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Date : 20040602

Dossier : T-346-02

Référence : 2004 CF 800

Ottawa, Ontario, ce 2ième jour de juin 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                          MICHEL THIBODEAU

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                  AIR CANADA ET AIR CANADA RÉGIONAL INC.

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

et

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

Intervenante

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une requête en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales L.R. (1985), ch. F-7 ( « Loi » ) et l'article 369 des Règles de la Cour fédérale 1985 ( « les Règles » ) pour l'émission d'une ordonnance de levée de la suspension des procédures, l'établissement d'un échéancier pour le déroulement du dossier et une ordonnance complémentaire. En date du 7 avril 2004, le demandeur déposait un affidavit complémentaire avec documents afin de mettre à jour son dossier. Le dépôt de cet affidavit et ces documents est accordé.

[2]                En l'espèce, le demandeur se plaint de ne pas avoir été servi en français par l'agente de bord lors de l'envolée d'Air Ontario (AC 1347) entre Montréal et Ottawa le 14 août 2000 et, suite à l'implication de la Commissaire aux langues officielles (une plainte fut déposée par le demandeur), celui-ci a introduit le 1er mars 2002 une demande à l'encontre d'Air Canada et Air Canada Régional Inc. en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles L.R.C. 1985, ch. 31 (4e Suppl.) ( « L.L.O. » ), le tout conformément à l'article 76 de la L.L.O. qui se lit ainsi:

le Tribunal visé à la présente partie est la section de première instance de la Cour fédérale.

[3]                Dans sa procédure, le demandeur présente un ensemble de demandes qui se résument ainsi:

-           une déclaration à l'effet qu'Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. sont assujetties à la L.L.O. et la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada ( « L.P.P.C.A.C. » );

-           une déclaration qu'Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. ne respectent pas leurs obligations linguistiques prévue à la partie IV de la L.L.O.;


-           une déclaration à l'effet que la violation des droits linguistiques prévus à la partie IV de la L.L.O. constitue également une violation des droits prévus aux articles 16 et 20 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte);

-           une déclaration à l'effet qu'Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. n'ont pas respecté leurs obligations prévues à la partie IV de la L.L.O. et à l'alinéa 10(2) a) de la L.P.P.C.A.C. lors du vol AC 1347 entre Montréal et Ottawa et en conséquence, auraient brimé les droits linguistiques du demandeur garantis par la Charte;

-           une déclaration à l'effet que les dispositions de la L.L.O. et de la L.P.P.C.A.C. ont préséance sur les dispositions des accords commerciaux ou des conventions collectives;

-           une ordonnance mandatoire contre Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. de prendre toutes les mesures pour que le public puisse communiquer et recevoir tous les services en français;

-           instaurer des procédures et un système de surveillance pour identifier, documenter et quantifier les violations aux droits linguistiques;

-           une condamnation à une somme de 25 000 $ en dommages-intérêts et à 500 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires;


-           une ordonnance mandatoire obligeant Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. à remettre une lettre d'excuse au demandeur qui serait affichée dans tous les comptoirs de services à la clientèle d'Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. pendant une période de deux semaines;

-           une déclaration à l'effet qu'Air Canada et sa filiale Air Canada Régional Inc. sont légalement tenus d'offrir les services en français tel que prévu à la partie IV de la L.L.O., de la L.P.P.C.A.C.; et

-           une déclaration à l'effet qu'Air Canada et sa filiale ont manqué à leur devoir d'offrir les services en français aux passagers francophones.

[4]                Le 1er avril 2003, l'Honorable juge Farley de la Cour supérieure de l'Ontario accordait à Air Canada ainsi que certaines de ses filiales, la protection de leurs créanciers (y incluant le sursis des procédures judiciaires) afin que celles-ci puissent procéder de façon ordonnée à une restructuration commerciale, corporative, financière et opérationnelle nécessaire, le tout en vertu de la Loi sur les arrangements des créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C-36

( « L.A.C.C. » ), ladite ordonnance ayant été renouvelée jusqu'à ce jour.

[5]                Le 5 octobre 2003, à la demande des défendeurs, j'ordonnais la suspension des présentes procédures jusqu'à ce que l'ordonnance de sursis du juge Farley soit définitivement levée et je permettais au demandeur ainsi qu'à la Commissaire aux langues officielles du Canada (ayant le statut "d'intervenante" limité à débattre une question de droit) de demander la levée de la suspension des procédures, ce que le demandeur a fait par requête le 10 novembre 2003.

[6]                À titre d'information pour la compréhension du présent jugement, le juge Farley, en date du 18 septembre 2003, a émis une ordonnance intitulée "Claims Procedure Order (CPO)" établissant la procédure à suivre pour effectuer une réclamation en vertu de la protection octroyée en vertu de la L.A.C.C. La CPO comprend une définition du terme "Claim" (ou demande) qui se lit ainsi:

« Demande » comprend tous les droits de toute personne contre un ou plusieurs des demandeurs en connexion avec toutes sortes d'endettements, créances ou obligations des demandeurs [...] qu'elles soient [...]contestées ou non, [...] actuelles, futures, connues ou inconnues, [...]basées en tout ou partie sur les faits tels qu'ils existaient avant le 1er avril.

La procédure à suivre selon la CPO est la suivante:

a)         les personnes voulant déposer une réclamation devaient déposer, au plus tard le 17 novembre 2003, une preuve de réclamation auprès du contrôleur désigné par le juge Farley;

b)         toute réclamation pour laquelle aucune preuve de réclamation n'est transmise le 17 novembre 2003 est alors éteinte et le créancier de cette réclamation est à jamais prescrit d'exercer quelques recours que ce soit à cet égard;

c)         le contrôleur et Air Canada, de façon conjointe, doivent accepter, réviser ou rejeter le montant réclamé - ce qui est l'étape à laquelle la présente affaire se trouve.

d)         un créancier désirant contester l'avis de révision ou de refus doit déposer un avis

                        de contestation auprès du contrôleur;


e)         une contestation non résolue est référée à un adjudicateur (présentement l'honorable juge Allan M. Austin et Me Martin Teplitsky, c.r.) pour détermination; et

f)          un créancier peut interjeter appel de la détermination effectuée par l'adjudicateur à la Cour supérieure de justice de l'Ontario.

Ainsi, l'ordonnance de protection du juge Farley en date du 1er avril 2003 n'est plus une demande de suspension de procédures, mais en plus la CPO met sur pied une procédure pour décider des réclamations contre les défendeurs.

[7]                Ayant constaté la problématique du présent dossier, soit la spécification statutaire à l'effet que la Cour fédérale est le forum désigné pour faire les déterminations découlant de l'application de la L.L.O. et les objectifs visés par la L.A.C.C., j'émettais une directive dans laquelle je demandais aux parties et à leurs procureurs de demander au juge Farley lequel des forums (la CPO ou la Cour fédérale) est le plus approprié pour faire les déterminations appropriées découlant du présent dossier.

[8]                Ce fut fait et j'en remercie les parties et les procureurs. En date du 1er avril 2004, le juge P. Rouleau de la Cour supérieure de l'Ontario répondait à la directive en émettant oralement des motifs pour ordonnance qui par la suite furent repris par écrit et ont été acheminés au soussigné le 15 mai 2004 portant le numéro de Cour 03-CL-4932.

[9]                Je les présente succinctement:

-           la Cour fédérale est assujetti à l'ordonnance de suspension des procédures du juge Farley en date du 1er avril 2003 selon sa lecture de l'article 11 de la L.A.C.C.;

-           il lui semble que chacune des parties tente d'obtenir un avantage, le demandeur et l'intervenante en se soustrayant de la procédure pouvant ainsi devenir les seuls créanciers à ne pas être obligés de soumettre leur dette à la procédure de réclamation et les défendeurs à profiter du processus de restructuration pour non seulement régler leurs obligations financières, mais aussi éviter la possibilité que leurs obligations linguistiques soient définies;

-           la procédure du CPO couvre les réclamations monétaires demandées par le demandeur;

-           tous les autres demandes (non monétaires) ne devraient pas être couvertes par la procédure du CPO;

-           la Cour fédérale devrait attendre la fin du processus de la L.A.C.C. avant d'entendre les demandes car elle pourra bénéficier à ce moment-là des bénéfices découlant de l'ordonnance finale du juge Farley;

-           il suggère au demandeur de continuer à s'assujettir à la procédure de la CPO et souhaite une demande d'intervention de l'intervenante dans la procédure de la CPO, ce type d'intervention pouvant être un avantage pour le preneur de décisions; et


-           il souhaite que la procédure de la CPO se limite à l'évaluation des dommages seulement et qu'elle ne devrait pas permettre une détermination sur les demandes non monétaires;

[10]            J'ai de la difficulté à envisager la possibilité que les dommages soient évalués sans que les droits linguistiques le soient aussi puisque selon moi l'un pourrait aller avec l'autre.

[11]            Toutefois, je considère que les objectifs de la L.A.C.C. doivent être sérieusement pris en considération et qu'une ordonnance de cette Cour ne doit pas créer un préjudice audits objectifs. Les défendeurs vivent une période difficile, il est important que le système mis sur pied par les ordonnances du juge Farley ne soit pas déstabilisé.

[12]            Par contre, il m'apparaît que la L.A.C.C. et la procédure du CPO ne sont pas conceptualisées pour traiter des litiges concernant la L.L.O., mais visent le règlement des réclamations monétaires. De plus, il revient à la Cour fédérale de par sa spécificité statutaire de traiter de questions linguistiques découlant de la L.L.O.


[13]            Les demandes du demandeur reflètent beaucoup plus que des questions monétaires (voir paragraphe 3 de la présente). À ce sujet et tel que déjà mentionné, si le mandat de la CPO est limité à la détermination du quantum des dommages sans toucher à l'importante question des droits linguistiques, en autant que ce soit possible, la question demeure à savoir si la procédure du CPO serait appropriée dans ces circonstances. Si tel n'est pas le cas, cette Cour devra assumer sa juridiction plus tôt que plus tard.

[14]            Dans un but de ne pas affecter le système mis sur pied par les ordonnances du juge Farley, je crois qu'il est approprié dans les circonstances que les procédures du présent dossier demeurent suspendues. De plus, en autant que la procédure de la CPO se limite aux demandes monétaires si c'est possible, la suspension des procédures doit demeurer jusqu'à temps que l'ordonnance finale du juge Farley soit émise ou à un autre moment déterminé par la Cour fédérale.

[15]            Dans un but de faciliter la tâche de l'adjudicateur ou d'un juge de la Cour supérieure de l'Ontario, et tel que proposé par le juge Rouleau, l'intervenante devrait sérieusement considérer intervenir dans la procédure de la CPO afin que sa position soit bien communiquée facilitant ainsi la tâche du décideur.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-           Le dépôt de l'affidavit complémentaire et ses documents est permis.


-           La demande de levée de l'ordonnance de la suspension est rejetée et ce, jusqu'à l'émission de l'ordonnance finale du juge Farley ou encore sur demande de l'une des parties si les circonstances le justifient.

-           Dépens à suivre.

                  "Simon Noël"                     

               Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                      T-346-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :        MICHEL THIBODEAU

c.

AIR CANADA ET AIR CANADA RÉGIONAL INC.

et

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE :

L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

EN DATE DU :                            2 JUIN 2004

PRÉTENTIONS ÉCRITES :

MONSIEUR MICHEL THIBODEAU LE DEMANDEUR

ME RENÉ CADIEUX POUR LES DÉFENDEURS

ME PASCALE GIGUÈRE

ME AMÉLIE LAVICTOIRE POUR L'INTERVENANTE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


MONSIEUR MICHEL THIBODEAU LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN S.R.L.POUR LES DÉFENDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES

OTTAWA (ONTARIO) POUR L'INTERVENANTE

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