage-t-elle la responsabilité personnelle? C'est là une délicate question. Il semblerait que ce soit lorsque la nature et l'étendue de la participation personnelle de l'administrateur ou du dirigeant fasse de l'acte délictueux leur acte délictueux. Il s'agit manifestement d'une question de fait qui doit être appréciée à la lumière des circonstances de chaque cas. Les causes où les tribunaux ont conclu que les faits entraînaient la responsabilité personnelle ne m'ont pas été d'un grand secours. Mais dans ces causes, il semble que la participation ait eu un caractère conscient, délibéré et intentionnel [...].

[...]

Je ne pense pas qu'on doive aller jusqu'à poser en principe que l'administrateur ou le dirigeant doit savoir ou avoir des raisons de savoir que les actes qu'il ordonne ou accomplit constituent des violations. Ce serait imposer une condition de responsabilité qui n'existe pas, généralement, en matière de violation de brevet. Il convient d'observer qu'une telle connaissance a été jugée, aux États-Unis, non essentielle en matière de responsabilité personnelle d'administrateurs ou dirigeants (voir Deller's Walker on Patents, 2e éd., 1972, vol. 7, aux pages 117-118). À mon avis, il existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l'administrateur ou le dirigeant n'était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée d'actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l'égard du risque de contrefaçon. De toute évidence, il est difficile de formuler précisément le critère approprié. Il convient de pouvoir dans chaque cas apprécier toutes les circonstances pour déterminer si celles-ci entraînent la responsabilité personnelle. Les termes dans lesquels le premier juge a formulé le critère qu'il a adopté sont peut-être critiquables -- « s'est délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines opérations en se servant de la compagnie comme instrument, dans le but de s'assurer des profits ou une clientèle qui appartenait de droit aux demanderesses » -- mais je ne saurais conclure que, sur l'essentiel, ce critère était erroné. Je ne saurais non plus conclure que les faits de la présente affaire sont tels qu'il y a manifestement lieu à responsabilité personnelle aux yeux de la loi.


[22]            Appliquant cette décision aux faits de l'espèce, je suis d'avis que M. Czarnogorski agissant à titre d'administrateur de KICKS n'est pas personnellement responsable des actes de violation commis par la société défenderesse KICKS. M. Czarnogorski a témoigné que l'entreprise comptait des gérants et des gérants généraux et que son gérant général l'avait assuré qu'il s'occupait de la question des redevances dues à la SOCAN. La société avait un but lucratif, elle qui exploitait une boîte de nuit et un bar. Elle ne visait pas une ligne de conduite qui constituerait une violation des droits d'auteur de la demanderesse. En fait, si l'on compare le degré de participation de M. Czarnogorski dans l'entreprise à celui des administrateurs en cause dans l'affaire Mentmore, précitée, il semble que la participation de M. Czarnogorski ait été bien moins importante.

[23]            En ce qui concerne la responsabilité personnelle du défendeur M. Czarnogorski, j'accorde plus de poids aux témoignages de M. Czarnogorski et de M. Sharpe (sur le rôle de M. Czarnogorski dans les affaires relatives à la SOCAN) qu'aux éléments de preuve consignés dans les registres téléphoniques et les rapports, dans la mesure où ceux-ci sont admissibles.

[24]            En résumé, l'action de la demanderesse est accueillie comme suit :

1.          Une déclaration selon laquelle la défenderesse KICKS a violé les droits d'auteur de la demanderesse sera émise.

2.          La demanderesse obtient des dommages-intérêts pour les violations de ses droits d'auteur ainsi qu'un renvoi pour en déterminer le montant.

3.          Il y aura restitution des bénéfices réalisés par la défenderesse en violation des droits d'auteur de la demanderesse, lesquels bénéfices seront déterminés dans le cadre d'un renvoi.


4.          La demanderesse obtient une injonction empêchant la défenderesse KICKS - que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire de ses administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - d'exécuter, d'autoriser ou de faire exécuter, dans des locaux sous son contrôle des oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'elle n'ait obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'elle en respecte les modalités.

5.          La demanderesse obtient une injonction empêchant la défenderesse KICKS - que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire de ses administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - de permettre, pour son profit personnel, qu'un lieu de divertissement soit utilisé pour l'exécution en public d'oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'elle n'ait obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'elle en respecte les modalités.

6.          Subsidiairement aux éléments 1 à 5 ci-dessus, au choix de la demanderesse, l'octroi des redevances auxquelles elle a droit en vertu de l'article 68.2 de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, à l'égard de toute exécution décrite précédemment.

7.          La demanderesse a droit aux intérêts avant jugement et après jugement.

[25]            L'action de la demanderesse contre le défendeur M. Czarnogorski est rejetée.

[26]            Aucuns dépens ne sont adjugés puisque les parties ont eu partiellement gain de cause.


                                                    ORDONNANCE

[27]            LA COUR ORDONNE :

1.          Une déclaration selon laquelle la défenderesse KICKS a violé les droits d'auteur de la demanderesse est émise.

2.          La demanderesse obtient des dommages-intérêts pour les violations de ses droits d'auteur ainsi qu'un renvoi pour en déterminer le montant.

3.          Il y aura restitution des bénéfices réalisés par la défenderesse en violation des droits d'auteur de la demanderesse, lesquels bénéfices seront déterminés dans le cadre d'un renvoi.

4.          La demanderesse obtient une injonction empêchant la défenderesse KICKS - que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire de ses administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - d'exécuter, d'autoriser ou de faire exécuter dans des locaux sous son contrôle des oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'elle n'ait obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'elle en respecte les modalités.


5.          La demanderesse obtient une injonction empêchant la défenderesse KICKS - que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire de ses administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, et ce directement ou indirectement - de permettre, pour son profit personnel, qu'un lieu de divertissement soit utilisé pour l'exécution en public d'oeuvres musicales dont la demanderesse détient les droits d'exécution, à moins qu'elle n'ait obtenu au préalable de la demanderesse une licence permettant ces actes et qu'elle en respecte les modalités.

6.          Subsidiairement aux éléments 1 à 5 ci-dessus, au choix de la demanderesse, l'octroi des redevances auxquelles elle a droit en vertu de l'article 68.2 de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, à l'égard de toute exécution décrite précédemment.

7.          La demanderesse a droit aux intérêts avant jugement et après jugement.

8.          L'action contre le défendeur M. Czarnogorski est rejetée.

9.          Aucuns dépens ne sont adjugés puisque les parties ont eu partiellement gain de cause.

                                                                                                    « John A. O'Keefe »              

                                                                                                                             Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 19 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                                 COUR FÉDÉRALE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1716-01

INTITULÉ :                                       LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE DU

CANADA

                - et -

KICKS ROADHOUSE INC., faisant affaire

sous le nom de HOW-DEE'S, et ANDREW

CZARNOGORSKI

                                                                 

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Les 18, 19 et 20 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 avril 2005

COMPARUTIONS :

A. Kelly Gill

Kevin Sartorio

POUR LA DEMANDERESSE

Ray Di Gregorio

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Camporese & Associates

Hamilton (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.