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Date : 20010912

Dossier : IMM-5201-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1014

ENTRE :

                                                            SHANIKA JAYESEKARA

demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge GIBSON :

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SSR a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon le sens donné à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. Les motifs écrits de la SSR sont datés du 14 septembre 2000.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est Cinghalais et il est citoyen du Sri Lanka. Au moment où l'audience a été tenue devant la SSR, il avait trente (30) ans. Depuis 1993, il a travaillé pour la compagnie aérienne Air Lanka. En 1999, il travaillait comme agent des services de soutien en vol et, entre les vols, il devait monter à bord des avions pour s'occuper des services d'alimentation et de divertissement, mais normalement il ne restait pas à bord de l'appareil pendant le vol. Les éléments de preuve que le demandeur a soumis à la SSR sont les suivants.

[3]                 Le 11 janvier 1999, deux personnes ont abordé le demandeur dans une salle de toilettes de l'aéroport et lui ont demandé de placer un colis à bord d'un avion partant pour Londres, en Angleterre. Il a refusé. Les personnes qui l'ont abordé ont réagi avec colère, l'ont menacé avec des revolvers et lui ont dit que s'il refusait d'obtempérer une prochaine fois, ou s'il informait la police ou la sécurité d'Air Lanka à propos de leur intervention auprès de lui, ils le tueraient. Le demandeur a présumé que les personnes qui l'avaient abordé étaient des membres ou des associés des Tigres tamouls.

[4]                 Le demandeur n'a pas signalé l'incident du 11 janvier bien qu'il en ait tout de même parlé à sa conjointe.

[5]                 Au cours de la semaine suivant le 11 janvier, le demandeur a reçu des appels de menace. Le 18 janvier, on l'a enlevé, attaché avec du fil de fer et on lui a répété qu'il devait placer un colis à bord d'un avion. Là encore, il a refusé. Il a été torturé. Il a perdu conscience. Ses ravisseurs l'ont apparemment abandonné près d'un hôpital. Des employés de l'hôpital l'ont trouvé et l'ont amené à l'hôpital où il a repris conscience. Les policiers l'ont interrogé à l'hôpital mais il ne leur a pas dit toute la vérité, se bornant à dire qu'on l'avait enlevé.

[6]                 On a une fois de plus téléphoné au demandeur le dernier jour de février 1999. Il a reçu instruction de placer, sur n'importe quel avion partant le dernier jour de mars, le colis qu'on lui remettrait. On lui a dit que c'était sa dernière chance. Cette fois encore, le demandeur a refusé de collaborer.

[7]                 Le 13 avril, des personnes armées sont entrées par effraction dans sa résidence où il vivait avec ses parents, sa conjointe et leur bambin. Une fois de plus, on l'a menacé de mort. Le lendemain, il a informé la police mais, comme la fois précédente, il n'a pas dit toute la vérité.

[8]                 Le demandeur s'est caché. Le 23 mai, il est parti au Canada muni d'un visa canadien de visiteur.

[9]                 En juillet 1999, après l'arrivée du demandeur au Canada, quatre suspects ont été arrêtés relativement à l'entrée par effraction chez lui. Comme ils n'ont pu être formellement identifiés lors de leur procès, ils ont été relâchés.

[10]            Le demandeur a déclaré que sa conjointe a continué de recevoir des appels de menace.

LA DÉCISION DE LA SSR

[11]            Dans les motifs de sa décision, la SSR a dégagé trois questions liées à la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur. Les questions étaient les suivantes : premièrement, un lien existe-t-il entre les expériences relatées par le demandeur et les motifs de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, à savoir, la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social et les opinions politiques? deuxièmement, le récit du demandeur était-il crédible? et enfin, le demandeur peut-il se réclamer d'une protection adéquate de l'État s'il retourne au Sri Lanka?

[12]            La SSR a rendu une décision défavorable au demandeur à l'égard des trois questions soulevées. S'agissant de la question du lien, par laquelle le demandeur alléguait l'existence d'un lien fondé sur ses opinions politiques présumées, voici ce que la SSR a écrit :

La jurisprudence appuie l'hypothèse que l'opposition d'une personne à la criminalité n'est pas perçue comme une opinion politique ou un autre motif établi dans la Convention, à moins qu'elle concerne l'appareil d'État.


L'appareil gouvernemental du Sri Lanka ne fonctionne peut-être pas parfaitement, mais il est évident qu'il tente de circonscrire et d'éliminer l'opposition terroriste des Tigres tamouls. Le tribunal ne peut d'aucune façon conclure que le gouvernement du Sri Lanka est tellement corrompu qu'il est en fait complice des activités terroristes des LTTE, de sorte que le refus du revendicateur de collaborer avec les LTTE constituerait une protestation contre la corruption du gouvernement.

[13]                 La SSR a conclu que les allégations du demandeur n'étaient pas vraisemblables à de nombreux égards, à savoir : premièrement, parce qu'il n'avait pas entièrement divulgué ses ennuis à la police et n'avait pas tenté d'obtenir une protection appropriée; deuxièmement, parce que le demandeur aurait été enlevé et torturé et ensuite laissé près d'un hôpital; troisièmement, parce qu'on lui a donné « une deuxième chance » pour qu'il place un colis à bord d'un avion avec un avis de plus d'un mois avant la date limite; quatrièmement, parce que, puisque le demandeur avait dépassé la date limite, ses adversaires auraient attendu environ deux semaines avant de s'introduire chez lui par effraction et de le menacer encore une fois; et enfin, parce que le demandeur s'est caché après l'effraction commise chez lui et il a pu, malgré cela, obtenir une lettre de son employeur pour appuyer sa demande de visa canadien de visiteur.

[14]            Enfin, la SSR a conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle il pourrait se réclamer de la protection de l'État quelle que soit sa situation.

ALLÉGATIONS D'ERREUR SUSCEPTIBLE DE RÉVISION


[15]            L'avocat du demandeur a soutenu que la SSR avait commis une erreur susceptible de révision à l'égard de ses trois conclusions. L'avocat du défendeur a fait valoir que les conclusions de la SSR touchant au lien et à la crédibilité étaient des conclusions de fait et qu'à ce titre la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. Au regard de cette norme, a-t-il soutenu, la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de révision. S'agissant de la troisième conclusion de la SSR, où l'on traitait de la protection de l'État, l'avocat du défendeur a admis l'existence d'une erreur susceptible de révision mais il a soutenu que l'erreur était sans conséquence puisque les trois conclusions était subsidiaires et que dans le cas où l'une d'elles devait résister à un contrôle judiciaire, cela suffirait pour que la demande soit tranchée en faveur du défendeur.

[16]            L'avocat du demandeur a reconnu que les trois conclusions de la SSR étaient subsidiaires et que si l'une d'elles était confirmée, l'affaire serait tranchée en faveur du défendeur.

ANALYSE

[17]            Malgré les indications fournies récemment par la Cour suprême du Canada, j'hésite à entrer dans le débat actuel concernant la norme de contrôle applicable aux demandes de contrôle judiciaire comme en l'espèce, mais je m'estime obligé de le faire à tout le moins à l'égard de la question du lien.


[18]            Comme nous l'avons vu, l'avocat du défendeur a allégué que la question relative au lien est une question de fait et qu'à ce titre la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Au soutien de sa thèse, l'avocat a cité la décision Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], dans laquelle Madame le juge Tremblay-Lamer a écrit au paragraphe 16 :

De plus, comme le précisent la jurisprudence récente, telles les décisions Leon c. MCI ... et Lara c. MCI ..., l'existence d'un lien entre les actes de persécution et un motif énoncé dans la Convention est une question de fait qui relève nettement de l'expertise du tribunal, de sorte que la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait.                                                                                     [citations omises]

[19]            Dans la décision Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], citée par Madame le juge Tremblay-Lamer, le juge Jerome, juge en chef adjoint à l'époque, a indiqué au paragraphe 13 :

[...] La détermination de l'existence d'un « lien » est largement une question de fait et relève entièrement du champ de compétence du tribunal.                                                                                                                                        [Non souligné dans l'original.]

[20]            Dans la décision Lara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], Monsieur le juge Evans, alors juge à la Section de première instance, a indiqué au paragraphe 14:

La faiblesse de l'argument du demandeur sur ce point tient à ce que le lien entre les agissements abusifs et les motifs de persécution au sens de la Convention est une conclusion de fait, à laquelle la Cour ne peut pas toucher à moins qu'elle n'ait été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou au mépris des éléments de preuve produits devant la section du statut; [...]                                                                                                                                                        [la citation de la décision Leon, précitée, a été omise]

[21]            Avec égards pour mon collègue et mes anciens collègues de la Section de première instance, j'arrive à une conclusion différente.

[22]            Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[5], Monsieur le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour, a fourni des indications très utiles concernant les distinctions entre les questions de fait, les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait. Voici ce qu'il a écrit aux paragraphes 34 et 35 :

Les parties ne s'entendent pas du tout sur la nature du problème dont était saisi le Tribunal. Les appelantes affirment qu'il s'agit d'une question de fait, alors que l'intimé soutient que c'est une question de droit. À mon avis, il s'agit d'une question de droit et de fait.

[...] En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. [...]

[23]            La question de savoir si un ensemble de faits donnés, comme ceux qu'allègue le demandeur en l'espèce, constitue dans sa situation des « opinions politiques » ou des opinions politiques présumées, exige qu'on interprète l'expression « opinions politiques » telle qu'elle figure dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. L'interprétation de l'expression « opinions politiques » dans le contexte de la définition de « réfugié au sens de la Convention » n'est pas sans difficultés[6]. Au regard des indications fournies par Monsieur le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam, précité, je


suis convaincu que l'interprétation de l'expression « opinions politiques » dans le contexte de la définition de « réfugié au sens de la Convention » est une question de droit. Et s'agissant de l'application des faits d'une espèce donnée à cette question, je suis convaincu qu'il s'agit alors d'une question de droit et de fait.

[24]            Procédant à « l'analyse pragmatique et fonctionnelle » qui sert à déterminer la norme de contrôle telle qu'élaborée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7] et dans l'arrêt plus récent Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], je suis convaincu que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la conclusion de la SSR relativement au « lien » n'est pas celle de la décision manifestement déraisonnable, ni celle de savoir si la conclusion était tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des documents au dossier de la SSR, mais plutôt celle de la décision raisonnable simpliciter.

[25]            Dans la décision Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9], au paragraphe 18, Monsieur le juge Evans a écrit au nom de la Cour :


La question de savoir si les faits admis ont satisfait à l'exigence législative est une question mixte de faits et de droit sur laquelle la Commission a compétence : Nina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.F. 1re inst., A-735-92, le 24 novembre 1994), au paragraphe 28. Sur ce genre de question, la Commission a droit à une certaine retenue judiciaire et la Cour ne devrait pas intervenir à moins qu'elle ne soit convaincue que la Commission avait clairement tort : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

Ainsi qu'il ressort des motifs du juge Iaccobucci dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[10] au paragraphe 60, je considère que la norme de la décision « manifestement erronée » est l'équivalent de la décision raisonnable simpliciter.


[26]            Au regard donc de la norme de la décision raisonnable simpliciter, la SSR pouvait-elle décider qu'il n'existait aucun lien entre la crainte que le demandeur avait d'être persécuté s'il devait de retourner au Sri Lanka et le motif des opinions politiques reconnu par la Convention, ou encore tout autre motif? Je conclus qu'elle le pouvait. La SSR a indiqué dans ses motifs cités précédemment qu'elle présumait que la situation la plus défavorable pour le demandeur était que les personnes qu'il craignait soient en fait des membres ou des associés des Tigres tamouls ou des LTTE, mais cette présomption n'a jamais été établie en fait devant la SSR. On n'a pas non plus établi que ces personnes étaient réellement des membres ou des associés de tout autre groupe permettant de créer un lien quelconque avec un motif reconnu par la Convention. À défaut d'un lien établi par le demandeur ou pour son compte, la présomption additionnelle que les persécuteurs présumés du demandeur sont des personnes dont [traduction] « on prétend ou sait qu'elles ont des opinions contraires aux politiques du gouvernement ou du parti au pouvoir ou qu'elles critiquent ces politiques » [11], ou toute autre présomption pertinente, n'était simplement pas conforme à la décision raisonnable simpliciter.

[27]            La conclusion à laquelle je suis arrivé précédemment fait en sorte que le demandeur est débouté de sa demande de contrôle judiciaire. Je m'abstiendrai donc d'examiner la conclusion défavorable au demandeur que la SSR avait tirée en se fondant sur les invraisemblances dans la documentation et le témoignage du demandeur devant la SSR.

CONCLUSION

[28]            Par conséquent, malgré l'admission faite par l'avocat du défendeur à l'égard de la conclusion relative à la protection de l'État, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


[29]            Les présents motifs seront diffusés. Les avocats auront jusqu'au 28 septembre 2001 pour échanger et présenter à la Cour leur observations sur la certification d'une question. Après cette date, une ordonnance sera rendue, rejetant la présente demande de contrôle judiciaire et réglant la question de la certification.

« Frederick E. Gibson »

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

Calgary (Alberta)

12 septembre 2001      


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010912

Dossier : IMM-5201-00

ENTRE :

                          SHANIKA JAYESEKARA

                                                                                    demandeur

                                               - et -

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                                              

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                              


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-5201-00

INTITULÉ :                                                     SHANIKA JAYESEKARA

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (Ontario)    

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 13 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   le 12 septembre 2001

ONT COMPARU :

M. Bossin                                                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Patricia Johnson                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services juridiques communautaires

Ottawa (Ontario)                                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                     POUR LE DÉFENDEUR



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         [2000] A.C.F. no 120, (C.F. 1re inst) en ligne : QL (CFC).

[3]         [1995] A.C.F. no 1253, (C.F. 1re inst) en ligne: QL (CFC).

[4]         [1999] A.C.F. no 264, (C.F. 1re inst) en ligne: QL (CFC).

[5]         [1997] 1 R.C.S. 748.

[6]    Voir, par exemple : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 745 à 750.

[7]         [1998] 1 R.C.S. 982.

[8]         [1999] 2 R.C.S. 817.

[9]    [2000] A.C.F. no 577 (C.A.F.) en ligne: QL (CFC).

[10] Précité, note 5.

[11]       Voir : Ward, précité, note 6, page 746.

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