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Date : 20010829

Dossier : IMM-5530-00

Référence neutre : 2001 CFPI 967

ENTRE :

                                                                   AMOS LOUIS

                                                                                                                                     Demandeur

                                                                          - et -

                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                        Défendeur

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la « section d'appel » ) rendue le 18 octobre 2000, ordonnant le maintien, pour une autre année, du sursis d'exécution d'une mesure de renvoi de cinq ans dont bénéficie le demandeur depuis le 29 mars 1999. La section d'appel a imposé de nouvelles conditions au demandeur.


FAITS

[2]                Le demandeur est né en Haïti le 23 juillet 1970 et a obtenu le droit d'établissement au Canada le 3 octobre 1991. Il est marié avec Yvette Borno depuis le 20 août 1990 et trois enfants sont issus de cette relation. Le demandeur a également trois autres enfants.

[3]                En 1993, le demandeur s'est séparé de son épouse quand celle-ci a appris que le demandeur avait des enfants d'une autre femme en Haïti et qu'il avait l'intention de les parrainer.

[4]                Il est allé vivre chez un ami et s'occupait à plusieurs travaux. En juin 1997, le demandeur a été arrêté pour possession de 30 roches de crack dans le but de les revendre pour faire de l'argent. Il a été trouvé coupable et une peine de deux ans de prison lui a été imposée.

[5]                Le 17 janvier 1998, il fut libéré sous condition de résider dans une maison de transition pour une période de 6 mois.

[6]                Depuis sa libération, le demandeur a repris vie commune avec sa femme et ses enfants.


[7]                Le 11 mars 1998, une mesure d'expulsion fut prononcée contre le demandeur. Le demandeur a interjeté appel à l'encontre de cette mesure et le 29 mars 1999, la section d'appel a ordonné le sursis de l'exécution de la mesure de renvoi et a ordonné que le demandeur soit autorisé à demeurer au Canada sous réserve de certaines conditions.

[8]                Le 10 octobre 2000, la section d'appel a procédé à la révision du dossier du demandeur.

DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL

[9]                La partie défenderesse a fait valoir devant la section d'appel que le demandeur n'avait pas fait tous les efforts possibles pour se procurer un emploi et qu'il avait bénéficié d'une assistance quelconque de la part du bien-être social, depuis que l'ordonnance avait été rendue en date du mois de mars 1999.

[10]            Pour sa part, le demandeur a fait valoir qu'il a observé toutes les conditions et que plus particulièrement depuis le mois de février 2000, lui et son épouse ne bénéficiaient plus d'aucune aide de la part du bien-être social.


[11]            Le demandeur a également fait valoir qu'il a subi un accident de travail ou du moins a subi des préjudices suite à un accident d'automobile et qu'il a produit auprès de la Société de l'assurance automobile du Québec ( « SAAQ » ) une réclamation, laquelle aurait été déclinée au cours de l'année 1999.

[12]            La section d'appel a conclu qu'il serait irresponsable de sa part, compte tenu de l'ensemble du dossier, de mettre fin au sursis et d'accueillir l'appel. La section d'appel a noté que les gestes reprochés au demandeur étaient des gestes graves pour la société mais elle a également noté que depuis au moins février 2000, le demandeur a fait des efforts pour ne plus bénéficier de l'aide sociale, ce qui oblige même son épouse à aller travailler après avoir abandonné, pour un moment du moins, ses études d'infirmière.

[13]            La section d'appel a maintenu la décision rendue en mars 1999 aux mêmes conditions et a ajouté la condition suivante :

9.              Faire la preuve de sa réclamation à la SAAQ (décision et inscription en appel devant le tribunal administratif du Québec) et soumettre suivi médical et rapport d'impôt (avis de cotisation) lors de la prochaine révision.


QUESTIONS EN LITIGE

[14]            1-          La section d'appel a-t-elle tenu compte de considérations étrangères en arrivant à sa conclusion?

2-          La décision de la section d'appel est-elle déraisonnable?

ANALYSE

1-         La section d'appel a-t-elle tenu compte de considérations étrangères en arrivant à sa conclusion?

[15]            Le paragraphe 74(2) de la Loi sur l'immigration prévoit :

(2) En cas de sursis d'exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d'appel. Celle-ci réexamine le cas en tant que de besoin.

(2) Where the Appeal Division disposes of an appeal by directing that execution of a removal order or conditional removal order be stayed, the person concerned shall be allowed to come into or remain in Canada under such terms and conditions as the Appeal Division may determine and the Appeal Division shall review the case from time to time as it considers necessary or advisable.

[16]            Le paragraphe 74(3) mentionne :

(3)    Dans le cas visé au paragraphe (2), la section d'appel peut, à tout moment:

(3)    Where the Appeal Division has disposed of an appeal by directing that execution of a removal order or conditional removal order be stayed, the Appeal Division may, at any time,

   a) modifier les conditions imposées ou en imposer de nouvelles;

   (a) amend any terms and conditions imposed under subsection (2) or impose new terms and conditions; or

   b) annuler son ordre de surseoir à l'exécution de la mesure, et parallèlement:

   (b) cancel its direction staying the execution of the order and

(i) soit rejeter l'appel et ordonner l'exécution dès que les circonstances le permettent,

(i) dismiss the appeal and direct that the order be executed as soon as reasonably practicable, or

(ii) soit procéder conformément au paragraphe (1).

(ii) allow the appeal and take any other action that it might have taken pursuant to subsection (1).

[17]            Le demandeur soutient que la section d'appel, dans les motifs de sa décision, a ajouté un motif étranger au reproche qui lui a été fait par la partie défenderesse en soulignant que les gestes reprochés au demandeur, soit d'avoir été trouvé en possession de 30 roches de "crack", sont des gestes graves pour la société.

[18]            Le demandeur fait remarquer qu'il n'a ni été mis en preuve ni prouvé que le demandeur avait contrevenu à la condition no 5 de l'ordonnance qui lui interdit de ne pas avoir de drogues en sa possession puisque le seul reproche soulevé par la partie défenderesse, pour s'opposer à la levée du sursis et à l'annulation de la mesure de renvoi, était uniquement relatif à la condition no 3 de l'ordonnance, c'est-à-dire, au recours à l'aide sociale.

[19]            Le demandeur soutient que ce motif retenu par la section d'appel est tout à fait arbitraire et abusif.

[20]            À mon avis, lorsque la section d'appel réexamine un cas comme en l'espèce, la section d'appel doit considérer toutes les circonstances de l'affaire puisqu'elle a le pouvoir de modifier les conditions imposées auparavant, accueillir ou rejeter l'appel d'un demandeur. Pour ce faire, la section d'appel doit prendre en considération tous les facteurs pertinents y compris les faits reprochés au demandeur.

[21]            Que de nouveaux faits soient reprochés au demandeur ne fait pas en sorte que la section d'appel ne doit pas considérer les autres faits qui furent reprochés au demandeur lorsqu'un sursis fut accordé. La section d'appel qui réexamine un cas ne doit pas seulement considérer les faits nouveaux mais doit considérer les faits nouveaux en regard des circonstances de l'affaire, ce qui inclut les faits qui étaient devant la section d'appel qui a accordé le sursis. Bien entendu, sur la base des mêmes faits et si aucun fait nouveau n'a surgi, il se peut qu'une section d'appel ne soit pas justifiée de rejeter un appel lorsque la section d'appel précédente a accordé un sursis. Cependant, lorsqu'il s'agit d'accueillir un appel comme en l'espèce, la section d'appel est justifiée de prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire i.e. les anciennes et les nouvelles circonstances.


[22]            Dans Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995], A.C.F. no 1295 (C.F. 1ère Inst.), le juge McKay a indiqué, relativement aux facteurs dont la section d'appel dans cette affaire avait tenu compte afin d'annuler un sursis qui avait été donné quelques années auparavant :

Si l'on se remémore les facteurs dont le tribunal a tenu compte en l'espèce, tant les louables efforts du requérant pour s'amender après sa libération conditionnelle totale que son casier judiciaire - les actes criminels les plus graves qui y figurent ont été perpétrés après le sursis d'exécution de la mesure de renvoi accordé par le prédécesseur de la section d'appel au milieu des années 80 - les antécédents médicaux du requérant relatifs à une grave blessure aux conséquences néfastes, et ses tendances criminelles considérées en grande part comme étant imputables à des traits de caractère, on constate que tous ces facteurs ne démontrent pas que la conclusion du tribunal, une question de jugement, peut être qualifiée de déraisonnable.

[23]            La considération de la gravité des gestes reprochés au demandeur est également consistante avec la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Chieu c. Canada (M.C.I.), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.F.) où il fut souligné que la section d'appel devait examiner les circonstances particulières d'une affaire afin de déterminer si la mesure d'expulsion a été prononcée correctement et équitablement et a ajouté :

[18] ... Ces considérations peuvent comprendre les sujets suivants, mais elles ne seraient pas limitées à celles-ci :

·                la gravité de l'infraction à l'origine de l'expulsion;

·                la possibilité de réhabilitation (si un crime a été commis);

·                les répercussions du crime (si un crime a été commis) pour la victime;


·                les remords du demandeur (si un crime a été commis);

·                la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant ici;

·                la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

·                les effort faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction;

·                le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité.

2-          La décision de la section d'appel est-elle raisonnable?

[24]            Le demandeur souligne également que la preuve faite à l'audience a démontré que l'accident d'automobile a été la cause de la diminution des revenus du couple et qu'à partir du mois de février 2000, le demandeur a renoncé à l'aide sociale parce que, malgré sa santé, il a décidé de subvenir aux besoins de sa famille par ses propres moyens et avec l'aide de son épouse.

[25]            Le demandeur soutient donc qu'il n'est pas raisonnable que la section d'appel lui reproche une situation dont il n'a pas été responsable et à laquelle il s'est empressé de remédier au risque de mettre sa santé en péril.


[26]            Le demandeur allègue qu'il s'est conformé intégralement à l'ordonnance du tribunal du 29 mars 1998 et que les motifs sur lesquels la section d'appel fonde sa décision sont arbitraires et abusifs parce qu'ils ne sont pas appuyés par la preuve faite à l'audience.

[27]            Contrairement à la prétention du demandeur, je ne crois pas que la section d'appel a erré en considérant que le demandeur avait bénéficié de l'aide sociale et en décidant de ne pas accueillir l'appel du demandeur à ce moment. La section d'appel pouvait considérer le fait que le demandeur avait bénéficié d'aide sociale. La section d'appel a également tenu compte du fait que le demandeur a subi un accident de travail ou du moins a subi des préjudices suite à un accident d'automobile. La décision de la section d'appel n'a pas été basée seulement sur le fait que le demandeur a bénéficié d'aide sociale. Elle fut prise en considérant la gravité des actions du demandeur mais également en soulignant que le demandeur a fait des efforts depuis février 2000 pour ne plus bénéficier d'aide sociale.

[28]            À mon avis, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la décision de la section d'appel était déraisonnable à la lumière de la preuve, et la section d'appel a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale.


[29]            Cette demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[30]            Aucun des procureurs n'a suggéré une question pour fin de certification.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 29 août 2001

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