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Date : 20020328

Dossier : IMM-2039-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

                                                 GABRIELLA KRISZTINA RADULY,

                                       KRISZTINA BARANYI, ANDRAS RADULY et

                                                              ANDRASNE RADULY

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« W.P. McKeown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Date : 20020328

Dossier : IMM-2039-01

Référence neutre : 2002 CFPI 354

ENTRE :

                                                 GABRIELLA KRISZTINA RADULY,

                                       KRISZTINA BARANYI, ANDRAS RADULY et

                                                              ANDRASNE RADULY

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]         La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 12 avril 2001 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]         Dans la présente affaire, il s'agit de déterminer : 1) si la Commission a commis une erreur de droit en ce qui a trait à la protection offerte par l'État en Hongrie; 2) si la Commission a commis une erreur de fait lorsqu'elle a conclu qu'il y avait une présomption de protection de l'État envers les Rom en Hongrie; et 3) si la décision était manifestement déraisonnable.


[3]         Les conclusions suivantes de la Commission sont pertinentes quant à la question de savoir si les Rom en Hongrie pouvaient se réclamer de la protection de l'État. Aux pages 5 et 6 de ses motifs, la Commission déclare :

[TRADUCTION] Le tribunal conclut que les revendicateurs ont établi leur identité en tant que Rom au moyen de leur propre témoignage.

[...]

À notre avis, les revendicateurs sont dans l'ensemble crédibles et dignes de foi. Ils ont témoigné de manière franche et spontanée et n'ont apparemment pas tenté d'induire le tribunal en erreur. Nous notons qu'ils ont eu de nombreuses occasions d'embellir leur témoignage quand des questions suggestives leur étaient posées, mais ils ne l'ont pas fait, ce qui est tout à leur honneur.

La Commission ajoute :

Nous savons que les Rom, en tant que peuple, ont connu un triste sort en Hongrie. [...] Ils ont été victimes de discrimination, d'humiliation et d'intolérance. Ils n'ont souvent pas accès au système de protection offert par l'État, soit par crainte, soit par ignorance

Par la suite, aux pages 8 et 9, la Commission affirme :

[TRADUCTION] Le tribunal est d'avis que la minorité rom en Hongrie dans son ensemble a été et continue d'être victime d'une discrimination qui est presque institutionnalisée, un triste fait que confirment les documents qu'on nous a présentés en preuve sur la situation dans le pays. Nous sommes toutefois tenus, compte tenu de notre conclusion selon laquelle les Rom de la Hongrie ne sont pas tous dans une situation semblable, d'évaluer le bien-fondé de chacune des revendications indépendamment du nombre de fois où nous avons conclu dans le passé que la discrimination et le harcèlement qu'étaient susceptibles de subir d'autres revendicateurs satisfaisaient au critère de persécution.

La demanderesse soutient qu'ayant dit cela, la Commission était tenue d'expliquer pourquoi la présente affaire était différente. La Commission ajoute :

[TRADUCTION] Le tribunal convient que les revendicateurs ont été victimes de discrimination en Hongrie. Il note que la revendicatrice a témoigné au sujet de la discrimination dont a été victime sa fille à l'école (et qui ressemblait à sa propre expérience à l'école), de la discrimination dont ont été l'objet ses parents au travail et de la discrimination qu'a subi sa famille dans des situations sociales. Cette discrimination est amplement corroborée par la preuve documentaire.

[...]


À notre avis, la preuve n'appuie pas la prétention selon laquelle on a porté atteinte aux droits humains fondamentaux des revendicateurs de façon systématique. Pour ce qui est du témoignage de la revendicatrice, il est malheureux que ce soit à l'école que sa fille ait connu la discrimination. Cependant, rien n'indique que cette discrimination a eu sur elle un effet tel qu'elle équivalait à de la persécution

[...]

On a soumis aucun élément de preuve convaincant indiquant que ce qu'ont subi les revendicateurs en l'espèce en Hongrie équivaut, même cumulativement, à de la persécution subie dans le passé, et indiquant que ce qu'ils sont susceptibles de subir s'ils retournent en Hongrie satisfait au critère de persécution.

[...]

Nous ne trouvons tout simplement aucun élément de preuve convaincant à l'appui de la proposition selon laquelle les quelque 500 000 Rom établis un peu partout en Hongrie sont de façon persistante et systématique la cible des racistes, des skinheads ou d'autres agents leur causant des préjudices graves. Nous reconnaissons qu'il y a des rapports indiquant que la violence contre les Rom augmente. Il n'est pas contesté que les agressions contre les Rom continuent de se produire, ni que le nombre de ces agressions soit difficile à déterminer; il n'est pas contesté non plus qu'il y ait probablement sous-déclaration de ces agressions.

La Commission a également reconnu que les deux frères de la demanderesse avaient été attaqués par des skinheads. Les frères de la demanderesse ont obtenu le statut de réfugié. Cependant, la Commission n'était saisie d'aucun élément de preuve indiquant que les demandeurs avaient été battus ou persécutés. À la page 13 de ses motifs, la Commission affirme :

[TRADUCTION] Le tribunal conclut que la crainte de la revendicatrice à l'égard des skinheads et des racistes ne constitue pas une crainte fondée de persécution à ce moment-ci.

Compte tenu des conclusions tirées précédemment, nous ne croyons pas que la question de la protection de l'État soit d'une importance majeure en l'espèce. Même si nous décidions que la crainte des revendicateurs est fondée, nous estimons que l'État hongrois fait des efforts sérieux pour protéger les droits des Rom et qu'il offre aux revendicateurs une protection raisonnable et adéquate.


[4]         À mon avis, la Commission avait raison de dire que la question de la protection de l'État ne revêtait pas une importance majeure en l'espèce puisque ses conclusions étaient raisonnables à l'égard des demandeurs. J'estime que la Commission ne dit pas que la question de la protection de l'État n'est pas un problème majeur, mais qu'elle dit plutôt que comme elle a conclu à l'absence de persécution, elle n'a pas à examiner cette question. Cependant, si la Commission a conclu à tort que les demandeurs n'étaient pas persécutés, j'ai certaines réserves en ce qui a trait à la deuxième phrase de la citation qui précède. La Commission avait dit auparavant à la page 11 :

[TRADUCTION] La preuve documentaire indique que les relations entre la communauté rom et la police se sont détériorées au cours des deux dernières années en dépit des pressions exercées par les gouvernements occidentaux et les groupes de défense des droits de la personne. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (l'OSCE) et le Conseil de l'Europe ont noté des cas d'agressions policières contre les Rom en Hongrie. Dans les Country Reports on Human Rights Practices for 1999, le département d'État des États-Unis a souligné que les Rom et les étrangers en Hongrie étaient victimes de violence policière et de discrimination. Cependant, en l'absence de données démographiques et comparatives pertinentes et en l'absence de précisions sur la question de savoir combien de Rom ont été maltraités, combien de policiers sont impliqués et où les agressions se sont produites, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve dans ces rapports pour qu'on puisse parvenir à une conclusion autre que celle voulant que certains policiers ont brutalisé des Rom au cours des deux dernières années, que les organismes de contrôle ont trouvé cela important et qu'elles ont à bon droit exprimé leur inquiétude.

Il s'agit là du fondement factuel de ce qui a été dit. Je ne crois pas que les commentaires de la Commission comportent une erreur de droit.

[5]         La Commission exprime certaines réserves quant aux faits lorsqu'elle affirme à la page 6 de ses motifs :

[TRADUCTION] Nous sommes également conscients que depuis la chute du communisme, le gouvernement hongrois a, plus que tout autre gouvernement d'Europe de l'Est, pris des mesures pour tenter de résoudre le problème des Rom. Bien que leurs résultats n'aient pas été à la hauteur des attentes, ces mesures nous empêchent de soutenir que la minorité rom est persécutée en Hongrie. Toutefois, on trouve des cas isolés de persécution, le plus souvent pour des motifs cumulés.

La Commission cite le Human Rights Watch World Report 2001 à l'appui de cette affirmation. Cependant, on ne dit pas dans ce rapport que les attentes n'ont pas été satisfaites. On dit plutôt :

[TRADUCTION] La plupart des objectifs à moyen terme du gouvernement hongrois à l'égard des droits des Rom n'avaient pas été atteints à la fin de 2000 [...]


On indique également dans ce rapport que [TRADUCTION] « les policiers eux-même commettent des actes de violence contre les Rom » . Dans la transcription, l'avocat de la demanderesse a cité l'extrait suivant du Human Rights Watch World Report 2000 : [TRADUCTION] « [...] les violations généralisées des droits de la personne par des acteurs étatiques [...] » les policiers; « [...] les agressions policières aveugles contre des Rom » , et ce thème se poursuit dans le Human Rights Watch World Report 2001. Le Human Rights Watch World Report 2001 indique clairement que comme les objectifs à moyen terme à l'égard des droits des Rom n'ont pas été remplis, « [...] il y a eu continuation de la discrimination dans les agressions policières et dans l'accès au logement, à l'emploi et à l'éducation » . Je note qu'il renvoie à la discrimination et non à la persécution, sauf en ce qui a trait aux agressions policières.


[6]         L'avocat de la demanderesse soutient que contrairement à l'arrêt Ward où on dit qu'il existe une présomption selon laquelle les États démocratiques sont censés offrir une protection à leurs citoyens, compte tenu de la preuve documentaire en l'espèce, on ne peut s'appuyer sur cette présomption dans le cas des Rom en Hongrie. En conséquence, le critère clair et convaincant établi dans l'arrêt Ward n'aurait pas à être rempli. Cependant, comme la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas persécutés, il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir s'il peut y avoir un cas où la présomption selon laquelle les États démocratiques sont en mesure de protéger leurs citoyens est inapplicable parce qu'il y a une preuve documentaire substantielle indiquant qu'une certaine minorité est de façon systématique la cible de l'État. En conséquence, je n'ai pas à tirer de conclusion de fait quant à savoir si les actes des policiers en Hongrie contre la minorité rom sont suffisamment abusifs pour supprimer la présomption. Je n'ai pas l'intention de tirer une conclusion de fait dans ces circonstances.


[7]        Comme troisième argument, on avance que la décision était manifestement déraisonnable. La demanderesse soutient que le tribunal n'a pas tenu aucun compte de certains éléments de preuve, mais qu'il a imposé aux demandeurs une exigence déraisonnable lorsqu'il leur a dit qu'ils devraient être tenus d'apporter des précisions sur la question de savoir combien de Rom sont maltraités, combien de policiers sont impliqués et où ces agressions ont eu lieu, et qu'ils devraient également être tenus de fournir des données démographiques et comparatives pertinentes. Encore une fois, comme cela se rapporte à la protection de l'État, je ne n'ai pas besoin de décider s'il s'agit d'une exigence déraisonnable, mais j'hésiterais certainement à approuver une exigence aussi rigoureuse. La demanderesse a également prétendu qu'il était déraisonnable pour le tribunal de ne pas expliquer pourquoi il pouvait conclure que le frère de la demanderesse était un réfugié au sens de la Convention alors qu'il ne pouvait faire de même pour elle. Le frère de la demanderesse a été battu par la police, mais il n'y a pas de preuve semblable en l'espèce. En conséquence, ils ne sont pas nécessairement dans une situation semblable et l'arrêt Salibian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1990] 3 C.F. 250 (C.A.) est inapplicable. Je ne suis pas d'accord que la Commission était tenue d'indiquer pourquoi ces Rom différaient des autres Rom qui ont été jugés faire l'objet de persécution. Il n'y a pas à prouver que tous les Rom sont persécutés et qu'ils deviennent automatiquement des réfugiés. Il incombe toujours aux demandeurs d'établir qu'ils ont été persécutés. Le fait qu'il y a un nombre considérable de minorités qui sont persécutés permettrait certainement de satisfaire au critère objectif qui consiste à établir que le demandeur serait persécuté, mais il y a à la fois un critère objectif et un critère subjectif de persécution.

[8]         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[9]         On a suggéré à la Cour de certifier la question de savoir si la présomption selon laquelle les pays démocratiques sont en mesure de protéger leurs citoyens est inapplicable en présence d'une preuve documentaire substantielle indiquant qu'une partie des citoyens est systématiquement la cible de l'État. Comme la réponse à cette question n'est pas déterminante en l'espèce sur le vu des faits dont je suis saisi, je n'ai pas certifié de question.

« W.P. McKeown »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2039-01

INTITULÉ :                                          Gabriella K. Raduly et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 21 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                        Le 28 mars 2002

COMPARUTIONS:

M. George J. Kubes                                                                       pour les demandeurs

M. John Loncar                                                                              pour le défendeur

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER:

M. George J. Kubes                                                                       pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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