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Date : 20021017

Dossier : T-1050-01

Référence neutre :2002 CFPI 1086

Ottawa (Ontario), le jeudi 17 octobre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                    KURT ALEXANDER HIEBERT

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Par la présente demande, M. Hiebert sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la présidente indépendante du tribunal disciplinaire de l'établissement de Bath dans laquelle il a été déclaré coupable d'une infraction à l'alinéa 40(1)l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20 (la Loi). M. Hiebert avait été accusé d'avoir refusé de fournir l'échantillon d'urine qui lui avait été demandé dans le cadre du programme de prises d'échantillons d'urine effectuées au hasard.

[2]                 M. Hiebert ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision. Il prétend plutôt que l'audience disciplinaire a été viciée en raison de la présence à l'audience de M. Niles. À l'époque en cause, ce dernier était le coordonnateur par intérim des Opérations correctionnelles également coordonnateur du programme de prises d'échantillons d'urine à l'établissement de Bath. M. Niles a également participé à l'audience disciplinaire en qualité d'agent désigné pour faciliter la tenue de l'audience sous l'empire des articles 19 à 22 de la Directive du commissaire no 580 (la « DC 580 » ) intitulée « Mesures disciplinaires prévues à l'endroit des détenus » .

[3]                 M. Hiebert prétend expressément que :

1.          La présence d'un membre du personnel du Service correctionnel qui agit en qualité d'agent désigné à une audience disciplinaire est contraire à la loi.

2.          La présidente indépendante a violé les principes de justice naturelle en permettant la tenue de l'audience à laquelle M. Niles était l'agent désigné, parce que ce dernier était directement impliqué dans l'incident pertinent.


3.          La présidente indépendante a violé les principes de justice naturelle en permettant la tenue de l'audience à laquelle M. Niles était l'agent désigné, parce que ce dernier cumulait, dans le cadre de la procédure disciplinaire, des fonctions qui se chevauchaient, créant ainsi une crainte raisonnable de partialité institutionnelle.

[4]                 Voici les motifs pour lesquels je rejette ces prétentions et la demande de contrôle judiciaire.

(i) La nature des instances disciplinaires

[5]                 La notion d'équité n'est ni abstraite ni absolue. Il est par conséquent nécessaire d'examiner la nature de l'instance en question, afin de situer l'obligation d'agir équitablement et d'examiner les arguments avancés par M. Hiebert.


[6]                 Dans l'arrêt Re Therrien, [2001] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 81, la Cour suprême a fait remarquer que depuis l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Reg. Police Commrs., [1979] 1 R.C.S. 311, l'obligation de respecter les règles de justice naturelle a été étendue à l'ensemble des organismes administratifs qui agissent sous l'autorité de la loi. Dans ce contexte, les règles de justice naturelle sont désignées sous le vocable de règles d'équité procédurale ou de l'obligation d'agir équitablement. L'obligation d'agir équitablement est déclenchée par le fait qu'une décision soit de nature administrative et porte atteinte aux droits, privilèges ou biens d'une personne. Voir également les arrêts Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[7]                 La nature et l'étendue de l'obligation d'agir équitablement « sont éminemment variables et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » . Voir l'arrêt Baker, précité, au paragraphe 21.

[8]                 Dans le contexte des mesures disciplinaires à l'endroit des détenus, dans l'arrêt Boudreau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2016 (1re inst.), le juge Dubé a écrit ce qui suit au paragraphe 7 :

La jurisprudence a établi des principes généraux quant à la nature des audiences disciplinaires dirigées par un président indépendant d'un tribunal disciplinaire. Ces audiences n'ont aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire. Elles constituent purement des procédures administratives. Il n'y a aucune obligation de se conformer à une procédure particulière ou de respecter les règles de preuve. Cependant, il existe un devoir général d'agir avec équité en ce sens que le prisonnier doit connaître les allégations et le témoignage faits contre lui et doit pouvoir disposer d'une occasion raisonnable de répondre. Ces audiences ne doivent pas être menées comme une procédure accusatoire mais comme une procédure d'enquête, en ce que le président doit étudier les deux côtés de la question. La cour n'a pas à réviser le témoignage comme elle le ferait dans une affaire jugée par un tribunal judiciaire ou lors de la révision d'une décision d'un tribunal quasi judiciaire, mais la cour doit se limiter à considérer s'il y a vraiment un manquement au devoir général d'agir avec équité. En dernier lieu, la discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé qu'en cas de sérieuse injustice. [Note de bas de page omise et non souligné dans l'original.]

[9]                 Ces principes ont été récemment reformulés par le juge Kelen dans l'arrêt Forrest c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539.


(ii) La présence à l'audience d'un membre du personnel du Service correctionnel en qualité d'agent désigné

[10]            Dans son premier motif de plainte, M. Hiebert fait valoir que ni la Loi ni le règlement pris en application de la Loi (Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement)) n'autorisent un agent désigné du Service correctionnel à apporter son concours au président indépendant à une audience disciplinaire. Étant donné que la Loi prévoit à l'article 39 que seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline, on affirme que la présence de l'agent désigné n'est pas autorisée par la loi.

[11]            J'estime que cette prétention est mal fondée. Il est vrai que ni la Loi ni le Règlement ne prévoient la présence d'un agent désigné; il est cependant vrai également que ni la Loi ni le Règlement n'interdisent la présence d'un agent désigné.

[12]            L'objet de l'article 39 de la Loi est d'assurer que les audiences disciplinaires sont conduites conformément à la Loi et au Règlement. La Loi et le Règlement établissent ensemble des procédures de base qui doivent être respectées aux audiences disciplinaires. Il ne s'ensuit pas logiquement qu'il est contraire à la loi d'ajouter quoi que ce soit à ce processus, dès lors qu'il n'y a pas violation de l'obligation d'agir équitablement.

(iii) La nature de l'intervention de M. Niles

[13]            Les articles 8, 9, 19 et 22 de la DC 580 sont pertinents quant à cet argument. Ils prévoient :




DÉTERMINATION DE LA CATÉGORIE D'INFRACTION

8. Le directeur du pénitencier doit étudier chaque rapport d'infraction et peut, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes, porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave. Il doit préciser en vertu de quel paragraphe de l'article 40 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, l'accusation est déposée. Le directeur peut déléguer ses pouvoirs à un agent désigné à cette fin, soit expressément, soit en fonction du poste qu'il occupe, dans des ordres permanents du pénitencier. En raison de la gravité des conséquences d'une accusation d'infraction disciplinaire, il incombe au directeur de s'assurer que l'agent désigné détient un poste de gestionnaire supérieur (d'ordinaire, un poste de gestionnaire d'unité ou plus élevé). La personne qui porte l'accusation ne doit pas avoir été impliquée dans l'incident ayant motivé le rapport d'infraction. La catégorie d'infraction doit être déterminée selon les lignes directrices suivantes :

Infraction mineure

a. lorsqu'un détenu adopte une attitude négative envers les règles du pénitencier régissant la conduite des détenus;

Infraction grave

b. lorsqu'un détenu commet une grave infraction à la sécurité, manifeste un comportement violent, commet ou tente de commettre un acte pouvant donner lieu à ce genre de comportement chez les autres détenus ou avoir des conséquences nuisibles pour les employés et les détenus.

9. Si un détenu est accusé en vertu du paragraphe 40 k) ou l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, il sera normalement réputé avoir commis une infraction grave et sera jugé par un président indépendant.

[...]

AGENT DÉSIGNÉPOUR FACILITER LA TENUE DE L'AUDIENCE

19. Le directeur de l'établissement doit désigner deux (2) agents du Service, dont un suppléant, pour veiller à la continuité du processus disciplinaire. Ces agents doivent être titulaires d'un poste de surveillant correctionnel ou plus élevé. L'agent désigné doit fournir de l'aide et tout renseignement ou document dont le président pourrait avoir besoin afin de faciliter la tenue de l'audience.

[...]

22. Advenant que l'agent désigné soit directement impliqué dans l'incident doit être entendu, il ne doit pas s'acquitter des fonctions mentionnées plus haut pour le cas en question.

DETERMINATION OF THE CATEGORY OF OFFENCE

8. The institutional head shall review each offence report and may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence, specifying under which subsection of section 40 of the Corrections and Conditional Release Act the charge is laid. The institutional head may delegate this authority to a staff member designated, by name or position for that purpose, in institutional Standing Orders. As the implications of a disciplinary charge are serious, the institutional head should ensure that those designated are at a senior manager level. Normally, such delegation should not be below the level of Unit Manager. The person issuing the charge shall have no involvement in the incident which precipitated the offence report. The following guidelines shall be used in determining whether the offence is minor or serious:

Minor Offence

a. where an inmate exhibits negative or non-productive behaviour towards institutional rules governing the conduct of inmates;

Serious Offence

b. where an inmate commits a serious breach of security, exhibits violent behaviour, commits or attempts to commit an act that could generate such behaviour on the part of others, or could cause harmful consequences to staff members or inmates.

9. If an inmate is charged under subsection 40 (k) or (l) of the Corrections and Conditional Release Act, this will normally be considered a major offence and will be heard by the independent chairperson.

[...]

MEMBER DESIGNATED TO ASSIST IN THE HEARING PROCESS

19. The institutional head shall designate a member, and an alternate member of the Service, at the correctional supervisor level or above, to provide continuity and to facilitate the disciplinary process. This member shall provide assistance and any details or documents requested by the chairperson in order to facilitate the hearing.

[...]

22. In the event the designated member is directly involved in an incident to be heard, the member shall not act in the aforementioned position for that

case.


[14]            M. Hiebert affirme que, contrairement à l'article 8 et à l'article 22 de la DC 580, M. Niles était directement impliqué dans le processus; son intervention dépassait le rôle prévu par la DC 580 et que, dans les circonstances, il y avait eu violation de l'obligation d'agir équitablement.

[15]            Cet argument exige que l'on examine soigneusement la nature et l'étendue de l'intervention de M. Niles à l'audience et dans les événements qui y ont mené.

[16]            En qualité de coordonnateur du programme de prises d'échantillons d'urine à l'établissement de Bath, chaque mois, M. Niles recevait une liste de noms de détenus devant faire l'objet ce mois-là de prises d'échantillons d'urine au hasard. La liste était produite par l'administration centrale du Service correctionnel du Canada. En collaboration avec le responsable de la collecte des échantillons d'urine, M. Niles établissait les dates auxquelles les échantillons d'urine devaient être obtenus des détenus dont les noms figuraient sur la liste. Les dates étaient fixées suivant l'ordre dans lequel les noms apparaissaient sur la liste.


[17]            M. Niles ne participait pas à la collecte même des échantillons d'urine. Il n'était pas présent lorsqu'on avait demandé à M. Hiebert de fournir un échantillon d'urine, ni lorsque les conséquences du refus avaient été expliquées à ce dernier, ni lorsque M. Hiebert avait refusé de fournir l'échantillon, ni lorsque ce dernier avait signé les formules nécessaires. La Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve indiquant qu'il y avait eu une interaction personnelle entre M. Niles et M. Hiebert au cours des événements en question.

[18]            M. Niles a reçu un rapport d'infraction dressé par le responsable de la collecte des échantillons d'urine. En qualité de coordonnateur par intérim, Opérations correctionnelles, M. Niles avait la responsabilité d'examiner le rapport d'infraction, de décider s'il y avait lieu de déposer une plainte, et d'établir la catégorie de l'infraction. L'article 9 de la DC 580 fait ressortir le pouvoir discrétionnaire limité qu'exerçait M. Niles dans la qualification de l'infraction en cas de refus de fournir un échantillon d'urine.


[19]            À l'audience disciplinaire, M. Niles a apporté son concours à la présidente indépendante à sa demande et en conformité avec la DC 580. Après un examen minutieux de la transcription de l'audience, j'estime qu'on peut vraiment affirmer que M. Niles a répondu à l'objection soulevée par l'avocate de M. Hiebert quant à sa présence, qu'il a répondu aux questions que lui a adressées l'avocate de M. Hiebert, qu'il a répondu aux questions que lui a adressées la présidente, et qu'il a répondu à la demande de la présidente de faire des observations quant à la sanction à imposer. M. Niles n'a pas interrogé M. Hiebert.

[20]            À la lumière de ces faits, je conclus que M. Niles n'était pas « directement impliqué dans l'incident [devant] être entendu » tel que l'interdit l'article 22 de la DC 580. L'incident devant être entendu avait trait à la demande d'un échantillon d'urine et au refus de le fournir. M. Niles n'avait aucune connaissance personnelle de ces événements et il n'y avait pas non plus participé.

[21]            Il est vrai que l'avocate de M. Hiebert avait indiqué qu'une question serait soulevée quant à savoir si le processus de sélection au hasard suivi était conforme aux lignes directrices de la Directive du commissaire no 572. Je suis convaincue, à l'issue de l'examen des lignes directrices ainsi que de la nature des questions soulevées par l'avocate à l'audience, que M. Niles n'a été impliqué que de façon accessoire aux événements à la source des préoccupations de l'avocate. Essentiellement, l'avocate était préoccupée par le fait qu'en permettant à M. Niles de décider s'il y avait lieu de déposer une accusation, on avait attribué une fonction de surveillance à M. Niles à l'égard de ses propres fonctions. En fait, la présidente indépendante qui avait entendu l'accusation était investie de la fonction de surveillance. L'avocate n'a pas posé de question concernant le caractère aléatoire de la demande, la liste fournie par l'administration centrale a été produite à l'audience. Le responsable de la collecte des échantillons d'urine a témoigné sur la façon dont il utilisait la liste.


[22]            Sous réserve du seul point que j'indiquerai plus loin, je conclus que le comportement de M. Niles à l'audience n'a aucunement dépassé la fourniture de l'aide demandée par la présidente afin de faciliter la tenue de l'audience de la manière prévue à l'article 19 de la DC 580.

[23]            À mon avis M. Niles n'a rien fait qui violerait le volet de l'obligation d'agir équitablement qui est le droit d'être entendu.

[24]            À mon avis, la seule chose critiquable faite par M. Niles était lorsque, en réponse à la question de la présidente indépendante de savoir si M. Niles avait des questions à poser à M. Hiebert, M. Niles a tenu des propos non sollicités. M. Niles a relaté avoir eu une conversation avec une infirmière concernant la nature de l'état de santé de M. Hiebert. Toutefois, après cet incident, M. Hiebert a immédiatement déclaré volontairement [TRADUCTION] « Je ne parle pas de cela. C'est correct ce qu'ils disent » . Dans les circonstances où le renseignement fourni n'était pas controversé, où la propre avocate de M. Hiebert a posé des questions à M. Niles qui ont nécessité une élaboration des propos non sollicités de ce dernier, où il s'agissait d'une instance administrative de nature inquisitoire et où a été donnée une occasion raisonnable de répondre aux propos de M. Niles, je ne puis conclure qu'il y a eu violation de l'obligation d'agir équitablement.

[25]            Par ailleurs, sur le fond, le renseignement fourni par M. Niles lui avait été demandé par la présidente après que ce dernier ait initialement fait son commentaire d'ordre général.


[26]            Donc, en résumé à cet égard, je conclus d'après la preuve, que M. Niles n'était pas directement impliqué dans le processus comme l'interdisent les articles 8 et 22 de la DC 580. Essentiellement, la conduite de M. Niles relevait de la fourniture d'une assistance à la présidente indépendante tel qu'il est prévu à l'article 19 de la DC 580. D'après les faits de la présente espèce, je suis convaincue que la conduite de M. Niles n'a pas porté atteinte au droit de M. Hiebert de participer pleinement et équitablement à l'audience.

[27]            Le résultat pourrait être différent dans une autre affaire dont les faits seraient différents. Il va sans dire qu'il est préférable que l'agent désigné soit aussi éloigné que possible des faits qui font l'objet de l'audience disciplinaire.

(iv) Le droit à une audition impartiale

[28]            Le second volet de l'obligation d'agir équitablement est le droit à une audition impartiale. Lorsque, comme en l'espèce, il y a allégation de partialité institutionnelle, le critère applicable est de savoir si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, aurait une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas. Voir par exemple, Re Therrien, précité, aux paragraphes 82 et 102.


[29]            En l'espèce, M. Hiebert fait valoir qu'il a été soulevé une crainte raisonnable de partialité parce que « les caractéristiques institutionnelles du processus disciplinaire pouvaient porter atteinte » à l'état d'esprit de la présidente indépendante et parce que M. Niles cumulait plusieurs rôles qui se chevauchaient dans le cadre de l'audience ainsi que dans la procédure qui a mené à l'audience.

[30]            Il a particulièrement invoqué les propos tenus par le juge Gonthier, s'exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, dans la partie du paragraphe 60 où le juge Gonthier a écrit :

Le fait que la Régie, en tant qu'institution, participe au processus d'enquête, de convocation et d'adjudication ne pose pas en soi problème. Cependant, la possibilité qu'un régisseur particulier décide, suite à l'enquête, de tenir une audition, et puisse ensuite participer au processus décisionnel, soulèverait chez la personne bien renseignée une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas. Tout comme dans le cas des juristes de la Régie, une certaine forme de cloisonnement entre les régisseurs impliqués à diverses étapes du processus me semble requise afin de répondre à cette crainte de partialité.

[31]            En toute déférence, la prétention de M. Hiebert ne tient pas compte du fait que le droit à une audition équitable découle de la règle nemo judex in sua causa. Une partie à une instance doit légitimement s'attendre à ce qu'un arbitre impartial dispose de ses prétentions. Ainsi, les causes fondées sur la partialité institutionnelle surviennent dans les situations où il y a chevauchement entre les fonctions d'enquête et les fonctions décisionnelles.

[32]            Au paragraphe 44 de l'arrêt Régie des permis d'alcool, la Cour suprême du Canada a expliqué que pour déterminer l'existence de la partialité institutionnelle, bien que tous les facteurs doivent être considérés, « les garanties prévues dans la loi pour contrer les effets préjudiciables de certaines caractéristiques institutionnelles doivent recevoir une attention particulière » .


[33]            En l'espèce, la Loi prévoit à l'article 39 que seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline.

Les paragraphes 43(1) et 43(3) de la Loi prévoient :


43. (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.

[...]

43. (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

[...]

43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.


[34]            Les articles 24, 31 et les paragraphes 27(2) et 33(1) du Règlement sont également pertinents. Ils prévoient :



24. (1) Le ministre doit nommer :

a) à titre de président indépendant chargé de procéder à l'audition des accusations d'infraction disciplinaire grave, une personne qui connaît le processus de prise de décisions administratives et qui n'est pas un agent ou un délinquant;

b) pour chaque région, un premier président indépendant choisi parmi les présidents indépendants de la région.

(2) Le premier président régional doit :

a) conseiller les présidents indépendants de sa région et, de concert avec le Service, voir à leur formation;

b) promouvoir auprès des présidents indépendants de sa région le principe que pour des infractions disciplinaires semblables commises dans des circonstances semblables doivent être infligées des peines semblables;

c) procéder à des échanges de renseignements avec les autres premiers présidents régionaux.

(3) Les personnes nommées conformément au paragraphe (1) occupent leur poste à titre inamovible pour un mandat qui ne dépasse pas cinq ans et qui peut être reconduit par le ministre.

(4) Les présidents indépendants sont rémunérés aux taux fixés par le Conseil du Trésor et reçoivent des indemnités de séjour et de déplacement, selon les taux prévus dans la Directive du Conseil du Trésor sur les voyages, pour les dépenses liées à :

a) la tenue d'une audition disciplinaire;

b) leur participation à des séances d'information;

c) leur participation à des séances d'initiation et de formation;

d) leur participation à des séances de consultation avec des agents ou des détenus;

e) l'accomplissement de tâches connexes à la demande du Service.

[...]

27(2) L'audition relative à une infraction disciplinaire grave doit être tenue par un président indépendant sauf que, dans les cas exceptionnels où le président indépendant ne peut tenir l'audition et ne peut être remplacé par un autre président indépendant dans un délai raisonnable, le directeur du pénitencier peut la tenir à sa place.

[...]

31. (1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l'audition, y compris quant à la peine qui s'impose.

(2) Le Service doit veiller à ce que le détenu accusé d'une infraction disciplinaire grave ait, dans des limites raisonnables, la possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et de lui donner des instructions en vue de l'audition disciplinaire et que cet avocat puisse prendre part aux procédures au même titre que le détenu selon le paragraphe (1).

[...]

33. (1) Le Service doit veiller à ce que toutes les auditions disciplinaires soient enregistrées de manière qu'elles puissent faire l'objet d'une révision complète.

24. (1) The Minister shall appoint

(a) a person, other than a staff member or an offender, who has knowledge of the administrative decision-making process to be an independent chairperson for the purpose of conducting hearings of serious disciplinary offences; and

(b) a senior independent chairperson for each region from among the independent chairpersons of that region.

(2) A senior independent chairperson shall

(a) advise and, in conjunction with the Service, train the independent chairpersons in the senior independent chairperson's region;

(b) promote the principle among the independent chairpersons in the senior independent chairperson's region that similar sanctions should be imposed for similar disciplinary offences committed in similar circumstances; and

(c) exchange information with the senior independent chairpersons of other regions.

(3) A person appointed pursuant to subsection (1) shall hold office during good behaviour for a period of not more than five years, which period may be renewed by the Minister.

(4) An independent chairperson shall be remunerated at a rate determined by the Treasury Board and given travel and living expenses in accordance with the Treasury Board Travel Directive for travel and living expenses related to

(a) conducting a hearing of a disciplinary offence;

(b) participating in an information session;

(c) participating in an orientation and training session;

(d) participating in a consultation session with staff members or inmates; and

(e) performing related duties at the request of the Service.

[...]

27(2) A hearing of a serious disciplinary offence shall be conducted by an independent chairperson, except in extraordinary circumstances where the independent chairperson or another independent chairperson is not available within a reasonable period of time, in which case the institutional head may conduct the hearing.

[...]

31. (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate's behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

(b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

(2) The Service shall ensure that an inmate who is charged with a serious disciplinary offence is given a reasonable opportunity to retain and instruct legal counsel for the hearing, and that the inmate's legal counsel is permitted to participate in the proceedings to the same extent as an inmate pursuant to subsection (1).

[...]

33. (1) The Service shall ensure that all hearings of disciplinary offences are recorded in such a manner as to make a full review of any hearing possible.


[35]            Ces dispositions garantissent que toute audition disciplinaire ayant trait à une infraction disciplinaire grave sera conduite par une personne bien formée, indépendante de l'établissement, qui ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée. Le détenu jouit du plein droit de participer à l'audition. L'audition est enregistrée de manière qu'elle puisse faire l'objet d'une révision complète. Avant l'audition, il est accordé au détenu, dans des limites raisonnables, la possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et de lui donner des instructions en vue de l'audition disciplinaire.

[36]            En l'espèce, nul n'a laissé entendre que ces mesures de protection n'avaient pas été observées. Nul n'a laissé entendre que M. Niles a joué un rôle décisionnel.

[37]            Compte tenu de ces faits et des garanties de protection, et compte tenu de la nature de l'instance disciplinaire, je conclus qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, aurait une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas.

DÉPENS


[38]            Les dépens suivent normalement l'issue de la cause et le procureur général du Canada demande un montant non fixé à titre de dépens de la présente demande. M. Hiebert s'est opposé à cette demande, faisant valoir qu'il était nécessaire que la Cour se prononce sur les questions qu'il soulève.

[39]            À mon avis, les principes juridiques applicables aux questions soulevées sont bien établis. En conséquence, je n'ai pas été convaincue que les dépens ne devraient pas suivre l'issue de la cause. Par conséquent, M. Hiebert payera au défendeur des dépens que je fixe à 250 $.

ORDONNANCE

[40]            PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le demandeur payera au défendeur les dépens de la présente instance qui sont fixés à 250 $.

  

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                 T-1050-01

  

INTITULÉ :                               KURT ALEXANDER HIEBERT c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

  

LIEU DE L'AUDIENCE :        Ottawa (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :      le 24 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS : le 17 octobre 2002

  

COMPARUTIONS :                                                

  

Carol Blake                                              POUR LE DEMANDEUR

Monika Lozinska                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Carol Blake                                              POUR LE DEMANDEUR

Kingston (Ontario)

  

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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